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De tous les récits du Silmarillion, la destinée de Túrin est probablement le plus noir et le plus désespéré, comme écrasé par le poids du destin et de la malédiction. Comme le souligne Círdan dans son mémoire Imaginaire médiéval et mythologique dans l'œuvre de Tolkien, "il est difficile de voir en quoi une histoire aussi sombre, insistant avec une telle force sur l'aspect implacable du destin peut être considérée comme "a far off gleam or echo of Evangelium"". De fait, elle semble détoner dans le cadre du Silmarillion dans ses conceptions tardives, fortement empreintes de valeurs chrétiennes ; bien que plus ou moins complètement revue à plusieurs reprises (on a - entre autres - une première version dans le Livre des contes perdus, puis un poème long mais incomplet en vers allitératifs dans The Lays of Beleriand, le Narn i [C]hîn Húrin dans les Contes et légendes inachevés, et bien entendu le chapitre 21 du Silmarillion), elle conserve une tonalité assez "païenne" que l'on peut faire remonter jusqu'au Livre des contes perdus.
En effet, la destinée de Túrin semble infirmer un fondement chrétien du Silmarillion en faisant apparemment prévaloir le destin sur le libre-arbitre. En maudissant Húrin et toute sa famile, Morgoth semble avoir attaché à Túrin un destin de mort et de destruction donc se dernier est incapable de se dégager : malgré son opposition irréductible à Morgoth, il se fait souvent son instrument. Sa vie voit les malchances se succéder :
- il s'attire la jalousie de Orgof / Saeros, ce qui aboutira dans une crise à la mort de ce dernier (déclenchée dans le Narn parce qu'il s'asseoit "by ill luck" / par "malchance" à la place de Saeros)
- il tue son frère d'armes Beleg dans la nuit de Taur-na-Fuin par un malentendu atroce
- il séduit magré lui Finduilas, promise à Flinding / Gwindor qui l'a sauvé de sa folie et amené avec lui à Nargothrond
- il rencontre par hasard (?) sa sœur Nienor sur la tombe de Finduilas et se met à l'aimer
- - après avoir tué Brandir qui lui a révélé la vérité sur lui et sa sœur, il tombe sur Mablung qui la lui confirme indirectement, et se suicide.
On peut vraiment avoir l'impression que Túrin est une marionnette aux mains de Morgoth, qui fixe inexorablement le cours de son existence et même sa façon d'agir. Voilà qui est pourtant en contradiction avec la notion de libre-arbitre, affirmée dès le départ comme caractéristique des hommes : (Silm. Ch. 1) [Ilúvatar]souhaita que les cœurs des Humains soient toujours en quête des limites du monde et au-delà, sans trouver de repos, qu'ils aient le courage de façonner leur vie, parmi les hasards et les forces qui régissent le monde, au-delà même [de] la Musique des Ainur, elle qui fixe le destin de tous les autres êtres ; et que leur activité fasse que tout en ce monde soit achevé, en sa nature comme en ses actes, que toutes choses soient accomplies, des plus grandes aux plus petites. Ce passage s'oppose en fait à ce qu'une malédiction puisse déterminer la destinée d'un homme.
Même pas un Vala, comme Húrin le rappelle à Morgoth au début du Narn : Morgoth fixa Húrin au sommet [du Haudh-en-Nirnaeth] et lui enjoignit de regarder vers l'ouest, en direction du Hithlum, et de penser à sa femme et à son fils et à ses autres parents. "Car ils vivent à présent sous ma loi, dit Morgoth, et ils sont à ma merci." "Tu n'as pas autorité sur eux", répondit Húrin. Plus clairement encore : Alors Morgoth, étendant son long bras vers Dor-lómin, frappa d'anathème Húrin et Morwen, et toute leur descendance, disant : "Vois ! L'ombre de ma pensée pèsera sur eux partout où ils iront, et ma haine les poursuivra jusqu'aux confins du monde." Mais Húrin dit : "Tu parles en vain. Car tu ne peux les voir, ni les gouverner de loin ; tu ne le peux tant que tu revêts cette forme et ambitionnes d'être Roi, et un Roi visible sur terre." Plus tard encore, Húrin ajoute : "Tu n'es pas le seigneur des Hommes, et ne le seras point quand bien même tout Arda et tout Menel tomberaient en ton pouvoir. Au-delà des Cercles du Monde, tu ne suivras pas ceux qui te renient".
Et pourtant… le simple déroulement du récit semble confirmer le pouvoir de Morgoth et ses dires. Comme le remarque Tom Shippey dans The Road to Middle-Earth, l'impression dominante est que Morgoth ne ment pas entièrement, notamment quand il répond à Húrin qu'il ne mesure pas le pouvoir et la pensée des Valar. Il est exact que "l'ombre de [son] dessein se projette sur Arda" : comme le raconte l'Ainulindalë, il a empreint chaque aspect du monde, devenu ainsi Arda Hastaina, Arda la Corrompue : Rien ne pouvait trouver la paix ni croître dans la durée car aussi sûrement que les Valar entreprenaient une tâche Melkor venait la détruire ou la corrompre. Dire par contre que "tout ce qui s'y trouve se soumet lentement et sûrement à mon vouloir" est pour le moins fort orienté. Mais c'est caractéristique de la pratique de Morgoth : plutôt que d'user du mensonge pur et simple, il mélange insidieusement des vérités plus ou moins biaisées et la tromperie ; activité diabolique au sens étymologique du terme (ho diábolos = littéralement "celui qui désunit", soit "le calomniateur").
Il est très étonnant que Tolkien ait pu laissé subsister pareille contradiction, alors qu'il insiste tant sur la nécessité de la cohérence dans un monde secondaire (voir On Fairy Stories), et qu'on le voit mettre en pratique ce principe dans son écriture, par exemple en révisant le chapitre "Enigmes dans le noir" du Hobbit dans la deuxième édition, en vue du SdA. A moins que… la contradiction ne soit qu'apparence ?
En effet, d'où part la malédiction ? QUI affirme que Túrin est maudit ? Morgoth ! Ce n'est pas exactement ce que l'on peut appeler un personnage digne de foi, dans tous les sens de ce terme d'ailleurs ;-)
Je me demande donc si cette malédiction n'est pas une illusion. Il m'apparaît vraisemblable que Morgoth sait pertinemment que le pouvoir de manipuler directement les esprits des Hommes, il ne l'a pas. Il ne peut que les influencer – et cela, bien sûr, puissamment. Mais ce n'est qu'une différence de degré, pas de nature, par rapport au pouvoir qu'a chacun d'influencer son prochain. Une des Notes on motives in the Silmarillion est très instructive à ce sujet :
No one, not even one of the Valar, can read the mind of other "equal beings" [marginal note : All rational minds / spirits deriving direct from Eru are "equal" – in order and status – though not necessarily "coëval" or of like original power.] : that is one cannot "see" them or comprehend them fully and directly by simple inspection. One can deduce much of their thought, from general comparisons leading to conclusions concerning the nature and tendencies of minds and thought, and from particular knowledge of individuals, and special circumstances. But this is no more reading or inspection of another mind than is deduction concerning the contents of a closed room, or events taken place out of sight. (…) Minds can exhibit or reveal themselves to other minds by the action of their own wills (though it is doubtful if, even willing or desiring this, a mind can actually reveal itself wholly to another mind). It is thus a temptation to minds of greater power to govern or constrain the will of other, and weaker, minds, so as to induce or force them to reveal themselves. But to force such a revelation, or to induce it by any lying or deception, even for supposedly "good" purposes (including the "good" of the person so persuaded or dominated), is absolutely forbidden. To do so is a crime, and the "good" in the purposes of those who commit this crime swiftly becomes corrupted.
Morgoth's Ring pp. 398-399
Personne, pas même un des Valar, ne peut lire l'esprit d'autres "êtres égaux" [note en marge : Tous les esprits rationnels dérivant directement d'Eru sont "égaux" – en ordre et en statut – quoique non nécessairement en "ancienneté" ou en pouvoir d'origine.] : c'est à dire que l'on ne peut les "voir" ou les embrasser complètement et directement par simple inspection. On peut déduire une bonne partie de leur pensée, par des comparaisons générales menant à des conclusions sur la nature et les tendances des esprits et de la pensée, par une connaissance particulière des individus, et dans des circonstances particulières. Mais ce n'est pas plus une lecture ou une inspection d'une pensée étrangère que ne l'est la déduction de ce qui se trouve dans une pièce fermée, ou se passe hors la vue. (…) Les esprits peuvent se présenter ou se révéler à d'autres par l'action de leurs volontés propres (bien qu'il soit douteux qu'un esprit, le voulût ou le désirât-il, puisse véritablement se révéler entièrement à tout autre). C'est donc une tentation pour les esprits les plus puissants de gouverner ou de contraindre la volonté d'autres plus faibles, pour les pousser ou les forcer à se révéler. Mais forcer une telle révélation ou l'induire par quelque mensonge ou tromperie que ce soit, même à des fins prétendument bonnes (y compris le "bien" de la personne ainsi persuadée ou dominée), est absolument interdit. Le faire est un crime, et le "bien" que comportent les fins de ceux qui commettent ce crime se corrompt rapidement.
(essai de traduction pour ceux auxquels l'anglais pose problème)
Je pense donc que Morgoth lance sa malédiction "pour la montre", pour désespérer et tourmenter Húrin. Il lui fait croire qu'il a effectivement la maîtrise du destin de sa progéniture, ce que ce dernier – et le lecteur avec lui – a toutes les chances de croire au vu de la tournure des événements. Pour que la manipulation réussisse, il faut évidemment que la vie de Túrin tourne mal. Comment Morgoth pouvait-il en être sûr ?
Premièrement, s'il ne peut contrôler directement une volonté, il peut l'influencer, la tromper. Le fait même de savoir que Morgoth l'a maudit influence le comportement de Túrin : il ira jusqu'à dire de soi : J'apporte la nuit là où je vais.
Deuxièmement, Morgoth harcèle physiquement Túrin, en premier chef en lui dépêchant Glaurung. Mais il n'y a rien d'un pouvoir surnaturel en cela (hormis bien sûr l'existence même de dragons, mais c'est une tout autre question).
Enfin, il est plausible que Morgoth, peut-être dans les paroles de Húrin, ait pu cerner en quelque mesure la personnalité de Túrin et les possibilités de développements inquiétants qu'elle recèle. La majeure partie de ses malheurs et méfaits a quelque chose de sinistrement prévisible ; les mêmes motifs ont tendance à se répéter tout au long du récit, plus nettement encore dans les versions plus tardives comme le Narn :
- Túrin à de nombreuses reprises frappe trop vite et trop fort, sans réfléchir, et s'en repent souvent par la suite : les meurtres de Saeros (auparavant Orgof), Forweg (dans le Narn), Beleg, Brodda, Brandir – et finalement de lui-même – s'inscrivent tous dans cette tendance.
- La fierté excessive de Túrin cause bien des malheurs. Elle lui interdit l'humilité et lui fait ainsi refuser le pardon de Thingol. Elle le fait prendre des risques inconsidérés ; il passe ainsi du courage à la témérité, et met inutilement en danger sa vie et celle des autres : ce sera le cas avec la bande de hors-la-loi à Bar-en-Danwedh, puis surtout à Nargothrond.
- Une hantise de viol court (si j'ose dire) dans tout le récit, matérialisée par l'image d'une femme nue, échevelée, qui fuit éperdument, remplie de terreur. A chaque fois qu'elle apparaît, elle provoque une réaction violente chez Túrin. La première fois, c'est dans l'insulte que lui fait Saeros : (Narn) "Si les hommes du Hithlum sont à ce point sauvages et rudes, que penser des femmes de ce pays ? Courent-elles comme des biches, revêtues de leur seule chevelure ?" On connaît la suite… Manifestement Túrin a été touché au vif ; cela ne correspondrait-il pas à une angoisse profonde ? Par exemple, que sa mère et sa sœur connaissent précisément ce sort ? Puis, lors de son séjour avec les hors-la-loi, soudain il perçut des cris, et d'une trochée de coudriers une jeune femme émergea précipitamment ; ses vêtements étaient déchirés par les épines, et elle avait grand-peur, et trébuchant, elle tomba haletante à terre. Túrin se ruant vers le bosquet l'épée nue abattit un homme qui jaillissait du fourré à la poursuite de la jeune femme ; et c'est seulement en frappant qu'il reconnut dans son adversaire Forweg. La troisième fois sera de la rencontre avec sa propre sœur : (Silm ch. 21) A ce moment Nienor retrouva la vue et l'entendement, les cris des Orcs la réveillèrent et de terreur elle bondit et se sauva avant qu'ils pussent la prendre. (…) Nienor n'arrêta pas sa course, elle fuyait comme une biche affolée de terreur en arrachant ses vêtements, jusqu'à être nue. (…)elle se jeta sur le monticule de Haudh-en-Elleth, se bouchant les oreilles à cause du tonnerre. La pluie tomba et la mouilla toit entière, et elle gisait comme une bête mourante. C'est là que la trouva Turambar, en allant au Carrefour de Teiglin parce que'il avait entendu que des Orcs y rôdaient. Il vit à la lueur des éclairs comme le corps d'une jeune fille qu'on aurait tuée sur la tombe de Finduilas, et fut frappé au cœur. Cette image, sur la tombe d'une femme qui l'a aimé et qu'il a trahie, un soir d'orgae… il y a de quoi le remuer.
Enfin, comme le note Tom Shippey, un certain nombre d'éléments dans Túrin frisent la superstition ou y tombent carrément :
- présence d'objets maléfiques : l'épée Anglachel / Gurthang au premier chef, mais aussi, dans le Lay of the Children of Húrin, le couteau de Flinding (plus tard Gwindor) qui le trahit au moment de délivrer Túrin :
No blade would bite on the bonds he wore,
though Flinding felt for the forgéd knife
of dwarfen steel, his dagger prizéd,
that at waist he wore awake or sleeping,
whose edge would eat through iron noiseless
as a clod of clay is cleft by the share.
It was wrought by wrights in the realms of the East,
In black Belegost, by the bearded Dwarves
Of troth unmindful; it betrayed him now
From its sheath slipping as o'er shaggy slades
And roughhewn rocks their road they wended.
The Lays of Beleriand, p. 44
Nulle lame n'aurait mordu aux liens qu'il portait ;
pourtant Flinding chercha à tâtons le couteau forgé
du fer des nains, son poignard estimé,
qu'il portait à la ceinture, qu'il veille ou qu'il dorme,
dont le tranchant eût mordu sans bruit dans l'acier,
comme une motte de glaise est fendue par le soc.
Il avait été forgé par des fèvres dans les royaumes de l'Est,
Dans Belegost la noire, par les Nains barbus
Oublieux des serments; il le trahit alors
En glissant du fourreau tandis que par des vaux broussailleux
Et des rochers dégrossis ils faisaient route.
(traduction approximative)
- changements de nom répétés de Túrin pour changer de destin ou détourner la malédiction ; cf. ce passage du ch. 21 du Silm. : Quand Túrin apprit de Finduilas ce qui s'était passé, il se mit en colère et dit à Gwindor : "Tu m'as sauvé et protégé, je t'aimais pour cela, mais tu m'as fait du yort, mon ami, en livrant mon vrai nom. Tu as rappelé sur moi le destin auquel je voulais échapper." Mais Gwindor répondit : "C'est sur toi que pèse le destin, pas sur ton nom."
- Les mauvaises actions sont facilement attribuées à Morgoth, comme autrefois l'on voyait l'œuvre du diable un peu partout ; voir par exemple la réprimande de Mablung à Saeros dans le Narn, qui se conclut par : D'ailleurs je penserais volontiers qu'une ombre du Nord est venue jusqu'à nous et nous a effleurés cette nuit. Certes, ce peut n'être qu'une métaphore ; mais Morgoth a bon dos dans cette affaire…
- Brodda voit en Morwen une sorcière dangereuse : à sa vue, il avait été pris d'effroi, croyant contempler les yeux terribles d'une blanche-démone, et il était resté plein d'une angoisse mortelle à l'idée que ces yeux lui avaient jeté un sort néfaste.
Autant d'éléments qui donnent le sentiment que le récit n'est pas présenté de façon neutre, mais teinté par les tromperies de Morgoth. De ce point de vue, il est intéressant de noter que d'un point de vue interne, le Narn i [C]hîn Húrin est censé avoir été composé par un poète humain, Dírhaval, vivant aux bouches du Sirion, témoin des croyances et des illusions de son temps.
D'un point de vue extérieur, il me semble que Tolkien manipule quelque peu le lecteur pour le placer en observateur des effets prétendus de la malédiction – exactement la position de Húrin en fait – en insérant au début du récit la scène puissante de la confrontation entre Húrin et Morgoth (dans le Silm, cette scène est résumée dans le chapitre 20 qui précède). Tout naturellement, le lecteur aura tendance à "voir" toute la suite de l'histoire en fonction de cette malédiction, voir en quelque sorte par les yeux de Húrin. Ce n'est pas pour autant que cette malédiction doit se prendre au premier degré. Si l'on considère qu'elle est en réalité une illusion, alors la destinée de Túrin apparaît comme une dyscatastrophe, l'illustration des choix à ne pas faire, et ce particulièrement si elle est contrasté avec le sort tout différent du cousin de Túrin : Tuor.
Moraldandil
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Je vais imprimer tout çà et l'étudier à l'aise.
En espérant que cette fois la malédiction de Morgoth ( qui semble ici bien réelle - LOL ) ne fasse pas encore une foir recescendre ce pauvre Turin dans le mânes du Forum après 3 messages !
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Je note dans mes tablettes ce fuseau à consulter dans mes prochaines lectures du Silmarillon !!
Mj
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On compte sur toi pour faire le lien grâce à tes futures nouvelles connaissances en HTLM
I.
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Je jure de contrer morgoth et de ne pas laisser Turin s'enfoncer cette fois-ci ...
Cher Moraldandil,
Pas mal comme étude.
Morgoth peut-il maudire la famille de Hurin ? Oui ... et non.
Oui, car il interfère méchamment dans leur vie.
Non, car sa malédiction "mentale" seule n'aurait pas pu grand chose.
Alors, reprenons.
Morgoth maudit turin, mais il ne fait pas que celà. Il envoie Glaurung, qui est en quelque sorte l'agent physique de sa malédiction. Glaurung qui ravage les terres. Glaurung qui détruit Nargothrond. Glaurung qui hypnotise Turin, lui faisant abandonner Finduilas, et Nienor, la rendant amnésique, et donc incapable de se rendre compte que l'homme qu'elle aime est son frère.
Et, de plus, Turin est souvent poursuivi par une "bête" malchance. Sa soeur meurt en bas âge. Saeros meurt alors qu'il n'avait voulu "que" l'humilier. Beleg est tué dans ce qu'on peut appeler une tragique méprise.
Pour le reste ...
La première malédiction qui pèse sur Turin est, comme je l'ai déjà dit sur ce forum, d'être le fils de Morwen. La fière, l'orgueilleuse Morwen. Je sais qu'avec des si... Mais justement, ce fuseau n'est-il pas consacré aux "si" ? "Si" les hommes ne rentraient pas dans le jeu du Malin, celui-ci aurait-il tant d'influence ? alors ...
Morwen envoie son fils en Doriath ( ce qui est normal) et reste à Dor lomin ( ce qui est normal aussi, vu sa grossesse ). mais quand Thingol envoie ses soldats les, elle et Nienor, elle reste, figée dans son orgueil et sa fierté, essayant désespérément de "sauver la face" ( pour être avec son peuple ? Hum... que fait-elle pour eux, sinon que d'être là ? Rien. La protectrice des gens de Dor Lomin, c'est sa cousine, la collabo, l'épouse de Brodda ). Elle ne rejoint pas son fils qui avait désespérément besoin d'elle (et faisant qu'il s'inquiète pour elles, d'où sans doute son obsession du viol soulevée par Moraldandil ) .
Ensuite, lorsqu'elle et Nienor ont finalement accepté l'hospitalité du roi de Doriath, et que Morwen apprend la chute de Nargothrond où se trouvait son fils, elle se joint contre l'avis de tous, rejointe ensuite par sa fille, aux expéditions de recherche. C'est courageux, mais c'est idiot, et elle fera tout échouer, tombant, et faisant tomber sa fille, sous l'emprise de Glaurung.
Ensuite, eh bien, Turin est le digne fils de Morwen ( et le digne fils adoptif de Thingol ). Il a hérité de l'orgueil de sa mère. D'où sa réaction vis à vis de Saeros ( tout aussi orgueilleux que lui, d'ailleurs ).D'où son refus du pardon de Thingol. D'où son attirance pour une guerre pleine de "panache" que ce soit avec les hors la loi ( et malgré les conseils de Beleg ) ou à Nargothrond ( contre l'avis de Gwindor ). Turin ressemble là à pas mal de héros médiévaux, genre Roland, Gauvin, Hagen ou raoul de Cambrai. L'honneur et le panache d'abord, même s'ils doivent mener à la défaite.
Turin a aussi tendance à ne pas tirer les leçons du passé. Il aime Finduilas ( ou en tout cas il ne fait rien pour l'empêcher de l'aimer ) fiancée à son sauveur Gwindor, et après la mort de celle-ci ( mort dont il est grandement responsable ) remet le couvert, si j'ose dire, avec Niniel aimée par son sauveur Brandir. Je sais que le coeur a ses raisons, mais quand même...
Juste quelques mots sur Anglachel/Gurthang. Tout d'abord, Beleg aurait-il voulu défier le destin en choisissant une arme considérée comme maudite ? ( çà, c'est juste une question que je me pose personnellement... ) . Ensuite, il ne faut pas oublier que les épées, que ce soit chez Tolkien ( Narsil, Glamdring, Sting ... ) ou dans la tradition européenne ( Excalibur, Durandal, Joyeuse ... )sont des armes qui ont une "personnalité". Gurthang n'est pas différente des autre épées de légende, en ce sens. Oui, elle est maudite. mais, et elle le dit elle-même ( çà, j'avoue que c'est spécial... )elle n'aurait pas d'elle même tué brandir et Beleg. Leur meurtrier, c'est Turin , pas elle. Et c'est Turin qui se suicide par elle, pas elle qui l'assassine.
Alors, Turin ? Certainement l'un des personnages les plus attachants de Tolkien, malgré son orgueil, malgré ses fautes. Un personnage qui se trompe mais qui veut bien faire, qui ne demande qu'à échapper à ce qu'il croit être son destin. Car, c'est vrai, c'est là que morgoth a gagné. Pas nécéssairement en le maudissant. Mais en le persuadant qu'il était maudit.
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C'est une analyse extrêmement intéressante que tu nous proposes Moraldandil.
A vrai dire, je n'avais jamais envisagé les choses de cette manière mais tes explications me semblent plutôt convaincantes. On voit bien que Morgoth est en fait très habile lors de sa confrontation avec Húrin et comment il fait oeuvre d'actions profondément mauvaises à la lumière du texte de HoME 10 que tu cites.
Une remarque me vient à l'esprit en tapant ces quelques lignes. Il me semble en effet que la malédiction que lance Morgoth ressemble à ce que l'on appelle souvent aujourd'hui une "prophétie auto-réalisatrice" (phénomène très courant en économie), ou encore ce que Popper nommait un "effet Oedipe" : c'est en grande partie parce que Túrin croit en la malédiction qu'il va finalement subir celle-ci (Cf. l'histoire d'Oedipe justement). Morgoth n'a ainsi plus qu'à forcer un peu les choses dans la mesure de ses possibilités (Glaurung) et le caractère de Túrin fera le reste. L'oeuvre de Tolkien est décidément d'une richesse qui se dévoile sans cesse un peu plus ;-)
Lambertine > Ton dernier paragraphe me semble un parfait résumé de la situation : court mais précis et très bien dit :-)
Laurent
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Lambertine > Pas nécéssairement en le maudissant. Mais en le persuadant qu'il était maudit.
Exactement. Et en en persuadant son père (ou du moins en essayant).
Comme le souligne Finrod, le simple fait de prononcer cette malédiction la rend agissante dans l'esprit de ceux qu'elle concerne : dire, c'est faire (un discours performatif dans le jargon des linguistes). C'est même en fait le seul effet réel qu'elle a, puisqu'il me semble clair que Morgoth n'a pas le pouvoir de jouer directement sur les consciences. Mais il réussit à faire croire qu'il le peut et modifie indirectement la conduite de ses cibles. Tromperie bien digne de lui...
Glaurung, c'est ce qui permet à Morgoth d'influencer Túrin, et de le harceler physiquement et mentalement - mais c'est une chose que nous pouvons connaître entre mortels (sauf que tout le monde ne dispose pas d'un dragon pour ce faire...) et qui n'implique pas de pouvoir exceptionnel de Morgoth sur les consciences.
Je trouve que tu as tout à fait raison de souligner le rôle important et visiblement néfaste de Morwen dans le destin de Túrin, qui à l'évidence a beaucoup hérité d'elle. Quant à Gurthang, elle est bel et bien spéciale, mais je pense comme toi qu'elle ne fait qu'aider à la réalisation de tendances mauvaises chez Túrin et n'en est pas la source.
Finrod > Morgoth n'a ainsi plus qu'à forcer un peu les choses dans la mesure de ses possibilités (Glaurung) et le caractère de Túrin fera le reste.
Tout à fait. Je pense même que Morgoth a très bien pu deviner une part de Túrin dans les paroles de Húrin, ce qui lui a permis de prévoir quelque chose de ses actes futurs, certainement aidé par la finesse de perception et le don de prévoyance qu'impliquent son état de Vala, même déchu, spécialement en ce qui concerne le mal . Actes que, bien sûr, il présentera au père comme inspirés par lui-même et fruits de sa malédiction. Il lui a bien dit qu'il verrait par ses yeux et entendrait par ses oreilles...
Moraldandil
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Bravo Moraldandil, pour cet interessant post!
Voici une petite digression sur un cour passage de ce post qui peut, je l’espère, donner quelques pistes pour une idée de « malédiction du mot » chez Turin et qui ouvrent des perspectives de lecture poétique des noms chez Tolkien. C’est un peu étrange, je sais, et juste une ébauche, mais je me lance…
Tu écris :
- changements de nom répétés de Túrin pour changer de destin ou détourner la malédiction ; cf. ce passage du ch. 21 du Silm. : Quand Túrin apprit de Finduilas ce qui s'était passé, il se mit en colère et dit à Gwindor : "Tu m'as sauvé et protégé, je t'aimais pour cela, mais tu m'as fait du yort, mon ami, en livrant mon vrai nom. Tu as rappelé sur moi le destin auquel je voulais échapper." Mais Gwindor répondit : "C'est sur toi que pèse le destin, pas sur ton nom."
>> Cette phrase de Gwindor est très importante pour une autre problématique (mais qui reste très liée à Turin). On connaît l’étrange relation de Tolkien aux langues, qu’elles soient réelles ou inventées. Il me semble évident que les noms dans le SdA et le Silmarillion (et par voie de conséquence les langues elfiques) ont conquis un vaste public en premier lieu par la limpidité de la relation entre le signifiant et le signifié : le son y est toujours très proche de contenir l’idée. Or, surtout depuis Saussure, cette relation, dans le cadre des langues réelles, est considérée dans l’ensemble comme une idée caduque, un fantasme (il y a bien sûr des contre-exemples ponctuels mais qui n’érigent pas la langue dans un logique générale de cette relation). Lorsque Gwindor dit « C’est sur toi que pèse ton destin, pas sur ton nom », maintes idées s’enchaînent en filigrane :
D’abord il faut comprendre cette phrase comme une étonnante constatation que même en Arda il existe une non adéquation entre la chose et le mot qui la désigne. Certes les noms que se forgent Turin à mesure de sa vie sont autant de justificatifs qu’il se donne pour admettre la « réalité » de la malédiction de Morgoth, mais cela va plus loin : chez Turin, il n’est plus de nom pour le désigner avec clarté : le terme Turambar –maître du destin - se faisant le plus éminent exemple de cette tension, cassure même, entre la réalité et le terme. Mais on pourrait nous opposer que Turambar est une façade un nom choisit par le personnage, et que cela montre combien Turin n’accepte pas son propre nom qui contiendrait, lui, sa réalité profonde. Or, non : du nom Turin, les étymologies de HoME V renvoient au verbe Quenya: « I wield, control, govern ». Mais que contrôle-t-il dans cette vie ou la malédiction, qu’elle soit de Morgoth ou de lui-même existe bien et devient ce destin qu’évoque Gwindor? C’est finalement un drame bien rare chez Tolkien que celui de l’homme qui n'EST pas son nom sur le plan interne (y a bien l’amour de la mer chez Ëarendil ; Aragorn est bel et bien l’ « Estel » de son peuple, et plus ; la sœur de Turin elle-même mérite bien son nom de « Tear-Maiden ») ou externe (cf. le « wise by experience » de la racine germanique dans Frodo ou les explications de l’auteur sur le double sens de Samwise). Lui n’est même pas l’ « Adanedhel » (Homme-Elfe) dont on le glorifie à Nargothrond. Car au fond, ce nom ne désigne que son apparence et son éducation (celle de Doriath, qu’il refuse). Il n’a pas de sang elfique, et surtout son esprit est plus humain que quiconque. Situation ô combien ironique quand on le compare à son cousin antithétique (sauf pour l’enfance qui est comparable, dans cette triste génération d’après Nirnaeth Arnoediad), Tuor qui possède lui un caractère bien plus elfique et dont les descendants seront les vrais « Hommes-Elfes » !
Peut-être vais-je trop loin mais je vois ici, derrière ce problème de la relation de Turin à son nom (et ses noms), un aveu de Tolkien quant à l’impossibilité de réussir totalement cette cohésion du son et du sens même dans les langues d’Arda. Certes, comme le souligne la lettre 156 que je citais dans un autre fuseau, le Troisième Age est encore une période où le Mal reste plus clairement incarné et donc plus facilement dicible, mais cela ne suffit pas à une réussite complète. Je ne me base pas sur l’affirmation de Gwindor, celle-ci n’est qu’une conséquence. L’idée fondatrice est, comme Flieger l’a montrée, dans les conceptions linguistiques de l’ami de Tolkien, Owein Barfield membre chrétien des Inklings qui publia un ouvrage nommé « Poetic Diction » et pour qui l’évolution des langues constituait une fragmentation progressive du sens : pour Tolkien (cf. On Fairy-Stories) comme Barfield, les langues constituent une maladie de la mythologie et non l’inverse que prônait Max Müller. La connaissance de l’impossibilité d’atteindre, dans notre monde déchu, cette plénitude de relation n’empêcha pas Tolkien d’essayer de s’en approcher par le biais des langues imaginaires. En ce sens le Quenya peut apparaître comme un projet poétique qui rejoint celui d’un poète comme Mallarmé, dont la spécificité réside en particulier dans un combat qu’il sait perdu d’avance visant à atteindre une pureté, un état supérieur de la langue dans lequel le mot, par sa place dans la structure harmonique du vers, puisse retrouver cette adéquation signifié/signifiant. Je ne peux résister à l’envie de vous citer cette admirable analyse de l’intention mallarméenne par Yves Bonnefoy, afin de clarifier mon propos :
« Un vers – l’alexandrin, par exemple, qui fut longtemps pour Mallarmé le mètre par excellence -, c’est une structure, portant sur peu d’éléments, on peut l’embrasser d’un seul mouvement de conscience. Et si pris isolément, chaque mot est grevé d’un son qui oblitère la « vue », ce qu’à de clair le mot « nuit » se relativise à l’ensemble, s’estompe en tant qu’élément dans notre idée de la nuit, et délivre ainsi de son indication déplacée notre mémoire du monde, qui peut s’ouvrir à une « impression » cette fois exacte. En outre, d’être ainsi devenu une composante du tout du vers, le signifiant phonétique « nuit » est rendu au plein de sa qualité sensible, dans sa virtualité signifiante, et va pouvoir se prêter à ce que nous avons de « clair » à observer et à dire. En soumettant les mots à une structure, par le travail de la prosodie, nous sortons de la « selva oscura », nous pouvons voir, mais nous pouvons aussi exprimer, et cela avec des moyens de plus d’immédiateté, déjà – ces sonorités, qui viennent droit de nos sens -, que ceux de la vieille langue, non réparée. Et nous serons capable de plus encore. Car réuni, à d’autres de son espèce – « subtil », par exemple, et « triomphe », ou même « ancien », au début du Faune – le son « nuit » va permettre à plusieurs notions de s’allumer chacune d’un reflet venu de chaque autre : et toutes s’approfondiront, se rectifieront, dans ce rapprochement opéré sous le signe clair –dans la lucidité d’un son pur… Loin de gêner le regard, comme dans la parole antérieure, le son – vocabulaire et syntaxe – l’aide à s’instaurer, désormais, pour peu que l’on en soit digne, comme il en va, d’ailleurs, de la couleur chez le peintre, disons Manet, qu’elle délivre des conventions grâce à la liberté qu’elle trouve dans la rapidité de l’ébauche. – En résumé, les « mots » sont toujours là, dans le vers, les mots anciens, et impurs, mais la « composition », suscitée par la convention prosodique, a tourné leur sens qui nous trahissait, dissipé par la goutte d’obscurité, de néant, qui troublait la transparence native. Et quelque chose de perdu, d’ « oublié », se reforme avec netteté dans la lentille du nombre. »
Yves BONNEFOY, La poétique de Mallarmé in Le Nuage Rouge, Mercure de France, p.204-5.
En un sens, Tolkien, par des moyens différents, cherche lui aussi a retrouvé ce « quelque chose de perdu, d’ ‘oublié’ » dans la nature du mot. Il ne s’agit pas d’une redécouverte des mots par une « composition », car les langues elfiques, plus proches que nous de l’Eden, sont sujettes à un moins grand degré d’impureté de corruption dans leurs mots. Aussi est-il possible en ces Ages lointains de se rapprocher de cette « transparence native » à l’intérieur de chaque mot. Et l’hymne Sindarin à Elbereth, le poème de Galadriel en adieu à la Lorien apparaissent sous cet angle comme des recherches poétiques radicales. C’est plus encore le cas des versions de l’ « Ataremma » ou de l’ « Aia Maria » publiées dans le VT 43. L’idée même de l’entreprise de ces poèmes est hardie et montre que Tolkien devait considérer le Quenya, malgré l’impossibilité d’un succès total, comme un véritable progrès dans le rapprochement de la « transparence native ». Eut-il écrit une version Animalic ou Nevbosh de ces prières ? J’en doute. Turin est pour moi le pendant de cette réussite, car Tolkien ne peut – et ne veux pas – faire des langues elfiques pures. Turin est un peu semblable à l’homme d’aujourd’hui, redevenu « païen » et victime de mots déchus qui ne sont plus porteurs du réel. A quoi peut-il se fier si ce qui lui donnait une identité est désormais inaccessible ? Lui tente de nier ces mots trompeurs en leur donnant un sens qui s’avère toujours faux, tandis que bien des linguistes ou des poètes modernes, désabusés par l’extravagance des langues n’y voient pas les traces d’une plénitude perdue (celle-ci est un « mythe », c’est-à-dire quelque chose d’infondé selon leur acceptation du terme) mais juste le déterminisme du hasard, qui est aussi une forme de malédiction et de « destin dyscatastrophique ».
Cirdan
PS : Bien sûr, je ne cherche pas à limiter l’interprétation de Turin à cette lecture un peu extrême, car son histoire, si isolée dans le légendaire, ne peut être « expliquée » d’une seule manière. Elle est trop riche pour cela. Il s’agit juste d’un point de vue, et qui doit pouvoir se développer.
PPS : Ces considérations sommaires amènent d’autres questions. On sait que Shippey souligne combien la conception des langues plus ou moins esthétiques dans l’absolu était considérée comme quasi-hérétique dans le milieu des linguistes. Je me suis souvent posé la question du statut de la beauté des sonorités linguistiques chez Tolkien. La langue naine est-elle « unlovely » (cf. HoME XI, p10) simplement pour les elfes ou justement dans l’absolu ?
PPPS : Tu écris encore :
Premièrement, s'il ne peut contrôler directement une volonté, il peut l'influencer, la tromper. Le fait même de savoir que Morgoth l'a maudit influence le comportement de Túrin : il ira jusqu'à dire de soi : J'apporte la nuit là où je vais.
Deuxièmement, Morgoth harcèle physiquement Túrin, en premier chef en lui dépêchant Glaurung. Mais il n'y a rien d'un pouvoir surnaturel en cela (hormis bien sûr l'existence même de dragons, mais c'est une tout autre question).
>> Et hormis également les pouvoirs surnaturels de Glaurung lui-même. C’est peut-être le paradoxe de base : la malédiction de Morgoth peut être lue comme tu le fais à la manière de l’étincelle visant à mettre en marche un moteur de tourment, lequel n’est autre que Turin, mais on ne peut pas nier, je crois, le véritable « pouvoir surnaturel » du regard de Glaurung.
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Cirdan>Ces considérations sommaires amènent d’autres questions. On sait que Shippey souligne combien la conception des langues plus ou moins esthétiques dans l’absolu était considérée comme quasi-hérétique dans le milieu des linguistes. Je me suis souvent posé la question du statut de la beauté des sonorités linguistiques chez Tolkien. La langue naine est-elle « unlovely » (cf. HoME XI, p10) simplement pour les elfes ou justement dans l’absolu ?
Je me lance dans un hors-sujet, mais je pense qu'il est difficile de dire "dans l'absolu" si une langue est belle ou pas (je ne t'accuse pas d'avoir dis cela ;-p). C'est très subjectif. Seulement, une chose qui m'a marqué, c'est que les Elfes utilisent les chuintantes et les "explosives" (T, C...) à répétition dans les noms des choses qu'ils n'aiment pas : yrch, Carcharoth... (difficilement prononçables sans s'arracher la moitié du palais). Il y a donc corrélation entre ce qu'on ressent du mot à l'entendre, et ce qu'il désigne.
Or "Turin Turambar" utilise des syllabes que je qualifierais d'agressives (très subjectif, lo sé), de sèches, et qui se répètent. Il y aurait donc lien entre ce qu'on ressent du nom (agressivité) et ce qu'est Turin, amplifié par la redondance. (et je me rends compte que ce que j'ai cité de toi n'a plus de rapport avec ce que je viens d'écrire... ;-)).
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Le regard de Glaurung
Tu as tout à fait raison, Círdan : il y a bien là un pouvoir "surnaturel" qu'on ne peut écarter. Mon propos n'était pas cependant de déconstruire tout élément surnaturel du récit – même si mon titre, un peu provocateur, a pu donner l'impression du contraire – mais d'examiner la dialectique du destin et du libre-arbitre dans le cas précis de Túrin et les problèmes qui en résultent.
Ce qui me semble important dans cette optique est de savoir si le regard de Glaurung aliène fondamentalement la liberté de Túrin et de Nienor. Pour Túrin, je garde l'impression qu'il conserve une certaine liberté de choix, et commet donc une faute en accordant crédit au dragon, même si l'on sait que les paroles trompeuses des serpents sont difficilement résistibles :-) (et il y a bien quelque chose de démoniaque chez Glaurung : le texte dit qu'il est rempli d'un esprit malin / evil spirit)… Faute, parce qu'il ne pouvait pas ignorer que Morgoth et ses créatures sont mensongères. Pour Nienor, je dois bien avouer que c'est beaucoup plus délicat : il est clair que son amnésie dépend de la volonté de Glaurung, puisqu'elle disparaît dès la mort de ce dernier, d'où sort qu'il peut bien agir directement sur son esprit. Le domine-t-il entièrement pour autant ? On peut se poser la question pour les premier temps de l'enchantement, où la volonté propre de Nienor semble vraiment anéantie.
Au passage, il est intéressant de remarquer que Tolkien se place exactement dans le sens étymologique du mot "dragon" en accordant une telle importance à son regard : par le latin draco, -onis, "dragon" descend du grec drákôn, -ontos formé sur la racine indo-européenne *derk liée à l'idée de "voir" : le dragon est "celui au regard perçant".
Les noms de Túrin
Je trouve très intéressante ta remarque que Túrin est un des rares personnages chez Tolkien qui ne corresponde pas à la signification de ses noms de Túrin, Adanedhel ou Turambar. Pour être juste, ce n'est pas vrai de tous ses noms : lui correspondent bien par contre Neithan "Celui à qui on a porté tort, le Dépossédé", Gorthol "Heaume de terreur", Agarwaen fils d'Úmarth "le Sanglant fils du Maudit", Mormegil "l'Épée noire"... tous noms qui évoquent plutôt des traits négatifs ! Mais il semble bien que les noms positifs qui lui sont attribués ou qu'il s'attribue ne lui correspondent pas. Túrin est décidément un personnage à part...
Par contre, je ne te suis pas vraiment pour ceci :
> Il n’a pas de sang elfique, et surtout son esprit est plus humain que quiconque. Situation ô combien ironique quand on le compare à son cousin antithétique (sauf pour l’enfance qui est comparable, dans cette triste génération d’après Nirnaeth Arnoediad), Tuor qui possède lui un caractère bien plus elfique et dont les descendants seront les vrais « Hommes-Elfes » !
Je pense pas qu'on puisse faire de distinction aussi simple entre caractère "humain" et "elfique". Ils sont évidemment influencés par leurs destins différents, mais je ne vois pas moins chez les elfes que chez les hommes la volonté de gloire et de puissance, la fierté, le refus du repentir et du pardon : Feanor en est l'exemple le plus éminent, mais ces traits se retrouvent chez bien d'autres Noldor, et aussi dans une certaine mesure chez Thingol. Suivant cette classification, on ne manquerait pas d'elfes au caractère "humain" et d'hommes au caractère "elfique".
Laegalad>Ce ne serait pas la combinaison rch qui "coince" ? ;-)
Pour les questions plus purement linguistiques, j'ai préféré répondre dans la section "Langues Inventées", fuseau Tolkien et son rapport aux langues.
Moraldandil
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Bonjour,
Une fois de plus on a un sujet très intéressant et approfondi. Je vais tenter de participer à la conversation, mais n'étant pas un érudit de Tolkien comme certains ici, et relativement nouveau sur ce forum, je ne sais pas trop ce que vaudra mon intervention.
Moraldandil> Pour le regard de Glaurung, celui-ci recèle clairement un pouvoir, mais pour moi il ne maîtrise son adversaire que lors de l'échange de regards, et non après. Mais le sortilège ne disparaît pas instantanément :
"Túrin, encore sous l'effet des yeux du dragon, et comme s'il traitait avec un ennemi capable de pitié, crut ce que lui disait Glaurung et fit demi-tour pour traverser le pont."
On peut penser que cet effet disparaît progressivement mais non totalement. Turin va par la suite rester sur les paroles de Glaurung sans les remettre en cause. Il conserve donc sa liberté d'action, mais reste trompé par les mensonges de Glaurung. Cela sûrement parce qu'il était sous l'effet du regard, mais aussi parce que Glaurung n'a (en apparence) pas cherché à le tuer. D'où cette fausse impression de pitié de la part de Turin qui tient donc ses paroles pour sages.
Pour Nienor, c'est autre chose, mais il y a des similitudes. Le pouvoir de Glaurung semble - comme pour Turin - la maîtriser totalement pendant l'échange de regards. Mais le sort est différent :
"Elle lutta quelques instants contre la volonté du dragon, mais celui-ci, usant de son pouvoir, sut qui elle était et la força à soutenir son regard. Il jeta sur elle un sort de ténèbres et d'oubli complet, elle ne se rappela plus rien de ce qui lui était arrivé, ni son nom ni celui d'aucune chose, et pendant longtemps elle ne put ni entendre, ni voir, ni même bouger de sa propre volonté."
Comme pour Turin, l'effet du regard semble décroître au fur et à mesure du temps, mais jamais ne disparaît. Cependant, il ne s'agit pas ici de mensonges, mais bel et bien d'un sort, qui n'affecte pas la raison. La comparaison est donc difficile. La domination de Glaurung n'est - pour moi - effective que pendant l'échange de regards. Après, la victime n'est plus directement sous son contrôle, mais demeure affectée longtemps par son "expérience".
Sinon, le parallélisme étymologique est très intéressant.
Ed' ;)
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"C'est très subjectif. Seulement, une chose qui m'a marqué, c'est que les Elfes utilisent les chuintantes et les "explosives" (T, C...) à répétition dans les noms des choses qu'ils n'aiment pas : yrch, Carcharoth... (difficilement prononçables sans s'arracher la moitié du palais). Il y a donc corrélation entre ce qu'on ressent du mot à l'entendre, et ce qu'il désigne."
cerch "faucille" (des Valar, etc.), orchal "noble, supérieur", erchamui "manchot" etc. présentent tous des caractères semblables aux mots que tu site (yrch, Carcharoth), sans pour autant avoir cette connotation.
Didier.
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Je m'incline ;-)Je voulais justement me corriger, mais puisque tu l'as fait à ma place ;-)
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Chère Laegalad,
Je t'assure que le nom de Turin prononcé à l'elfique par Moraldandil n'est pas du tout désagréable à l'oreille ....
Cher Moraldandil,
Au sujet du nom "Neithan" dont Turin s'affuble auprès des hors-la-loi, je dirais qu'il le représente ... et pas. Turin a été effectivement dépossédé de son "Royaume" de Dor lomin par Brodda et ses sbires. Mais il ne l'utilise pas dans ce sens, ce nom, mais par rapport au tort qui lui aurait été fait en Doriath. Or, mis à part Saeros, qui en est mort, personne ne lui a fait de tort en Doriath. Si Mablung et Thingol ont un moment failli le juger coupable de meurtre, c'est parce que son attitude et surtout sa fuite semblaient prouver sa culpabilité. Dès qu'il a su le fin mot de l'histoire, Thingol a pardonné la mort de Saeros, et a envoyé ses meilleurs hommes à la recherche de son fils adoptif.
Je crois que si Thingol a pardonné aussi facilement à Turin ce qu'on qualifierait aujourd'hui d'homicide involontaire, c'est parce que, quelque part, Turin lui ressemble. Il est plus proche de Thingol que ses propres descendants par le sang. Je pense que si la mère de l'orgueilleux Roi de Doriath avait été insultée, il aurait réagi aussi violemment. Je pense aussi qu'il aurait préféré s'enfuir que devoir s'abaisser à justifier son innocence.
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Cher Ed',
Au sujet de Glaurung : plutôt que jeteur de sorts, je qualifierai Glaurung d'hypnotiseur particulièrement doué, continuant à tenir ses victimes sous sa dépendance mentale bien longtemps après la scéance. Rendant donc Nienor amnésique, et forçant Turin à abandonner Finduilas pour partir à la recherche de sa mère et de sa soeur ( dont il ne se préoccupait plus depuis des années ).
Le hic est là : il paraît que l'on ne peut forcer quelqu'un à faire sous hypnose quelque chose qu'il n'aurait pu faire en état de veille.Je suis d'accord pour la recherche de Morwen. J'aurais cependant mal vu Turin abandonner finduilas de façon volontaire.
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Chère Michèle > Fidèle à ta volonté de ne pas laisser Turin s'enfoncer dans les abîmes du forum... ;-)
Pour Glaurung, c'est vrai que le mot "sort" que j'ai employé n'était peut-être pas le plus approprié. En tout cas, je suis assez d'accord pour comparer son pouvoir à une sorte d'hypnose dont les effets sont tout de même assez dévastateurs... Mais je connais mal les effets réels de l'hypnose. En tout cas, si ce que tu en dis est vrai, le pouvoir de Glaurung dépasse donc bien une simple hypnose (de toute façon, on ne voit pas pourquoi le pouvoir Glaurung respecterait les lois naturelles de notre société. Il est au contraire vraiment maléfique dans le sens où il peut vraiment influencer, voire dominer la volonté de son adversaire, forçant ses décisions, supprimant son libre-arbitre, même si son adversaire a l'impression de le conserver).
Ed'
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> il peut vraiment influencer, voire dominer la volonté de son adversaire, forçant ses décisions, supprimant son libre-arbitre, même si son adversaire a l'impression de le conserver
Je ne mettrais pas en tout cas toutes ces propositions dans le même sac. Que Glaurung influence Túrin, voire force effectivement sa décision, domine sa volonté, c’est flagrant. Que Túrin ait plus ou moins l’impression de faire un choix par lui-même, et non sous l’effet des paroles du dragon, en choisissant d’abandonner Finduilas à son sort me semble également vraisemblable. Son libre-arbitre est-il supprimé pour autant ? C’est le noeud du problème.
La comparaison avec l’hypnose est très intéressante. Elle rejoint l’idée d’Edrahil comme quoi soutenir le regard du dragon est une expérience qui met du temps à s’effacer – plus évidemment pour Nienor que pour Túrin.
Je ne suis pas si sûr de l’absence de préoccupation de Túrin pour sa mère et sa soeur qu’il peut montrer à Nargothrond. Le fait que son souci ne s’exprime pas ouvertement ne signifie pas qu’il a disparu… c’est en tout cas à creuser.
Quoi qu'il en soit, en Glaurung Morgoth s’est donné un moyen d’intervenir effectivement dans la vie et les projets de Túrin. Ça n’est pas incompatible avec l’idée que la malédiction n’a pas d’effets réels, objectifs de par le simple fait d’être prononcée. Ce serait même plutôt un aveu qu'elle ne suffit pas à déterminer le destin de Túrin : pour s’assurer qu’il tourne mal, il faut lui envoyer quelque chose de plus “consistant”.
Moraldandil
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Moraldandil > Effectivement, je me suis un peu avancé en disant que son libre-arbitre était supprimé. Disons que le souvenir des paroles de Glaurung et de son pouvoir l'empêchent de raisonner et de choisir la bonne voie. C'est en ce sens que je verrais son libre-arbitre conservé seulement en apparence, car le pouvoir de Glaurung reste suffisamment fort pour que les décisions qu'il prend le servent. Finalement, le regard de Glaurung "aveugle" sa conscience morale, ne lui laissant pas l'occasion de mesurer la conséquence de ses actes : choisir de rejoindre Morwen et laisser Finduilas, voilà une décision à laquelle il a eu le temps de réfléchir durant son trajet. Mais étant encore soumis au pouvoir du dragon, il ne l'a peut-être (sûrement) pas fait. C'est pour cela que pour moi, le libre-arbitre de Turin n'est à ce moment qu'une illusion.
Je ne suis pas si sûr de l’absence de préoccupation de Túrin pour sa mère et sa soeur qu’il peut montrer à Nargothrond. Le fait que son souci ne s’exprime pas ouvertement ne signifie pas qu’il a disparu… c’est en tout cas à creuser.
Certes, mais il sait tout de même que le cas de Finduilas est urgent, bien plus que celui de Morwen et Nienor, en tout cas avant de rencontrer le dragon. Mais celui-ci joue avec ses sentiments envers sa famille, lui faisant oublier l'urgence de la situation. Peut-être qu'au fond de lui il désirait vraiment retourner vers Morwen, mais avant Glaurung, il faisait la part des choses entre ses propres désirs et les affaires qui ne souffrent aucun délai.
Ed'
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Au sujet des sentiments de Turin pour Morwen : je n'ai pas voulu dire qu'il s'en désintéressait totalement, qu'elle ne comptait plus pour lui. Mais il menait sa vie loin d'elle, sans vraiment en tenir compte ( on peut se demander d'ailleurs pourquoi, après sa fuite de Doriath, Turin n'a pas été rejoindre sa mère à Dor Lomin. Certes le pays était occupé mais il en était le Seigneur légitime et aurait pu faire un travail de Résistance là-bas, en plus de retrouver Maman ). Il ne s'y intéresse de façon "active" que sous l'influence de Glaurung et en pleine tragédie. Totalement irrationnel s'il n'avait pas été hypnotisé.
Michèle qui contrera la malédiction jusqu'au bout.
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Michèle> Tu noteras ma contribution pour ta lutte, même en vacances. ;-)
Etant actuellement sans les CLI, ne me sautez pas dessus à cause d'une absence de référence, je vais faire de mon mieux pour m'en souvenir...:)
Donc, effectivement, le regard de Glaurung a manifestement perturbé sa raison comme je l'ai dit dans mon précédent post, à propos de Morwen et de Finduilas (affaire bien plus urgente que son retour vers sa mère et sa soeur qui a déjà attendu bien des années).
Maintenant, c'est vrai qu'il est troublant de constater que malgré sa peur pour Morwen et Nienor, Turin préfère rester avec les hors-la-loi à vagabonder. Dans le Silm, il est dit :
"Mais un jour les messagers du nord ne revinrent pas et Thingol ne voulut plus en envoyer. Turin eut très peur pour sa mère et sa soeur et il se présenta tristement devant le roi pour lui demander une armure et un glaive. Il se coiffa du heaume du dragon et s'en alla faire la guerre aux frontières de Doriath, où il devint le compagnon d'armes de Beleg Cuthalion."
Cette inquiétude est donc clairement exprimée et non sous-entendue, même si par la suite ce genre de commentaire n'est pas réitéré. Peut-être a-t-il peur d'y aller tout seul, ne sachant pas ce qu'il allait trouver, mais étant donné son tempérament de "fonceur", cela m'étonnerait tout de même un peu...Peut-être attendait-il de revoir Beleg, se doutant qu'il allait revenir, et connaissant ses "amis", qui ont failli le tuer d'ailleurs. Je ne sais pas, ce n'est pas vraiment clair pour moi, mais c'est en tout cas une remarque intéressante.
En revanche, je ne sais pas si Turin aurait organisé une résistance de façon efficace s'il était retourné, étant donné son caractère quelque peu... emporté. Disons qu'il est probable qu'il aurait agi comme il l'a fait avec Brodda, en voyant comment étaient traitées sa femme et sa soeur. Il aurait vite fait de se retrouver avec toute la garde sur le dos, seul contre tous, faute d'organisation efficace. Du moins est-ce comme cela que je vois la chose.
E. , qui vous passe un bonjour depuis la Corse où le soleil est au beau fixe, mais qui n'a pas pu s'empêcher de faire un tour ici. ;-)
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Autre chose, en ce qui concerne la "malédiction" de Turin (que je n'avais pas contrée depuis trop longtemps...).
Bien que celà puisse passer à première vue comme une bonne chose : Turin possède un fameux pouvoir de séduction sur les femmes. Et particulièrement sur les femmes aimées par ceux qui lui viennent en aide. J'admet que tomber amoureuse d'un jeune et beau guerrier romantique et malheureux est plus facile que d'aimer un ancien déporté revenu faible et vieilli, ou un type au pied bot... N'empêche queces amours vont finalement mener Turin à sa perte.
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Y avais longtemps que je n'avais plus contré la malédiction, alors...
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Pour ma part, je pense que Tolkien voit en Turin un exemple en quelque sorte...à ne pas suivre: ceci correspondrait notamment à l'esprit nordique, qui veut que l'homme assume et réalise son destin...pour être heureux.
Or que fait Turin sinon, tout au long de sa vie, rejeter et refuser ce qui lui tombe dessus.
Que Morgoth soit derrière tout cela, aucun doute, il utilise le passé et le caractère très particulier de Turin pour l'amener peu à peu au désespoir, et c'est là où va Turin.
On peut dire aussi que Turin garde son libre-arbittre tout au long de l'oeuvre, à chaque fois, il fait des choix qui ne peuvent dépendre que de lui: ainsi quand il s'en va de chez Thingol après avoir tué Saeros.
Ensuite tous les choix, la majorité voire tous mauvais ou peu judicieux, vont lui sembler un destin implacable comme des perles peu enfilées, mais ce qu'il ne voit pas c'est que c'est lui qui peu à peu s'est construit son propre destin. Ce qui expliquerait entre autre cette parole de Gwindor, selon laquelle le destin n'est pas attachée au nom mais à sa personne. Ceci révèle un double sens, le destin comme acteur, s'attache à son sujet et non à ce qui le représente, mais aussi Turin seul peut faire son destin: il est le maître de sa vie, par ses choix personnels. Deux sens contradictoires, savoir comment on va l'interpréter peu totalement changer le point de vue. Turin naturellement, avec son esprit négatif, prendra en compte le premier sens.
Il est intéressant de voir que son cousin suit pour sa part une vision assez positive de la vie (d'une façon générale j'entends), il en est quelque sorte l'antithèse, et plutôt l'exemple que Tolkien nous donnerait à suivre. Tout le passage où Tuor suit la rivière qui court devant lui, peut s'interpréter en disant qu'il accepte sondes tin (formé, lui, par Ulmo) de façon plutot positive et joyeuse.
Vous me direz qu'il plus facile d'accepter une vie menée par Ulmo qu'une autre formée par Melkor.
Mais on voit ici le caractère plus ou moins démiurgique des Valar, se faisant (directement pour ceux qui lui restent fidèle, indirectement pour Melkor) les relais de la volonté "eruienne" (divine ?).
On se reportera pour expliquer en quoi Melkor réalise de façon indirecte la volonté d'Eru, à l'Ainulindalë, qui explique bien des choses.
Ainsi malgré le caractère assez limité et restreint de ce "destin", il ne fait qu'apparaître le face visible de l'iceberg. La face cachée consistant en quelque sorte en une volonté en filigrane, qui n'impose pas mais suggère...genre Providence (dont la conception nordique du destin était assez proche soit dit en passant).
Après avoir décelé cette vocation, ce destin, il faut l'accepter et l'assumer. En quelque sorte, comme dirait Régis Boyer, prendre en compte cette "étincelle du divin" que chacun porte en soi. Pour cela, il ne faut pas fuir, et c'est évidemment ce que fait Turin, toujour il fuit, ne se posant jamais de question, mais en voyant devant lui un destin implacable qui s'exerce à le détruire.
Esprit positif et joyeux, voilà ce que l'on peut tirer de ce conte...seule solution pour bien réussir sa vie.
Jb
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Très intéressant comme fuseau :)
Je pense aussi que Melkor n'a pas le pouvoir de contrôler le destin des individus, même s'il arrive à les "maudire" d'une certaine façon en agissant "concrètement" (par la force, la violence, la torture, la peur).
Je voudrais juste ajouter un mot sur la prophétie au sujet de Túrin . Je n'ai pas les textes sur moi mais il est dit qu'à la fin du temps d'Arda, Morgoth reviendra dans l'Ea et Túrin le frappera avec l'épée noire Anglachel.
Ce n'est pas tellement la "malédiction" de Túrin qui est fantastique (Gwindor était aussi "maudit" par Morgoth en quelque sorte) mais plutôt le fait que Túrin semble ne pas être complétement libre du destin d'Arda comme les Mortels: il reviendra et il aura un rôle à jouer dans la victoire sur Morgoth.
Est ce que Túrin est libre au delà des cercles du Monde et il reviendra uniquement pour le combat final ou reste il dans Arda (après sa mort) en attendant la fin des temps?
N'est il pas une sorte d'"élu" étant donné du rôle qu'il aura à jouer?
Pour ma part, j'interprête son rôle dans la dernière bataille comme une démonstration sur l'échec final de Morgoth: ce dernier avait menti, il ne pouvait réellement contrôler le destin des Hommes et c'est un homme qui le vaincra.
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Effectivement, l’apparition très particulière de Túrin à la fin des temps interpelle. Le fait qu’il figure dans la seconde prophétie de Mandos signifie bel et bien que contrairement aux autres hommes, il est soumis à un destin connu à l’avance, davantage comme les Elfes, et accessible à la connaissance des Ainur (par la Musique). Son surnom d’ Adanedhel « Homme Elfe » était peut-être finalement très bien choisi...
A partir de là, il n’est pas impossible que la malédiction qui pèse sur lui ait une réalité au delà du simple fait d’être prononcée... Assistons-nous à l’assassinat d’une belle théorie par un fait hideux ? :-)
D’un autre côté, cette conception de la fin des temps est caractéristique des premières rédactions du Silmarillion : il me semble que c’est dans The Lost Road p. 333 qu’il en est question pour la dernière fois. Il n’en est plus question plus tard : rien de pareil dit dans le Narn i Chîn Húrin par exemple. Et ce ne doit pas être un hasard si Christopher Tolkien a choisi de supprimer la seconde prophétie de Mandos en publiant le Silmarillion : peut-être a-t-il senti que ce texte posait problème. Ce faisant, a-t-il suivi les vœux de son père ? Celui-ci aurait-il changé d’avis et choisi de ramener Túrin dans le sort commun de l’humanité ? On peut se le demander.
B.
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Hé ! j'avais pas vu que Stalky avait posté ici... ! :D
A partir de là, il n’est pas impossible que la malédiction qui pèse sur lui ait une réalité au delà du simple fait d’être prononcée... Assistons-nous à l’assassinat d’une belle théorie par un fait hideux ? :-)
Bin moi, elle me plaît bien, cette théorie. ;-)
N'oublions pas tout de même que Túrin est un humain, à la base. Peut-être possède-t-il un destin qui ressemble à celui des Elfes, mais il n'en reste pas moins humain !
Qu'entends-tu par ailleurs, dans cette 'réalité au delà du simple fait d'être prononcée' ? Quel crédit serais-tu prêt à accorder à cette malédiction ?
Et puis, comme le dit Stalker, la prophétie de Mandos, présentée ainsi, peut être vue comme une démonstration de l'impuissance de Morgoth à maîtriser le destin des Hommes...
E. ;o)
C'est lambertine qui va être contente... :-P
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En disant "réalité au delà du fait d'être prononcée", je me plaçais dans l'hypothèse où Morgoth aurait eu le pouvoir de modifier le destin de Túrin autrement que par la parole : de lui imposer sa volonté sans sa coopération, pour simplifier d'en faire une "marionnette". C'est cela qui me semble ne pas cadrer avec le légendaire.
Mon idée est que cette malédiction n'est, au fond, "que des mots". Mais ça ne veut pas dire "rien" chez Tolkien, bien loin de là ! Ces simples mots ont un effet tangible, ils agissent réellement sur le destin de Túrin. A mon sens, la malédiction se réalise parce que les personnages, dans le monde interne, croient à son efficacité. C'est presque un phénomène d'autosuggestion - je ne sais pas si le terme est bien approprié - en tout cas une prophétie auto-réalisatrice. Il est intéressant de voir que le pouvoir de Morgoth, dans cette optique, réside avant tout dans la parole. Ce pouvoir actif de la parole, pour le bien ou le mal, est loin d'être isolé chez Tolkien. On pense à l'Ainulindale, à Tom Bombadil, au chants magiques de Felagund et Sauron, plus généralement des Elfes qui semble l'image de la réalité même.
B.
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Moraldandil : Ce pouvoir actif de la parole, pour le bien ou le mal, est loin d'être isolé chez Tolkien. On pense à l'Ainulindale, à Tom Bombadil, au chants magiques de Felagund et Sauron, plus généralement des Elfes qui semble l'image de la réalité même.
=> Sans oublier bien sûr "The Voice of Saruman", celle-là même qui peut influer sur les évènements futurs en interférant avec les actions préalablement décidées par les "faibles" d'esprit et ceux dont la volonté est corrompue...Mais ceci est un autre débat ;o)
Pour revenir à la voix de Saruman, il est un exemple qui peut être rapprocher de la "malédiction de Turin par Morgoth", c'est celle de Frodo par l'Istar :
T3, Chap. VIII. LE NETTOYAGE DE LA COMTE, Page 410:
Vous êtes sage, et cruel. Vous avez retiré toute douceur à ma vengeance, et maintenant, il me faut partir d'ici l'amertume au coeur en reconnaissance de votre miséricorde. Je la hais et vous aussi! Eh bien, je m'en vais et je ne vous inquiéterai plus. Ne comptez pas toutefois que je vous souhaite santé et longue vie. Vous n'aurez ni l'une ni l'autre. Mais ce n'est pas de mon fait. Je vous le prédis, simplement.
=> Cette prophétie/malédiction est-elle plus ou moins identique à celle de Turin (à une moindre echelle bien entendu)? Ou la précision par Saruman : "qu'elle n'est pas de son fait, qu'il ne fait que la prédire", lui enlève le moindre rôle dans sa réalisation...et même dans son initiative?
Bon je sais que cette question est un peu H.S. par rapport au fuseau, mais c'est une question que je me pose depuis la lecture de "the tale of Túrin Turambar" (Narn i chîn Húrin) ;oP
Julien - Elwë Ier
Empereur, se glissant dans la discussion sur la pointe des pieds ;)
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Excusez moi pour cette "%#$£!?#& de balise mal refermée, je vois des schtroumpfs grognons partout :P
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Encore une chose, qui m'est venue à l'esprit au sujet de Turin et de sa malédiction : il me semble qu'à certain moment, on lui a donné un certain "coup de pouce", à cette malédiction. Et pas du tout en voulant du mal à Turin, ou même à qui que ce soit. Comment se fait-il, par exemple, que le roi de Nargothrond et les chefs de son armée se fient à se point aux avis d'un étranger, plus, d'un gamin de vingt-trois ans (si j'ai bien compté...) pour établir leur stratégie militaire ?
Pire (si j'ose dire...): Beleg lui-même participera à l'accomplissement de la malédiction (et indirectement, à sa propre mort)... en soignant et sauvant Androg. Ce qui va décupler la haine de Mim à son égard, et être en partie à la source de sa trahison.
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Je tombe sur un fuseau très riche... Je parlais justement à Noël avec Findirato de la conception chrétienne du libre-arbitre chez Tolkien, et particulièrement concernant les Hommes, quand on avait pensé brusquement à Túrin qui mettait une sérieuse écharde dans ce beau concept...
Moraldandil a parfaitement exposé la problématique, et toutes les réponses sont extrèmement intéressantes et permettent, au moins en partie, voire plus, de lever le problème. Cependant, n'a été adopté jusqu'ici que le point de vue interne.
Je voudrais donc rajouter quelque chose d'un point de vue externe.
Comme le souligne son biographe Humphrey Carpenter, l'histoire de Sigurd (ou Siegfried dans sa version germanique), lue dans le Red Fairy Book d'Andrew Lang, a fortement marqué le très jeune Ronald. Un peu plus tard, il avait acquis suffisammment de connaissances linguistiques pour pouvoir lire Sigurd dans sa version originale. En effet, le conte de Sigurd se trouve dans l'Edda poétique, recueil islandais du XIIIe sauvé de l'oubli par l'évêque Sveinsson en 1643. On sait combien Tolkien appréciait ce recueil.
Or, que trouvons-nous chez Sigurd ? Evidemment, les versions sont légion, puisque Siegurd germanisé en Siegfried a notamment été repris dans la Chanson des Nibelungen puis dans la Tétralogie de Wagner. Mais plusieurs éléments sont réccurrents et font immanquablement penser à Túrin :
- Sigurd tue un dragon, Fafnir, et parfois même deux selon les versions
- Il se fait engager par un forgeron, Mimir (forgeron, nain... Mimir, Mîm...)
- il porte un casque fameux (comme le Heaume de Hador de Túrin)
- il a le caractère... un peu vif et ses emportements sont assez... radicaux
- il a un glaive magique
- on a la présence du trésor d'un dragon qui a été maudit après la mort de celui-ci (la malédiction de Mîm sur le butin de Nargothrond)
On note aussi la présence d'une cape qui rend invisible, mais là on pense à son cousin Tuor. Peu d'intérêt, donc.
Il est en tout cas intéressant de noter qu'un des thèmes principaux de ce conte est l'inéluctabilité du destin.
Je n'arrive plus à retrouver où quelqu'un affirmait que Túrin était la transcription de Sigurd par Tolkien à son univers (si quelqu'un peut le trouver...). Sachant qu'il l'a écrit très tôt et qu'il l'a maintes fois remanié, preuve d'un grand intérêt, cela apparaît vraisemblable.
On aurait alors l'explication externe d'une certaine incohérence avec le reste de son oeuvre... Ce qui n'empêche pas, je dirais même qui nécessite, de trouver une explication interne, ce qui a été bien fait ici.
Amicalement,
Franck
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N'est-ce pas au mémoire de maîtrise de Laurent Alibert Imaginaire médiéval et mythologique dans l'œuvre de Tolkien que tu fais allusion ?
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Ah non, je ne l'avais pas lu... Mais ça conforte ce que j'ai dit.
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Arf... contrer la malédiction, j'ai pu !
Longue vie à ces fuseaux sur Neithan !
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Puisque lambertine semble avoir renoncé à lutter contre la malédiction... ;-) Et que je tombe une fois de plus sur un fuseau passionnant par ici, je ne vais pas m'abstenir d'essayer de poursuivre la discussion.
En revanche, je ne sais pas si Turin aurait organisé une résistance de façon efficace s'il était retourné, étant donné son caractère quelque peu... emporté. Disons qu'il est probable qu'il aurait agi comme il l'a fait avec Brodda, en voyant comment étaient traitées sa femme et sa soeur. Il aurait vite fait de se retrouver avec toute la garde sur le dos, seul contre tous, faute d'organisation efficace. Du moins est-ce comme cela que je vois la chose.
Pas d'accord avec cela. Si Túrin a une qualité, c'est bien celle de l'organisation, qui lui permet de devenir chef d'une bande de hors-la-loi, de fonder un « pays » indépendant, puis de devenir le dux d'un royaume bien plus puissant encore... Je ne vois son raid sur les terres de Brodda que comme un accès de colère irrépressible en réalisant qu'il s'était fait duper.
Encore une chose, qui m'est venue à l'esprit au sujet de Turin et de sa malédiction : il me semble qu'à certain moment, on lui a donné un certain "coup de pouce", à cette malédiction. Et pas du tout en voulant du mal à Turin, ou même à qui que ce soit. Comment se fait-il, par exemple, que le roi de Nargothrond et les chefs de son armée se fient à se point aux avis d'un étranger, plus, d'un gamin de vingt-trois ans (si j'ai bien compté...) pour établir leur stratégie militaire ?
26 ans, si j'en crois la chronologie de Tolkiendil. Mais ton propos reste pertinent.
Maintenant, on vois fréquemment les Elfes du Premier Âge éprouver une confiance considérable envers les Hommes et leur confier des responsabilités significatives (cf. Tuor à Gondolin). Túrin avait aussi pour lui d'avoir été éduqué et formé à la guerre en Doriath (un royaume qui avait connu la lutte contre Morgoth depuis plus longtemps que Nargothrond) et d'avoir réussi à maintenir un district indépendant malgré les assauts de Morgoth, d'autant que Dor Cúarthol n'était pas tombé suite à une défaite mais à cause d'une trahison. En outre, Orodreth, qui avait été victime des machinations de Celegorm et Curufin, devait éprouver une certaine méfiance à l'égard des conseillers elfiques trop puissants, et être prêt à accueillir à bras ouverts un stratège efficace qui ne saurait être une menace pour lui sur le long terme (pensait-il). Il ne devait d'ailleurs pas être un génie politique, comme en témoignent les deux fois où il se fit déposséder du pouvoir effectif — du pain béni pour un Túrin un peu... bonapartiste.
Finalement, pour aborder le sujet principal du fuseau, je pense qu'il est pertinent de citer l'Ósanwe-kenta :
Pengolodh se penche ensuite sur les abus de la sanwe. « Car », dit-il, « certains de ceux qui ont lu jusqu’ici pourraient déjà avoir mis mon savoir en question, disant : « Cela ne semble pas s’accorder avec les récits. Si le sáma était inexpugnable par force, comment Melkor aurait-il pu tromper tant d’esprits et en asservir tant ? Ou n’est-il pas plutôt vrai que le sáma peut être protégé par une force supérieure mais également capturé par une force supérieure ? C’est pourquoi Melkor, le plus puissant, et surtout celui possédant au dernier degré la volonté la plus acharnée, déterminée et impitoyable, pouvait pénétrer l’esprit des Valar, mais se refuser à eux, de sorte que même Manwe lorsqu’il a affaire à lui peut parfois nous apparaître faible, imprudent et trompé. N’en est-il point ainsi ? »
« Je dis qu’il n’en est point ainsi. Les choses peuvent apparaître semblables, mais si leur nature est différente, elles doivent être distinguées. [...]
De la même manière, extorquer les secrets d’un esprit peut sembler venir d’une lecture par force de celui-ci en dépit de son refus, car la connaissance acquise peut parfois apparaître aussi complète qu’il est possible de l’obtenir. Néanmoins, elle ne provient point de la pénétration de la barrière du refus.
Il n’y a en effet pas d’axan interdisant que la barrière ne soit forcée, car c’est únat, une chose impossible ou impraticable, et plus grande est la force exercée, plus grande la résistance du refus.
Bref, Morgoth ne pouvait pas pénétrer l'esprit de Túrin pour annihiler son libre-arbitre et le forcer à accomplir sa malédiction (ce qui ne l'empêchait certes pas de mentir et d'agir pour la faire se réaliser, comme Moralandil l'a souligné. Mais il y a un autre fait à considérer :
Il [Melkor] découvrit que l’approche ouverte d’un sáma de pouvoir et de grande force de volonté était ressentie par un sáma moindre comme une pression immense accompagnée de peur. Dominer par le poids du pouvoir et de la peur était son délice, mais dans ce cas il ne les trouva d’aucune aide : la peur fermait la porte plus vite. Par conséquent, il essaya la tromperie et la furtivité.
Pengolodh ne se serait-il pas trompé ? Cette pression et cette peur engendrée par l'approche de l'esprit de Morgoth n'auraient-elle pu l'aider à placer un esprit sous une pression constante, ravivant ses peurs secrète et l'incitant à agir de façon irréfléchie pour se débarrasser d'une présence qui devait inéluctablement finir par ressembler à une malédiction ? Changer de nom pour fuir la malédiction : cela me fait penser que c'était une présence réelle que Túrin cherchait à dérouter pour vivre en paix. Il est possible que Gwindor lui ait fait plus de tort qu'il ne l'imaginait en révélant son nom...
D'ailleurs, comment Túrin apprit-il que son père avait été maudit et était enchaîné sur le Thangorodrim ? Qui serait allé rapporter une telle nouvelle ? Qui si ce n'est la pensée de Morgoth, cherchant à torturer le fils pour faire souffrir le père ?
Ce qui me fait penser que Túrin n'était en fin de compte pas la vraie cible de Morgoth : détruire Húrin, et faire du plus grand guerrier des Hommes une machine pour détruire ses derniers opposants, voilà le but qu'il s'était fixé. Quoi de mieux qu'un traître involontaire, surtout s'il est renommé ? C'est d'ailleurs mon seul regret vis-à-vis des Enfants de Húrin que de ne pas y trouver les « Wanderings of Húrin », qui sont un épilogue plus noir et plus désespéré encore que les derniers épisodes de la vie de Túrin.
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Je remonte ce fuseau, pour le lien évident qu'il entretient avec celui consacré à La question du libre arbitre.
Trois remarques sur des choses dites ici.
Pour Tolkien & Barfield, on a effectivement, chez les deux Inklings, la volonté de se soustraire au constructivisme et à l'idéalisme (la langue serait une pure construction indépendante de la réalité et grâce à laquelle c'est nous qui donnons sens à la réalité). Mais, alors que Barfield se contente de relier le sens du langage à la réalité (c'est la réalité qui donne le sens, et le langage fait médiation), Tolkien insiste en plus sur l'esthétique. Du moins, c'est ce que j'ai compris. Mais je ne suis pas (du tout) un spécialiste de Barfield ...
Pour la Seconde prophétie de Mandos, je ne vois pas comment elle aurait pu subsister en l'état. Tout l'approfondissement spirituel (j'emploie ici le mot dans son sens le plus large i.e. ce qui est relatif au sens) par Tolkien du Conte d'Arda (en particulier mais pas seulement dans HOME X), notamment quant à la nature du Mal et donc à la victoire sur le Mal, ne le permettrait pas : Morgoth ne sera pas vaincu par un coup d'épée, fût-il porté par l'un des plus grand héros de l'histoire.
Pour le parallèle avec Sigurd, voir aussi avec l'histoire de Kullervo, ainsi qu'Elendil nous y invite.
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A l'occasion d'une discussion hors réseau (ou plutôt sur un autre, en l'occurrence wathsapp) maitre Isengar nous rappelle ce fuseau-ci qu'il est bon de faire remonter.
Ajoutons celui-là:
Les Enfants de Húrin
et d'autres peut-être en creusant un peu sur le sujet Turin (mon héros préféré) et sa famille.
L'occasion de relancer de vieilles discussions nocturnes et noctambules.
S.
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