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Un rappel ce matin de notre ami Vincent, sur le réseau de Mark Z., m'amène à signaler ici, in extremis, le vingtième séminaire de la Deutsche Tolkien Gesellschaft e.V. (la Tolkien Society allemande) qui a lieu à partir d'aujourd'hui vendredi 11 octobre (après-midi) et jusqu'à ce dimanche 13 octobre à Aachen (Aix-la-Chapelle), avec pour thème « Tolkien et ses éditeurs ».
Le séminaire a lieu à la fois en présentiel et en distanciel (via Zoom, sur inscription) :
https://www.tolkiengesellschaft.de/5361 … inar-2024/Vincent interviendra samedi après-midi, avec Thomas Honegger, à propos de « L'héritage de Christopher Tolkien ».
Dimanche après-midi, un certain Sebastian Krinner proposera une communication intitulée “Tolkien was not a ‘genius’. A Critical appraisal of a great author and his publishers” : les approches véritablement critiques sont suffisamment rares pour être signalées.J'essaierai d'assister en ligne à certaines interventions de ce week-end, en fonction des éventuels aléas techniques de connexion...
[...]
Je me permets de partager dans un fuseau dédié quelques impressions suite au séminaire de la Deutsche Tolkien Gesellschaft e.V. (DTG) ayant eu lieu ce mois-ci, les 11, 12 et 13 octobre derniers, avec pour thème « Tolkien et ses éditeurs ». Le sujet est évident très intéressant quand on sait combien les questions éditoriales sont souvent cruciales dans la réception des œuvres des créateurs.
Pour prendre un exemple autre que littéraire, songeons en musique au cas du compositeur Anton Bruckner (1824-1896) : perfectionniste dans l'écriture de ses symphonies, il les remaniait volontiers, avant ou après la première exécution publique, en étant sensible aux suggestions extérieures, tandis que des versions d'œuvres imprimées du vivant de l'auteur pouvaient comporter des modifications faites à son insu... Du sac de nœuds éditorial qui a résulté de cette situation complexe, on a retenu deux corpus d'édition critique réalisés dans le courant du XXe siècle, l'un dû à Robert Haas et l'autre à Leopold Nowak, deux corpus qui heureusement se recoupent le plus souvent, même si des divergences existent en particulier dans les cas des Troisième et Huitième symphonies... et sachant que depuis, d'autres entreprises musicologiques d'éditions de symphonies de Bruckner ont vu le jour... Bref, les éditions d'une œuvre, c'est assurément important !
Je n'ai guère pu être présent, à distance, qu'aux deux interventions du programme du séminaire tolkienien allemand que j'avais évoqué ailleurs, à savoir l'entretien entre notre ami Vincent (Ferré) et Thomas Honegger a eu lieu le samedi 12 octobre, deuxième jour du séminaire, et l'intervention de clôture de Sebastian Krinner qui a eu lieu le lendemain (cf. citation ci-dessus), et ne pourrait donc pas vraiment parler des autres communications de ce séminaire, à l'exception toutefois de ce qui a pu se dire lors de la première journée, dont j'ai eu quelques échos et qui m'a inspiré quelques réflexions.
La journée inaugurale du vendredi 11 octobre a été notamment marquée par une intervention d'Allan Turner, intitulée « The Editors and the Critics ». Je n'y ai pas assisté, mais d'après ce que j'ai compris, Turner a parlé de critiques, mais aussi d'attaques, notamment de la part de Toby Widdicombe, professeur d'anglais à l'université d'Alaska à Anchorage, lequel affirme que Christopher Tolkien n'aurait pas dû être à la fois exécuteur littéraire et éditeur des écrits de son père. Cela m'a rappelé des souvenirs, déjà lointains : il me semble qu'au début des années 2000, Édouard J. Kloczko avait tenu des propos similaires à l'égard de Christopher Tolkien... Allan Turner a apparemment précisé que critiquer est une chose, légitime, mais qu'attaquer est autre chose, ce dont chacun pourra convenir. À la suite de son intervention, Denis Bridoux, présent sur place (il a prononcé une communication le lendemain samedi), aurait raconté que Baillie Tolkien aurait réalisé comme éditrice plusieurs versions des Lettres du Père Noël pour « cacher des secrets de famille », quand, pour ma part j'en suis resté à ce qu'elle a déclaré lors d'un entretien public qu'elle avait accordé à Vincent, en décembre 2021, lors d'un colloque de littérature comparée (“La Fabrique de Noël”) à l'université de Nanterre : si j'en crois ce qu'en avait rapporté Irwin sur le forum d'à côté, certaines lettres ont été simplement écartées, peut-être par Christopher T., car étant jugées trop « cucul [la praline] », pour reprendre l'expression de Baillie T. elle-même.
Bien évidemment, ne soyons pas naïfs : j'ai déjà eu l'occasion d'écrire ailleurs qu'il existe à propos de tout un chacun ce « misérable petit tas de secrets » dont parlait André Malraux, et que l'on retrouvera dans toutes les familles, quel que soit le degré de rétention d'informations que peuvent pratiquer les héritiers de parentèles qui furent ce qu'elles furent, à titre individuel ou collectif. À cette aune, sur le principe, rappelons que ce n'est pas parce qu'on a le droit de faire quelque-chose que l'on forcément toujours raison de le faire, en l'occurrence ici ne pas communiquer des informations pouvant éventuellement être d'intérêt public vis-à-vis d'une personnalité connue. La question est évidemment loin d'être simple, car tout ne dépend pas toujours de la volonté de la personnalité en question : si par exemple Max Brod, ami et exécuteur testamentaire de Franz Kafka, avait respecté la volonté de ce dernier de détruire tous ses manuscrits après sa mort survenue en 1924, la réception de cet auteur n'en aurait-elle pas été sensiblement modifiée ? Autre exemple : nous connaissons aujourd'hui beaucoup de choses aussi bien sur l'œuvre que sur la vie privée de Pierre Louÿs, qui fut notamment l'amant (et beau-frère) de Marie de Heredia (autrice sous le pseudonyme de Gérard d'Houville) et probablement aussi le père de son fils, mais les révélations ne se sont pas faites de façon linéaire, en raison notamment de la large dispersion des manuscrits de Louÿs après sa mort en 1925, et c'est un cas de connaissance intime de l'homme privé qui reste assez exceptionnel, surtout vis-à-vis de l'époque concernée (fin XIXe et début XXe siècles).
De façon beaucoup plus générale, il ne faut pas sous-estimer le poids des loyautés familiales, qui poussent volontiers à ne pas révéler des informations qui, parfois, en raison de leur importance, mériteraient pourtant d'être révélées, au-delà même d'une question de présence d'une célébrité (artiste ou autre) dans une famille, y compris bien sûr notamment lorsqu'il est question d'agissements délictueux ou criminels. D'autres considérations peuvent d'ailleurs entrer en compte : après la mort de Marion Zimmer Bradley en 1999, sa fille Moira Greyland a gardé le silence pendant une quinzaine d'années avant de faire des révélations très graves sur sa mère au journal The Guardian en 2014, parce qu'elle ne voulait pas nuire à la dimension positive qu'a pu avoir l'œuvre littéraire de Zimmer Bradley auprès de son public. On pourrait évoquer d'autres exemples, tantôt renvoyant plutôt à l'œuvre d'un artiste, tantôt plutôt à l'artiste en tant que personne, tantôt plus ou moins aux deux, avec dans tous les cas d'éventuelles implications de tierces personnes dans les choix de rendre public tel ou tel aspect d'un artiste et/ou de son œuvre, via notamment un travail d'édition. Tout cela est très complexe, à l'image de la diversité des situations, personnelles et familiales, sociales et commerciales, et sachant que dans l'absolu, il existe aussi bien un droit de savoir qu'un droit de ne pas savoir.
Tout peut toujours faire l'objet de soupçons, particulièrement dès qu'il est question de prétendre vraiment « connaître » aussi bien la personne que l'artiste et son œuvre. Mais jusqu'à quel point avoir des soupçons ? Et lorsque l'on a découvert un certain nombre de choses, jusqu'où exercer un pouvoir concernant leur publicité ? Tout dépend sans doute du degré d'éthique du chercheur, et de son rapport à la recherche de la vérité et à la communication de celle-ci... Pour prendre un exemple bien connu situé au XIXe siècle, quand le très puritain poète et critique d'art John Ruskin, incapable par pruderie de consommer son mariage avec la malheureuse Effie Gray, avait déclaré avoir détruit les œuvres érotiques de son idole, le grand peintre Joseph Mallord William Turner dont ledit Ruskin avait (très utilement, du reste) inventorié le fond d'atelier légué par testament à l'État britannique, il témoignait d'une volonté d'orienter la réception d'une œuvre selon ses propres conceptions esthétiques et morales, très personnelles, conceptions en soi fort discutables et faisant certes ton sur ton avec le victorianisme de l'époque : or, quels qu'aient été les degrés de vantardise et de mensonge de Ruskin quant à la destruction qu'il déclarait avoir commise, fort heureusement, l'œuvre érotique de J. M. W. Turner nous est parvenu, en tout ou partie, et nous permet d'appréhender de façon plus juste l'œuvre de cet immense artiste – Alain Jaubert a consacré un beau livre à ce sujet (J. M. W. Turner. Les Carnets secrets, Cohen&Cohen, 2016).
Concernant le cas de J. R. R. Tolkien, pour rappeler une anecdote dont la révélation ne date pas d'hier, en 1966, à Clyde S. Kilby qui avait eu la curiosité de lui demander s'il y avait « du sexe » au sens « moderne » du terme dans sa fiction, et en particulier dans son « Silmarillion » encore en gestation, Tolkien lui avait répondu, à la surprise dudit Kilby, qu'il avait effectivement écrit “a couple of sex stories”, sans toutefois souhaiter les lui montrer (voir Clyde S. Kilby, Tolkien & The Silmarillion, Harold Shaw Publishers, 1976, p. 83, note 6). Si elles ont bien été écrites, où sont passées ces “sex stories” dont Tolkien a pu parler à Kilby ? Ont-elles été détruites, et si oui par qui ? Ou bien sont-elles restées inédites, en tout ou partie ? Par rapport aux écrits connus jusqu'ici, l'histoire des Enfants de Húrin est ce qui pourrait sans doute s'en rapprocher le plus, sachant qu'au-delà de l'image « respectable » et prude que l'on a généralement de Tolkien, la sexualité n'est pas complètement absente de sa fiction, faute d'alternative crédible pour mettre en scène une subcréation compatible avec à la fois le réel sexué humain et l'idéologie chrétienne imprégnant l'esprit de l'auteur. Mais en l'état, nous nous retrouvons avec plus d'interrogations que de réponses, avec en toile de fond, la question de la réception d'une œuvre conditionnée de façon capitale à un travail éditorial et aux choix qu'il suppose...
Ceci étant dit, et pour en revenir aux critiques et attaques évoquées précédemment, soyons honnêtes : concernant cette question de réception via édition, on pourra toujours estimer qu'il y avait des moyens de faire « mieux » ou « autrement » que ce qui a été fait par son fils, mais de toute façon, ce qui est fait est fait, et même en étant vraiment critique, on peut tout de même convenir que cela n'a pas été « mal fait », notamment compte-tenu du caractère chaotique des archives laissées par Tolkien, de son écriture souvent difficilement lisible, de sa proximité personnelle créative avec son fils, etc. À cette aune, J. R. R. Tolkien a clairement eu plus de chance que Robert E. Howard, mort jeune sans postérité, et dont l'œuvre littéraire n'a pas bénéficié du même degré de protection de son intégrité par des héritiers, au point de voir sa réception être longtemps très déformée, en particulier en raison des magouilles éditoriales de Lyon Sprague de Camp. Souhaitons simplement maintenant qu'en ce qui concerne les archives de Tolkien, déposées à la bibliothèque Bodléienne, celles-ci soient au mieux inventoriées puis rendues accessibles aux chercheurs, au nom d'un travail de recherche collectif d'intérêt public, travail collectif qui constitue l'essentiel en matière d'accès à la connaissance, même si l'on n'est pas toujours d'accord sur tout.
Venons-en aux impressions liées à ce que j'ai pu voir et entendre à distance lors du séminaire, en commençant, dans l'ordre chronologique, par l'entretien entre notre ami Vincent et Thomas Honegger, en début d'après-midi de la deuxième journée.
Après avoir notamment parlé de son parcours, de certains évènements tolkieniens passés en France, notamment des colloques de Cérisy-la-Salle et de Rambures, ainsi que de l'exposition Tolkien à la BnF plus récemment, Vincent a évoqué avec modestie sa relation avec Christopher Tolkien et son épouse Baillie, qu'il a connu à partir de 2005, dans le contexte de la traduction française de la première édition des Letters. Il a été question de la part des choses à faire entre subjectivité et objectivité, entre l'auteur et la personne, ce que l'on ait amené naturellement à faire lorsque l'on travaille sur l'œuvre d'un auteur disparu, ce que Vincent a fait notamment d'abord en tant que spécialiste de Marcel Proust, puis de Tolkien père et fils. Cela n'empêche pas Vincent d'avoir un souvenir très personnel de Christopher Tolkien, par exemple d'entendre sa voix lorsqu'il lit ses textes, a fortiori en ayant été chargé d'inventorier ses archives après son décès en 2020, une procédure qui est actuellement encore en cours. Vincent a évoqué la personnalité très modeste de Christopher T., son travail rigoureux exceptionnel d'« archéologue littéraire », mené à partir du chaos des archives dont il avait hérité de son père en 1973. Christopher T. était très au fait de l'actualité, lisait de la littérature contemporaine, s'intéressait à l'architecture, était un photographe naturaliste amateur, féru à cette aune de botanique, d'entomologie, de lépidoptérologie, de mycologie...
Je ne me rappelais plus l'avoir su (peut-être...), mais en me permettant de poser publiquement la question après l'entretien, Vincent me l'a confirmé : après s'être installés en France en 1975 et y avoir vécu de nombreuses années, plus précisément en Provence, Baillie et Christopher Tolkien ont fini par demander la nationalité française et l'ont obtenu, non sans quelques péripéties administratives dont notre pays a le secret.
Cet entretien a été l'occasion d'annoncer et présenter en avant-première une parution : un livre collectif, édité en français, rendant hommage à Christopher Tolkien pour le centenaire de sa naissance, dirigé par Vincent, et devant paraître le 21 novembre prochain en format numérique, au moins dans un premier temps. Intitulé Les Mondes de Christopher Tolkien, divisé en trois parties, préfacé par Baillie Tolkien, l'ouvrage contient une douzaine d'articles ainsi que quelques-unes des photographies naturalistes de Christopher Tolkien. Les articles ont été rédigés pour certains par des personnes bien connues en ces lieux, et puisque l'une de ces personnes, notre ami Sosryko, a signalé ce mardi 29 octobre, dans un autre fuseau, la parution du livre en question, en reproduisant la présentation de l'éditeur qui justement mentionne notamment les contributeurs, je me permets donc de renvoyer à son message :
https://www.jrrvf.com/fluxbb/viewtopic. … 293#p93293
Le sommaire de l'ouvrage, avec le détail des contributions, a été communiqué par Vincent à cette occasion, mais je suppose qu'il en sera question de manière plus officielle prochainement. Le livre, d'après ce qu'a précisé Vincent sur le réseau Bluesky il y a quelques jours, sera également présenté par lui lors d'une Conférence du centenaire dédiée à Christopher Tolkien qu'organise, en ligne, la Tolkien Society les 23 et 24 novembre prochains :
https://www.tolkiensociety.org/events/c … onference/
Le séminaire s'est terminé, le troisième jour, en fin de mâtinée, par l'intervention intitulée « Tolkien was not a “genius”. A Critical appraisal of a great author and his publishers », par Sebastian Krinner, professeur en lycée à Essen ayant fait ses études universitaires (en latin et en histoire) à Münster et Bologne, auteur d'un article paru en 2023 dans le n°20 de Hither Shore, la revue bilingue de la DTG. J'évoquerai cette intervention sans prétendre être exhaustif quant à son contenu, et me permettant d'y mêler des considérations qui me sont propres, en espérant que le lecteur ou la lectrice arrivera sans trop de problèmes à faire la part des choses entre le propos du conférencier et le mien (je suppose que dès qu'il question notamment de Robert E. Howard ou de Basil Herm, on pourra toujours se douter que c'est votre serviteur qui parle...).
Dans un premier temps, en introduction, Krinner a commencé par évoquer le contexte personnel de son approche. Né en 1986, il a lu le SdA à 14 ans, soit juste avant la période de pleine influence des films de PJ dans la réception de Tolkien et de son œuvre, période d'influence à laquelle il n'a évidemment pas échappé. Il a reconnu être « en retard » par rapport aux recherches de la communauté des tolkienophiles/tolkienologues, son approche se voulant une confrontation avec le concept de génie en littérature.
Dans un deuxième temps, à cette aune, Krinner a évoqué ce concept comme ayant été déclaré mort deux fois, en partant de la vision, issue du romantisme, de l'auteur s'opposant par sa singularité à l'écrivain « laborieux ». Le conférencier a cité Andrew Bennett à ce propos :
[...] [The] rethinking of the role of the author in the eighteenth century places an increasing emphasis on the classical idea of the author as fundamentally apart from, fundamentally separate from, society. Indeed, the Romantic author is ultimately seen as different from humanity itself. He is seen as both an exemplary human and somehow above or beyond the human, as literally and figuratively outstanding. He is, after all, ahead of his time, avant-garde. The idea of the Romantic author is opposed to the idea of the writer, the scribbler, the journalist or literary drudge and is conceived as a subject inspired by forces outside himself, forces that allow him to produce work of originality and genius. But this originality is itself profoundly strange. It is, at some level, inexplicable. [...] There is no reason why the genius is able to create the works that he creates. This idea that the genius is both himself and beyond himself is something of a commonplace in Romantic poetics. [...]
[La] réévaluation du rôle de l'auteur au XVIIIe siècle met de plus en plus l'accent sur l'idée classique de l'auteur comme fondamentalement à part, fondamentalement séparé de la société. En effet, l'auteur romantique est finalement perçu comme différent de l'humanité elle-même. Il est considéré à la fois comme un être humain exemplaire et, d'une certaine manière, au-dessus ou au-delà de l'humain, comme étant littéralement et figurativement exceptionnel. Il est, après tout, en avance sur son temps, à l'avant-garde. L'idée de l'auteur romantique s'oppose à l'idée de l'écrivain, du gribouilleur, du journaliste ou du travailleur littéraire et est conçue comme un sujet inspiré par des forces extérieures à lui-même, des forces qui lui permettent de produire des œuvres originales et géniales. Mais cette originalité est elle-même profondément étrange. Elle est, à un certain niveau, inexplicable. [...] Il n'y a aucune raison pour que le génie soit capable de créer les œuvres qu’il crée. Cette idée que le génie est à la fois lui-même et au-delà de lui-même est en quelque sorte un lieu commun dans la poétique romantique.
Andrew Bennett, The Author, Londres/New York, Routledge, 2005, 3. "The Romantic author", p.60 (la citation est mienne, et non exactement celle de Krinner, j'ai retrouvé le passage de mémoire, à partir de l'occurrence du mot "avant-garde")
Traduction d'après Gogol/Google
Krinner a évoqué, en citant l'exemple célèbre du peintre Vincent Van Gogh, la folie considérée comme cause du génie, ou prix à payer pour y accéder, et les aptitudes intellectuelles supérieures « à la Sherlock Holmes » contrebalancées par des défauts majeurs, notamment d'ordre psychologique. Il est vrai que c'est une idée reçue restant répandue que le génie, au sens « moderne » du terme, aurait plus ou moins pour pendant la névrose.
J'avoue que cela m'a fait penser à Robert E. Howard, qui a notamment peut-être souffert d'un trauma personnel en contexte familial, et dont la personnalité jugée atypique, voire « déséquilibrée », a pu expliquer selon certains son œuvre littéraire dans sa dimension « intense », notamment s'agissant de ses histoires de Conan le Cimmérien, même si l'on pourrait aussi évoquer bien d'autres textes. Sans même parler de génie, c'est en fait ainsi que Lyon Sprague de Camp voyait les choses, lui qui a prétendu, à partir des années 1950 et 1960, mener une « collaboration posthume » avec Howard (bien après la mort de ce dernier, lequel pour mémoire a mis fin à ses jours en 1936), en éditant des textes dudit Howard « mis au point et complétés » puis associés à des pastiches écrits par d'autres, en détournant l'esprit de l'ensemble pour le rendre conforme à ses vues (pas du tout howardiennes), et surtout avec des arrière-pensées mercantiles, visiblement sans le moindre souci de respect le plus élémentaire dû à la fois à une œuvre originale et à son auteur. Le fait est que certains écrits de L. Sprague de Camp témoignent, à l'évidence, d'un net complexe de supériorité de sa part à l'égard de Howard, De Camp estimant notamment, avec une mauvaise foi certaine, que lui et ses collègues pasticheurs (Lin Carter et d'autres) ne jouaient rien de moins qu'un rôle consistant à « rationaliser » les récits d'un Howard considéré comme névrosé. En 1984, De Camp avait écrit ainsi notamment ceci à la Robert E. Howard United Press Association (REHupa) :
My candid opinion of Howard's Conan versus those of his modern pasticheurs (myself included) is that, while some of the more recent stories are more smoothly done than Robert Howard's, with fewer inconsistencies and unlikely coincidences, none has quite the hypnotic intensity of Howard's originals. The reason is that none of us suffers from the fears, hatreds, and obsessions that bedeviled Howard. Obviously, I am not going to my neighborhood shrink and say: Hey, doc, will you please unbalance me so I can write as intensely as Robert Howard?
Mon opinion sincère sur le Conan de Howard comparé à celui de ses pasticheurs modernes (moi compris) est celle-ci : certains des textes plus récents sont plus fluides que ceux de Robert Howard, avec moins d'inconsistances et de coïncidences improbables, mais aucun [de ces pastiches] n'égale l'intensité hypnotique des récits originaux. La raison en est qu'aucun d'entre nous ne souffre des peurs, haines et obsessions qui tourmentaient Howard. Bien évidemment, je n'allais tout de même pas me rendre chez mon psychiatre du coin et lui dire : “Hé, doc, vous voulez bien faire de moi un déséquilibré pour que je puisse écrire de façon aussi intense que Robert Howard ?”
Lyon Sprague de Camp, extrait d’une lettre du 11 avril 1984 à la REHupa.
Traduction personnelle.
À noter que Robert Howard, sans doute lui-même influencé par le romantisme littéraire tout se réclamant d'un certain rationalisme scientifique, déclarait lui-même, par exemple, qu'il lui semblait que son personnage de Conan avait surgi déjà élaboré dans son esprit, par quelque mécanisme subconscient ayant assemblé diverses inspirations réelles, lorsqu'il rédigea la première histoire de fantasy mettant en scène ce personnage en 1932, et qu'il lui semblait aussi qu'en écrivant les histoires de Conan, il ne faisait que relater des évènements passés ayant vraiment eu lieu, le personnage de Conan ayant alors pris totalement possession de son esprit : du moins est-ce là ce qu'il a confié à son confrère écrivain Clark Ashton Smith dans des lettres datées du 14 décembre 1933 et du 23 juillet 1935.
Pour en revenir au propos de Krinner, celui-ci a ensuite parlé de la mort annoncée puis du retour du concept d'auteur, en mentionnant notamment l'essai La Mort de l'auteur de Roland Barthes (1967) et la conférence « Qu'est-ce qu'un auteur ? » de Michel Foucault (prononcée en 1969). Citant la lettre de J. R. R. Tolkien à Geoffrey B. Smith du 12 août 1916 (Letters, 5), il a rappelé que la conception romantique de la création était présente chez le jeune Tolkien, notamment dans sa vision du club informel formé en 1911 avec ses camarades de la King Edward's School à Birmingham, le T.C.B.S. (“Tea Club and Barrovian Society”) :
What I meant, and thought Chris meant, and am almost sure you meant, was that the TCBS had been granted some spark of fire – certainly as a body if not singly – that was destined to kindle a new light, or, what is the same thing, rekindle an old light in the world; that the TCBS was destined to testify for God and Truth in a more direct way even than by laying down its several lives in this war (which is for all the evil of our own side with large view good against evil).
Ce que j'entendais, et selon moi ce que Chris [Wiseman] entendait, et, j'en suis presque sûr, que tu entendais aussi, c'était que le T.C.B.S. avait reçu une étincelle en quelque sorte – sinon individuellement, du moins certainement en tant que corps – qui était destinée à faire jaillir une nouvelle lumière ou, ce qui revient au même, à faire jaillir à nouveau une ancienne lumière en ce monde, et que le T.C.B.S. était destiné à témoigner pour Dieu et la Vérité d'une manière plus directe encore qu'en sacrifiant les quelques vies de ses membres dans cette guerre (qui est, malgré le Mal qui se trouve de notre côté, d'un point de vue plus général, le Bien contre le Mal).
Lettre de J. R. R. Tolkien à Geoffrey B. Smith du 12 août 1916, The Letters of J. R. R. Tolkien (Revised and Expanded Edition), HarperCollins, 2023, n°5, p. 6.
Traduction in Lettres, Christian Bourgois, 2005, p. 21-22.
Krinner a parlé ensuite de l'origine « mythique » des Hobbits, avec l'anecdote bien connue de la première phrase du roman Le Hobbit qui aurait surgi soudainement dans l'esprit de Tolkien, et aussitôt couchée par lui sur le papier, durant une ennuyeuse séance de correction de copies d'examen par ledit Tolkien (ainsi qu'il l'a lui-même raconté).
Évoquant notamment ensuite les Collected Poems de Tolkien récemment parus chez HarperCollins, Krinner a signalé que les écrits de Tolkien ne sont pas forcément conçus comme relevant du « génie », même de la part des spécialistes, un tolkienologue comme Tom Shippey (que je considère moi-même comme volontiers très déférent à l'égard de l'écrivain) ayant été capable d'écrire, dans son livre The Road to Middle-earth, “this is admittedly not very good” (p. 30 de son édition) à propos du poème Goblin Feet de 1915 (pour la référence dudit poème, voir Hammond & Scull, éd., The Collected Poems of J. R. R. Tolkien, volume 1, n°27, p. 159-165)
Krinner a fait ensuite un parallèle avec un regard porté par Hermione Lee sur Virginia Woolf, dans une biographie parue en 2010 consacrée à la célèbre romancière et essayiste britannique ayant mis fin à ses jours par noyade en 1941, à 59 ans : “Virginia Woolf was a sane woman who had an illness. She was often a patient, but she was not a victim. She was not weak, or hysterical, or self-deluding, or guilty, or oppressed” (« Virginia Woolf était une femme saine d'esprit qui souffrait d'une maladie. Elle était souvent une patiente, mais elle n'était pas une victime. Elle n'était ni faible, ni hystérique, ni aveuglée, ni coupable, ni opprimée »). À cette aune, Krinner considère que, pour sa part « J. R. R. Tolkien était un homme ordinaire qui avait des faiblesses humaines. Les coups du destin ont laissé des traces sur lui, mais il n'était pas une victime. Il n'était pas solitaire, ni traumatisé, ni paresseux, ni excentrique, ni détaché du monde (“J. R. R. Tolkien was an ordinary man who had human frailties. Strokes of fate left their marks on him, but he was not a victim. He was not solitary, or traumatised, or lazy, or eccentric, or unworldly”) ».
Or, selon une opinion communément répandue et rappelée par Krinner, aujourd'hui personne ne publierait Le Seigneur des Anneaux sous la forme que nous connaissons, car les éditeurs et les lecteurs feraient en sorte que l'auteur l'adapte aux « normes modernes de narration », ce qui sous-entend implicitement que les œuvres des « écrivains de génie » sont parfaites dans la mesure où ils n'ont pas besoin d'écouter qui que ce soit, l'influence de l'éditeur dévalorisant dès lors leurs œuvres.
De fait, dans un troisième et dernier temps, Krinner a abordé précisément la question du rôle de l'éditeur, en particulier de son influence sur la création d'un roman comme le Seigneur des Anneaux. Une citation de la lettre de Tolkien de juillet 1964 à Christopher Bretherton a rappelé utilement un fait significatif, dont il a du reste déjà été question dans des échanges ici et ailleurs, à savoir que le SdA est une œuvre de commande.
[...]
The Hobbit saw the light and made my connexion with A. & U. by an accident. [...] So it was published. I then offered them the legends of the Elder Days, but their readers turned that down. They wanted a sequel. But I wanted heroic legends and high romance. The result was The Lord of the Rings ....
[...] Le Hobbit vit le jour et me mit en relation avec A[llen] & U[nwin] de manière fortuite. [...] Elle fut donc publiée. Puis je leur ai proposé les légendes des Jours Anciens, mais leurs lecteurs les ont refusées. Ils voulaient une suite. Mais moi je voulais des légendes héroïques et un romance de style élevé. Le résultat fut Le Seigneur des Anneaux. [...]
Lettre de J. R. R. Tolkien à Christopher Bretherton de juillet 1964, The Letters of J. R. R. Tolkien (Revised and Expanded Edition), op. cit., n°257, p. 486.
Traduction in Lettres, op. cit. (2005), p. 485-486.
Krinner a mentionné les passages de longs poèmes de Tolkien (The Lay of Leithian, v. 3000-3013 ; The Lay of the Children of Húrin, v. 568-575) pour rappeler la dimension particulière, complexe, sophistiquée, très développée dans un sens médiévalisant, de ses écrits littéraires vis-à-vis d'un roman comme le Hobbit, au ton beaucoup plus facilement appréhendable pour le grand public. L'épisode (ayant fait l'objet d'une note de Christopher Tolkien dans HoMe III) de l'envoi à la maison d'édition et du renvoi par celle-ci, dans les mois de 1937 qui ont suivi la parution du Hobbit, du Lai de Leithian et de pages du « Silmarillion », permet de mettre en évidence l'influence qu'ont eu l'éditeur Stanley Unwin, et son lecteur Edward Crankshaw, dans l'écriture du SdA.
As you yourself surmised, it is going to be a difficult task to do anything with the Geste of Beren and Lúthien in verse form, but our reader is much impressed with the pages of a prose version that accompanied it [...]
The Silmarillion contains plenty of wonderful material; in fact it is a mine to be explored in writing further books like The Hobbit rather than a book in itself.
Comme vous l'avez vous-même deviné, ce sera une tâche difficile de faire quoi que ce soit avec la Geste de Beren et Lúthien sous forme de vers, mais notre lecteur est très impressionné par les pages d'une version en prose qui l'accompagnait [...]
Le Silmarillion contient beaucoup de matériel merveilleux ; en fait, c'est une mine à explorer en écrivant d'autres livres comme Le Hobbit plutôt qu'un livre en soi.
Lettre de Stanley Unwin à J. R. R. Tolkien (1937), HoMe III, p. 365-366.
Traduction d'après Gogol/Google.
Le Seigneur des Anneaux contient de fait notamment des poèmes courts plus accessibles que les longs lais et une certaine construction poétique des phrases en prose, que Krinner a mis en évidence à travers l'exemple d'un célèbre passage au souffle épique du livre V du SdA, épisode ayant du reste notamment servi de sujet à un tableau de Basil Herm, exposé à Paris il y a quelques années et dont j'avais alors parlé dans un autre fuseau :
(Basil Herm, La Charge, mention au Salon des Artistes Français de 2019, Paris, 17 févrer 2019, 17h52)
But the king sat upon Snowmane, motionless, gazing upon the agony of Minas Tirith, as if stricken suddenly by anguish, or by dread. He seemed to shrink down, cowed by age. Merry himself felt as if a great weight of horror and doubt had settled on him. His heart beat slowly. Time seemed poised in uncertainty. They were too late! Too late was worse than never! Perhaps Théoden would quail, bow his old head, turn, slink away to hide in the hills.
[...]
At that sound the bent shape of the king sprang suddenly erect. Tall and proud he seemed again; and rising in his stirrups he cried in a loud voice, more clear than any there had ever heard a mortal man achieve before:
Arise, arise, Riders of Théoden!
Fell deeds awake: fire and slaughter!
spear shall be shaken, shield be splintered,
a sword-day, a red day, ere the sun rises!
Ride now, ride now! Ride to Gondor!
[...]
Suddenly the king cried to Snowmane and the horse sprang away. Behind him his banner blew in the wind, white horse upon a field of green, but he outpaced it. After him thundered the knights of his house, but he was ever before them. Éomer rode there, the white horsetail on his helm floating in his speed, and the front of the first éored roared like a breaker foaming to the shore, but Théoden could not be overtaken. Fey he seemed, or the battle-fury of his fathers ran like new fire in his veins, and he was borne up on Snowmane like a god of old, even as Oromë the Great in the battle of the Valar when the world was young. His golden shield was uncovered, and lo! it shone like an image of the Sun, and the grass flamed into green about the white feet of his steed. For morning came, morning and a wind from the sea; and darkness was removed, and the hosts of Mordor wailed, and terror took them, and they fled, and died, and the hoofs of wrath rode over them. And then all the host of Rohan burst into song, and they sang as they slew, for the joy of battle was on them, and the sound of their singing that was fair and terrible came even to the City.
Mais le roi demeurait assis, immobile, sur le dos de Snawmana ; et il contempla l'agonie de Minas Tirith, comme soudain frappé d'angoisse, ou encore de terreur. Il parut rapetisser sous le poids de la vieillesse. Merry, pour sa part, sentit l'horreur et le doute s’appesantir sur lui. Son cœur battait au ralenti. Le temps paraissait suspendu, incertain. Ils arrivaient trop tard ! Trop tard était pire que jamais ! Théoden allait peut-être flancher, courber sa vieille tête, faire demi-tour et se faufiler jusque dans les collines.
[...]
À ce bruit, la forme voûtée du roi se redressa tout à coup : il parut de nouveau grand et fier ; et, debout sur ses étriers, il cria d'une voix forte, plus claire qu'aucune voix de mortel jamais entendue par tous ceux qui étaient là :
Debout, debout, Cavaliers de Théoden !
C’est l’heure du courroux : fureur et massacre !
la lance soit secouée, l’écu fracassé,
jour d'épée, jour de rouge, avant le jour levé !
Au galop ! Au galop ! Tous au Gondor !
[...]
Soudain, le roi héla son cheval, et Snawmana s'élança. Derrière lui flottait son étendard, cheval blanc en champ de vert, mais il le distançait. Après lui, venaient les chevaliers de sa maison dans un bruit de tonnerre, mais toujours il restait en tête. Éomer était des leurs, et sur son casque, la queue-de-cheval s'agitait, blanche, au vent de sa course, et les devanciers de la première éored rugissaient tel un flot écumant à l'approche des côtes ; mais Théoden ne pouvait être rattrapé. Un instinct de mort l'emportait, ou la furie guerrière de ses pères coulait tel un feu nouveau dans ses veines, et Snawmana le portait comme un dieu des temps anciens, pareil à Oromë le Grand à la bataille des Valar, quand le monde était jeune. Son bouclier d'or fut découvert, et voyez ! il rutilait telle une image du Soleil, et l'herbe flamboyait de vert autour des pieds blancs de son coursier. Car le matin s'était levé, le matin et un vent de la mer ; et l'obscurité recula, et les troupes du Mordor gémirent, et la terreur les prit, et elles s'enfuirent, et moururent, et les sabots du courroux les piétinèrent. Et tous les hommes du Rohan, dès lors, éclatèrent en chants, et ils chantaient en tuant, car la joie du combat les soulevait ; et la rumeur de leur chant, terrible et belle, se répandit jusque dans la Cité.
J. R. R. Tolkien, The Lord of the Rings, V, The Ride of the Rohirrim.
Traduction de D. Lauzon.
Le point de vue du hobbit Meriadoc permettant une identification du lecteur, poésie courte mais épousant harmonieusement la prose, construction rythmée de la phrase, présence de dispositifs stylistiques tels que l'allitération, la comparaison et la métaphore, profondeur mythologique puisée dans le « Silmarillion » alors encore inédit : autant de qualités, selon Krinner dans le passage qu'il a choisi, correspondant exactement à ce qui a été recommandé à Tolkien, par Unwin (et Crankshaw), de mettre dans ses écrits de fiction.
La conférence de Sebastian Krinner s'est terminée là-dessus, un peu abruptement, mais par souci de respect du temps imparti pour son intervention. Lors des échanges ayant suivi avec le conférencier, il fut notamment question de savoir si Tolkien serait plutôt un génie dans un sens classique (romain/latin) du terme et non au sens moderne (« anormal »/fou/névrosé), Krinner ayant aussi parlé du daimôn grec (socratique) ou daimonion sêmeion (δαιμόνιον σημεῖον), mais en soulignant que les notions « classiques » anciennes ne sont plus forcément aisément transposables dans notre horizon mental contemporain. À une question du public concernant les génies qui généralement ne seraient pas reconnus en leur temps, Krinner a répondu que c'est une question difficile, en rappelant notamment que le SdA s'est bien vendu, et que cela a compté dans la dévaluation du livre par les critiques. Interrogé sur la série Amazon, et sur l'appropriation qu'elle peut représenter, le conférencier a évoqué la connotation négative que peut avoir le terme « appropriation », avant de constater que les showrunners de la série se sont sans doute appropriés l'univers tolkienien dans la mesure où il ne s'agit pas d'une véritable adaptation. Il a conclu qu'il faudra voir ce que cela donne au bout des cinq saisons prévues...
De façon générale, pour ce que j'ai pu en voir et entendre, ce séminaire m'a paru de bonne tenue, sur un thème de fond qui pouvait être traité de diverses manières, pas toujours de façon excessivement « spécialisée », et qui a permis de mettre utilement en évidence des éléments de réflexion dans une perspective assez large, au-delà de la seule passion traditionnellement associée aux tolkienophiles/tolkienologues et supposant une déférence parfois très excessive vis-à-vis du « Professeur », perçu comme un « génie » de façon assurément discutable, comme a pu le rappeler l'intervention de Sebastian Krinner dans un esprit de saine stimulation intellectuelle.
La dimension européenne de l'évènement, de fait un peu moins « anglo-américano-centrée » que lors d'autres séminaires ou colloques, fut également appréciable. Pour ce qui est en particulier de la “French Touch”, sans vouloir trop comparer, lors du séminaire estival en ligne de la Tolkien Society organisé en 2021 autour du thème “Tolkien and Diversity”, malgré une volonté louable et manifeste d'ouverture à d'autres points de vue au-delà d'une ère occidentale anglo-américaine, les mondes linguistico-culturels français et francophone m'avaient paru fortement marginalisés, et cela jusque dans des détails, une intervenante mexicaine ayant même par exemple, dans son intervention (par ailleurs intéressante) sur la réception au Mexique de l'œuvre de Tolkien comme celles d'autres auteurs en langues étrangères, évoqué l'exemple particulier du Petit Prince dans son propos sans jamais citer une seule fois le nom d'Antoine de Saint-Exupéry (cette absence du nom de l'auteur se retrouve d'ailleurs dans la version écrite dudit propos figurant dans le recueil d'interventions du séminaire dans j'ai parlé ailleurs l'année dernière, ici et là dans un autre fuseau).
À cette aune, il faut bien sûr rester modestes, mais tout de même, constatons-le, notamment vis-à-vis de la programmation du vingtième séminaire allemand de la DTG : le simple fait que Christopher Tolkien ait un jour choisi de s'installer en France, où il effectua son travail d'éditeur des écrits de son père, semble obliger un peu, d'une manière ou d'une autre, la planète Tolkien dans son acception la plus large mondialement, à ne pas complètement ignorer ce qui s'est passé ou se passe en France et, au-delà, dans l'ère linguistique francophone, même si cette situation reste avant tout sans doute un atout pour la réception, la promotion et l'étude de Tolkien en France et en français.
Peace and Love,
B.
[EDIT: corrections de fautes diverses]
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Merci Hyarion pour ce témoignage, la recension de la conférence de Krinner (comme si on y était !) & tes développements.
S.
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Oui, merci pour ce compte-rendu très intéressant, auquel je n'ai malheureusement pas le temps de répondre plus en détail. Je note toutefois très brièvement deux éléments pour une éventuelle discussion ultérieure :
Il est certainement possible de considérer que Tolkien était excentrique à bien des égards. Il existe peu de professeurs d'université qui, faute d'une conférence à donner en bonne et due forme, se rabattraient sur la lecture d'une de leurs œuvres de fiction, pour ne citer que cet exemple fameux.
J'ai lu il y a quelques mois le compte-rendu d'une étude scientifique qui s'intéressait à la proximité entre « génie »(reconnu comme tel, notamment sur le plan scientifique) et folie. Elle s'intéressait en fait à la base à la prévalence des maladies psychiques héréditaires, plus nombreuses qu'attendues dans la population générale. La conclusion, pour autant que je puisse la résumer de mémoire, arguait que les génies étaient rarement frappés de folie, mais qu'en revanche une partie non négligeable de leurs proches étaient, quant à eux, réellement affectés par des maladies psychiques. Elle tendait donc à établir un lien de corrélation statistique entre les deux phénomènes. Il faudrait que je retrouve le lien vers cette étude, qui semblait assez bien construite et intéressante.
E.
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You're welcome, les amis.
« Pondre » ce genre de message prend un temps fou, mais tant mieux s'il trouve un public... même discret. ;-)
Concernant en particulier le compte-rendu de l'étude scientifique dont tu parles, Elendil, il serait en effet intéressant d'avoir un lien vers lui, si jamais tu pouvais, à l'occasion, retrouver la référence.
B.
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