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#1 19-02-2014 20:45

Hyarion
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Tolkien et le conte de fées : enchantements et pouvoirs théologiques

En novembre dernier, la revue en ligne de sciences humaines et sociales ethnographiques.org, qui se présente comme un lieu d'échanges et de descriptions des innombrables manifestations de la vie sociale, a mis en ligne son vingt-sixième numéro, pourtant le titre « Sur les chemins du conte » et qui rassemble dix contributions donnant un aperçu des recherches contemporaines sur le conte. Parmi ces contributions figure un article de Catherine Velay-Vallantin (maître de conférences à l'EHESS) intitulé « J.R.R. Tolkien et le conte de fées : enchantements et pouvoirs théologiques », dont voici un résumé :

En mars 1939, J.R.R. Tolkien prononce une conférence à Edimbourg, On Fairy-stories, publiée en 1947. Tout en posant la question de l'évasion et du sens allégorique des contes, il y exprime son positionnement catholique, celui d'un eschatologisme militant qui insiste sur la situation déchue du monde dominé par Satan mais racheté par le Christ. Tolkien s'y confronte au développement de l'exégèse historico-critique qui remet en cause l'historicité convenue de l'Ancien et du Nouveau Testament : en effet, une fois son écriture historiquement identifiée, la Bible ne devient plus qu'une collection de mythes et de contes comparables aux multiples récits issus d'autres traditions religieuses expliquant elles aussi l'origine du monde et du mal, établissant des rapports entre les dieux et les hommes. Tolkien explique qu'« avec la main ferme d'Alma Mater Ecclesiae comme guide », il préfère alors changer la définition du mythe et du conte plutôt qu'aborder la question de l'historicité des Evangiles. Il s'y emploie donc dans cet essai, un des plus stupéfiants qui soit donné à lire à un folkloriste ou à un ethnologue. Traduit tardivement en français, ce texte donne à Bilbo le Hobbit et surtout au Seigneur des Anneaux une toute nouvelle dimension religieuse.

L'article est consultable en entier à l'adresse suivante : http://www.ethnographiques.org/2013/Velay-Vallantin2

L'approche de l'auteur m'a paru intéressante, et avec les illustrations associées au propos, j'avoue même avoir eu un peu l'impression, durant la lecture, de visiter virtuellement le pub oxonien The Eagle and Child... ;-)

Cordialement,

Hyarion.

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#2 19-02-2014 21:49

Cédric
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Re : Tolkien et le conte de fées : enchantements et pouvoirs théologiques

Belle trouvaille, merci Hyarion. Je me garde l'article sous le coude. On en reparle ;-)

Bonne soirée,
Cédric.

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#3 20-02-2014 10:00

Aglarond
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Re : Tolkien et le conte de fées : enchantements et pouvoirs théologiques

"Eschatologisme militant"... Assumé sans aucun doute, mais militant ? Je n'ai pas le sentiment que la connotation actuelle de ce mot corresponde beaucoup à Tolkien...
Enfin, je lirai l'article complet quand j'en aurai le temps, et je verrai comment elle développe son propos ! Mais je dois dire que sa réduction de la Bible à une collection de mythes à l'historicité remise en cause paraît également quelque peu lapidaire...
Amicalement,
A.

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#4 20-02-2014 16:01

Hyarion
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Re : Tolkien et le conte de fées : enchantements et pouvoirs théologiques

Aglarond a écrit :

"Eschatologisme militant"... Assumé sans aucun doute, mais militant ? Je n'ai pas le sentiment que la connotation actuelle de ce mot corresponde beaucoup à Tolkien...

Je ne suis pas sûr de savoir à quoi tu fait allusion exactement (activisme ? manifestations dans la rue ? ce genre de chose ?), mais il me semble qu'au-delà de toute connotation supposée actuelle, le terme « militant » peut être entendu dans un sens pouvant correspondre aux convictions de Tolkien (sans exclure d'autres significations, par ailleurs) :

Voici un extrait du TLF :

MILITANT, -ANTE, adj. et subst.
I. − Adj. Qui combat, qui lutte.
A. − RELIG. CATH. [En parlant d'un croyant] Qui passe sa vie terrestre à lutter contre les tentations du monde pour respecter les préceptes de l'Évangile:
--> 1. « Le fidèle toujours militant dans la vie, toujours aux prises avec l'ennemi, est traité par la religion dans sa défaite, comme ces généraux vaincus, que le Sénat romain recevoit en triomphe, par la seule raison qu'ils n'avoient pas désespéré du salut final. » Chateaubriand, Génie du christianisme, t.1, 1803, p.89.
Église militante. [P. oppos. à Église triomphante et Église souffrante] L'ensemble des fidèles qui luttent pendant leur vie terrestre. « Le curé d'Azai (...) est un jeune homme, bouillant de zèle, à peine sorti du séminaire, conscrit de l'Église militante, impatient de se distinguer. Dès son installation, il attaqua la danse, et semble avoir promis à Dieu de l'abolir dans sa paroisse » (Courier, Pamphlets pol., Pétition pour vill., 1822, p.140). « De salutaires patronages se formaient ainsi entre les saints de l'Église triomphante et les humbles combattans de l'Église militante » (Montalembert, Ste Élisabeth, 1836, p.xcix). V. « église » ex. 4.(*)
[...]

(*)ÉGLISE, subst. fém.
I.− [L'Église en tant que communauté de fidèles]
A.− [Avec une majuscule; au sing.] Communauté des chrétiens formant un corps social hiérarchiquement organisé, instituée par Jésus-Christ et ayant foi en lui. [...]
[ex.] 4. « Ma fille, ma fille il y a beaucoup d'églises, dans l'Église. Mais il n'y en a qu'une. Il n'y a qu'une Église. Il y a plusieurs églises. Il y a la militante, où nous sommes. Il y a la souffrante, où nous éviterons d'être; s'il plaît à Dieu. Il y a la triomphante, où nous devons demander d'être. S'il plaît à Dieu. Mais il n'y a pas une Église infernale. Il n'y a pas une Église d'enfer. » Péguy, Le Mystère de la charité de Jeanne-d'Arc,1910, p. 66.

Le terme « militant » n'est toutefois employé qu'une seule fois dans le résumé et une seule fois dans l'ensemble de l'article lui-même, avec, me semble-t-il, ce qu'il faut de nuance pour qu'il n'y ait guère de malentendu vis-à-vis du sujet traité, si l'on tient compte du contexte historique donné, puisque l'auteur parle simplement d'une « consonance de Tolkien avec le mouvement militant pour un christianisme eschatologique des années 1940 ». Aussi bien pourra-t-on dire que c'est dans le sens le plus « commun » que le terme a été employé, mais le contexte me parait suffisamment spécifique pour que le caractère polysémique du mot ne soit, de toute façon, pas écarté.

Aglarond a écrit :

Enfin, je lirai l'article complet quand j'en aurai le temps, et je verrai comment elle développe son propos ! Mais je dois dire que sa réduction de la Bible à une collection de mythes à l'historicité remise en cause paraît également quelque peu lapidaire...

Je n'ai reproduit que le résumé, Aglarond. Tu auras en effet avantage à prendre le temps de lire l'article en entier. :-) Du reste, ce n'est pas Catherine Velay-Vallantin qui « réduit » la Bible à « une collection de mythes à l'historicité remise en cause » mais l'exégèse historico-critique en général selon l'auteur : nuance... ;-)

Amicalement,

Hyarion... qui retourne travailler...

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#5 20-02-2014 18:58

Aglarond
Inscription : 2005
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Re : Tolkien et le conte de fées : enchantements et pouvoirs théologiques

Merci pour ces précisions, Hyarion. Je ne connaissais absolument pas ce concept d'Eglise militante. Pour compléter la définition que tu donnes, je cite un extrait du Littré :

1 Terme de théologie. Qui appartient à la milice de Jésus-Christ.
Le fidèle, toujours militant dans la vie, toujours aux prises avec l'ennemi, [Chateaubriand, Génie, I, II, 3]
L'Église militante, l'assemblée des fidèles sur la terre, par opposition à l'Église triomphante (les saints, les bienheureux), et à l'Église souffrante (les âmes du purgatoire).
Jusqu'à la fin des siècles l'Église militante les canonisera en publiant leurs mérites, [Bourdaloue, Sur la récomp. des saints, 1er avent, p. 38]
Lorsqu'on lui [à Savonarole] lut la sentence par laquelle il était retranché de l'Église : De la militante, répondit-il, espérant appartenir dès lors à l'Église triomphante, [Michelet, Histoire moderne, ch. V]
2Aujourd'hui, militant se dit dans un sens tout laïque, pour luttant, combattant, agressif. Caractère militant. Disposition, attitude militante. Politique militante.

Cet extrait a l'avantage d'expliciter les notions d'Eglise triomphante et souffrante.
Je rajouterais juste que pour lire fréquemment des articles scientifiques et en écrire de temps en temps, écrire un résumé est une tâche délicate mais importante puisque très souvent on ne lit que résumé, intro et conclusions ! D'où l'importance de bien synthétiser son propos pour les lecteurs pressés. smile
Du reste, je suis loin d'être certain que l'exégèse historico-critique réduise la Bible à une collection de mythes et de contes.
Bref, j'ai commencé à lire l'article en entier : pour l'heure, l'introduction et le premier paragraphe me laissent quelque peu perplexe... La suite quand j'aurai le temps !

Amicalement,
A.

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#6 20-02-2014 22:45

Elendil
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Re : Tolkien et le conte de fées : enchantements et pouvoirs théologiques

Article d'assez bonne qualité et souvent bien renseigné, mais un certain nombre d'erreurs factuelles s'y sont néanmoins glissées, comme lorsque Velay-Vallantin affirme que Tolkien a converti Lewis au catholicisme (ce dernier point est corrigé plus loin dans l'essai, mais la première mention de la conversion de Lewis est aberrante) ou que les sociétés littéraires étaient interdites à la King Edward's School de Birmingham. L'histoire du pub est tout à fait intéressante, mais j'ai le sentiment que vouloir en faire une place forte catholique revient à outrepasser quelque peu la réalité. Je veux d'ailleurs bien que Tolkien ait connu l'histoire du pub, mais j'aimerais mieux une preuve claire qu'une affirmation sans justification. Idem pour les pratiques religieuses de Tolkien, jamais clairement décrites dans les biographies que j'ai pu lire, surtout pour la période de l'entre-deux-guerres. De la même manière, qui affirme donc que les auditeurs de Tolkien furent stupéfaits par les théories exposées dans sa conférence « Du conte de fées » ? Autre exagération patente : prétendre que Tolkien se fait apologue du catholicisme dans cet essai, alors qu'il ne parle que de christianisme. De la même manière, on n'ira pas prétendre que le SdA fut écrit dans un objectif de propagande religieuse, à moins de vouloir caricaturer la pensée de Tolkien. Celui-ci cherche-t-il d'ailleurs à « abuser » le lecteur comme l'écrit Velay-Vallantin ? Et à quel propos ?

Concernant les critiques de Tolkien adressées aux folkloristes, rien de plus juste. Néanmoins, Tolkien ne nie nullement une possible origine commune des contes, contrairement à ce qu'affirme Velay-Vallantin. Ce n'est simplement pas l'aspect qui l'intéresse. Je me demande d'ailleurs ce que viennent faire les mots « indo-européens » là-dedans, déjà parce que Tolkien ne les utilise pas, ni leurs synonymes, ensuite parce que la recherche génétique utilisée par la mythologie comparée indo-européenne (alors à ses balbutiements : la première grande percée de Dumézil se situe en 1938) n'a rien à voir avec la recherche typologique prônée par les folkloristes (alors ultra-dominants).

Bref, un article bien écrit, mais dont j'ai quand même l'impression qu'il ressort plus du genre romanesque que biographique...

Elendil

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#7 21-02-2014 03:30

sosryko
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Re : Tolkien et le conte de fées : enchantements et pouvoirs théologiques

« Les lettres de Tolkien à ses fils attestent un cheminement religieux qui s’inscrit dans un mouvement d’ensemble, caractéristique de la période 1940-1950 : la crise issue de la Guerre et de ses atrocités le conduit, comme beaucoup d’autres, à désespérer du monde présent et à se retourner, par désenchantement, vers l’attente d’un avènement ou d’une chute eschatologique. Dès 1945, les critiques littéraires, sensibles à son abattement devant la conflagration mondiale, ont établi une relation entre l’esthétisme du Seigneur des Anneaux et le renouveau eschatologique européen. »

Difficile de faire la liste de tout ce qui me gêne dans ce seul paragraphe :
- le parallèle entre « cheminement religieux » et « désenchantement » ;
- d’autant que si « désenchantement » il y a chez Tolkien, il s'est opéré bien plus tôt, à la mort de sa mère, voire au cours de la Grande guerre ;
- « un avènement ou une chute eschatologique » : au-delà du fait que je ne vois pas bien ce que cela veut dire (quel avènement, quelle chute ?), l’Histoire considérée comme la poursuite de « la Chute jusqu’à son terme ultime » ou la croyance dans le Millénium, « ce règne des Saints pendant mille ans tel qu’il est annoncé » (L96, Letters, p. 110) font de Tolkien un homme qui témoigne de sa foi (Ap 20, 4 ; 22, 11) sans qu’il soit besoin de convoquer un quelconque désenchantement (ou bien, plus loin, d’assimiler le projet du SdA à de la « propagande »).

La suite est encore plus problématique :

« D’autres réserves idéologiques, plus factuelles, et antérieures à la déclaration de guerre, peuvent exister : la Ligue Distributiste, mouvement catholique créée par G.K. Chesterton et Hilaire Belloc, hostile au nazisme mais fascinée par le fascisme de Mussolini, promeut Le Seigneur des Anneaux, y compris lorsqu’à partir de 1936, le mouvement évolue vers un soutien plus affirmé à la politique allemande. La Chesterton Review, issue de ce mouvement, milite pour une lecture catholique allégorisante du roman. »

Je ne comprends pas non plus cette phrase.
- Qu’il y ait eu des distributistes anglais titillés par le fascisme italien, c’est un fait, mais il aurait été juste de préciser que le durcissement de la Ligue s’opère après la mort de Chesterton (1936) lequel, perpétuel adversaire de la politique allemande, quoiqu’ayant pu manifester son empathie pour Mussolini à l'époque de la signature des accords de Latran avec le Vatican, de retour de son voyage en Italie, se déclarerait toutefois « indépendant du drapeau rouge du communisme ou du drapeau noir de l’enrégimentement fasciste » (The Resurrection of Rome, 1930) — ce qui n’est pas sans rappeler une autre formule, de Tolkien cette fois, qui rejetait quinze ans plus tard « le Socialisme dans l’une ou l’autre de ses formes qui s’affrontent actuellement » (L96, 1945).
- Je ne vois pas non plus comment une Ligue démantelée en 1940 peut promouvoir un livre paru en 1954…
(Certes une Distributist Association réapparaît en 1947 mais pour disparaître en 1954... Certes un journal prend la suite, The Defendant puis The Distributist entre 1954 et 1958, mais je serais très curieux de connaître les numéros qui auraient fait la promotion du SdA...)
- Je ne vois pas non plus comment enchaîner sur la Chesterton Review fondée en 1974, destinée comme son nom l’indique à l’œuvre de Chesteron et non à la frange extrémiste d’une Ligue disparue depuis plus de 30 ans, et qui par ailleurs a publié en février 1999 un numéro qui affrontait les égarements de la Ligue et de certains Catholiques dans les années 30.
Rq : pour une courte mais dense synthèse des liens et des différences entre Tolkien et Chesterton, cf. Hammond & Scull,  THe JRR Tolkien Comppanion and Guyide, Reader's Guide, p. 158-160. Pour approfondir, Alison Milbank, Chesterton and Tolkien as theologians, T&T Clark, 2009.

« Mais lorsqu’il crée le club des Inklings et qu’il convertit C.S. Lewis au catholicisme, il élit domicile dans un pub. »

??? deux erreurs dans une même phrase. Les Inklings n’ont été créés ni par Tolkien, ni même par Lewis (cf. L298, Letters, p. 388) et Lewis ne s’est jamais converti au catholicisme, comme l’a déjà relevé Elendil, sinon, les relations avec Tolkien auraient tournée bien différemment…
On a l’impression que Catherine Velay-Vallantin laisse son intuition (ou ses désirs) prendre le pas sur les faits :

« Car on ne vient pas à l’Eagle and child par hasard. […]. C’est là que Tolkien et Lewis ont créé les Inklings. »
« Tolkien découvre l’identité religieuse du pub et accepte de s’y rendre tous les mardis. C’est ainsi qu’est créé le club des Inklings »

Il est regrettable de n’avoir consulté que (très) partiellement les références pourtant données par C. Velay-Vallantin dans la bibliographie. Ainsi les Letters, mais aussi le livre de Carpenter :

« Its founder and organiser, like most of the members, was an undergraduate, Edward Tangye Lean […]. Tangye Lean named it “The Inklings” »

(The Inklings, p. 56-57)

A moins que le refus d’évoquer ce premier club des Inklings soit volontaire, puisque, en 1932-1933, les rencontres avaient lieu à l’University College, non pas au pub The Eagle and the Child. Le seconde club des Inklings pose autant de problème puisque après le départ de Tangye Lean pour le journalisme, c’est CS Lewis et lui seul qui récupère le nom des « Inklings » pour qualifier le « petit groupe d’amis, indéfini et ouvert, qui se réunissait [le jeudi soir, puis le lundi] autour de C.S.L. dans ses appartements de Magdalen [College] » (L298; voir aussi L199, p. 258).
Ce groupe se retrouve certes également au pub (le mardi vers midi), mais de manière bien plus informelle, et je doute que ce soit de la part de Tolkien à cause de son « identité religieuse ». George Sayer, dans sa biographie de CS Lewis, citant de larges extraits du journal de son frère (Warren), suggère des raisons bien différentes :

« This particular inn was chosen partly because of its small black room, but mainly because of the character of its landlord, Charles Blagrove, who had “endless stories of an Oxford […] in which it was not uncommon for undergrads to fight a landlord ,for a pint of beer […]”. »

(Jack, Chp. 13, Crossway Books, 1994, p. 253)

Tolkien lui-même confirme, dans une lettre écrite pendant la guerre :

« Mardi : cours et une brève rencontre, au Bird, avec les frères Lewis et Williams. À présent, ce pub est magnifiquement vide, sa bière est meilleure, et le patron rayonne de sourires de bienvenue ! Il allume un feu spécialement pour nous ! »

(L89, Letters, p. 102)

Mais il est clair que si le pub était un lieu de socialisation ou se retrouvait la « bande » (L79, p. 92) , il n’était pas pour autant le lieu qui constituait les Inklings en tant que club de littérature et d’écrivains. Tolkien confirme en évoquant « cette fête de l’esprit et de cet échange entre âmes » que pouvait représenter les rencontres dans les appartement de CS Lewis au Magdalen College (L89).

« là, au coin de la cheminée, on découvre la table de merisier, surmontée de l’Epée de Vérité, l’épée inspiratrice de C.S. Lewis »

L’Epée de Vérité (si elle existe !), a peu de chance d’avoir existé à l’époque des Inklings, et encore moins d’avoir inspiré CS Lewis qui n’en fait mention tout simplement nulle part -- à ma connaissance (connaissance certes limitée mais pas ridicule pour autant…). Je crois que l’auteur a trop regardé la série Inspecteur Lewis (Saison 3, épisode 1, « Allegory of Love »). Cette épée, invisible sur toutes les photos de la célèbre « Rabit room » où se réunissaient les Inklings, est présentée par contre dans l’épisode de l’Inspecteur Lewis comme un « prêt du Lovell College d’Oxford ». Ce qui me pose problème, c’est qu’il ne semble pas y avoir de Lovell College à Oxford…

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#8 21-02-2014 19:58

Hyarion
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Re : Tolkien et le conte de fées : enchantements et pouvoirs théologiques

Merci pour vos commentaires. :-)

J'avais aussi noté un certain nombre d'erreurs factuelles et d'approximations dès ma première lecture de cet article de Catherine Velay-Vallantin (à propos de la conversation de C. S. Lewis et de la formation des Inklings, notamment, mais pas seulement). Toutefois, sachant que d'autres ne manqueraient pas de relever ses erreurs et ses approximations, je me suis abstenu de les évoquer d'entrée, préférant privilégier l'esprit de partage et d'ouverture vers des approches venus d'horizons divers plutôt que la défense systématique de Tolkien sur fond de dichotomie « étoilés »/« carnassiers » (une étrange dichotomie dans laquelle je ne me reconnais pas et qui, pour tout vous dire, m'a toujours mis mal à l'aise ; il fallait bien que je l'avoue un jour ou l'autre)...

Elendil a écrit :

[...] j'aimerais mieux une preuve claire qu'une affirmation sans justification. Idem pour les pratiques religieuses de Tolkien, jamais clairement décrites dans les biographies que j'ai pu lire, surtout pour la période de l'entre-deux-guerres.

Il semble que l'auteur de l'article procède déductivement, en écrivant qu'à son avis, avant les années 1940, s'agissant de Tolkien, « jusque là, sa dévotion et ses pratiques religieuses étaient celles du catholicisme anglais des années 30 : adoration du Saint-Sacrement, culte marial, confession avant la communion. » Mais je ne vois pas trop en quoi cela constitue un problème : avons-nous toujours des sources précises pour prouver quelles sont très exactement les pratiques religieuses de telle ou telle personnalité ? Il ne me parait pas absurde d'essayer de procéder par déduction lorsque l'on sait seulement que la personne était croyante et pratiquante (fusse à des degrés divers selon les périodes quant à la pratique, comme Tolkien l'a d'ailleurs laissé clairement entendre dans sa correspondance, notamment dans la lettre 250 [1er nov. 1963] où il avoue à son fils Michael avoir fauté à ce propos dans les années 1920). Je ne suis pas un spécialiste des pratiques du catholicisme en Angleterre dans les années 1930, mais il ne me semble pas que l'on puisse préjuger de la qualité des éléments d'information généraux sur ce sujet de la part de l'auteur, qui certes aurait cependant pu employer le conditionnel pour nuancer son affirmation, faute de sources tolkieniennes précises a priori.

Elendil a écrit :

De la même manière, qui affirme donc que les auditeurs de Tolkien furent stupéfaits par les théories exposées dans sa conférence « Du conte de fées » ?

Là encore, l'auteur procède déductivement, me semble-t-il : elle suppose que Tolkien a prononcé sa conférence « devant un auditoire d'universitaires anglicans stupéfaits », en ayant à l'esprit que l'écrivain était, en tant que catholique, membre d'une minorité religieuse en Angleterre, et sachant qu'elle établie une relation entre l'évolution des convictions spirituelles de Tolkien et « le mouvement militant pour un christianisme eschatologique » déjà évoqué plus haut. Je pense que l'on ne peut pas, sur le principe, lui reprocher de supposer que le point de vue, jugé original, d'un catholique puisse éventuellement déconcerter un public anglican si le sujet du discours est propice à cela. Cependant... il se trouve que Tolkien a prononcé sa conférence à l'université de St Andrews, en Écosse, là où le christianisme est principalement représenté, depuis le XVIe siècle, par l'Église d'Écosse, qui est une église réformée presbytérienne et non anglicane, et sachant que le catholicisme n'a pas disparu du territoire avec la Réforme (Léon XIII a finalement rétabli la hiérarchie du culte en Écosse en 1878). Dès lors, on peut logiquement supposer que ce n'est pas devant un public majoritairement anglican que Tolkien a dû prononcer sa conférence. Mais bon, en étant objectif, il me semble que l'on peut comprendre le cheminement de pensée de l'auteur, malgré ses approximations.

Elendil a écrit :

Celui-ci [Tolkien] cherche-t-il d'ailleurs à « abuser » le lecteur comme l'écrit Velay-Vallantin ? Et à quel propos ?

Si tu fais allusion au troisième paragraphe de la dernière partie de l'article (« La pensée mythique et Dieu »), je ne pense pas que l'auteur ait explicitement écrit que Tolkien a cherché à « abuser » le lecteur. Lorsque Catherine Velay-Vallantin évoque la nature des Istari, elle émet l'hypothèse que les choses sont moins simples que le lecteur pourrait le penser à ce propos, et c'est dans ce contexte qu'elle écrit que « le lecteur se laisse facilement abuser » (elle aurait pu écrire plutôt « le lecteur peut se laisser facilement abuser ») par des éléments du récit tolkienien pouvant favoriser d'office une assimilation entre les Istari et les anges bibliques, et plus généralement une identification des personnages tolkieniens à des « figures christiques aux destins sacrificiels ». Je ne sais pas si l'analyse de Catherine Velay-Vallantin est forcément pertinente quand elle établie une possible relation entre les Istari et les devas du bouddhisme (si j'ai bien compris), dans la mesure où cela ne semble pas correspondre a priori aux inspirations directes de Tolkien (sauf erreur de ma part), mais après tout, pourquoi pas ? Son raisonnement n'est pas absurde en soi, en tout cas, de mon point de vue.

Ceci étant dit, l'auteur, un peu plus haut dans cette dernière partie de l'article, établie bien une relation entre Tolkien et une forme de christianisme eschatologique militant au point de considérer, comme tu l'écrit, que le Seigneur des Anneaux aurait été écrit dans un objectif de propagande religieuse. C'est sans doute exagéré, en effet. Cependant, la lecture de la lettre inédite de Tolkien à Rigby de 1965 dont il a été question dans un autre fuseau du présent forum, avec ce propos ironique de Tolkien concernant l'« enrobage de sucre » utilisé dans l'écriture de fiction pour faire passer une pilule théologique (si j'ose dire), peut interpeller sur la question de la dimension religieuse de l'œuvre. Je ne pense pas que les intentions de Tolkien aient été aussi loin que le pense Catherine Velay-Vallantin, mais peut-on exclure l'influence d'un contexte propre à une certaine époque, en l'occurrence ici celle des années 1940 évoquées par l'auteur de l'article, sur la philosophie et la spiritualité de Tolkien qui elles-mêmes ont influencé le façonnement de son œuvre ? Non, à mon avis, on ne peut pas l'exclure. Tolkien est un ancien combattant de la Grande Guerre, mais aussi un homme qui, vers le milieu du siècle dernier, semble sans illusion vis-à-vis du monde comme il va à cette époque, et Velay-Vallantin ne me parait pas avoir tort quand elle écrit que pour Tolkien, « la Libération et la victoire sur le nazisme et le fascisme s’accompagnent d’une regrettable laïcisation de la pensée ». Dès lors quel est, selon les époques, la part exacte de l'inconscient et du conscient dans les intentions, au-delà de ce qu'a écrit Tolkien lui-même dans la fameuse lettre 142, trop souvent (à mon sens) pris au pied de la lettre (si j'ose dire) ? Difficile de le dire, honnêtement. Il n'empêche que, pour ce qui est de se sentir « abusé », on pourra constater que c'est ce que le lecteur du Seigneur des Anneaux pourrait in fine ressentir en lisant la lettre à Rigby s'il n'a pas du tout saisi en amont la dimension théologique du livre lors de sa lecture. Il ne faudrait pas en être peiné, ni surpris, car il se peut que l'invocation a posteriori de l'Enchantement pour les uns signifient plutôt l'heure du désenchantement pour d'autres...

Elendil a écrit :

Bref, un article bien écrit, mais dont j'ai quand même l'impression qu'il ressort plus du genre romanesque que biographique...

L'auteur extrapole sans doute beaucoup sur certains points en effet, mais l'approche ne m'en parait pas moins intéressante, et comme tu l'as également écrit, l'auteur apparait souvent bien renseigné.

sosryko a écrit :

- Qu’il y ait eu des distributistes anglais titillés par le fascisme italien, c’est un fait, mais il aurait été juste de préciser que le durcissement de la Ligue s’opère après la mort de Chesterton (1936) lequel, perpétuel adversaire de la politique allemande, quoiqu’ayant pu manifester son empathie pour Mussolini à l'époque de la signature des accords de Latran avec le Vatican, de retour de son voyage en Italie, se déclarerait toutefois « indépendant du drapeau rouge du communisme ou du drapeau noir de l’enrégimentement fasciste » (The Resurrection of Rome, 1930) — ce qui n’est pas sans rappeler une autre formule, de Tolkien cette fois, qui rejetait quinze ans plus tard « le Socialisme dans l’une ou l’autre de ses formes qui s’affrontent actuellement » (L96, 1945).

Il aurait été tout aussi juste, cher Sosryko, de préciser que s'il y avait matière à rapprochement avec le formule employée par Tolkien dans la Lettre 96, cela soulignerait surtout la confusion totale qui était celle de Tolkien s'agissant du socialisme, et le fait que ledit Tolkien n'a vraisemblablement pas dû retenir grand-chose des idées politiques de William Morris, dont il a été brièvement question ailleurs sur le forum. La formule tolkienienne est en tout cas nettement moins claire que celle de Chesterton, et si elle doit être convoquée pour critiquer le propos de Catherine Velay-Vallantin, je me permets de souligner l'imprudence qu'il y aurait à prendre ici la parole de Tolkien (comme à d'autre occasions, sur d'autres sujets) comme parole d'Évangile (si j'ose dire) si l'on veut que les points soient correctement mis sur les « i » ainsi que les JRRVFiens tiennent généralement à le faire (ce fuseau est, à cet égard, un bon exemple parmi d'autres).
Je m'excuse de paraître peut-être un peu vif dans ma réaction, mais j'avoue que l'apparition de cette citation de la lettre 96 présentée sans explication m'a fait froncer les sourcils, et sans vouloir entrer dans une discussion politique, il me semble nécessaire de rappeler ici que le nazisme et le socialisme ne sont fondamentalement pas la même chose (n'en déplaisent peut-être à certains, hélas... :-( ...), et je me permets donc de renvoyer à un passage de l'article de Wikipédia consacré au nazisme dont le propos, abondamment sourcé, montre (s'il en était besoin) que Tolkien, sur ce chapitre, était complètement à côté des clous (son propos date de janvier 1945, mais je ne pense pas que son opinion ait fondamentalement changé par la suite) : http://fr.wikipedia.org/wiki/Nazisme#Socialisme
Quant à considérer, ainsi que l'a fait J. R. R. Tolkien, le totalitarisme stalinien comme l'incarnation d'un "Socialisme" avec un grand "S", on est là encore dans l'aberration complète, même en tenant compte du contexte historique, et quand bien même les dirigeants de l'URSS ont prétendu se réclamer de la pensée de Marx. Mais c'est un autre vaste sujet... On pourrait toujours argumenter sur le fait que Tolkien était de bonne foi pour le peu qu'il devait connaître de la question, mais cela ne rendrait pas son opinion à l'emporte-pièce moins aberrante.
Précisons qu'il ne s'agit pas pour moi de donner ici une leçon, mais de simplement rappeler certains faits vis-à-vis de certains propos de Tolkien dont on ne discute ici que fort rarement s'agissant de leur pertinence.

Peace and Love, néanmoins... ;-) ...et je renvoie à la première phrase du présent message. :-)

Amicalement,

Hyarion.

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#9 21-02-2014 20:34

sosryko
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Re : Tolkien et le conte de fées : enchantements et pouvoirs théologiques

Merci pour ton commentaire de nos commentaires.
S.
imprudent, et qui a "néanmoins" bien repéré le point sur le « i » .

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#10 21-02-2014 21:40

Elendil
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Re : Tolkien et le conte de fées : enchantements et pouvoirs théologiques

Hyarion a écrit :

préférant privilégier l'esprit de partage et d'ouverture vers des approches venus d'horizons divers plutôt que la défense systématique de Tolkien sur fond de dichotomie « étoilés »/« carnassiers » (une étrange dichotomie dans laquelle je ne me reconnais pas et qui, pour tout vous dire, m'a toujours mis mal à l'aise ; il fallait bien que je l'avoue un jour ou l'autre)...

Je te rejoins entièrement sur ce point, commençons par le souligner. smile

Hyarion a écrit :

Il semble que l'auteur de l'article procède déductivement, en écrivant qu'à son avis, avant les années 1940, s'agissant de Tolkien, « jusque là, sa dévotion et ses pratiques religieuses étaient celles du catholicisme anglais des années 30 : adoration du Saint-Sacrement, culte marial, confession avant la communion. » Mais je ne vois pas trop en quoi cela constitue un problème : avons-nous toujours des sources précises pour prouver quelles sont très exactement les pratiques religieuses de telle ou telle personnalité ?

C'est manifeste que l'auteur procède déductivement, mais on voit bien — entre autres avec la question du « catholicisme » de Lewis — que cette méthode est clairement fautive. Pour procéder légitimement de la sorte, en l'absence de source précise, il convient de faire une étude aussi exhaustive que possible du sujet. Ce n'est pas le cas ici. On a donc des rapprochements à grands traits, non justifiés et qui semblent témoignés d'aprioris de l'auteur plutôt que d'une vraie étude du sujet. Impossible de démêler le vrai du probable ou de l'erroné là-dedans, et c'est bien dommage, car ce sont des sujets intéressants, je trouve. Même chose pour ta remarque d'après.]

Hyarion a écrit :

Lorsque Catherine Velay-Vallantin évoque la nature des Istari, elle émet l'hypothèse que les choses sont moins simples que le lecteur pourrait le penser à ce propos, et c'est dans ce contexte qu'elle écrit que « le lecteur se laisse facilement abuser » (elle aurait pu écrire plutôt « le lecteur peut se laisser facilement abuser ») par des éléments du récit tolkienien pouvant favoriser d'office une assimilation entre les Istari et les anges bibliques, et plus généralement une identification des personnages tolkieniens à des « figures christiques aux destins sacrificiels ». Je ne sais pas si l'analyse de Catherine Velay-Vallantin est forcément pertinente quand elle établie une possible relation entre les Istari et les devas du bouddhisme (si j'ai bien compris), dans la mesure où cela ne semble pas correspondre a priori aux inspirations directes de Tolkien (sauf erreur de ma part), mais après tout, pourquoi pas ? Son raisonnement n'est pas absurde en soi, en tout cas, de mon point de vue.

Sur le rapprochement des devas bouddhistes et des Istari, c'est une excellente question. Je ne connais pas suffisamment le bouddhisme pour me prononcer, mais je présume qu'on doit bien trouver quelque part une étude un peu plus poussée sur le sujet. Sur l'abus, ta lecture est possible aussi, mais Velay-Vallantin semble partir du principe que Tolkien a volontairement écrit une apologie du christianisme en rédigeant le SdA, ce qui ne semble nullement être le cas. Si on observe chronologiquement les lettres de Tolkien sur le sujet, il est manifeste que cette lecture s'est imposée à Tolkien dans un deuxième temps, après la phase principale de rédaction du livre et a acquis encore plus de force après la parution de la deuxième édition du livre (d'où Tolkien supprime d'ailleurs quelques passages qu'il juge désormais dissonants, incidemment).

Hyarion a écrit :

Il aurait été tout aussi juste, cher Sosryko, de préciser que s'il y avait matière à rapprochement avec le formule employée par Tolkien dans la Lettre 96, cela soulignerait surtout la confusion totale qui était celle de Tolkien s'agissant du socialisme, et le fait que ledit Tolkien n'a vraisemblablement pas dû retenir grand-chose des idées politiques de William Morris, dont il a été brièvement question ailleurs sur le forum. [...] On pourrait toujours argumenter sur le fait que Tolkien était de bonne foi pour le peu qu'il devait connaître de la question, mais cela ne rendrait pas son opinion à l'emporte-pièce moins aberrante.

Que Tolkien ait mal connu le socialisme et l'ait intégralement rejeté sans examen détaillé, c'est probable. Qu'il se trompe en jugeant la théorie à l'aune de ses pratiques les plus détestables, fussent-elles détournées de la théorie originelle, voilà qui mériterait d'être débattu, quoi qu'en dise la Wikipédia française (l'analyse est passablement différente dans la version anglaise, ce qui ne me surprend guère). Nazisme et communisme rejoignaient clairement le socialisme sur le chapitre de la lutte contre le capitalisme et sur les aides à apporter à la classe ouvrière, quand bien même le reste n'avait pas grand chose à voir avec Fourier ou Jaurès. Il mérite aussi d'être souligné qu'à l'époque où Tolkien prononce cette phrase, Nazis et Staliniens constituent les deux principaux partis se réclamant (plus ou moins) du socialisme. Les travaillistes anglais ne sont pas encore de retour au pouvoir (et on peut supposer que Tolkien redoute cette éventualité). D'ailleurs, la formulation de Tolkien est-elle réellement plus caricaturale que les comparaisons (encore répétées de nos jours) entre conservatisme et pétainisme, entre libéralisme et néolibéralisme à l'américaine ou entre islam et islamisme ? Dans tous les cas, on reste dans le registre des bons contre les méchants, avec comme objectif masqué ou inconscient de diaboliser l'adversaire. Alors certes, je te rejoins sur le fait que ce passage des Lettres n'est sans doute pas à l'honneur de l'ouverture d'esprit de Tolkien, mais il convient aussi de ne pas condamner trop vite : notre époque n'est que trop prompte à faire ce qu'elle condamne parmi les exemples du passé.

Elendil,
qui se dit que sa minute philosophique est certainement trop sentencieuse, mais qu'il est trop fatigué pour la relire encore.

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#11 22-02-2014 01:07

Hyarion
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Re : Tolkien et le conte de fées : enchantements et pouvoirs théologiques

sosryko a écrit :

Merci pour ton commentaire de nos commentaires.
S.
imprudent, et qui a "néanmoins" bien repéré le point sur le « i » .

Je ne sais pas trop comment je dois le prendre... Peut-être aurai-je dû m'abstenir d'écrire mon précédent message, voire même tout simplement d'ouvrir ce fuseau sur ce forum ? Il se trouve qu'à chaque fois, j'ai beaucoup hésité, pour l'un et pour l'autre... Comme quoi, c'est peut-être surtout moi qui, dès le début, ait été imprudent...

Elendil a écrit :

Elendil,
qui se dit que sa minute philosophique est certainement trop sentencieuse, mais qu'il est trop fatigué pour la relire encore.

Effectivement, c'est peut-être un poil trop sentencieux, mais je suis moi-même également trop fatigué pour argumenter à l'heure qu'il est... ;-)

Bonne nuit à tous, :-)

Hyarion.

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#12 22-02-2014 03:18

Hisweloke
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Re : Tolkien et le conte de fées : enchantements et pouvoirs théologiques

"Ce que nous disons ne nous ressemble pas toujours" (le Livre de sable, J.L.B.)

Hyarion a écrit :

Peut-être aurai-je dû m'abstenir d'écrire mon précédent message, voire même tout simplement d'ouvrir ce fuseau sur ce forum ? Il se trouve qu'à chaque fois, j'ai beaucoup hésité, pour l'un et pour l'autre...

Par Crom, tu déniches un essai passé ici inaperçu et tu nous le fais partager : non dénué de qualités, non exempt de failles, il suscite réactions, échanges et controverses de forme et de fond -- peut-être le meilleur destin que puisse susciter un article, finalement. Chacun y projette ses flammes, les poils hérissés à l'épiderme, rien de mal à cela -- non dénués de qualités, non exempts de failles, n'est-ce pas le lot des mots -- à la fois trop nombreux et pourtant trop rares -- que les uns et les autres laissons ici ou là, en errance sur la toile ou couchés sur le papier, et n'est-ce pas leur valeur même ?

"Un livre peut être plein d'errata, nous pouvons ne pas être d'accord avec les opinions de son auteur, il garde pourtant quelque chose de sacré, de divin, non qu'on le respecte par superstition mais bien dans le désir d'y puiser du bonheur, d'y puiser de la sagesse" (le Livre comme mythe, J.L.B.)

Ho Drakôn, buvant aux sources de l'Hippocrène (devant de gros cartons juste reçus, emplis de livres)
"Il existe une heure de la soirée où la prairie va dire quelque chose ; elle ne le dit jamais ou peut-être le dit-elle infiniment et nous ne l’entendons pas, ou nous l’entendons, mais ce quelque chose est intraduisible comme une musique…" ("La fin", in Fictions, J.L.B.)

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#13 22-02-2014 08:24

Elendil
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Re : Tolkien et le conte de fées : enchantements et pouvoirs théologiques

Non exempt de malice, le dragon parle ici avec la voix de la sagesse : je n'aurais pu le dire moitié aussi bien que lui.

Elendil
qui procéderait volontiers à un échange de livres, puisqu'il détient toujours deux magazines destinés audit dragon. smile

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#14 22-02-2014 18:37

jean
Inscription : 2002
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Re : Tolkien et le conte de fées : enchantements et pouvoirs théologiques

Lorsque j’ai lu l’article en diagonale jeudi ma première réaction avait été de me dire « chic un article qui semble intéressant ». Lorsque je l’ai lu avec attention ce matin, j’ai été plutôt déçu. Je m’apprêtais à faire une critique détaillée mais avant j’ai eu la présence d’esprit de regarder ce qui avait déjà été écrit avant moi. Je dois dire que je suis impressionné. Je ne sais pas comment vous faites pour trouver le temps en trois jours pour lire l’article puis rédiger et taper des posts aussi longs et fouillés. Moi en semaine je ne trouve pas cette disponibilité.

Je ne rajouterai rien à ce qui a été dit ci-dessus. Disons que je partage l’essentiel des remarques faites par Elendil et Sosryko. Des pistes intéressantes mais beaucoup trop d’approximations ou d’affirmations gratuites qui nuisent à la crédibilité.

Hyarion> tu dis avoir hésité à ouvrir ce fuseau, mais je pense que tu as eu bien raison, même si l’article me semble décevant après lecture, c’est toujours un plaisir de découvrir quelque chose de  nouveau et un nouvel auteur sur Tolkien. Si cela soulève des discussions où même des polémiques et bien presque tant mieux. Il ne faudrait pas que JRRV devienne un repère d’érudits poussiéreux s’autocongratulant sur des thèses qui seraient entièrement consensuelles. Ce serait profondément ennuyeux. Enfin on peut contester et critiquer les posts de certains participants tout en éprouvant un réel respect voire une réelle amitié pour leur auteur. Ne prends donc pas les remarques qui sont parfois faites trop à titre personnel

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#15 22-02-2014 19:15

ISENGAR
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Messages : 4 968

Re : Tolkien et le conte de fées : enchantements et pouvoirs théologiques

Je rejoins Jean dans ses dernières remarques (et je lui fais entièrement confiance pour ses premières, n'ayant pas lu l'article avec autant d'attention), et je remarque que c'est souvent le Hyarion d'après-minuit qui doute et qui s'inquiète : par Crom, il faut arrêter d'avoir peur du noir, camarade smile

En tout cas, merci pour la découverte de cet article. Du coup je vais le relire avec plus d'attention pour mieux saisir de quoi qu'on parle smile

I.

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#16 24-02-2014 22:54

Aglarond
Inscription : 2005
Messages : 257

Re : Tolkien et le conte de fées : enchantements et pouvoirs théologiques

J'ai enfin lu (puis relu en diagonale) cet essai, et je dois dire que même si ma fâcheuse première impression est cette fois plus nuancée, je suis toujours aussi perplexe.
Au final, je ne suis guère capable d'identifier une idée forte de cet article. Il y a quelques points marquants, comme celui portant sur la littérature de jeunesse ou l'auditoire des contes prétendument pour enfants ; mais au final je ne vois pas où veut en venir l'auteur. Je suis un peu étonné que la notion de sub-création ne soit pas abordée, ou si rapidement, tellement c'est une idée forte de la vision du Conte par Tolkien, et tellement elle serait dans le cadre de cet essai. En fait j'ai le sentiment que Mme Velay-Vallentin ne va pas au bout de ses idées. L'histoire sur le pub est intéressante, mais c'est une digression bien longue au regard de cet essai. De même, la partie sur les Istari s'insère difficilement dans le propos général, ce me semble.
Et surtout, mon principal étonnement est lié à cette eschatologie mise à toutes les sauces (christianisme eschatologique, renouveau eschatologique, avènement eschatologique, conte eschatologique...) mais que j'ai bien du mal à repérer. Car enfin, où parle-t-on de fin des temps dans ce propos ? Quel rapport avec le sens du conte ou le médiévalisme de l'oeuvre ? A cet égard, les premières phrases de la section "Conte eschatologique" me paraissent particulièrement absconses, d'autant que l'auteur embraye directement sur un autre sujet. Ou alors, c'est moi qui ne comprend rien.
Bref, des pistes de réflexion intéressantes mais un ensemble bien mal ficelé et fort décevant, je trouve.
Mais ce n'est que mon humble avis. wink

Amicalement,
A.

PS : compte-rendu de lecture tout aussi mal ficelé, je trouve, mais je suis encore bien loin de pouvoir prétendre à des retours aussi étayés que les intervenants précédents !

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#17 26-02-2014 01:07

Hyarion
Inscription : 2004
Messages : 2 375

Re : Tolkien et le conte de fées : enchantements et pouvoirs théologiques

Hisweloke a écrit :

Par Crom, tu déniches un essai passé ici inaperçu et tu nous le fais partager : non dénué de qualités, non exempt de failles, il suscite réactions, échanges et controverses de forme et de fond -- peut-être le meilleur destin que puisse susciter un article, finalement. Chacun y projette ses flammes, les poils hérissés à l'épiderme, rien de mal à cela -- non dénués de qualités, non exempts de failles, n'est-ce pas le lot des mots -- à la fois trop nombreux et pourtant trop rares -- que les uns et les autres laissons ici ou là, en errance sur la toile ou couchés sur le papier, et n'est-ce pas leur valeur même ?

Merci beaucoup, cher Didier, pour ton amicale intervention borgesienne, que j'ai pris plaisir à découvrir l'autre nuit... :-)

jean a écrit :

Hyarion> tu dis avoir hésité à ouvrir ce fuseau, mais je pense que tu as eu bien raison, même si l’article me semble décevant après lecture, c’est toujours un plaisir de découvrir quelque chose de  nouveau et un nouvel auteur sur Tolkien. Si cela soulève des discussions où même des polémiques et bien presque tant mieux. Il ne faudrait pas que JRRV devienne un repère d’érudits poussiéreux s’autocongratulant sur des thèses qui seraient entièrement consensuelles. Ce serait profondément ennuyeux. Enfin on peut contester et critiquer les posts de certains participants tout en éprouvant un réel respect voire une réelle amitié pour leur auteur. Ne prends donc pas les remarques qui sont parfois faites trop à titre personnel

Merci pour ton message, Jean. :-) Je partage assurément ton point de vue concernant l'ennui profond qui nous ne manquerait pas de nous guetter s'il n'était question ici que d'auto-congratulations et d'analyses consensuelles. Sosryko m'a paru sur le moment être un brin vexé par ma remarque, et le caractère un brin laconique, voire lapidaire, de son dernier message m'a également interpellé (je me suis demandé si l'on me reprochait d'avoir réagi aux commentaires sur l'article que j'ai signalé), mais je me suis peut-être, une fois de plus, inquiété pour pas grand-chose...

ISENGAR a écrit :

Je rejoins Jean dans ses dernières remarques (et je lui fais entièrement confiance pour ses premières, n'ayant pas lu l'article avec autant d'attention), et je remarque que c'est souvent le Hyarion d'après-minuit qui doute et qui s'inquiète : par Crom, il faut arrêter d'avoir peur du noir, camarade smile

Je n'ai pas peur du noir, cher JR, rassure-toi. :-) Ce serait d'ailleurs un comble si c'était le cas, par Crom, dans la mesure où je m'habille souvent de cette couleur et que j'ai tendance à être ce que l'on appelle un oiseau de nuit ! ;-) C'est d'ailleurs parce que je veille souvent tard durant la nuit que cette dernière est souvent propice, me concernant, à la réflexion... et donc parfois aux doutes (ces doutes qui font bien souvent davantage réfléchir que les certitudes)... Il faut sans doute que je continue à essayer de moins m'inquiéter vis-à-vis de certaines choses. :-)

Aglarond a écrit :

J'ai enfin lu (puis relu en diagonale) cet essai, et je dois dire que même si ma fâcheuse première impression est cette fois plus nuancée, je suis toujours aussi perplexe.
Au final, je ne suis guère capable d'identifier une idée forte de cet article. [...]
Et surtout, mon principal étonnement est lié à cette eschatologie mise à toutes les sauces (christianisme eschatologique, renouveau eschatologique, avènement eschatologique, conte eschatologique...) mais que j'ai bien du mal à repérer. Car enfin, où parle-t-on de fin des temps dans ce propos ?

Je suppose que Catherine Velay-Vallantin considère l'eschatologie comme un élément fondamental de la théologie chrétienne dont la place jugé prépondérante dans certains milieux catholiques à l'époque où Tolkien a prononcé sa conférence « Du conte de fées » et a écrit le Seigneur des Anneaux, a pu influencer la démarche littéraire de l'écrivain de la manière qu'elle décrit. Son hypothèse est-elle infondée ? Je ne saurai l'affirmer, n'étant pas un expert en histoire des idées religieuses, mais c'est cette hypothèse qui, en tout cas, semble être sa thèse, à la lumière des lectures que Velay-Vallantin mentionne en bibliographie à la fin de son article.

Revenons à présent à la minute philosophique d'Elendil...

Elendil a écrit :

Que Tolkien ait mal connu le socialisme et l'ait intégralement rejeté sans examen détaillé, c'est probable.

Oui, probable, c'est le moins que l'on puisse dire ! Dans ce contexte, ses propos sur le socialisme me paraissent n'avoir qu'une portée pour le moins limitée, dans la mesure où il ne connaissait manifestement pas grand-chose à ce sujet à l'époque où il s'est exprimé dessus.

Elendil a écrit :

Qu'il se trompe en jugeant la théorie à l'aune de ses pratiques les plus détestables, fussent-elles détournées de la théorie originelle, voilà qui mériterait d'être débattu, quoi qu'en dise la Wikipédia française (l'analyse est passablement différente dans la version anglaise, ce qui ne me surprend guère).

Une analyse passablement différente entre les versions anglaise et française de l'article de Wikipedia consacré au nazisme ? Je suis curieux de savoir sur quels points selon toi. Je n'ai pas noté, pour ma part de divergences majeures et s'il s'agissait de critiquer les sources de l'article de la Wikipedia francophone, lesdites sources me paraissent tout aussi sérieuses que celle de l'article de la Wikipedia anglophone.

Elendil a écrit :

Nazisme et communisme rejoignaient clairement le socialisme sur le chapitre de la lutte contre le capitalisme et sur les aides à apporter à la classe ouvrière, quand bien même le reste n'avait pas grand chose à voir avec Fourier ou Jaurès.

Pas grand-chose à voir avec Fourier ou Jaurès, écris-tu... J'avoue que je trouve ton propos bien relativiste... S'agissant du nazisme, ce que tu appelles « le reste » — et qui pour moi est l'essentiel s'agissant de cette idéologie à la fois nationaliste, raciste et antisémite — n'avait strictement rien à voir avec le socialisme de Fourier ou celui de Jaurès.

D'ailleurs, de quoi parle-t-on quand on parle de socialisme ? Mon point de vue sur le sujet rejoint la définition du socialisme donné par Alexis Dalem dans un article culturel dédié au sujet dans le Dictionnaire culturel de langue française dirigé par Alain Rey :

En un sens étroit, c'est une idéologie politique, apparue au début du XIXe siècle, visant l'abolition de la propriété privée et l'appropriation des moyens de production par la société dans son ensemble. Au sens plus large employé aujourd'hui, le socialisme a pour objectif, à des degrés divers, l'instauration d'une société où les inégalités sont réduites, où les forces du marché ne sont pas les seuls moyens de distribution de la richesse économique (s'opposant alors au capitalisme privé), et où la coopération et la solidarité se développent.
(Cf. REY, Alain, dir., Dictionnaire culturel de langue française, Dictionnaires Le Robert - SEJER, 2005, tome IV, article culturel « Socialisme », p. 825)

Sans vouloir entrer dans les détails, pour ce qui est des origines théoriques du socialisme dans son sens historique précis, il y a eu d'abord le temps du socialisme utopique, celui de Saint-Simon et de Fourier notamment, puis ensuite le temps du socialisme internationaliste théorisé comme une nécessité scientifique, celui de Marx et Engels (concernant William Morris, ses idées me paraissent d'ailleurs se situer, en quelque sorte, un peu au confluent de ces deux temps du socialisme : bien que lecteur du Capital de Marx [en français] et représentant de la Socialist League au Congrès fondateur de la IIe Internationale, il semble que Morris ait été plutôt considéré comme un « rêveur » par Engels). Sur le plan philosophique et historique, telle est donc la place du socialisme dans l'histoire des idées, et je ne connais pas de thèse allant à contre-courant de ce fait. Et pour autant que je sache, le nazisme n'a jamais eu vocation à « rejoindre » le socialisme, hormis en s'emparant de certaines questions de société pour son propre intérêt, ce qui ne me parait pas valoir adhésion à une famille de pensée, en l'occurrence ici celle du socialisme.

Quant à ce que tu appelles le communisme, il y aurait beaucoup à dire. Sans être moi-même communiste, je pense que le communisme est un concept qui dépasse le seul cadre de ce que l'on appelle par convention les États, régimes, pays, et systèmes politiques dits communistes, lesquels incarnent à des degrés divers des dévoiements vis-à-vis de la théorie originelle de Marx. Il me parait donc important de distinguer la théorie originelle et les réalités politiques et sociales se revendiquant de cette théorie. Si l'on s'en tient à la théorie, que le communisme rejoignent le socialisme sur un certain nombre de points de base, c'est une évidence, dans la mesure où le communisme est historiquement issu de la famille de pensée socialiste avant de clairement s'en distinguer à partir des évènements de 1917 en Russie.

S'agissant du nazisme, c'est une autre histoire. S'il existe un lien de parenté originel entre socialisme et communisme, il n'en est pas du tout de même pour le nazisme. Le national-socialisme allemand est un mouvement politique qui a revendiqué le terme « socialisme » pour en faire quelque-chose à sa sauce qui n'avait rien à voir avec le socialisme moderne (internationaliste d'inspiration marxiste) qui lui était contemporain (je ne suis même pas sûr que l'on puisse établir un véritable rapport entre nazisme et socialisme « primitif », tant l'idéologie nazie se caractérise surtout par son grand flou, en dehors du racisme et du nationalisme).

Revenons un peu en arrière, si tu veux bien. En mars 1918, fut constitué à Brême un Comité « pour une juste paix allemande », d'inspiration nationaliste, dont la filiale à Munich était dirigée par un ouvrier bavarois nommé Anton Drexler. Juste après la fin de la Grande Guerre, en 1919, Drexler, toujours à Munich, fonda le « Parti ouvrier allemand » qui, en 1921, devint le « Parti ouvrier allemand national-socialiste » ou « Parti national-socialiste des travailleurs allemands », le NSDAP (Nationalsozialistische Deutsche Arbeiterpartei) que l'on a généralement appelé depuis le parti nazi. La formulation peut peut-être interpeller aujourd'hui, mais cela ne semblait guère être le cas en Allemagne au début de la République de Weimar, sans doute parce que le parti de Drexler n'avait alors rien d'atypique ni sur le fond ni sur la forme, au milieu de multiples groupuscules d'opposition nationalistes, racistes et antisémites, cherchant à susciter l'adhésion de tous les laissés pour compte des lendemains de la Grande Guerre, tout en se positionnant résolument contre le socialisme et le communisme marxistes. L'agitation de l'époque, et notamment la vague révolutionnaire sans précédent qui traversait alors l'Europe, avec de nombreuses insurrections communistes en Allemagne et même l'avènement d'une éphémère république des conseils de Bavière en 1918-1919, me semblent expliciter le positionnement d'un parti comme le NSDAP, qui ne se voulait pas un parti bourgeois, mais qui ne prétendait pas non plus être un parti prolétarien marxiste, et cherchait donc à se distinguer, quitte à faire feu de tout bois pour attirer le plus grand monde, y compris en reprenant à son compte le mot « socialisme », associé au nationalisme pour forger le nom du parti, mêlant l'idée (générale) de révolution sociale avec celle de la nation vénérée par dessus tout. Le NSDAP n'était assurément pas seul sur ce créneau. En ce temps-là, il existait aussi, entre autres, un « Parti socialiste-allemand », dans lequel a notamment milité Julius Streicher à Nuremberg, et qui a finalement fusionné avec le NSDAP à ses débuts. Et on pourrait en citer d'autres... Ces partis étaient tous, fondamentalement, des partis nationalistes ou ultra-nationalistes, et ne revendiquaient pas une autre identité, et a fortiori certainement pas une identité internationaliste et universaliste comme le socialisme moderne ou le communisme. S'agissant du NSDAP, Drexler s'est bien réclamé sur le fond d'une sorte de « socialisme germanique » opposé d'emblée au marxisme, mais il ne l'a jamais clairement défini. Derrière l'utilisation du mot « socialisme », il y avait essentiellement la volonté de tenter de gagner la classe ouvrière à la cause du nationalisme, au détriment du marxisme. Pour reprendre la formule du professeur germaniste Claude David, « le "socialisme" de ces partis n'était donc pas même un trompe-l'œil ; ils ne voulaient pas se faire prendre pour des partis de gauche ; ils proclamaient, au contraire, hautement leur tendance. » (Cf. DAVID, Claude, Hitler et le nazisme, PUF, 1979, première partie, chapitre premier, p.8)

Adhérent dès 1919 au parti fondé par Drexler, et ayant pris rapidement le contrôle du NSDAP dès 1921, Adolf Hitler a ainsi pu lui-même revendiquer le mot « socialisme » dans ses discours, mais il l'a fait avec la volonté sans équivoque de redéfinir le mot pour en faire quelque-chose de spécifique à son idéologie raciste et nationaliste sans tenir compte du socialisme tel qu'il s'était développé, sous diverses formes, depuis le début du XIXe siècle, Hitler et ses partisans considérant d'ailleurs très clairement les socialistes comme faisant partie de leurs ennemis politiques. Phénomène spécifiquement allemand, inscrit dans une démarche nationaliste et raciste, le nazisme ne peut pas, à mon sens, être considéré comme un courant devant être inséré dans la famille de pensée socialiste, le mot « socialisme » employé dans « national-socialisme » comptant bien moins en soi que le mot « national », au-delà d'un supposé intérêt commun pour certains sujets (mais à partir de réflexions philosophiques très éloignées), sujets qui ne suffisent pas à eux seuls à établir une parenté. Du reste, critiquer le capitalisme ne fait pas automatiquement de vous un socialiste ou un nazi. Même chose pour ce qui est de se soucier des intérêts de la classe ouvrière.

De façon générale, on aurait tort d'accorder une importance excessive au programme national-socialiste, dans la mesure il n'y a jamais eu véritablement de doctrine derrière. Le parti nazi a été avant tout un mouvement opportuniste, soucieux de susciter l'adhésion des masses en s'adaptant à la conjoncture du moment et en n'ayant au final qu'un seul véritable dogme : le racisme, destiné à servir d'appui à ses ambitions nationalistes. C'est à cette aune qu'il faut appréhender, par exemple, la rhétorique de Joseph Goebbels qui, peu de temps avant l'arrivée des nazis au pouvoir en Allemagne, ventait hautement les mérites d'un « vrai socialisme » ne pouvant exister qu'à travers l'idéal nationaliste et racial promu par Hitler. Tel est en tout cas mon avis, même si je ne suis pas un spécialiste de l'histoire allemande ou du socialisme, et que la nature à la fois complexe et singulière du nazisme fait qu'il peut toujours faire, aujourd'hui comme hier, l'objet de débats et d'interprétations diverses quant à sa nature.

Elendil a écrit :

Il mérite aussi d'être souligné qu'à l'époque où Tolkien prononce cette phrase, Nazis et Staliniens constituent les deux principaux partis se réclamant (plus ou moins) du socialisme.

C'est là tout le paradoxe d'un homme, J. R. R. Tolkien, que l'on sait avoir été plus qu'attentif à l'histoire et au sens des mots, et qui pourtant n'a vraisemblablement pas cherché à y voir plus clair que cela vis-vis de l'histoire et de la définition du mot « socialisme ». En janvier 1945, le NSDAP est encore le parti unique d'un IIIe Reich vivant ses derniers mois d'existence. Même position dominante et sans partage pour le KPSS (PCUS, Parti communiste de l'Union soviétique) en URSS, avec cependant encore 46 années d'existence devant lui pour sa part. Chacun de ces partis revendique nominalement le terme « socialisme » en n'y mettant pas vraiment les mêmes choses dedans, et surtout sans que les politiques de ces États puissent être sérieusement être décrites comme étant fidèles à la philosophie socialiste issue du XIXe siècle. Tolkien a choisi de mettre Hitler et Staline dans un même sac fourre-tout nommé abusivement par lui « Socialisme ». Il se trouve que le même Tolkien s'est plaint qu'Hitler avait ruiné, perverti et détourné « l'idéal "germanique" », « ce noble esprit du Nord, contribution suprême à l'Europe » (Lettre 45, 9 juin 1941). Or, on pourrait tout autant dès lors se plaindre d'Hitler (et de Staline) s'agissant du socialisme et de la vaste famille de pensée qui y est historiquement associée.

À la décharge de Tolkien, celui-ci n'a certes pas été le seul, en son temps, à refuser de faire la part des choses entre des idéologies pourtant clairement distinctes. Conservateurs, libéraux, chrétiens : nombreux ont été ceux, en Occident, qui ont perçu uniformément communisme et nazisme (en y ajoutant le fascisme italien) comme étant un seul ensemble relevant de ce que l'on appelle le totalitarisme. Ces témoins de l'époque, sans chercher à y voir de plus près, ont pu d'ailleurs croire leur point de vue conforté au moment de la signature du pacte germano-soviétique (appelé satiriquement « pacte coco-naze » par une de mes connaissances marxistes) en août 1939. L'amalgame sans nuance, qui a été celui de ces témoins du temps, qui a été celui de Tolkien, était-il pour autant justifié ? À mon avis, non. Le régime de l'URSS était un régime totalitaire, mais cela n'en fait pas pour autant ni l'exact équivalent du IIIe Reich, ni forcément quelque-chose qui serait « pire que le nazisme », contrairement à ce que prétendent certaines personnes encore aujourd'hui. Les essais de comparaisons Hitler/Staline existent depuis longtemps, et sans vouloir me lancer dans un énième débat sur la question, n'en déplaisent à certains anticommunistes parfois trop prompts à relativiser de facto les crimes nazis, le nazisme demeure littéralement incomparable en matière d'inhumanité comme d'irrationalité et il n'a, du reste, rien à envier au stalinisme (ou au maoïsme) en matière de meurtre de masse. De toute façon, au royaume des réalités, entre la peste et le choléra, entre terreur hitlérienne et terreur stalinienne (pourtant de natures très différentes, comme l'a bien analysé Ian Kershaw), il n'y a pas de choix moins pire que l'autre, mais il est cependant toujours utile de connaitre les différences entre les calamités. Critiquer et dénoncer les dictatures et les criminels qui sont à leur tête, c'est très bien, mais savoir sortir du manichéisme le plus brut et le plus irréfléchi pour tenir compte de la singularité des situations, au regard de l'histoire, n'est pas non plus une mauvaise chose, chacun devrait pouvoir en convenir. Pour ne m'en tenir toutefois qu'à des considérations théoriques générales, le fait est qu'il y a une différence nette entre l'idéologie du communisme issu de la famille de pensée du socialisme, et l'idéologie du nazisme. Le communisme renvoie à une aspiration de révolution sociale menée au nom d'une idéologie universaliste, rationaliste et matérialiste, tandis que le nazisme renvoie à une aspiration de révolution politique appuyée sur des élites conservatrices et sur une idéologie nationaliste basée sur l'exaltation de l'instinct et de la race, l'idéologie nazie se montrant ainsi à l'évidence très éloignée de la famille de pensée du socialisme.

Ainsi, lorsque J. R. R. Tolkien parle de « Socialisme » avec un grand « S » pour désigner uniformément le nazisme et le communisme dévoyé en stalinisme, il commet une erreur d'interprétation, au-delà même d'une question d'ouverture d'esprit, et même s'il convient naturellement de tenir compte du contexte de l'époque. Voila pourquoi, in fine, il me parait problématique de citer cette formule sans la discuter, comme si le propos était censé faire consensus, ce qui ne peut pas être le cas.

Les discussions politiques n'ont pas leur place ici, comme je l'ai appris moi-même, plutôt à mes dépends, même si j'étais de bonne foi, il y a déjà plusieurs années. Mais il est difficile de toujours prétendre rester neutre à travers ses écrits. Sur le forum de JRRVF, comme ailleurs, il nous arrive, parfois, aux uns et aux autres, de laisser deviner quelles sont nos convictions, qu'elles soient philosophiques, religieuses, politiques. Quand j'écris sur un fuseau JRRVFien que les idées socialistes de William Morris m'intéressent, on peut supposer de ma part une certaine proximité avec ces idées. Quand tu te laisses aller (pas très innocemment, avoue-le) à indiquer un lien vers un « petit article d'actualité » publié dans un journal très orienté à droite sur un fuseau du forum de Tolkiendil (fusse pour signaler un des très rares articles de ce journal non connotés politiquement), on peut supposer de ta part une certaine proximité avec la tendance politique de ce journal dont je ne partage pas du tout l'orientation idéologique pour ma part, comme on peut s'en douter. On pourrait évidemment citer d'autres exemples apparaissant sur ce forum, qu'il s'agisse de nous (notamment concernant certains échanges de mai 2012 [en mode plus ou moins subliminal] et de novembre 2013 [en mode nettement moins subliminal]) ou qu'il s'agisse d'autres intervenants, passés et présents, notamment en ce qui concerne la foi religieuse, qui par la force des choses transparait régulièrement dans certains propos consacrés à la dimension spirituelle, et plus particulièrement chrétienne catholique, de l'œuvre de Tolkien.

Personnellement, je m'efforce toujours de faire la part des choses, et d'adapter mes capacités de compréhension du propos d'autrui en fonction des parti-pris et grilles de lecture qui peuvent être les siens. Comme nous sommes sur un forum assez exigeant sur le plan intellectuel (ce qui est loin d'être le cas partout sur la Toile, où les espaces de discussion servant de défouloirs "politiques" au ras des pâquerettes sont légions), j'essaie d'avoir une attitude en conformité avec cette exigence, sans pour autant sacrifier ma liberté d'expression. Or, il arrive parfois que l'on soit un peu à la croisée des chemins, si j'ose dire. Ainsi, Elendil, ce que tu écrit sur le nazisme à propos du fait qu'il se serait selon toi réclamé plus ou moins du socialisme, m'a fait me rappeler de certaines choses que j'ai connu.

Pour être plus précis, il m'est régulièrement arrivé d'entendre, dans le cadre de discussions politiques, des personnes, engagées et/ou votant généralement plutôt à droite, déclarer en se croyant sans doute malins que dans « national-socialisme » il y a « socialisme »... C'est un de ces « arguments » simplistes, disons « tarte à la crème », que l'on ressort à chaque fois que l'on espère ainsi plus ou moins clouer le bec à un contradicteur engagé et/ou votant plutôt à gauche. Bref, de mon point de vue, c'est le niveau zéro de l'argumentation, quand bien même certaines personnes ont eu la prétention, à partir de cet « argument », de prouver une identité socialiste du nazisme par l'analyse, mais sans pour autant convaincre, faute de rigueur intellectuelle. On pourrait dire la même chose d'autres « arguments » simplistes, utilisés par les mêmes personnes engagées et/ou votant généralement plutôt à droite, dans un registre encore moins subtil... mais je n'en dirais pas plus car cela nous amènerait sans doute trop loin de Tolkien, dans le domaine des débats proprement politiques. Nous ne sommes pas ici sur ce terrain, bien entendu, et je pense que cela était étranger à tes intentions quand tu as écrit ton propos (à une heure assez tardive, qui plus est) mais je me permets de te faire part de mon ressenti en marge de la discussion de fond, simplement pour souligner que ce sujet, hélas, n'est pas pour moi une nouveauté dans un autre registre, même si je continue de formuler le vœu pieux que ce genre de « tartes à la crème » que je viens d'évoquer puisse disparaitre un jour de tout débat politique un peu sérieux (on peut toujours rêver). 

Elendil a écrit :

D'ailleurs, la formulation de Tolkien est-elle réellement plus caricaturale que les comparaisons (encore répétées de nos jours) entre conservatisme et pétainisme, entre libéralisme et néolibéralisme à l'américaine ou entre islam et islamisme ? Dans tous les cas, on reste dans le registre des bons contre les méchants, avec comme objectif masqué ou inconscient de diaboliser l'adversaire. Alors certes, je te rejoins sur le fait que ce passage des Lettres n'est sans doute pas à l'honneur de l'ouverture d'esprit de Tolkien, mais il convient aussi de ne pas condamner trop vite : notre époque n'est que trop prompte à faire ce qu'elle condamne parmi les exemples du passé.

J'ai précisément évoqué plus haut au moins un exemple encore actuel — parmi bien d'autres — de cet objectif de diabolisation du contradicteur quand il vient de gens de sensibilité plutôt de droite. On peut évidemment en citer d'autres dans l'autre sens, comme tu le fais, ainsi que sur d'autres sujets dépassant les clivages politiques traditionnels, ce que tu as fait également (l'amalgame islam/islamisme est effectivement, à cet égard, un bon exemple).

Ceci dit, si je me permets de relever le caractère problématique du propos de Tolkien en question, c'est que le sujet concerné ne me parait pas anecdotique, et que sacraliser la parole d'un écrivain que l'on aime bien et que l'on citerait toujours sans sourciller ne me parait pas être la meilleure option si l'on veut faire la part des choses. Du reste, ce propos n'est pas isolé. Même si Tolkien ne semble pas avoir nourri une grande passion pour la politique, il s'y est tout de même intéressé à certains moments, et ses prises de position me paraissent devoir pouvoir faire l'objet de critiques, notamment s'agissant de la méconnaissance qu'a pu avoir Tolkien de certains sujets (il a été ici question du socialisme, mais dans le même registre, il pourrait être aussi question de la guerre d'Espagne, par exemple : avec le recul, on peut légitimement se demander si Tolkien avait compris les enjeux de ce conflit, compte tenu ce qu'il a écrit à ce sujet). Quand je parle de critiques, il ne s'agit pas de faire des procès et de condamner, évidemment, mais simplement d'étudier les faits en étant prêt, le cas échéant, à devoir tirer des conclusions qui ne sont pas forcément à l'avantage de Tolkien. L'étude de cet écrivain doit pouvoir comporter autre chose que des analyses forcément bienveillantes, fusse derrière une apparente neutralité de ton selon les cas, sous prétexte que l'on aime bien l'œuvre de l'écrivain en question. C'est en tout cas dans cet esprit que j'ai écrit mon message du 21 février. :-)

Amicalement à tous, :-)

Hyarion... qui se dit qu'il va falloir arrêter un moment de pondre des pavés sur JRRVF pour se concentrer à nouveau sur des projets de publications pas encore terminés... :-p

(EDIT: correction de fautes et d'un lien hypertexte)

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#18 26-02-2014 07:02

Elendil
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Re : Tolkien et le conte de fées : enchantements et pouvoirs théologiques

Cher Hyarion,

Sur l'utilité de discuter des affirmations de Tolkien qu'on peut estimer contestables, je te rejoins absolument.

En ce qui concerne ton analyse historique, je suis d'accord avec toi, mais seulement en partie. Et pour ce qui est de la nécessité de distinguer théorie et mise en pratique (problème que tu évoques à propos du communisme), je suis là aussi d'accord, même si je préfère juger de la validité et de l'intérêt d'une doctrine à l'aune de ses résultats avérés plutôt qu'à la lumière d'une pure théorie qui n'aurait jamais été mise en pratique.

Je serais ravi de discuter de tous les sujets que tu évoques avec toi, mais comme nous sortons ici absolument du cadre « Tolkien et la littérature », je te propose de le faire en face-à-face, puisque nous avons la chance de ne pas être trop éloignés l'un de l'autre, ou à défaut par messages électroniques.

Amicalement,
Damien

PS : Mon propos ne se voulait nullement relativiste, comme tu sembles le craindre, mais d'une « sobriété hyperbolique », selon l'expression consacrée. Face à un monde politique qui manie l'enflure verbale avec la délicatesse du berserk odinique, seule la litote me paraît apte à communiquer sentiments et opinions en la matière.

PPS : Que vous soyez de droite ou de gauche, satisfaits ou non de la situation actuelle, je ne peux que vous engager à aller voter !

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#19 27-02-2014 12:24

Hyarion
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Re : Tolkien et le conte de fées : enchantements et pouvoirs théologiques

Elendil a écrit :

En ce qui concerne ton analyse historique, je suis d'accord avec toi, mais seulement en partie. Et pour ce qui est de la nécessité de distinguer théorie et mise en pratique (problème que tu évoques à propos du communisme), je suis là aussi d'accord, même si je préfère juger de la validité et de l'intérêt d'une doctrine à l'aune de ses résultats avérés plutôt qu'à la lumière d'une pure théorie qui n'aurait jamais été mise en pratique.

Je conçois naturellement que nos avis puissent différer, au moins en partie : j'aurai même été étonné du contraire. ;-)

J'ai pris le temps ici de développer certains éléments de réflexion historiques pour préciser le sens de ma remarque de l'autre jour sur le propos tenu par Tolkien en janvier 1945, mais je dois avouer que si je m'intéresse en général à toutes les périodes historiques, le XXe siècle est sans doute une des périodes qui m'intéressent le moins, sans doute parce que ce siècle génère encore, par la force des choses, trop de passions et trop de discours clivants à mon goût, avec en toile de fond une surmédiatisation si importante de cette époque que l'on en viendrait presque à se demander si, aux yeux de certains, l'histoire de l'humanité n'a pas commencé en 1914, en 1933 ou en 1939... La rédaction de mon précédent message a été l'occasion d'une piqûre de rappel : en me replongeant en amont dans des lectures passées, qui pour certaines remontent à bien des années, je me suis souvenu à quel point l'étude du XXe siècle et de ses totalitarismes a furieusement tendance à me donner la migraine... Étudier les époques plus anciennes, de l'Antiquité au XIXe siècle, en passant par le Moyen Âge et l'époque moderne (XVIe-XVIIIe s.), est décidément infiniment plus reposant, en comparaison, de mon point de vue (cela vaut naturellement, entre autres, pour l'histoire du socialisme : que les idées exprimées au XIXe siècle par Charles Fourier ou William Morris me paraissent plus intéressantes à étudier que ce qui est arrivé au XXe siècle n'est sans doute pas un hasard). Ceci étant dit simplement pour souligner que je n'ai pas pris de plaisir particulier à écrire l'analyse historique postée ici l'autre nuit avec mon précédent message : à la fin, si j'ose dire, j'en avais vraiment plein la tête...

Elendil a écrit :

Je serais ravi de discuter de tous les sujets que tu évoques avec toi, mais comme nous sortons ici absolument du cadre « Tolkien et la littérature », je te propose de le faire en face-à-face, puisque nous avons la chance de ne pas être trop éloignés l'un de l'autre, ou à défaut par messages électroniques.

Je suis naturellement ouvert à toute discussion en privé, d'autant plus que je n'avais assurément pas l'intention d'en écrire plus ici sur ces sujets.

Elendil a écrit :

PS : Mon propos ne se voulait nullement relativiste, comme tu sembles le craindre, mais d'une « sobriété hyperbolique », selon l'expression consacrée. Face à un monde politique qui manie l'enflure verbale avec la délicatesse du berserk odinique, seule la litote me paraît apte à communiquer sentiments et opinions en la matière.

Je prends bonne note de ton propos. ;-)

Elendil a écrit :

PPS : Que vous soyez de droite ou de gauche, satisfaits ou non de la situation actuelle, je ne peux que vous engager à aller voter !

Et moi de même...

Amicalement,

Hyarion.

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#20 27-02-2014 16:51

ISENGAR
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Re : Tolkien et le conte de fées : enchantements et pouvoirs théologiques

Hyarion a écrit :

le XXe siècle est sans doute une des périodes qui m'intéressent le moins, sans doute parce que ce siècle génère encore, par la force des choses, trop de passions et trop de discours clivants à mon goût

Et si on parlait avec des celtologues de la localisation du site d'Alesia, pour goûter à un autre genre de discussion apaisée tongue

Merci en tout cas pour ce fuseau riche d'enseignement(s).
Je ne me suis jamais spécialement intéressé au nazisme en tant que doctrine, mais les échanges de la semaine m'ont donné envie d'en savoir un peu plus. Du coup, je me suis instruit et j'ai appris plein de nouveaux mots en allemand, de lebensraum à völkisch en passant par totalitarismus...

Les pages wikipedia et leurs tissages sont très bien faites, claires et instructives, et les bibliographies semblent de qualité.

... mais Brrr... une telle lecture nous fait nous retrouver bien loin du conte de fées hmm

I.

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#21 27-02-2014 19:48

Aglarond
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Re : Tolkien et le conte de fées : enchantements et pouvoirs théologiques

Hyarion a écrit :

(...) l'on en viendrait presque à se demander si, aux yeux de certains, l'histoire de l'humanité n'a pas commencé en 1914, en 1933 ou en 1939...

Bah, à en croire les clips passés aux jeunes lors de la JAPD, ainsi que tant de discours officiels, l'Histoire de France a bien commencé en 1789... wink
Plus sérieusement, je reste titillé par cette histoire d'eschatologisme, que l'on pourrait croire central dans cet essai tant ce mot est cité, jusque dans le titre d'une des sections, mais qui n'est qu'à peine effleuré, de façon frustrante. J'avais beaucoup de mal à comprendre en quoi le legendarium tolkienien est eschatologique. Réflexion faite, je suppose que cela réfère à la vision de l'histoire du monde comme celle d'une "longue défaite", ce qui supposerait donc l'attente de la fin des temps et le retour du Christ triomphant.
Cela se tient ; à la nuance près que le légendaire se situe dès avant la Révélation, et que c'est plutôt celle-ci qui est attendue, avant la fin des temps.
Au passage, mes recherches m'ont permis de dénicher cet essai de Paul Airiau , qui aborde également le sujet. Je relève cette phrase, parlant du père Bouyer et de Tolkien :

Paul Airiau a écrit :

Tous deux partagent finalement un même positionnement catholique : un eschatologisme qui insiste sur la situation déchue du monde dominé par Satan, mais racheté par le Christ qui, dans la vie sacramentelle et liturgique, donne de vivre déjà ici-bas la fin des temps.

Phrase dont une partie est reprise mot pour mot dans l'essai discuté ici, d'ailleurs. Mais amputée de la justification à la référence à l'eschatologie...
Bref, ça s'éclaircit quelque peu, mais cela aurait fortement gagné à être plus clair chez Velay-Vallantin.

Amicalement,
A.

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#22 27-02-2014 22:34

Silmo
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Re : Tolkien et le conte de fées : enchantements et pouvoirs théologiques

Aléjia ?    Connais pas !

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#23 27-02-2014 22:47

Aglarond
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Re : Tolkien et le conte de fées : enchantements et pouvoirs théologiques

Perchonne chait où ch'est !

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#24 10-03-2014 22:32

Yyr
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Re : Tolkien et le conte de fées : enchantements et pouvoirs théologiques

Sur l'article, je souscrit entièrement à Jean : intéressant de prime abord et décevant à l'arrivée. Je rejoins aussi Elendil qui résume que cet article au final « ressort plus du genre romanesque que biographique » ;). « Bien écrit » par contre je ne sais pas ... ou peut-être est-ce moi ... je le trouve difficile à lire. Les approximations nuisent peut-être au fil argumentaire ... Mais Aglarond (merci !) a éclairci une partie de ma difficulté à lire l'auteur : j'avais cette impression qu'elle change de perspective d'une phrase à l'autre ... Eh bien c'était semble-t-il le cas : si des phrases sont tout simplement d'un autre texte et d'une autre parole (cf. Paul Airiau) ! D'autres points que ceux qui ont déjà été mentionnés me posent aussi question, mais peu importe, là n'est pas l'intérêt (au passage, un grand merci à Sosryko pour tout ce qui concerne les sources lewisiennes !) ... Au final donc, ce qui était intéressant était justement d'essayer de faire se rencontrer une méthode disons analytique avec ce que dit Tolkien du Conte, mais cette rencontre échoue — et c'est cet échec en réalité qui « laisse pantois » et « stupéfait » (et qui donc sinon l'auteur elle-même). La rencontre échoue cela dit sans surprise, non pas tant du fait du manque de rigueur (au minimum) de l'auteur, que de ses présupposés : si ce sont les conditions sociologiques (« la crise issue de la Guerre et de ses atrocités (...) ») qui expliquent la théologie de Tolkien (« (...) conduit, comme beaucoup d’autres, à désespérer du monde présent et à se retourner, par désenchantement, vers l’attente d’un avènement ou d’une chute eschatologique »), alors la messe est dite (si je puis dire :)) :  il n'y a par hypothèse rien à rencontrer (& je rejoins d'une autre façon la déception exprimée par Aglarond le 24/02).

Sur le rejet du « Socialisme dans l’une ou l’autre de ses formes qui s’affrontent actuellement » (Lettre n°96, p. 162), il me semble que le même échec se produit. La rencontre ne se fait pas entre d'une part l'histoire des idées et leur analyse par Hyarion et d'autre part ce que dit Tolkien de l'un des aspects « modernes » de « l'esprit du Mal » (p. 162) — et parce que cette rencontre ne se fait pas, on estime que l'autre se situe « dans l'aberration complète ». Le premier parle selon l'histoire des idées et des doctrines, le second parle selon leur esprit. Tolkien dans cette lettre ne livre pas là une analyse intellectuelle ; il ne s'adresse pas là à un

(...) homme naturel [qui] ne reçoit pas les choses de l’Esprit de Dieu, car elles sont une folie pour lui, et il ne peut les connaître, parce que c’est spirituellement qu’on en juge.

1 Corinthiens, 2, 14

Mais il tient un discours spirituel, s'appuyant sur la raison et sur la foi, à l'adresse de l'un de ces

(...) homme faits, [de] ceux dont le jugement est exercé par l'usage à discerner ce qui est bien et ce qui est mal.

Hébreux, 5, 14

Le Socialisme qui se manifeste alors sous deux « formes » (et sans doute Tolkien en ajouterait-il une troisième aujourd'hui bien que sur le plan analytique des idées cela pourrait également paraître incongru : le libéralisme culturel) a pour signification spirituelle l'alliance horizontale des hommes entre eux contre Dieu (celle d'un peuple qui semble vouloir « aller à sa perdition et (...) poursuivre la Chute jusqu'à son terme ultime » (p. 162), avec en fin de compte « une seule chose qui triomphe : les Machines » (p. 164) — une synthèse analogue à celle d'un autre nostalgique/précurseur d'une écologie humaine : « après la thèse : le capitalisme, et l’antithèse : le socialisme, voici le produit de synthèse : la société du plastique » (Bernard Charbonneau, Le système et le chaos, Economica, Paris, 1990 (1973), p. 175)). Donc si Tolkien avait entendu présenter une pensée de philosophie politique, en effet, on aurait eu affaire à une grossière confusion. Mais ce n'est tout simplement pas le cas. Enfin, cela ne veut pas dire que ce que dit Tolkien n'est pas critiquable, ni que son langage et le tien, Hyarion, ne peuvent pas se rencontrer. C'est même certainement grâce à l'écart entre ces deux façons de rendre compte d'une réalité que la richesse de chacune s'en trouve soulignée (par les contrepoints respectifs). À ce titre, je te suis reconnaissant Hyarion pour la peine et la qualité de ton exposé (qui m'a intéressé).

Incidemment, il se trouve que c'est justement pour éviter des impasses « pantois[es] » ou « dans l'aberration », que j'ai très tôt en effet introduit cette « dichotomie "étoilés"/"carnassiers" », qui n'est pas sans défaut, et que je devrai reprendre, avec davantage d'ouverture je l'entends :). En tout état de cause, il ne s'agit pas d'une « défense systématique de Tolkien » mais d'être fidèle à sa parole et à sa pensée ; à la rigueur s'agit-il peut-être d'une défense systématique de la parole, de la confiance, à l'encontre de l'absolutisme analytique (et de sa surdité consubstantielle) qui prévaut dans notre mode de connaissance moderne, et qui dans notre domaine cherche à savoir tout ... sauf à entendre ce que dit l'auteur (cf. une certaine lettre de Screwtape à Wormwood dans Tactiques du diable de C.S. Lewis, cf. aussi bien sûr Tolkien dans Beowulf : les monstres & les critiques). Les deux exemples ci-dessus montrent que ce n'est peut-être pas complètement inutile ;). Pas complètement inutile donc d'envisager que la parole d'un auteur puisse faire sens dans son écoute, et que l'écoute bienveillante, la confiance, ce n'est ni l'imprudence ni non plus l'absence de critique (l'écoute est au contraire ce qui rend la critique possible ensuite). « L'imprudence » à l'égard de « la parole de Tolkien (comme à d'autre occasions, sur d'autres sujets) » me paraît résider alors dans la démarche de celui qui ne retient le texte que d'après ce qui entre dans ses propres catégories — et les « points » — pour intéressants qu'ils soient j'insiste — risquent forts d'être mis sur d'autres « i » que ceux du texte ;)

Elestirno

PS : et sur ce genre de problème, note, Hyarion, que je serais heureux d'en discuter à l'occasion : s'il y a « d'autres sujets » chez Tolkien, donc certains passages, à ce que tu laisses entendre, qui te chagrinent, où dont la réception commune te chagrine, n'hésite pas. Je pense que j'aurais profit, personnellemennt, à en discuter avec toi. C'est possible par mail en particulier.

Hyarion a écrit :

(...) la lecture de la lettre inédite de Tolkien à Rigby de 1965 dont il a été question dans un autre fuseau du présent forum, avec ce propos ironique de Tolkien concernant l'« enrobage de sucre » utilisé dans l'écriture de fiction pour faire passer une pilule théologique (si j'ose dire) (...)

Ben non justement, cette lettre dit exactement le contraire : l'enrobage de sucre n'a pas été « utilisé » « pour faire passer une pilule théologique ». Tolkien a écrit et après coup, à sa surprise, il constate ce qu'il y a de théologique. Cf. ce que j'écrivais dans le fuseau idoine.

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#25 18-03-2014 23:58

Hyarion
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Re : Tolkien et le conte de fées : enchantements et pouvoirs théologiques

Je suis tombé malade le soir-même de la mise en ligne du message de Yyr : aucun lien de cause à effet, naturellement, ;-) mais la grippe m'a cloué au lit pendant plusieurs jours, et j'ai encore du mal à me remettre pleinement des conséquences de ce virus qui m'a fort fatigué... d'où en tout cas mon silence de ces derniers jours. Je vais tâcher à présent de répondre à Yyr dans la mesure de mes modestes moyens, mais sans prétendre, évidemment, être exhaustif dans ma réflexion, vu la complexité des problèmes abordés... et ma fatigue (physique) prononcée.

Yyr a écrit :

Au final donc, ce qui était intéressant était justement d'essayer de faire se rencontrer une méthode disons analytique avec ce que dit Tolkien du Conte, mais cette rencontre échoue — et c'est cet échec en réalité qui « laisse pantois » et « stupéfait » (et qui donc sinon l'auteur elle-même). La rencontre échoue cela dit sans surprise, non pas tant du fait du manque de rigueur (au minimum) de l'auteur, que de ses présupposés : si ce sont les conditions sociologiques [...] qui expliquent la théologie de Tolkien [...], alors la messe est dite (si je puis dire :)) :  il n'y a par hypothèse rien à rencontrer [...].

Il y a quelque-chose que j'ai du mal à saisir (parmi d'autres, sans doute) : on a l'impression que tu exclue d'emblée que la théologie de Tolkien puisse s'expliquer, au moins en partie, par un contexte sociologique donné. Crois-tu à une sorte de développement « hors-sol » (si j'ose dire) des réflexions théologiques, qui ne dépendrait en aucune façon du temps et de l'espace ? (Je n'ironise pas : ma question est sérieuse)

Yyr a écrit :

Sur le rejet du « Socialisme dans l’une ou l’autre de ses formes qui s’affrontent actuellement » (Lettre n°96, p. 162), il me semble que le même échec se produit. La rencontre ne se fait pas entre d'une part l'histoire des idées et leur analyse par Hyarion et d'autre part ce que dit Tolkien de l'un des aspects « modernes » de « l'esprit du Mal » (p. 162) — et parce que cette rencontre ne se fait pas, on estime que l'autre se situe « dans l'aberration complète ». Le premier parle selon l'histoire des idées et des doctrines, le second parle selon leur esprit. Tolkien dans cette lettre ne livre pas là une analyse intellectuelle ; [...] Mais il tient un discours spirituel, s'appuyant sur la raison et sur la foi [...]. [...] Donc si Tolkien avait entendu présenter une pensée de philosophie politique, en effet, on aurait eu affaire à une grossière confusion. Mais ce n'est tout simplement pas le cas. Enfin, cela ne veut pas dire que ce que dit Tolkien n'est pas critiquable, ni que son langage et le tien, Hyarion, ne peuvent pas se rencontrer. C'est même certainement grâce à l'écart entre ces deux façons de rendre compte d'une réalité que la richesse de chacune s'en trouve soulignée (par les contrepoints respectifs). À ce titre, je te suis reconnaissant Hyarion pour la peine et la qualité de ton exposé (qui m'a intéressé).

Je te remercie d'avoir pris le temps de me lire, Yyr, et j'entend bien pour ma part tes arguments, qui ne sont d'ailleurs pas nouveaux, puisque le caractère religieux du propos de Tolkien a déjà été souligné par le passé sur le présent forum, notamment par Sosryko en 2003, mais sans que cela me paraisse toutefois suffisant pour clore la discussion, d'où mon intervention lorsque cette citation a, à nouveau, été convoquée dans le cadre d'échanges où les considérations strictement historiques ne m'ont pas paru devoir être écartés (ne serait-ce que vis-à-vis des lecteurs pour qui le mot « socialisme » a naturellement un sens dépourvu de tout filtre religieux).

En ce qui concerne le constat d'échec que tu fais, là encore, ce n'est pas nouveau, puisque tu as notamment fait un constat similaire au début d'un message consacré aux Lettres de Tolkien en 2006, début de message que je me permets de reproduire ici, pour le confort du lecteur :

En 2006, dans un autre fuseau, Yyr a écrit :

J'ai beaucoup, beaucoup, aimé les Lettres - que je n'avais pas toutes lues en anglais. C'est qu'elles abordent de multiples contes, non seulement celui de la Terre du Milieu, mais encore celui de Tolkien, et ceux du Monde et de la foi chrétienne. Leurs trames souvent se superposent ou s'entrecroisent. Peut-être devient-il difficile alors d'en saisir bien les fils ?

Ainsi de la fameuse lettre n°43 ? :) La foi chrétienne est ancrée dans un conte, et comme tout conte, celui-ci demande d'être abordé en tant que tout, dans sa cohérence et son mystère, et, surtout, et même essentiellement, dans ce qui échappe aux catégories des hommes qui sont (i.e. à celles qui sont) temporelles, sociales et techniques (et idéologiques :)). Les Lettres dans leur ensemble rayonnent de cette foi plus ou moins. Pour la lettre 43, c'est plus :). Il est vain de vouloir l'aborder selon nos propres catégories et nos propres représentations (qu’il s’agisse de celles d’aujourd’hui ou de 1941), de vouloir à tout prix faire tenir sa signification dans nos modèles. Une lettre qui parle d'« immoralité » et d'« éthique révélée », qui oppose « la foi » à « la chair » (etc. etc. etc. ...), adressée non à tout un chacun mais à un croyant, ne pourra pas rentrer dans les catégories de ce « monde déchu » quoi que ce dernier prétende (ce qui a été tenté en ces lieux il me semble à plusieurs reprises, à grands frais et sans résultat - et sans surprise, car l'on ne force pas les portes d'un conte, fût-il celui de notre monde, sans accepter d'y entrer en invité - étoilé - et non en despote - carnassier -). [...]

Les années passent et le propos reste à peu près le même aujourd'hui :

Yyr a écrit :

Incidemment, il se trouve que c'est justement pour éviter des impasses « pantois[es] » ou « dans l'aberration », que j'ai très tôt en effet introduit cette « dichotomie "étoilés"/"carnassiers" », qui n'est pas sans défaut, et que je devrai reprendre, avec davantage d'ouverture je l'entends :). En tout état de cause, il ne s'agit pas d'une « défense systématique de Tolkien » mais d'être fidèle à sa parole et à sa pensée ; à la rigueur s'agit-il peut-être d'une défense systématique de la parole, de la confiance, à l'encontre de l'absolutisme analytique (et de sa surdité consubstantielle) qui prévaut dans notre mode de connaissance moderne, et qui dans notre domaine cherche à savoir tout ... sauf à entendre ce que dit l'auteur [...]. Les deux exemples ci-dessus montrent que ce n'est peut-être pas complètement inutile ;).

Je te remercie d'avoir pris le temps de rappeler l'état d'esprit de Tolkien vis-à-vis de ses écrits à connotation religieuse. Les arguments théologiques peuvent naturellement toujours être exposés pour éclairer une réflexion si cela se justifie... mais ce ne me parait toutefois pas être une raison pour tendre vers une lecture manichéenne des choses, ce à quoi peut faire penser les mots que tu choisis d'employer : l'« absolutisme analytique » et sa supposée « surdité consubstantielle » contre la « fidélité à la parole » et la « confiance ». Du reste, ton paradigme pourrait très bien être renversé, l'« absolutisme » avec « surdité consubstantielle » n'étant pas forcément là où tu penses les voir, selon le point de vue que l'on entend adopter...

À te lire, et même si je note bien que tu n'exclue pas a priori une possible critique, il semble qu'à partir du moment où tel propos de Tolkien relève, d'une manière ou d'une autre, de la foi chrétienne, alors ledit propos devrait être comme plus ou moins « sanctuarisé », sous prétexte qu'il ne pourrait pas être appréhendé par un regard autre que strictement religieux. Cette posture, si elle n'est pas qu'une impression, me parait cependant assez vaine, et ce quoi que pourraient prétendre les lecteurs et chercheurs dont les convictions religieuses chrétiennes pourraient éventuellement les pousser à appréhender Tolkien et son œuvre sous un angle essentiellement — voire exclusivement — religieux. Le fait est que ni J. R. R. Tolkien, ni son œuvre littéraire ne se situent hors du temps et de l'espace « humains », quelles qu'aient été les convictions religieuses de l'écrivain. Ces convictions religieuses ont évidemment leur importance — essentielle en certains aspects — et il ne s’agit pas de les minimiser, mais Tolkien et son œuvre ne sauraient pour autant s’y résumer, et encore moins justifier une grille de lecture des écrits de Tolkien allant uniquement dans le sens d’un étrange discours d'« initiés » (qui seraient censés être les seuls aptes à « comprendre » Tolkien), sauf à vouloir exclure a priori le point de vue des lecteurs et chercheurs prétendant à l'absence de parti pris (qu'ils soient croyants ou non).

Tu reconnais toi-même que ta dichotomie « étoilés »/« carnassiers » n'est pas sans défaut, mais personnellement, elle me parait plutôt problématique en elle-même. Le fait est que cette dichotomie introduit plus ou moins une hiérarchie des sensibilités plus ou moins indexée aux différentes approches : cette hiérarchie, malgré toutes les nuances que l'on peut daigner y apporter, me parait discutable sur le principe même. En introduisant une dichotomie « étoilés »/« carnassiers », il me semble que de facto on exclue des gens au prétexte qu'ils ne pourraient pas « comprendre » autant que les « sachants » prétendant avoir un rapport privilégié avec Tolkien (en étant plus soucieux d'être « fidèles à sa parole » et d'avoir « confiance en lui » ? Je ne sais...). On a l'impression qu'il s'agit de juger les gens à l'aune de ce que l'on croit savoir du fonctionnement de leur esprit, ce qui me parait être profondément injuste sur le principe : comme l'avait justement écrit Semprini en 2002, « il y a plusieurs façons d'aimer un auteur; elles sont toutes légitimes ». Qu'est-ce que ceux qui se disent « étoilés » — et qui critiquent ceux qu'ils appellent « carnassiers » — peuvent savoir de la sensibilité profonde de ceux qui n'ont apparemment pas le même rapport de révérence appuyée qu'eux vis-à-vis de Tolkien ? Que savent-ils du rapport des autres au spirituel, à la fiction, à la pensée, à ce que tu appelles « l'écoute bienveillante », pour condamner les visions de ces gens ? Pensent-ils que les « approches analytiques » conditionnent à ce point l'être humain qu'il faille à tout prix se méfier de ces gens et de leurs approches parce que leurs méthodes paraissent le plus souvent porteuses d'échecs aux « étoilés » ? Voila les questions que je me pose vis-à-vis de ce sujet, de cette dichotomie « étoilés »/« carnassiers » dont j'ai déjà écrit qu'elle me mettait mal à l'aise. Sois bien certain que mes interrogations sont sincères et sérieuses. Il ne s'agit pas pour moi de heurter les convictions de qui que ce soit : chacun peut avoir le rapport qu'il veut à la spiritualité et accorder à celle-ci la place qu'il estime juste pour appréhender le monde comme il va. Il ne s'agit pas non plus pour moi de nier l'évidente pertinence d'une approche théologique d'un discours religieux, mais je ne pense pas pour autant qu'une telle approche doive être exclusive voire excluante, dans la mesure où le discours est inscrit dans une époque et un espace clairement définis. Or c'est ce qui me parait être le cas aussi bien pour les propos de la lettre 43 de 1941 que pour ceux de la lettre 96 de 1945 : ce n'est pas parce que la grille de lecture de Tolkien est religieuse qu'il parle pour autant d'autre chose que d'une réalité compréhensible par le plus grand nombre (à l'époque comme aujourd'hui), ladite réalité fusse-t-elle mise en rapport, dans le discours, avec autre chose (et là, la nuance me parait de taille).

Yyr a écrit :

« L'imprudence » à l'égard de « la parole de Tolkien (comme à d'autre occasions, sur d'autres sujets) » me paraît résider alors dans la démarche de celui qui ne retient le texte que d'après ce qui entre dans ses propres catégories — et les « points » — pour intéressants qu'ils soient j'insiste — risquent forts d'être mis sur d'autres « i » que ceux du texte ;)

Illustration caractéristique de ce que je viens d'évoquer, puisqu'à te lire ma démarche serait donc obtuse par nature et ne serait sans doute pas assez « sensible » selon toi à la dimension spirituelle, à la différence de démarches d'authentiques « initiés », je suppose. À croire qu'« étoilé » devrait être compris, au sens propre, comme un synonyme de... baptisé : j'ai un rapport personnel à la religion, si cela t'intéresse, mais je ne crois pas, en tout cas, qu'il soit nécessaire d'être catholique pratiquant pour être en mesure de « comprendre » (mieux que d'autres ?) la parole de Tolkien, y compris en ce qu'elle peut avoir de spirituel... On me dira peut-être que je mélange tout, mais après toutes ces années de lecture du forum, j'avoue ne pas être sûr que tout ne soit pas lié, du moins dans certains esprits... À toi de me dire si je me trompe et éventuellement dans quelles proportions, en espérant que tu ne préjugera pas de mon rapport personnel aux catégorisations (dont je ne raffole pas), à la fiction, à la pensée, à la spiritualité (que je suis loin de rejeter), à ce que tu appelles « l'écoute bienveillante », etc. :-)

Yyr a écrit :

PS : et sur ce genre de problème, note, Hyarion, que je serais heureux d'en discuter à l'occasion : s'il y a « d'autres sujets » chez Tolkien, donc certains passages, à ce que tu laisses entendre, qui te chagrinent, où dont la réception commune te chagrine, n'hésite pas. Je pense que j'aurais profit, personnellemennt, à en discuter avec toi. C'est possible par mail en particulier.

J'ai préféré, dans un premier temps, exposer certaines considérations et interrogations en public, dans la mesure où cela peut éventuellement intéresser d'autres personnes, mais je suis naturellement favorable à toute discussion plus libre en privé et je te remercie pour ton invitation.

Yyr a écrit :
Hyarion a écrit :

(...) la lecture de la lettre inédite de Tolkien à Rigby de 1965 dont il a été question dans un autre fuseau du présent forum, avec ce propos ironique de Tolkien concernant l'« enrobage de sucre » utilisé dans l'écriture de fiction pour faire passer une pilule théologique (si j'ose dire) (...)

Ben non justement, cette lettre dit exactement le contraire : l'enrobage de sucre n'a pas été « utilisé » « pour faire passer une pilule théologique ». Tolkien a écrit et après coup, à sa surprise, il constate ce qu'il y a de théologique. Cf. ce que j'écrivais dans le fuseau idoine.

« Ben non », Yyr, je n'ai pas écrit que cette lettre prouvait que Tolkien avait utilisé l'« enrobage de sucre » dans son écriture de fiction pour faire passer une message théologique, mais simplement qu'il avait évoqué explicitement le procédé d'« enrobage » en question dans cette lettre et que, par conséquent, cela pouvait - parmi d'autres choses, au demeurant - contribuer à poser la question de la part d'inconscient et de conscient chez Tolkien en matière de volonté de délivrer un message théologique dans son oeuvre de fiction. Ni plus, ni moins. :-)

Il y aurait sans doute bien d'autres choses à dire, mais à présent, il faut que j'aille m'allonger... J'ai d'étranges difficultés à respirer, depuis quelques jours... Ceci dit, de toute façon, comme dirait le Dragon, c'est l'heure du « Dodo time »... ;-)

Bonne nuit à tous,

Amicalement, :-)

Hyarion.

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#26 02-04-2014 16:57

Yyr
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Re : Tolkien et le conte de fées : enchantements et pouvoirs théologiques

@ Hyarion : Sur le « développement « hors-sol » (si j'ose dire) des réflexions théologiques », ce n'est pas le point que je soulevais. Le fait que je conteste leur réduction aux conditions (approche marxiste) n'implique pas que je soutienne qu'elles en soient entièrement libres (mais ce serait à préciser). Sur le reste, tu fais erreur : mon problème est à la rigueur philosophique, épistémologique, pas religieux. Cela n'implique pas d'initiation particulière, quoique que cela implique certainement le développement de l'intelligence (comment connaître tel objet, une des premières questions de la philosophie) — cf. cet échange. De ce fait, et aussi de par l'expérience de chacun (la fréquentation d'autres textes, etc.) il est évident que certains comprendront parfois mieux que d'autres certains des aspects d'une œuvre. On rejoint le problème de la connaissance : l'objet existe-t-il indépendamment de nous, est-ce à nous de le connaître conformément à ce qu'il est ? Ou bien toute connaissance se réduit-elle à appliquer des « grilles de lectures » comme tu dis (perspective idéaliste) ? Auquel cas en effet, si tout est dans l'esprit qui analyse, pourquoi telle grille plutôt qu'une autre ? Pour l'enrobage de sucre : au temps pour moi ;)

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#27 17-12-2020 00:27

Yyr
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Re : Tolkien et le conte de fées : enchantements et pouvoirs théologiques

La lecture récente de Pierre-André Taguieff (l'Émancipation promise, éd. du Cerf, 2019), d'une richesse décidément débordante, m'a, pour ce qui me concerne, apporté des éclaircissements sur le rejet par Tolkien du « Socialisme dans l’une ou l’autre de ses formes qui s’affront[ai]ent actuellement [à son époque] » (Lettres, n°96 p. 162). Ainsi, je ne crois plus que les deux totalitarismes ne se retrouvaient que sur le plan spirituel. Il semble que l'analyse des textes fondateurs par P-A Taguieff (si elle est juste) ruine l'argumentation d'un prétendu dévoiement du communisme d'un côté, et d'une prétendue récupération opportuniste de l'autre (cela n'empêche pas, bien sûr, de continuer à parler d'autres types de « socialisme »).

Je ne déroule pas ici l'intégralité de son développement. Ce n'est d'ailleurs pas le sujet principal de l'ouvrage. Mais il y conduit, inévitablement, en remontant l'itinéraire de l'émancipation chez Marx. Je laisserai qui s'y intéresse lire attentivement son essai, et donne ici quelques phrases ou citations qui résument ce que l'auteur montre par une analyse serrée. Par rapport à la polémique du présent fuseau, communisme et nazisme sont deux socialismes qui ont en commun :

  • L'aboutissement nécessaire de toute révolution dans la violence : « la révolution n'a pas de limitations objectives, mais seulement des adversaires » (Furet, cité p.153) ; « La Terreur [...] est une fatalité, non pas de la Révolution française, mais de toute révolution considérée comme modalité du changement. Le jacobinisme constitue en cela un archétype. Toutes les révolutions ont leurs jacobiens. Si les révolutions sont le plus souvent idéologiquement incomparables, elles sont politiquement comparables. » (Gueniffrey, ibid.) ;

Mais aussi, ce qui n'est pas l'apanage du premier :

  • La volonté commune de créer un Nouvel Homme : « Celui qui ne comprend le national-socialisme que comme un mouvement politique n'en sait pas grand-chose. Le national-socialisme est plus qu'une religion : c'est la volonté de créer un nouvel Homme » (Hitler, cité p.266) ;

  • Les moyens fournis par la science : « Le national-socialisme est une théorie froide de la réalité [fondée] sur les connaissances scientifiques les plus pointues et leur expression dans la pensée » (Hitler, cité p.267) ; « Il me paraît insensé, au-delà de toute expression, de faire rétablir un culte de Wotan. » (Hitler, ibid.) ;

Et ce qui n'est pas l'apanage du second :

  • Des ramifications antisémites : P-A Taguieff analyse longuement l'ouvrage dit de jeunesse de Marx, Sur la question juive, où l'ennemi qu'il s'agit de « non pas réfuter, mais anéantir » (Marx, cité p.199), c'est « l'intérêt personnel », c'est-à-dire « la judéité » (Marx, cité p.185), le capitalisme y étant interprété comme le judaïsme historiquement réalisé : la question pour Marx est « celle de savoir quel élément social particulier doit être surmonté pour supprimer la judéité » (Marx, cité p.227) ; « nous reconnaissons donc dans la judéité : un élément antisocial actuel et général, qui a été porté jusqu'à son niveau présent par l'évolution historique à laquelle les Juifs ont, sous ce mauvais rapport, collaboré avec zèle ; et à ce niveau, il doit nécessairement se dissoudre » (Marx, cité p.232)— autrement dit, « la solution de la question juive et de l'émancipation ne font qu'un. Sur la question juive se conclut logiquement sur un appel au désenjuivement de tous les hommes. » (Senik, cité p.217) ;

C'est pourquoi :

  • À partir du « secret de l'antisémitisme moderne, ou du moins de son courant dominant : la haine du capitalisme », on peut remonter le chemin parallèle des deux frères ennemis :

Cette haine totale a pour objet le Juif comme exploiteur, prédateur et parasite : pure incarnation du capitalisme financier, de spéculateurs et de banquiers. Le principal enseignement du pamphlet anti-juif du jeune Marx [...] intervient comme légitimation relative et après-coup de la Shoah par certains courants de l'extrême gauche « antifasciste ». (*) [...]

À l'inverse, on peut voir dans l'antiploutocratisme des idéologues nazis un héritage du socialisme révolutionnaire. [...] Dans le national-socialisme, on reconnaît l'héritage du socialisme, mais d'un socialisme ayant rejeté toute orientation internationaliste. Ce socialisme pensé dans les strictes limites de la nation, elle-même pensée en termes racialistes et anti-juifs, n'a nullement été « inventé » par les nazis. Ces derniers ont puisé dans les théorisations du socialisme national — qui se sont multipliées dès la fin du XIXe siècle, notamment en Allemagne [...] —, et, après avoir bricolé un corps de doctrine politique au début des années 1920, ont réussi à bâtir un État totalitaire inséparablement socialiste, national et racial.

Pierre-André Taguieff, L'Émancipation promise, Le Cerf, 2019, pp.294-295

Je vous épargne les éléments d'origine théologique (renversée), pas toujours identifiés comme tel par l'auteur mais bien perçus, et qui sont communs eux aussi à ces deux formes : athéisme, homme nouveau, vrai homme, émancipation, être au monde sans être du monde, messianisme, espérance, etc.

Yyr

(*) P-A Taguieff rapporte les propos de la terroriste d'extrême gauche Ulrike Meinhof, jugée pour son soutien au massacre des athlètes israéliens pendant les Jeux olympiques de Munich : « Auschwitz signifie que six millions de Juifs ont été tués et jetés au fumier de l'Europe pour ce qu'ils étaient : des Juifs d'argent » (p.294).

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#28 17-12-2020 09:53

Hyarion
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Re : Tolkien et le conte de fées : enchantements et pouvoirs théologiques

Tant mieux pour toi, mon cher Yyr, si ton propre itinéraire intellectuel, voire politico-religieux — itinéraire se développant apparemment à travers tes réflexions sur l'éthique, contre la « Modernité », et pour « l'écologie intégrale » telle que mentionnée ailleurs par Elendil (soit « l'écologie intégrale » promue par le pape actuel et certains chrétiens conservateurs, je suppose, le terme étant cependant revendiqué politiquement aussi par d'autres gens hors du christianisme) — se trouve peut-être conforté, année après année, par telle ou telle lecture, mais même en convoquant Taguieff (que je n'ai pas lu ou relu depuis longtemps, mais qui écrivait des choses intéressantes il y a une vingtaine d'années, voire encore peut-être il y a une dizaine d'années, du moins dans mon souvenir), cela ne change rien à l'anti-socialisme primaire exprimé par J. R. R. Tolkien dans sa lettre reproduite dans les Letters sous le numéro 96. J'ai déjà eu l'occasion d'y revenir longuement dans un autre fuseau l'année dernière et je ne peux que modestement y renvoyer : https://www.jrrvf.com/fluxbb/viewtopic. … 717#p87717

Il faudrait un peu arrêter de faire de cet écrivain, Tolkien, une sorte de génie (chrétien) de la pensée sur tous les sujets : sa « Parole » est loin d'être toujours d'une grande portée, même quand on tient à mettre une majuscule au terme, comme si les écrits de Tolkien étaient sacrés. Le fait d'être un professeur universitaire, un philologue, un fervent catholique ou un écrivain ne fait pas en soi de vous un esprit supérieur, même en étant tout cela à la fois, et de fait, ce n'est pas un esprit supérieur qui me parait avoir écrit, par exemple, les Letters n°43 ou 96, mais simplement un être humain loin, dans un cas, de tout connaître en matière de relations entre femmes et hommes (tout comme Chesterton, avec sa consternante histoire d'hommes et de femmes selon lui de toute façon « incompatibles »), et dans l'autre cas loin de tout connaître en matière de socialisme et plus largement d'idéologies autres que le catholicisme, dont Tolkien estimait qu'il avait été « réformé » au mieux (sinon carrément sauvé) par l'antimoderne Pie X (on était alors encore bien loin de Vatican II...).

En ce qui concerne la distinction entre communisme et nazisme, Taguieff (pour ce que tu donnes à en lire) semble en fait essentiellement nous servir du réchauffé : ce n'est pas une nouveauté, par exemple, que de constater que l'on peut trouver de l'antisémitisme aussi bien chez des gens d'extrême-droite que des gens d'extrême-gauche, et ce encore de nos jours. À l'origine, les socialistes, tels qu'ils apparurent au XIXe siècle, partageaient en fait avec les catholiques réactionnaires une détestation commune à l'égard du capitalisme et notamment du prêt usurier qui en constitue pour partie le fondement, d'où aussi parfois une regrettable « communauté » de préjugés envers les juifs, traditionnellement associés à l'usure, ce pourquoi l'antisémitisme, ce stade anal de la pensée (comme toute idée haineuse, plus généralement, selon moi), peut se retrouver encore aujourd'hui aussi bien dans des discours d'extrême-gauche que d'extrême-droite, et ce pourquoi la positionnement dreyfusard de Jean Jaurès au moment de « l'Affaire », même s'il ne fut pas immédiat, a eu une importance certaine dans l'histoire du socialisme en France en ce qu'il témoigne d'un sincère souci de justice pouvant dépasser la lutte des classes. Mais la haine d'Hitler contre la « juiverie internationale » qu'il vomit dans Mein Kampf n'a en tout cas rien à voir, de mon point de vue, avec le socialisme à la lumière de son histoire et des tendances générales de son évolution depuis le XIXe siècle. Bien entendu, on peut choisir, comme Taguieff, de se focaliser sur certaines théorisations de « socialisme » national et faire des parallèles qui plaisent tant, politiquement, aux anti-socialistes actuels, ceux d'extrême-droite comme ceux au sein du noyau dur de « la droite » dite classique (qu'ils soient de « vrais chrétiens » anti-IVG et anti-euthanasie, ou des « libéraux » de droite et autres tenants d'une « normalité » pro-business, soit grosso modo la clientèle électorale draguée en France par François Fillon en 2017), mais cependant les faits sont têtus : c'est le plus souvent en alternative au cadre national des sociétés bourgeoises européennes que s'est développé le socialisme au XIXe siècle, que ce soit à un niveau « local » de perspectives s'agissant des phalanstères de Fourier ou au niveau à perspective globale des deux premières Internationales, qui n'accueillirent pas que des marxistes mais qui par essence rejetaient les nationalismes. C'est à cette aune que le nazisme apparait largement comme une entreprise de vol opportuniste : le nazisme a voulu s'emparer, en quelque sorte, et d'un point de vue pratique, de l'« énergie » historique exercée par la mouvance socialiste sur les mentalités de l'époque pour la mettre au service d'une politique nationaliste... mais sur la base d'un rejet total, explicite chez Hitler, aussi bien du marxisme que de la social-démocratie. Dans les années 1920, face aux socialistes et aux communistes, désormais séparés à la suite de la deuxième révolution russe de 1917 et de ses conséquences géopolitiques et idéologiques, mais dont l'existence politique était déjà bien établie et déjà issue d'un héritage intellectuel et historique dépassant largement les cadres nationaux, il fallait capter l'attention du peuple (allemand) par tous les moyens mais sans pour autant se prétendre de gauche, puisque l'obsession des nazis était l'instinct et la race (ce satané faux concept de race dont on nous rebat encore les oreilles aujourd'hui) dans un cadre nationaliste... loin, très loin, de toute ambition universaliste ou même rationaliste censée caractériser les idéaux socialistes et communistes. Mais tout cela, je l'ai déjà dit ici-même, il y a déjà plusieurs années...

À quoi bon remettre le couvert ? Pour chercher la petite bête et promouvoir ses petites préférences personnelles mine de rien ? La question de l'étude objective est quasiment hors de propos : le fait est que « socialisme » et « communisme » ont ceci de commun avec le « libéralisme », le « conservatisme » et le « nazisme » qu'« il est quasiment impossible de les traiter comme outils conceptuels « neutres », exempts de toute connotation politique », pour reprendre une formule de Ian Kershaw écrite à propos des notions de « totalitarisme » et de « fascisme » et qui s'applique aussi bien aux autres concepts idéologiques que j'ai cité (cf. Ian Kershaw, Qu'est-ce que le nazisme ? Problèmes et perspectives d'interprétation [The Nazi Dictatorship – Problems and Perspectives of Interpretation], Paris, Gallimard, coll. « Folio Histoire », Paris, 1992, rééd. 1997, p. 74). Dès lors, je n'aime pas généralement l'esprit dans lequel on s'essaie à faire des comparaisons comme celles que tu évoques, car finalement, en convoquant Hitler, il y a toujours, quelque part, une volonté de salir... Certains « libéraux » de droite et certains « vrais chrétiens » conservateurs sont très forts pour ça... Personnellement, je ne suis pas et n'ai jamais été communiste, et j'ai déjà écrit ailleurs que je ne puis parler, souvent, que de « mon » socialisme pour donner une idée de ce que la notion de socialisme représente, à mes yeux, pour désigner ma propre sensibilité politique (j'ai essayé d'expliciter ça notamment dans un autre fuseau en 2019, en y évoquant notamment l'« organisation collective de la liberté dans la justice », selon une expression de Michel Rocard que je continue de trouver pertinente), mais mon tempérament politique modéré ne m'incite pas pour autant à laisser passer certains amalgames, plus ou moins étayés, trop souvent superficiels, et en tout cas rarement dénués d'une certaine malfaisance sous couvert de se croire soi-même du côté du Bien, de la « Vérité », ou même seulement du côté du « raisonnable » ou du « sens commun » (là encore, certains « libéraux » de droite et certains « vrais chrétiens » conservateurs excellent dans cette posture, même si celle-ci existe aussi à gauche, évidemment : à ce petit jeu, tout le monde peut toujours dénoncer le « camp d'en face »). Quant à Taguieff, pour les raisons d'absence de neutralité conceptuelle que j'ai évoquées, il peut toujours analyser ce qu'il veut, dans le sens qu'il souhaite et en convoquant les citations qu'il préfère : personnellement, je ne peux pas prendre son point de vue pour une démonstration scientifique, a fortiori lorsqu'il est question d'histoire des idées, délicate discipline que j'avais eu l'occasion d'ailleurs d'évoquer il y a quelques mois, à l'occasion d'un hommage à Zeev Sternhell et Pierre Milza : https://www.jrrvf.com/fluxbb/viewtopic. … 907#p88907

Comme annoncé ailleurs en octobre dernier, je me suis mis en retrait du présent forum depuis quelques temps, mais comme il se trouve que je continue de recevoir des notifications signalant des remontées de fuseaux auxquels j'ai contribué (il n'existe pas d'option pour se désabonner de tous les fuseaux que l'on a pu suivre...), j'ai fini par repasser ici de guerre lasse... en constatant que, décidément, les contributions intellectuelles en ces lieux, même sous couvert de partage, et malgré des précautions oratoires, tournent toujours autour des mêmes choses et surtout des mêmes orientations, comme si, hélas, la maison supposée commune était vouée à devenir une sorte de think tank conservateur chrétien (Taguieff ici et ailleurs, ou Leopold Kohr encore ailleurs, sortent certes en soi un peu du lot, mais c'est toujours au milieu de Chesterton, Ellul, Olivier Rey, Benoît XVI et autres auteurs chrétiens et/ou antimodernes un peu trop souvent cités à mon goût dans les quelques fuseaux les plus nourris...)... On pourra encore penser que « j'exagère », mais ça reste mon impression, déjà exprimée plusieurs fois par le passé. Jérôme n'est évidemment pas responsable d'être souvent seul à « occuper le terrain » des idées (les « taiseux » d'hier et d'aujourd'hui ont évidemment aussi leur part de responsabilité), et je ne ferme jamais la porte au dialogue avec autrui, mais tant que les échanges n'iront pas dans le sens d'une ambiance intellectuelle (et même spirituelle) plus diversifiée susceptible de m'éviter d'être finalement dégoûté de Tolkien, a fortiori dans le contexte d'excès passés en matière de « modération » de certains fuseaux et de ce que JR a défini ailleurs comme étant des « glissades stériles », il ne faudra plus compter sur moi. Tolkien n'est pas un maître à penser, et il ne doit pas non plus, à mes yeux, même sous couvert de parler des « choses de la vie », servir de prétexte à faire plus ou moins des démonstrations politiques (ou politico-religieuses), quand bien même ce serait à la façon dont le Monsieur Jourdain de Molière fait de la prose dans Le Bourgeois gentilhomme... Ceci étant dit, en matière de « gros débat », j'ai assez donné, alors si un anti-socialiste (et/ou anti-communiste) veut encore avoir le dernier mot après moi, ma foi, grand bien lui fasse !

De toute façon, personnellement, en cette fin d'année 2020, j'en ai marre... de tout... y compris des gens qui en ont marre, d'ailleurs : raison de plus, sans doute, pour repartir et me taire à nouveau.

Continuez à prendre soin de vous, toutes et tous, en ces temps toujours difficiles.

Peace and love,

B.

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#29 17-12-2020 10:37

Cédric
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Re : Tolkien et le conte de fées : enchantements et pouvoirs théologiques

Hyarion a écrit :

il n'existe pas d'option pour se désabonner de tous les fuseaux que l'on a pu suivre...

Hello Hyarion,

Je ne répondrai pas sur le fonds mais sur ce que tu pointes vis-à-vis des notifications. Deux éléments de réponse :
- cf "Profil", "Vie privée", "Suivre automatiquement les sujets auxquels on a répondu" décoché doit régler le problème et tu pourras alors venir faire un tour sur le forum quand tu le souhaites, spontanément et non parce que notification(s)
- plus radical, tu peux supprimer / modifier par un mail bidon le mail renseigné dans ton profil.
Deux options que je ne souhaite pas forcément que tu utilises, entendons-nous bien.

Profite bien des fêtes, repose-toi et reviens-nous en forme et apaisé,
Amicalement, Peace & Love,
Cédric.

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#30 17-12-2020 10:54

Hyarion
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Re : Tolkien et le conte de fées : enchantements et pouvoirs théologiques

Hello Cédric,

Merci pour ces éléments de réponse : je garde le courriel renseigné (on ne sait jamais) et j'ai décoché la case de suivi automatique (je ne me rappelais plus qu'elle existait !).

Cédric a écrit :

Profite bien des fêtes, repose-toi et reviens-nous en forme et apaisé,
Amicalement, Peace & Love

C'est gentil Cédric, merci beaucoup.
Grosse fatigue en ce moment, en effet...
Passe également de bonnes fêtes.

Peace and love, always,

Amicalement,

Benjamin.

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#31 17-12-2020 11:34

Elendil
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Re : Tolkien et le conte de fées : enchantements et pouvoirs théologiques

Hyarion a écrit :

Quant à Taguieff, pour les raisons d'absence de neutralité conceptuelle que j'ai évoquées, il peut toujours analyser ce qu'il veut, dans le sens qu'il souhaite et en convoquant les citations qu'il préfère : personnellement, je ne peux pas prendre son point de vue pour une démonstration scientifique, a fortiori lorsqu'il est question d'histoire des idées, délicate discipline que j'avais eu l'occasion d'ailleurs d'évoquer il y a quelques mois, à l'occasion d'un hommage à Zeev Sternhell et Pierre Milza : https://www.jrrvf.com/fluxbb/viewtopic. … 907#p88907

J'avoue avoir esquissé un sourire à la lecture de cette phrase, vu qu'elle me paraît être une parfaite illustration d'un commentaire émis par un certain T.W. Hutton à l'occasion d'un débat organisé par la Debating Society de la King Edward's School de Birmingham, le 16 décembre 1910, sur le thème « The Evils of the Press have up to now exceeded its Benefits » :

Incontestably we form our own opinions, and then select a paper to match.

King Edward's School Chronicle, n° 185 (fév. 1911)

N.B. : Hutton était en désaccord avec la motion proposée. Tolkien quant à lui était le secrétaire de séance ; il ne s'est pas exprimé, car c'était le débat (annuel ?) réservé aux anciens élèves (Old Edwardians, ou plus familièrement Old Boys). Il reçut néanmoins le qualificatif de « reptile visqueux », étiquette que chaque orateur devait normalement employer en préambule pour désigner le secrétaire de séance, et ce depuis des temps immémoriaux, si l'on en croyait le premier intervenant, un certain W.L. Vince.

E.

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#32 17-12-2020 14:13

ISENGAR
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Re : Tolkien et le conte de fées : enchantements et pouvoirs théologiques

Ce même T.W. Hutton est par ailleurs l'auteur d'un livre intitulé King Edward's School, Birmingham - 1552-1952, publié à Oxford en 1952.

I.

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#33 19-12-2020 00:31

Yyr
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Re : Tolkien et le conte de fées : enchantements et pouvoirs théologiques

Les veilles de vacances ne nous réussissent guère, Benjamin.
Je regrette le tort que j'ai pu te causer, et je souhaiterais sincèrement pouvoir te réconforter — mais j'imagine n'être pas le mieux placé.
Je te souhaite en tout cas le meilleur et que tu nous reviennes en meilleure forme,

Jérôme

Elendil a écrit :
Hyarion a écrit :

Quant à Taguieff, pour les raisons d'absence de neutralité conceptuelle que j'ai évoquées, il peut toujours analyser ce qu'il veut, dans le sens qu'il souhaite et en convoquant les citations qu'il préfère : personnellement, je ne peux pas prendre son point de vue pour une démonstration scientifique, a fortiori lorsqu'il est question d'histoire des idées, délicate discipline que j'avais eu l'occasion d'ailleurs d'évoquer il y a quelques mois, à l'occasion d'un hommage à Zeev Sternhell et Pierre Milza : https://www.jrrvf.com/fluxbb/viewtopic. … 907#p88907

J'avoue avoir esquissé un sourire à la lecture de cette phrase, vu qu'elle me paraît être une parfaite illustration d'un commentaire émis par un certain T.W. Hutton à l'occasion d'un débat organisé par la Debating Society de la King Edward's School de Birmingham, le 16 décembre 1910, sur le thème « The Evils of the Press have up to now exceeded its Benefits » :

Incontestably we form our own opinions, and then select a paper to match.

King Edward's School Chronicle, n° 185 (fév. 1911)

Sans même entrer dans la question épistémologique de ce qui est « scientifique » ou de ce qui est « neutre », le soupçon ici jeté fait déjà partie de l'histoire des idées elle-même : sommes-nous entièrement déterminés par nos opinions et par des attitudes qui nous conduisent à chercher à les conforter ? Les différentes racines de l'histoire des idées de l'Occident ne répondent pas de la même façon. Une autre manière de comprendre certaines convergences est que certaines analyses conduisent à sélectionner certaines opinions et non l'inverse. Par exemple, il est possible que Tolkien et d'autres chrétiens se soient retrouvés chrétiens d'abord à cause de leurs réflexions (pour faire vraiment très court) et non l'inverse. Que la relation soit ensuite à double sens est une évidence, mais qui n'abroge pas le sens du mouvement général. Incidemment, quel que soit le bout par lequel on saisit l'affaire, on doit s'attendre à des convergences entre Tolkien et ses coreligionnaires.

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#34 20-01-2021 23:59

Hyarion
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Re : Tolkien et le conte de fées : enchantements et pouvoirs théologiques

Le texte qui suit a été initialement conçu comme préambule à un message destiné, initialement, à être publié dans le fuseau consacré à la question du libre arbitre, en partant de l'indication de Yyr selon laquelle la discussion (dans le fuseau en question, mais je reprend l'indication de façon plus générale) resterait ouverte. Le message original ayant fini par être trop long (on ne se refait pas), j'ai préféré d'abord poster le texte faisant initialement office de préambule ici, dans le sillage direct d'une digression de Yyr issue de considérations « taguieffiennes » commencées (ici et surtout ) dans le fuseau sur le libre arbitre. C'est donc dans ledit fuseau sur le libre arbitre que l'on trouvera le corps principal de mon message original : https://www.jrrvf.com/fluxbb/viewtopic. … 781#p89781

N'ayant pas choisi de faire remonter, le mois dernier, ce fuseau que j'avais initialement créé en 2014, merci de bien vouloir respecter mon choix de publier le présent message ici : il y a toute sa place, ne serait-ce que pour des raisons de lisibilité et de liens avec d'autres messages, et bien qu'il soit motivé par le souci de rester avant tout constructif, il n'appelle pas spécialement de réponse, ayant été initialement rédigé, je l'ai dit, comme préambule. ^^

Je reviens ici sans doute en (relativement) meilleure forme et un peu plus apaisé que le mois dernier — entre autres soucis divers et variés, il m'a fallu digérer le fait de n'avoir pas réussi à faire aboutir en 2020 un certain projet d'écriture, ainsi que quelques autres projets (je ne renonce pas, quoique je sois déçu par moi-même) —, mais en ayant toujours à l'esprit le fond des propos que j'ai tenu lors de mes deux derniers « coups de gueule / avis de mise en retrait » d'octobre et de décembre derniers, même si je n'aurai sans doute pas dû concentrer là-dessus tout mon ras-le-bol général dépassant évidemment nos petites histoires tolkieno-numériques... Parce que j'estime des explications sincères être plus constructives et respectueuses d'autrui qu'une bienséance laconique « pudique » voire « taiseuse », il me semble important d'y revenir un peu, amicalement, sans animosité mais avec franchise, histoire de mettre les choses à plat et idéalement commencer, au moins me concernant (a fortiori si le problème devait s'avérer ne venir que de moi), à tourner vraiment la page des prises de tête du passé, d'une manière ou d'une autre. ^^'

Je m'excuse au préalable pour tous les défauts que l'on ne manquera pas de trouver dans ce que j'écris, en préambule comme pour tout le reste : « trop long », « trop personnel », « intempestif », « illisible », voire « dérangeant », ou « malséant », etc., etc. Exprimer un point de vue comporte toujours le risque de ne pas être compris, et j'ai évidemment beaucoup hésité avant de franchir (à nouveau) le pas, a fortiori dans la mesure où la confiance — envers les autres comme envers soi-même — a eu quelques raisons d'en prendre un coup à la fin de l'année dernière. Puisse le présent point de vue être avant tout appréhendé pour ce qu'il peut apporter de positif s'agissant de, modestement, donner un peu à réfléchir et s'agissant surtout d'avancer, d'une manière ou d'une autre, même si mon propos pourra témoigner, en l'état, de limites perçues en matière de capacités d'échange fructueux sur et autour de J. R. R. Tolkien, en cette maisonnée numérique que j'apprécie entre toutes.

Au bout des dix-sept années que j'ai déjà passé à fréquenter ces lieux, j'avoue que je me demande parfois, alors même que l'on m'a un temps attribué une « pensée circulaire » sous prétexte d'être animé d'un scepticisme pourtant mitigé, si je n'ai pas tourné en rond... non pas en suivant ma propre pensée mais, au contraire, dans le sillage d'une pensée d'autrui qui, de mon point de vue, lorsque j'essaie de la suivre, ne semble me ramener sans cesse, elle, qu'à un même point, un point que l'on pourrait plus ou moins résumer par la formule péremptoire de l'eurodéputé conservateur français F.-X. Bellamy : « Le christianisme dit la vérité. » Autant dire que s'il fallait faire un bilan, il ne paraitrait pas a priori très enthousiasmant ni très réconfortant de mon point de vue... Pourtant, je ne suis évidemment pas « anti-chrétien » : ce serait stupide de le penser, notamment compte-tenu de mon histoire personnelle. Et je ne considère pas le christianisme comme un bloc monolithique : ce serait également stupide de le penser, notamment compte-tenu de son histoire, des schismes et « hérésies » qui la ponctuent notamment, mais aussi bien sûr des innombrables individualités qui s'y rattachent plus ou moins.

Même si j'ai peut-être (je n'en sais rien) toujours été prédisposé à aller vers un certain scepticisme et un certain agnosticisme « comme le canard va à l'eau », le christianisme (catholique) fait partie de mon histoire personnelle, de mon histoire familiale, de l'histoire du monde dans lequel je me trouve être, et je n'ai aucun problème avec cela. Il est des figures chrétiennes, au-delà de la figure historique de Jésus de Nazareth et plus près de notre époque, qui m'inspirent toujours un fort respect, notamment des figures chrétiennes qui se trouvent souvent être passés par le monastère à un moment donné, qu'il s'agisse de l'abbé Pierre qui fut d'abord un moine capucin avant d'être prêtre, ou que ce soit, a fortiori, les moines trappistes du monastère de Tibhirine, assassinés en 1996, et qui ont été béatifiés assez récemment, avec d'autres religieuses et religieux chrétiens tués en Algérie pendant la terrible guerre civile des années 1990. S'agissant d'Henri Grouès, dit l'abbé Pierre, fondateur de l'association « Emmaüs » et de la Fondation pour le logement des défavorisés portant son nom, il m'inspire toujours un profond respect par son action à travers laquelle il a su montrer, sans prosélytisme religieux, le sens profond que peut avoir la notion d'amour du prochain, et plus largement le principe de l'attention bienveillante accordée à autrui au-delà même de toute dimension confessionnelle.

Les « vrais chrétiens » que je désapprouve et critique régulièrement en ces lieux (parce que je me sens plus ou moins « contraint » de le faire, j'y reviendrai plus loin), et que j'appelle ainsi d'après une formulation qu'avait employé un jour Yyr dans une note de bas de page d'un de ses écrits (dont j'avoue avoir oublié la référence), renvoient dans mon esprit à bien autre chose : il est là question de chrétiens bien particuliers de mon point de vue, revendiquant de nos jours le conservatisme religieux jusque sur le terrain de la politique et des questions de société sujettes à débat public, notamment en matière de bioéthique, quoique pas seulement ; des chrétiens conservateurs qui critiquent la « Modernité » ou la « Technique » au nom de ce qu'ils croient être la « Vie », la « Vérité », ou la « Nature » et qui promeuvent comme alternatives aux injustices et aux excès de ce monde des projets — d'« écologie intégrale » ou autre — ne me paraissant renvoyer au fond, sous couvert de « bon sens », d'humanité ou de défense du vivant, qu'à leur système de pensée religieux ; des chrétiens qui peuvent se dire « veilleurs », se réclamer d'un « sens commun », qui généralement sont contre le droit des femmes à l'IVG, contre ce que l'on appelle le droit à mourir dans la dignité, contre toute union, sexualité, parentalité ne correspondant pas à la normativité chrétienne en matière de mariage et de famille, etc. ; des « vrais chrétiens » affirmant ainsi plus ou moins « tirer toutes les conséquences de leur foi » et prétendant donc notamment le faire plus que d'autres chrétiens (c'est surtout cela qui a tendance à me heurter, comme toutes les démarches religieuses, idéologiques, politiques, de personnes qui se veulent plus « radicales », plus « vraies » voire « pures » que les autres, les autres qui, pourtant, ne comptent pas moins que ces « radicaux »). Il est très difficile de décrire en général une tendance idéologique à laquelle on s'oppose sans qu'autrui n'y voit facilement, depuis midi que ledit autrui voit à sa propre porte, un « bel exercice de caricature » pour reprendre une formule d'Elendil, mais voila ainsi en tout cas, succinctement esquissé, forcément à grands traits, la tendance particulière du christianisme (tendance sans doute pas forcément très homogène, car renvoyant évidemment aussi à des individualités, mais tendance en tout cas très orientée) qui, lorsqu'elle se mêle de politique et de débat public (la foi religieuse ici, n'est évidemment pas en soi en cause), me pose un vrai problème de fond, conflictuel, sur un plan spirituel, intellectuel, éthique, philosophique et politique.
C'est ainsi, et ce n'est là au fond, me semble-t-il, qu'une réaction légitime de ma part à des idées qui me paraissent bien trop excessives pour correspondre à ma propre aspiration à tendre vers l'équilibre, dans ce monde plein d'incertitudes où nous avons pourtant des choix à faire. Je n'éprouve pas de haine pour ces personnes qui ne pensent pas comme moi, et les « vrais chrétiens » en question sont du reste loin, très loin, d'être les seuls dans le domaine public du débat d'idées avec lesquels j'ai de profonds désaccords : je ne suis pas « obsédé » par eux, et ils ont évidemment autant de droits que moi ou n'importe qui d'autre à avoir leurs opinions et à les exprimer. Mais comme je ne suis pas un homme de conflit (tant pis pour ceux qui ne le croient pas), et que je ne viens évidemment pas sur JRRVF pour avoir affaire à une sorte de Kulturkampf sans doute en cours en d'autres espaces de discussion non dédiés à la tolkienophilie, tout ce que je peux regretter, c'est que ce problème de fond ait, d'une manière ou d'une autre, des implications dans le cadre d'échanges sur Tolkien : très sincèrement, je préfèrerai qu'il en eût été bien autrement...
Il m'est très pénible d'écrire ces lignes, car je ne veux heurter personne, mais dans le même temps, je m'aperçois qu'au point où j'en suis, il m'est sans doute nécessaire de mettre (une bonne fois pour toutes, j'espère) des mots sur ce qui, vraisemblablement, ne fait pas que me « déranger », et qui en fait, personnellement, me heurte. Nous vivons une époque où l'on s'offense stupidement de tout, et je ne m'inscris pas du tout dans cette logique, mais je dis simplement ce que je pense au bout d'un certain nombre d'années, après avoir beaucoup lu et écouté les autres. J'aurai vraiment préféré que nos échanges dans ce qui est censée être la maison commune nous amènent aussi loin que possible de tout cela.

Seulement voila, Tolkien ayant été un fervent catholique, qui plus est plutôt antimoderne et traditionaliste (sans être toutefois militant), force est de constater qu'il y a bien un problème, récurrent, au moins à mes yeux (et aussi bien pourra-t-on toujours se contenter de dire que ce n'est que « mon » problème). Pourtant, je me dis que les choses pourraient être différentes. Elles auraient du moins pu l'être, peut-être. Il a été supposé, ailleurs, et assez hâtivement, que je ne « connaissais pas » le « Christianisme » (avec un grand C), mais je ne crois pas que des « vrais chrétiens » comme ceux que j'ai évoqués le connaissent plus que moi, car ils ne peuvent jamais en connaître que ce qu'ils veulent bien concevoir en la matière, les perceptions en matière religieuse — on ne le sait que trop — étant évidemment particulièrement propices à la plus grande subjectivité. Ce que je sais, modestement de toute façon, c'est que le christianisme a une histoire et que, comme l'a écrit Augustin d'Hippone, dit saint Augustin, Non vacant tempora (le temps ne chôme pas). Autrement dit, même si l'on peut raisonnablement supposer, comme cela a été postulé par Yyr, que l'« on doit s'attendre à des convergences entre Tolkien et ses coreligionnaires », cela ne signifie pas que tout se vaut par delà le temps et l'espace : même si quelques invariances à peu près évidentes peuvent toujours être notées selon tel ou tel angle d'étude, l'histoire est devenue moderne lorsque l'on a cessé de considérer le passé comme n'étant pas différent du présent.

Ainsi en est-il, pour ne prendre que cet exemple, de la papauté et de son interaction avec le monde des idées à une époque donnée. Même seulement vu de France, je connais « un peu » le contexte politico-religieux dans lequel a grandi et s'est formé la génération d'Européens occidentaux dont fait partie J. R. R. Tolkien : d'un point de vue catholique, il s'agit de l'époque des pontificats de Léon XIII et de Pie X. Sur ce contexte, j'ai eu l'occasion de me forger une opinion en lisant notamment, à l'âge du lycée, des recueils d'époque de la revue documentaire catholique les Questions actuelles, datant des années 1900 et qui sont en fait un héritage familial (me venant d'une de mes arrières-grands mères, catholique comme tous mes aïeux connus, née quelques années avant Tolkien, et décédée quelques années après lui). C'est notamment en lisant cette revue que j'ai appris, en autodidacte, des choses sur la vie politique de la IIIe République française que nous n'avions guère le temps d'aborder en détail au lycée, des choses sur le pape Léon XIII, mort en 1903, et sur son successeur Pie X, champion de l'antimodernisme, et sur tout le contexte qui a notamment abouti, en France, à la fameuse loi de 1905 sur la séparation de l'Église et de l'État. Ce contexte politico-religieux lié à la France, Tolkien lui-même, bien qu'étant Anglais et vivant en Angleterre, était en mesure de le connaître, au moins un peu : G. B. Smith, dans sa jeunesse, lui avait offert un exemplaire (possédé aujourd'hui par Oronzo Cilli) de la nouvelle édition (Londres, Macmillan and Co., 1898, rééd. 1907) de l'ouvrage France de John Edward Courtenay Bodley (1853-1925), qui est une sorte de grand portrait à la fois historique, politique et constitutionnel de la France contemporaine depuis la Révolution française jusqu'à la Troisième République à l'époque de la séparation de l'Église et de l'État (séparation évoquée notamment d'emblée dans la nouvelle préface de la nouvelle édition de 1907).
Mais surtout, Tolkien connaissait vraisemblablement bien l'orientation idéologique, antimoderne, du pape Pie X, héritier en cela notamment de l'« infaillible » Pie IX, prédécesseur de Léon XIII. Dans la lettre n°250 de J. R. R. Tolkien à Michael Tolkien (novembre 1963), après qu'ait été notamment évoqué l'« hérésie » protestante (sans la qualifier comme telle, mais le sens, catholique, du propos me parait clair), on lit : « Je pense que la plus grande réforme de notre temps est celle qui a été mené par saint Pie X : allant plus loin que tout ce que le Concile [Vatican II] réalisera (même si cela est nécessaire). Je me demande dans quel état serait aujourd'hui l'Église sans cette réforme. » En note, on (« on », c'est-à-dire apparemment Humphrey Carpenter, a priori, assisté de Christopher Tolkien pour éditer les Letters) suppose qu'il s'agirait, de la part de J. R. R. Tolkien, « peut-être [d']une référence à la recommandation faite par Pie X de communier chaque jour et de faire communier les enfants ». La supposition me semble un peu légère, même en tenant compte du contexte "cultuel" de la lettre. Par rapport aux réformes qui étaient attendues de Vatican II dans les années 1960, le bilan du pontificat de Pie X était un modèle de rigorisme doctrinaire revendiquant la Tradition et abhorrant la « Modernité » : au-delà d'une promotion de la communion ou de la réforme du chant grégorien, il y a en particulier la condamnation des chercheurs chrétiens catholiques jugés coupables de pratiquer une version moderne (historico-critique) de l'exégèse biblique, et plus largement toute une orientation traditionaliste dudit Pie X à laquelle il me semble que Tolkien a été clairement sensible, même sans être ouvertement militant ni avoir forcément un avis sur tout.

À noter, pour l'anecdote — et ainsi qu'en fait état notamment la contribution de José Manuel Ferrández Bru à la conférence de la Tolkien Society en 2012 à l'Université de Loughborough —, que le secrétaire d'État du Vatican sous le pontificat de Pie X, le cardinal Rafael Merry del Val y Zulueta, était un cousin de Francis de Zulueta (1878-1958), un professeur catholique de droit civil à Oxford, parrain de la fille de J. R. R. Tolkien, et semble-t-il défavorablement connu de plusieurs de ses collègues oxoniens pour son soutien aux nationalistes franquistes durant la guerre civile espagnole puis au régime de Francisco Franco après ce conflit, soit un positionnement idéologique et politique similaire à celui de Tolkien lui-même : sans doute n'y a-t-il pas là vraiment de hasard, ici comme en d'autres points sur lesquels la recherche pourrait, peut-être, encore faire quelques avancées, même si j'avoue que le domaine de recherche relatif au christianisme conservateur européen de la première moitié du XXe siècle, entre antimodernisme de Pie X et franquisme « défenseur du catholicisme », ne m'attire pas du tout.
(N.B.: de mon point de vue, sur un plan moral, concernant Francis de Zulueta, le fait qu'il ait pu, par ailleurs, aider des professeurs juifs allemands ayant fuit les persécutions antisémites du IIIe Reich, ne saurait en soi « racheter » son soutien au franquisme. Les gens, quelles que soient leurs idées, ne font pas toujours de mauvais choix dans leur vie, c'est tout, et encore heureux.)

Tout cela pour dire (amicalement) que, quitte à parler des idées religieuses de Tolkien (ce qui est certes loin de me passionner à titre personnel, on l'aura compris), j'aurai préféré (je préfèrerai) que l'on en parle comme on peut parler aujourd'hui de la Bible : de façon moderne, c'est-à-dire, comme peut le faire l'École biblique de Jérusalem, en étudiant un contexte pour mieux comprendre une pensée ou des écrits. À cette aune, je me demande (sincèrement) pourquoi citer abondamment Benoît XVI, ou éventuellement son prédécesseur polonais ou son actuel successeur argentin sur le trône de Saint Pierre, quand ce sont les papes de la fin du XIXe siècle et de la première moitié du XXe siècle qui sont ceux que Tolkien a connu (et probablement lu) en son temps ? Essayer de connaître un peu mieux les idées de Tolkien (forcément inscrites dans un espace-temps donné) en tenant compte de sa foi catholique, c'est une chose, mais considérer prioritairement la « Vérité » chrétienne comme universelle et immuable me parait en être une autre. Les exégètes dominicains de la Bible s'accommodent très bien d'une exégèse historico-critique mêlé au respect du Magistère, mais il n'ont pas le monopole de l'appréhension du christianisme et de sa compréhension, pas plus que les tolkienologues se voulant chrétiens. Le problème — ou « mon » problème, si l'on préfère —, c'est que lorsque l'on ne tient compte de la foi de Tolkien que depuis le présent ou au mieux un passé récent, c'est la porte ouverte à une lecture possiblement si orientée de l'œuvre que l'on peut s'en trouver réduit à en apprendre finalement moins sur Tolkien que sur ses commentateurs, a fortiori s'ils se positionnent sur le terrain idéologique particulier de ceux que j'ai appelé les « vrais chrétiens », terrain en présence duquel je ne peux que finir par être « contraint » de réagir, tant les idées de ces « vrais chrétiens », à force de m'être mise sous le nez alors que je ne les partage pas (même en ayant le catholicisme au moins comme part de ma culture), finissent par me paraitre invasives, même si ce n'est là que mon sentiment, et que l'on pourra toujours se plaindre de trouver mon point de vue à la fois très ennuyeux et excessif.

Ainsi, à cette aune, même si je suis évidemment tout-à-fait conscient et respectueux de tout le travail qui transparait derrière les plus volumineuses contributions de chacun dans les échanges, mois après mois, année par année, face à un discours sur Tolkien qui, me semble-t-il, varie peu dans ses préoccupations, qui au mieux ne me parait chercher la vérité que seulement dans un seul sens, indexé a priori sur une « Vérité » révélée, au nom d'une herméneutique chrétienne censée in fine tout dominer (sous couvert de « tout relier », ce qui, à mes yeux, finit par faire système), ma situation ne peut qu'être difficile, et hélas sans beaucoup de perspectives d'évolution en l'état... Voila pourquoi, même en étant ouvert à un large champ (notamment spirituel) des possibles, même en n'oubliant pas d'où je viens moi-même, j'avoue que je ne vois pas (ou plus) trop d'espace pour une véritable discussion, quand bien même il ne serait question toujours ici que d'étudier Tolkien à partir de ses écrits et de ses idées...

Du reste, quand je vois, ici ou et j'en oublie, cette constance à critiquer continuellement la « Modernité », comme si c'était une source majeure et permanente de dangers épouvantables, qui plus est au nom d'un supposé « bon sens » à la fois tolkienien et chrétien, j'en viens presque à me demander si tout cela ne vise pas à remettre tout simplement plus ou moins en cause le fait historique — et fort heureux selon moi — que l'Europe moderne se soit un jour libérée, non pas de la religion, mais de l'emprise religieuse ayant notamment si longtemps entravé le droit légitime à la critique de la religion. Quelles idées se cachent donc au juste derrière cette critique si systématique de la « Modernité » ? Tout de même pas une volonté d'un retour/recours au religieux pour « nous sauver », sur fond éventuellement de « nostalgie » pour l'ancienne unité religieuse de l'Occident médiéval, du temps où n'existaient même pas les quelques libertés dont nous bénéficions de nos jours (du moins encore pour le moment, car elles réapparaissent à nouveau fragiles à divers égards) ? On parle beaucoup, et depuis longtemps, d'un « retour du religieux », comme si c'était quelque-chose de désirable pour certains, de redoutable pour d'autres, mais la sécularisation a bien eu lieu, et le religieux aujourd'hui, malheureusement d'ailleurs, semble surtout servir de matière à des crispations identitaires aussi regrettables que dangereuses, dans un contexte où « l'inévidence de Dieu est désormais l'atmosphère que nous respirons tous », pour citer une formule de Camille Riquier (dans un entretien accordé au Figaro l'année dernière). Les auteurs antimodernes et/ou chrétiens conservateurs n'ont en tout cas pas le monopole (y compris spirituel) ni du cœur, ni du « bon sens », ni de la critique de la technique, ni du souci de l'avenir du vivant. Tous ces discours critiques de la « Modernité », compilés, répétés, comme autant de variations sur le même thème, finissent ainsi surtout par à la fois attrister et lasser sans convaincre, à force d'insistance. Du moins est-ce mon point de vue, certes déjà exprimé plusieurs fois.

Et si, par là-dessus, l'on ajoute à cela des considérations plus explicitement idéologiques et politiques, notamment par exemple autour d'un livre de Pierre-André Taguieff, évoqué d'abord ailleurs puis ici-même, ma foi, n'en jetez plus... mais aussi bien ai-je déjà réagi plus haut à ce propos...
(NB: Taguieff est quelqu'un que j'ai lu surtout, dans mon souvenir, quand j'étais au lycée, il y a en tout cas longtemps maintenant, mais pour avoir eu l'occasion assez récemment de me mettre rapidement à jour vis-à-vis de sa bibliographie de ces dix dernières années, je précise tout de même, au passage, qu'il m'arrive encore d'être d'accord avec certaines des prises de position intellectuelles dudit Taguieff, par exemple sur l'évidente absurdité puritaine et faussement antisexiste que représente la législation française actuelle concernant la prostitution ou sur la toute aussi évidente impasse idéologique et philosophique que constitue de nos jours le pseudo-antiracisme « décolonial »... mais par contre, s'agissant de son « comparatisme » socialisme/communisme/nazisme sur fond de procès intellectuel général contre « l'émancipation promise » — comme si l'idée même d'émancipation était à jeter à la poubelle, au nom d'un prétendu « bon sens » conservateur s'accommodant des injustices et des inégalités —, ainsi que je l'ai déjà écrit ici-même le mois dernier, c'est un propos dont le potentiel méphitique me laisse pour le moins dubitatif, et qui me parait au fond seulement « bon » à satisfaire plus ou moins des lecteurs « de droite », chrétiens ou non, sans doute satisfaits d'y trouver notamment des justifications à leur antimarxisme, à leur antisocialisme et à leur propre critique « vertueusement » orientée du « Progrès » et de la « Modernité » ; en ce sens comme par d'autres aspects, il y a assez longtemps que Taguieff me parait être devenu avant tout un essayiste politologue, parfois surtout pamphlétaire, plutôt qu'un historien des idées)

Bref, durant toutes ces années, j'ai essayé, pour ma part, d'apporter (très) modestement « autre chose », sans penser que cela soit « mieux » et même en ne me sentant que rarement « légitime » pour le faire... et c'est encore le cas aujourd'hui avec ce que je propose comme « conclusion » personnelle aux échanges concernant la question du libre arbitre, dans ce qui sera peut-être (ou pas) un dernier effort au bout de dix-sept ans de présence ici.

Qui sait ? Peut-être que tout cela servira à d'autres, en tout cas, quand nous aurons toutes et tous disparus, si quelque sauvegarde aura pu être faite du contenu du présent forum de JRRVF... ^^'

La suite, sans doute un peu plus agréable à lire (du moins je l'espère), quoique sans doute imprégnée, au moins par endroits, d'une certaine mélancolie, se passe donc à cette adresse : https://www.jrrvf.com/fluxbb/viewtopic. … 781#p89781

Peace and Love,

B.

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#35 23-02-2021 23:58

Hyarion
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Re : Tolkien et le conte de fées : enchantements et pouvoirs théologiques

(En guise d'appendice à ce qui précède)

À l'occasion de ma lecture d'un ouvrage tout récent du sociologue Stéphane Beaud et de l'historien Gérard Noiriel, Race et sciences sociales. Essai sur les usages publics d'une catégorie (éd. Agone, 2021) — dans lequel les deux auteurs essayent de remettre un peu les pendules à l'heure, en matière de sciences humaines et sociales, face à un agenda polico-médiatique français notamment envahi par de stériles polémiques identitaires mêlées (entre autres) à des questions de « race » largement importées des États-Unis d'Amérique dans leurs acceptions actuelles —, je suis tombé dernièrement sur une évocation de Pierre-André Taguieff qui tend à étayer plus ou moins mon impression dubitative quant à l'intérêt idéologique de sa récente convocation (jusque-là inédite) dans des discussions à thématique tolkienienne :

L'exemple le plus frappant du ralliement d'une partie des intellectuels de gauche au discours identitaire dominant [en France] fut celui de Pierre-André Taguieff [...]. Proche des anarchistes situationnistes quand il était étudiant à Nanterre en 1968, il a soutenu une thèse publiée en 1988 sous le titre La Force du préjugé qui a été l'une des contributions majeures, dans le domaine de la philosophie, sur la question raciale, notamment parce qu'il a mis en évidence les contradictions dans lesquelles se débattait le mouvement antiraciste [en France]. L'objectif de sa recherche était de repenser la notion du racisme pour permettre à la gauche de produire une stratégie efficace (dans un contexte marqué par la montée du Front national). SOS Racisme, dont il était proche, lui confia alors la présidence de l'observatoire de l'antisémitisme. Philosophe, convaincu qu'on pouvait être à la fois un grand penseur et un fin politique (ce qui explique en partie son hostilité à l'égard de la sociologie critique), Taguieff consacra une grande partie de son énergie à alimenter les discours d'experts. Analyste officiel du rapport annuel de la Commission nationale consultative des droits de l'homme, puis conseiller du Conseil représentatif des institutions juives de France, il fut aussi chargé d'un rapport officiel sur la question du racisme pour le ministre de l'Éducation nationale Luc Ferry, ex-philosophe rallié à la pensée de Nicolas Sarkozy. Taguieff finit par se retrouver aux côtés d'Alain Finkielkraut pour signer un appel contre les « ratonnades anti-blanc »(*).

(*) Cette pétition a été lancée à l'initiative du mouvement sioniste Hachomer Hatzaïr et de Radio Shalom, à la suite d'actes de violence commis par quelques jeunes d'origine africaine contre des lycéens blancs, lors des manifestations des 15 février et 8 mars 2005 (Sur cette affaire, lire par exemple L'Obs du 31 mars 2005).

Stéphane Beaud et Gérard Noiriel, Race et sciences sociales. Essai sur les usages publics d'une catégorie, Marseille, Agone, collection « Épreuves sociales », 2021, Deuxième partie, 4., p. 197-198.

Si la mise en boîte de Luc Ferry est largement méritée, compte tenu de la trajectoire politico-médiatique notoire de l'individu, je trouve personnellement un peu douteux, à lire les deux auteurs, de faire de la seule mention d'Alain Finkielkraut comme co-pétitionnaire, en fin d'évocation, une sorte de marque de « déchéance » politico-intellectuelle d'un point de vue « de gauche », mais il est vrai que Beaud et Noiriel ne cachent pas, dans le sillage de leur maître Pierre Bourdieu (qu'ils citent abondamment), leur antipathie à l'égard de Finkielkraut, lequel a certes ses obsessions, et des opinions parfois très regrettables sur certains sujets, mais sans pour autant être le réactionnaire archétypal qu'aiment tant dénoncer ses détracteurs, Finkie me paraissant en fait plus moderne qu'on ne le croit, comme j'ai déjà eu l'occasion de l'écrire ailleurs (à cette aune, si le Finkielkraut Sampler peut encore m'amuser aujourd'hui, c'est moins pour la moquerie qu'il encourageait à l'origine, que pour le miroir ironique qu'il renvoie de nôtre époque, si prompte à rouler dans la farine les individus plus ou moins intempestifs que le cirque médiatico-numérique du temps se choisit pour proies). Mais concernant Taguieff, les auteurs Beaud et Noiriel confirment plus ou moins ce que j'ai compris du parcours de l'intellectuel en question jusqu'à nos jours, intellectuel avec lequel, comme je l'ai déjà écrit précédemment, il m'arrive encore d'être d'accord sur certains sujets, mais que je n'aurai pas eu l'idée de convoquer aujourd'hui pour étudier Tolkien (sauf peut-être concernant la question du racisme, laquelle cependant ne me passionne pas), quand bien même Taguieff a été édité, s'agissant de son essai L'Émancipation promise, par les éditions du Cerf, bien connues en France de tout un lectorat chrétien, et en particulier catholique. Or il se trouve que Taguieff est devenu soudainement intéressant pour certains ici, dans la perspective notamment de « comprendre » l'antimodernisme et l'antisocialisme de J. R. R. Tolkien, essentiellement parce que Taguieff remet en cause l'usage même de la notion d'émancipation (qu'il estime plus ou moins galvaudée aujourd'hui dans un sens non spécialisé, comme si les mots ne pouvaient être au fond utilisés que par des clercs au nom d'un « conservatisme intelligent »), à la grande satisfaction forcément de tous les conservateurs « de droite » qui, prétendument chrétiens ou non, se considèrent plus ou moins comme les adhérents « naturels » d'une sorte de « normalité » identitaire justifiant notamment et sempiternellement les inégalités sociales... « Synthèse » jugée « remarquable » ou pas, on est évidemment là dans le parti pris le plus complet, et à choisir, j'aurai préféré que les choses ne soient pas dissimulées, à cette aune, derrière une « neutralité » tolkienophile quelque peu de façade : quand on est « intéressé » par un auteur récent traitant « richement » de questions ayant des implications idéologiques, politiques, religieuses, autant annoncer plutôt clairement la couleur et dire d'où on parle, qu'il s'agisse de l'auteur cité pour son « érudition rare » comme du commentateur qui cite, pour partager quoi et avec quels présupposés idéologiques (s'il y en a, bien sûr... or il y en a assez souvent, surtout quand on parle de Dieu des religions du Livre, du christianisme, du conservatisme, du marxisme, du socialisme, etc.). Du moins est-ce mon point de vue.

Il y aurait bien d'autres choses à dire sur le livre de Beaud et Noiriel, que je trouve notamment utile par rapport à ce qu'il dit du rôle (pas toujours très éclairé, parfois équivoque) et des positionnements sociaux et politiques (plus ou moins assumés) de certains historiens et sociologues ayant pignon sur rue, de certains chercheurs (universitaires ou non) plus généralement, de certains intellectuels « à la française », des « experts » médiatiques, des journalistes (plus ou moins engagés), etc., le tout sur fond notamment d'une « fait-diversion » de la politique française remontant au XIXe siècle, et d'un débat public notamment accompagné de nos jours des « moyens d'argumentation » que sont, sur les « rézosocios » numériques, la violence verbale et le moralisme... La critique publiée dans Le Monde au sujet de ce livre m'a paru assez médiocre par rapport au contenu de l'ouvrage : le journaliste, Florent Georgesco, se contente essentiellement de déplorer de ne pas avoir trouvé dans ce livre ce qu'il espérait vraisemblablement y trouver pour semble-t-il conforter ses propres convictions (« décoloniales » ?) en matière de questions identitaires de « race »... Pour ma part, même si je ne suis pas toujours d'accord avec certains propos et partis pris des deux auteurs, et sachant que je considère la « race » comme étant un faux concept (dont la dimension imaginaire historiquement construite ne saurait suffire selon moi à désigner proprement le réel), j'ai plutôt trouvé dans leur livre, sans pour autant être marxiste, la confirmation de mon avis concernant l'importance des appartenances en matières de classes sociales ou de niveaux sociaux, importance qui me parait dans l'ensemble plus décisive, y compris sur le plan de la construction culturelle par rapport à la part du naturel, que l'importance des origines ethniques ou du sexe/genre (qui comptent évidemment aussi, certes, mais n'expliquent pas forcément grand-chose si l'on ne tient pas suffisamment compte de la classe sociale ou du niveau dans la hiérarchie sociale et du degré de richesse ou de pauvreté des individus).

[...] Si tout l'art du social scientist (historien ou sociologue) consiste à démêler finement, selon les contextes (géographique, historique, interactionnel) le jeu des différentes variables agissantes, il reste qu'on ne peut rien comprendre au monde dans lequel nous vivons si l'on oublie que la classe sociale d'appartenance (mesurée par le volume de capital économique et de capital culturel) reste, quoi qu'on en dise, le facteur déterminant autour duquel s'arriment les autres dimensions de l'identité des personnes.

Stéphane Beaud et Gérard Noiriel, Race et sciences sociales. Essai sur les usages publics d’une catégorie, op. cit., conclusion, p. 369.

Il est par ailleurs notamment aussi question, dans ce livre, des divisions de « la gauche » en France (divisions causées notamment par de méphitiques volontés d'assignations identitaires), ce qui m'aura rappelé, au passage, qu'étant encore coincé entre l'arnaque macroniste et l'escroquerie mélenchoniste, « mon » socialisme modéré et intempestif continue d'être en souffrance... mais c'est une autre histoire.

Peace and love,

B.

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#36 06-03-2021 22:59

Yyr
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Re : Tolkien et le conte de fées : enchantements et pouvoirs théologiques

Absent depuis quelques semaines, je vois que je n'ai rien raté d'autre que la traditionnelle reprise du disque rayé, Hyarion, avec son lot d'inexactitudes, toujours les mêmes (ex. des « religions du Livre » ; Ok pour les musulmans ; je ne sais pas ce qu'en pensent les Juifs ; en tout cas ça n'a rien à voir avec le Christianisme = à la rigueur la « religion de l'Incarnation »), de fantasmes, toujours les mêmes (ex. des « vrais chrétiens » — une absurdité que tu ne risques guère de retrouver dans quelque note que ce soit de ma part), et autres projections qui ne parlent pas de Tolkien ni de nous mais, toujours, à travers elles, de toi et de la croisade que tu te sens « contraint » (arf, la liberté ...) de mener, en finissant toujours par te rendre compte que, à ton corps défendant, tu cours le « risque d'apparaître excessivement généralisateur » (à peine !!! ...) et « qu'il est vraiment temps pour [t]oi de passer à autre chose » (!!! on se pince à chaque fois en lisant ça : c'est effectivement « un jour sans fin ») — la dernière couche, la plus épaisse de toutes, ayant été étalée à un moment de « mise en retrait du forum » (whââ !).

Bref, pour ce qui est du présent fil, je ne vois rien qui montre un « anti-socialisme primaire » de la part de Tolkien. Son incise, remise dans son contexte, montre qu'il renvoie dos à dos deux idéologies se disant socialistes, le Marxisme-Léninisme et le Nazisme, mais qu'il ne dit rien des autres socialismes. Quant à trouver dans les deux idéologies visées deux frères ennemis, j'observe pour ma part qu'il ne s'agit pas que d'une lecture chrétienne, mais, avec Taguieff, d'une lecture plus largement philosophique (ce qui peut tout à fait être contredit, mais je ne vois pas une once d'argument dans tes propos, que du ressenti et de l'outrage).

Pour la route :

Hyarion a écrit :

Tout cela pour dire (amicalement) que, quitte à parler des idées religieuses de Tolkien (ce qui est certes loin de me passionner à titre personnel, on l'aura compris), j'aurai préféré (je préfèrerai) que l'on en parle comme on peut parler aujourd'hui de la Bible : de façon moderne, c'est-à-dire, comme peut le faire l'École biblique de Jérusalem, en étudiant un contexte pour mieux comprendre une pensée ou des écrits.

Arf :) Merci pour les conseils.

À cette aune, je me demande (sincèrement) pourquoi citer abondamment Benoît XVI, ou éventuellement son prédécesseur polonais ou son actuel successeur argentin sur le trône de Saint Pierre, quand ce sont les papes de la fin du XIXe siècle et de la première moitié du XXe siècle qui sont ceux que Tolkien a connu (et probablement lu) en son temps ? Essayer de connaître un peu mieux les idées de Tolkien (forcément inscrites dans un espace-temps donné) en tenant compte de sa foi catholique, c'est une chose, mais considérer prioritairement la « Vérité » chrétienne comme universelle et immuable me parait en être une autre. Les exégètes dominicains de la Bible s'accommodent très bien d'une exégèse historico-critique mêlé au respect du Magistère, mais il n'ont pas le monopole de l'appréhension du christianisme et de sa compréhension, pas plus que les tolkienologues se voulant chrétiens. Le problème — ou « mon » problème, si l'on préfère —, c'est que lorsque l'on ne tient compte de la foi de Tolkien que depuis le présent ou au mieux un passé récent, c'est la porte ouverte à une lecture possiblement si orientée de l'œuvre que l'on peut s'en trouver réduit à en apprendre finalement moins sur Tolkien que sur ses commentateurs, a fortiori s'ils se positionnent sur le terrain idéologique particulier de ceux que j'ai appelé les « vrais chrétiens », terrain en présence duquel je ne peux que finir par être « contraint » de réagir, tant les idées de ces « vrais chrétiens », à force de m'être mise sous le nez alors que je ne les partage pas (même en ayant le catholicisme au moins comme part de ma culture), finissent par me paraitre invasives, même si ce n'est là que mon sentiment, et que l'on pourra toujours se plaindre de trouver mon point de vue à la fois très ennuyeux et excessif.

N'importe quoi. La grande majorité des références spirituelles sur JRRVF et dans d'autres travaux sont bibliques. Le dernier gros boulot était thomiste. Les trois derniers papes ont reçu la portion congrue. Et je ne vais pas m'empêcher de tisser des liens évidents parce que ça te paraît invasif (toujours du ressenti). Pour le fond de la méthodologie que tu proposes (hum, le mot est faible), historico-critique, que veux-tu, elle est carnassière. Pour moi et pour d'autres, si les idées de Tolkien s'inscrivent dans un espace-temps donné, elles ne sont pas réductibles à cet espace-temps donné, c'est-à-dire qu'elles se nourrissent certes d'un terreau, mais la lumière qui fait respirer l'arbre, un arbre singulier, vient d'ailleurs. Nous ne sommes pas d'accord sur ce point, c'est tout.

Ainsi, à cette aune, même si je suis évidemment tout-à-fait conscient et respectueux de tout le travail qui transparait derrière les plus volumineuses contributions de chacun dans les échanges, mois après mois, année par année, face à un discours sur Tolkien qui, me semble-t-il, varie peu dans ses préoccupations, qui au mieux ne me parait chercher la vérité que seulement dans un seul sens, indexé a priori sur une « Vérité » révélée, au nom d'une herméneutique chrétienne censée in fine tout dominer (sous couvert de « tout relier », ce qui, à mes yeux, finit par faire système), ma situation ne peut qu'être difficile, et hélas sans beaucoup de perspectives d'évolution en l'état... Voila pourquoi, même en étant ouvert à un large champ (notamment spirituel) des possibles, même en n'oubliant pas d'où je viens moi-même, j'avoue que je ne vois pas (ou plus) trop d'espace pour une véritable discussion, quand bien même il ne serait question toujours ici que d'étudier Tolkien à partir de ses écrits et de ses idées...

Alors tu es un grand malade à continuer à intervenir sur ces discussions.
Tu es prié de laisser chacun faire comme il lui semble juste et non pas comme il te semble juste.
On attend toujours tes propres sujets, thèmes, réflexions, au lieu de nous resservir toujours les mêmes commentaires de nos commentaires.

À bon entendeur,

Yyr
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#37 08-03-2021 23:12

Hyarion
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Re : Tolkien et le conte de fées : enchantements et pouvoirs théologiques

En découvrant, deux jours après, le message qui précède, ma première intention a été de répondre seulement « No comment (comme dirait Serge)... », mais cela eût été sans doute trop facile (et trop décalé).

Yyr a écrit :

N'importe quoi.

Voila à quoi aurait, peut-être, pu se limiter, en tout cas, le contenu de ton message... au point où nous en sommes.

Yyr a écrit :

...des « religions du Livre » ; Ok pour les musulmans ; je ne sais pas ce qu'en pensent les Juifs ; en tout cas ça n'a rien à voir avec le Christianisme = à la rigueur la « religion de l'Incarnation »...

Le pape actuel vient d'effectuer (plutôt courageusement, d'ailleurs) un voyage important en Irak, et a notamment présidé, samedi dernier, 6 mars, une cérémonie interreligieuse à Ur, qui passe traditionnellement (et certes sans fondements historiques ou archéologiques concrets) pour être le lieu d'origine d'Abraham, figure séminale commune aux trois religions monothéistes dites de facto abrahamiques, et figure dont il est question, à l'origine, dans l'Ancien Testament. J'assume d'employer une expression courante en parlant du « Dieu des religions du Livre » pour faire simplement référence au Dieu des trois religions abrahamiques (avec toutes leurs variations respectives)... et aussi bien, merci de m'épargner une leçon de théologie ou d'histoire des religions : de façon générale, je n'ai pas de leçons à recevoir de toi, Yyr, que ce soit en matière d'« inexactitudes », de « fantasmes », de « projections », de philosophie, d'épistémologie, de christianisme, etc. Ton attitude, inévitablement condescendante dès qu'il y a une difficulté, me fatigue.

Yyr a écrit :

...des « vrais chrétiens » — une absurdité que tu ne risques guère de retrouver dans quelque note que ce soit de ma part...

Je me suis efforcé d'expliquer, ici précédemment et ailleurs, avec autant de tact que possible, ce que j'entendais derrière cette expression, dont je ne me servirais plus mais que j'ai employée essentiellement faute de mieux, à partir initialement de ce que tu avais exprimé toi-même, par écrit (notamment dans je-ne-sais plus quelle version de je-ne-sais plus quel article de ta main : de cela, je suis certain), en matière de rapport entre la foi chrétienne et la vérité, entre une illusion d'appartenance au christianisme et une supposée réalité de domination aliénante de la Technique, entre les « vertus » supposées de la conjugalité chrétienne (assimilable à la conjugalité des Eldar décrite dans HoME X) et les « vices » supposés d'une sexualité distincte de la conjugalité (chrétienne et/ou elfique) et prétendument soumise à la Machine via notamment les techniques contraceptives. J'assume ma part toute personnelle de déduction par rapport à ce que j'ai lu et ce que j'ai essayé de comprendre du point de vue d'autrui, mais sans tout cela, honnêtement, je pense que l'expression ici mise en question ne me serait sans doute pas venue telle quelle à l'esprit, et que tous les développements ultérieurs que j'aurai peut-être pu m'épargner autant qu'épargner aux autres, n'auraient pas vu le jour au moins sous la forme qu'ils ont pris.

J'ai accordé trop d'importance à ton point de vue, Yyr, que ce soit en ce qui concerne Tolkien et son œuvre, ou que ce soit en ce qui concerne ta vision du christianisme et de la vie humaine en général : là est probablement fondamentalement mon erreur, ma faute si l'on veut, bien plus que dans ma surinterprétation possible de tes considérations (notamment anti-techniciennes) sur ces sujets. Ta vision de l'œuvre de Tolkien, quelle que soit la pertinence de ta grille de lecture tolkienophilement religieuse, non seulement n'est pas du tout la mienne, mais ne permet pas d'échanges autrement qu'en des termes antagonistes in fine, du fait entre autres de ces dichotomies (« croyants »/autres ; étoilés/carnassiers) sur lesquelles tu ne te lasses pas de t'appuyer. De mon point de vue, c'est sans issue, et j'ai probablement eu tort de supposer qu'il pouvait y avoir quelque-chose de significatif à chercher mutuellement dans le cadre de toutes ces discussions, que ce soit en public ou en privé...

Yyr a écrit :

...je ne vois pas une once d'argument dans tes propos...

Alors, c'est probablement que tu me lis mal, tout simplement. Mais il est vrai que je n'ai pas voulu développer outre mesure, ayant du reste, je l'avoue, autre chose à faire que d'écrire toute une somme sur le socialisme, à destination d'un public croyant qu'il suffit d'avoir « candidement » lu un essai de Taguieff pour, entre autres, comprendre et justifier ce que Tolkien croyait être le « Socialisme » dans le contexte de son temps...

Yyr a écrit :
Hyarion a écrit :

Tout cela pour dire (amicalement) que, quitte à parler des idées religieuses de Tolkien (ce qui est certes loin de me passionner à titre personnel, on l'aura compris), j'aurai préféré (je préfèrerai) que l'on en parle comme on peut parler aujourd'hui de la Bible : de façon moderne, c'est-à-dire, comme peut le faire l'École biblique de Jérusalem, en étudiant un contexte pour mieux comprendre une pensée ou des écrits.

Arf :) Merci pour les conseils.

Ce ne sont pas des « conseils », Yyr... et cela n'est pas non plus une revendication impérieuse, d'ailleurs, comme tu sembles te plaire à le croire (?).

Yyr a écrit :

Pour le fond de la méthodologie que tu proposes (hum, le mot est faible), historico-critique, que veux-tu, elle est carnassière.

N'as-tu pas commencé ton message en parlant toi-même de « disque rayé » ? Avec ta dichotomie étoilés/carnassiers, là aussi, « c'est effectivement « un jour sans fin » »...

Yyr a écrit :

Alors tu es un grand malade à continuer à intervenir sur ces discussions.

Va savoir... Merci en tout cas pour ce nouveau diagnostic, docteur : c'est toujours un plaisir que d'en prendre connaissance.

Yyr a écrit :

Tu es prié de laisser chacun faire comme il lui semble juste et non pas comme il te semble juste.

Excuse-moi d'avoir pris le temps de te lire, longuement, pendant toutes ces années, et excuse-moi d'avoir accordé une certaine importance à ce que tu as bien voulu partager en ces lieux. ^^' En tout cas, je n'ai jamais rien imposé à personne ici, que je sache, et je n'ai même pas, sur la forme, les pouvoirs de « modérateur » dont tu entends faire usage à l'occasion. Ce genre d'avertissement, en forme de prière, me semble donc plutôt hors de propos.

Yyr a écrit :

On attend toujours tes propres sujets, thèmes, réflexions, au lieu de nous resservir toujours les mêmes commentaires de nos commentaires.

Qui est ce « on » ?
Le pire, c'est que, mine de rien, malgré mes difficultés récurrentes à terminer des projets, ce dont je ne fais pas mystère (« Finir demande un cœur d'acier », écrivait Delacroix), j'ai déjà beaucoup écrit et partagé, en ces lieux ou ailleurs... mais qu'est-ce qui t'intéresse, au fond, à part Tolkien traité comme un sujet plus ou moins « hors-sol », moyennant notamment ta dichotomie étoilés/carnassiers plus ou moins manichéenne ? Ton « retour fâché » me rappelle utilement, au moins, que nous n'avons probablement pas, au fond, grand-chose à partager. Tant pis, ce n'est pas grave.

J'ai gardé ceci pour la fin (sinon « pour la route ») :

Yyr a écrit :

...la dernière couche, la plus épaisse de toutes, ayant été étalée à un moment de « mise en retrait du forum » (whââ !).

Mise en retrait ne veut pas dire disparition... mais à te lire, il faut croire qu'effectivement, je ne suis pas resté assez invisible (hors interventions éventuellement jugées par toi intéressantes). ^^' Je m'efforcerai, à l'avenir, de faire en sorte de ne plus trop te décevoir sur ce point.

Bonne continuation, Jérôme... et sans rancune, pour ce qui me concerne.

B.

P.S.: une petite évocation musicale dans un fuseau dédié, et je m'éclipse...

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#38 09-03-2021 10:34

Elendil
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Re : Tolkien et le conte de fées : enchantements et pouvoirs théologiques

Yyr a écrit :

[...]
Alors tu es un grand malade à continuer à intervenir sur ces discussions.
[...]

Pour ce qui me concerne, tu as bien le droit d'être fâché à la lecture des messages précédents de Hyarion, si tu les estimes injustes à ton égard. Il est possible aussi que tu sois fatigué à ton retour ici, et que cela explique en partie la virulence de tes propos. Toutefois, en dépit de divergences de vue bien plus significatives avec Hyarion qu'avec toi, j'ai quand même tendance à penser qu'Hyarion montre une meilleure grâce à discuter, et à exposer ses idées, ou ses différences, de manière plus calme, et en tout cas plus polie.

Hyarion a écrit :

Le pape actuel vient d'effectuer (plutôt courageusement, d'ailleurs) un voyage important en Irak, et a notamment présidé, samedi dernier, 6 mars, une cérémonie interreligieuse à Ur, qui passe traditionnellement (et certes sans fondements historiques ou archéologiques concrets) pour être le lieu d'origine d'Abraham, figure séminale commune aux trois religions monothéistes dites de facto abrahamiques, et figure dont il est question, à l'origine, dans l'Ancien Testament. J'assume d'employer une expression courante en parlant du « Dieu des religions du Livre » pour faire simplement référence au Dieu des trois religions abrahamiques (avec toutes leurs variations respectives)...

En même temps, vu l'histoire d'Abraham telle qu'elle est racontée dans la Bible, il ne s'agissait pas d'une figure historique d'une importance suffisante pour espérer découvrir grand-chose à son propos par la voie archéologique... Quant aux fondements historiques, je dirais qu'on a quand même un document historique assez conséquent qui justifie la localisation, quand bien même on peut très largement discuter de l'exactitude historique d'une bonne partie des événements décrits dans l'Ancien Testament...

En revanche, il est vrai que je souscris très largement à la critique d'Yyr de l'expression en question, qui n'est là encore utilisée que par des gens qui n'y connaissent pas grand-chose. De fait, pour le christianisme, c'est absolument inadapté. Pour le Judaïsme, je n'ai jamais lu de périphrases commençant par "religion de...", mais s'il devait y en avoir une, je pense que ce serait "religion de la Loi", ce qui n'est pas exactement la même chose. Pour l'Islam, cela fonctionne, mais ce n'est pas le même livre... A ce compte-là, on pourrait aussi bien inclure le zoroastrisme comme religion du Livre, puisque là encore la pratique religieuse découle de leur livre sacré, l'Avesta, et si l'on admet que les chrétiens, les Juifs et les Musulmans cherchent tous à s'adresser à la même entité créatrice suprême, quelles que soient leurs divergences de vues à son égard, alors il serait parfaitement injuste d'exclure du lot les Zoroastriens. Et si l'on admet cela, j'aurais un argument supplémentaire en faveur du taoïsme... wink

A vrai dire, l'expression "religions abrahamiques" est déjà meilleure, dans la mesure où les trois dont nous parlons mentionnent toutes Abraham et ses principaux successeurs. Sur le plan historique, cela met l'accent sur une certaine forme de lien entre elles, lien absent du Zoroastrisme, par exemple, même si la religion mazdéenne joue un rôle dans l'Ancien comme dans le Nouveau Testament, et, si je ne m'abuse, dans le Coran aussi. Sur le plan théologique, elle est plus problématique, car si christianisme comme Judaïsme font remonter l'Alliance initiale à Abraham (ce qui en fait une figure incontestablement séminale pour elles deux), il n'en va pas de même du Coran, qui la fait remonter à Adam. C'est une différence qui peut apparaître mineure au premier regard, mais qui a une importance largement égale à l'acceptation ou non d'une Nouvelle Alliance, car ces deux éléments permettent de comprendre les importantes différences de rapport entre ces religions et leur Livre respectif.

E.

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#39 18-03-2021 15:19

Yyr
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Re : Tolkien et le conte de fées : enchantements et pouvoirs théologiques

Elendil a écrit :
Yyr a écrit :

[...]
Alors tu es un grand malade à continuer à intervenir sur ces discussions.
[...]

Pour ce qui me concerne, tu as bien le droit d'être fâché à la lecture des messages précédents de Hyarion, si tu les estimes injustes à ton égard. Il est possible aussi que tu sois fatigué à ton retour ici, et que cela explique en partie la virulence de tes propos. Toutefois, en dépit de divergences de vue bien plus significatives avec Hyarion qu'avec toi, j'ai quand même tendance à penser qu'Hyarion montre une meilleure grâce à discuter, et à exposer ses idées, ou ses différences, de manière plus calme, et en tout cas plus polie.

Ce serait un euphémisme de dire que je suis fatigué.
Je ne sais pas si mon retour n'était pas poli. Sans doute. Disons surtout, car c'est la vérité, qu'il n'était pas gentil.
Le problème n'est pas celui de l'injustice, de la grâce à discuter, des idées, etc., mais du ras-le-bol devant le sempiternel refrain de Benjamin, qui pollue la moindre de nos discussions sérieuses de ses lubies, à la limite (souvent franchie) de la diffamation me concernant (que l'on pourrait, pas tout à fait mais presque, résumer par « Yyr et les vrais chrétiens »).
Sans compter une certaine lassitude, concernant ses contrepieds récurrents (catégorisant alors qu'il ne faut pas catégoriser, n'ayant jamais autant écrit que depuis qu'il s'est mis en retrait, etc.), son amphigouri, et les faux-sens voire les contresens récurrents relatifs aux « religions du livre » (ce qui, sur ces derniers points, l'amphigouri et les contresens, ne serait pas un problème, si ce n'était mêlé de polémiques et de mises en cause personnelles) — les sages parlent de ce qu'ils savent ...

Pour paraphraser Jean ailleurs, je n'ai pas l'intention de me pourrir la vie, ayant d'autres choses bien plus importantes à vivre.
À l'inverse de Jean, cependant, je n'ai pas l'intention de quitter JRRVF.

Or donc, je nous propose de passer à autre chose.
Et si Benjamin me chante encore son refrain, je vous avertis que j'écraserai dorénavant sur son post le marteau de Cétautomatix, aussi souvent que nécessaire.

Cela pourrait être évité :

Hyarion a écrit :

N'as-tu pas commencé ton message en parlant toi-même de « disque rayé » ? Avec ta dichotomie étoilés/carnassiers, là aussi, « c'est effectivement « un jour sans fin » »...

Arf, la comparaison n'est pas fausse. De toute façon, sur ce point et ta question d'une approche historico-critique, j'ai eu tort, emporté par mon humeur, de te répondre comme je l'ai fait : ce sont effectivement des choses à discuter, ce que j'aurais fait dans d'autres conditions.

La comparaison n'est pas fausse mais elle n'est pas proportionnée. Je te laisse faire le tour des 10 et même des 15 dernières années du forum et comparer le nombre de rengaines de ta part sur l'approche chrétienne de Tolkien sur JRRVF et les miennes sur les approches carnassières (*).

Mais peu importe, admettons !

Eh bien je te propose d'arrêter ton refrain sur ce que tu « désapprouve[s] et critique[s] régulièrement en ces lieux [...] parce que [tu] [te] sens plus ou moins “contraint” de le faire » (ou, à tout le moins, si vraiment tu ne peux pas t'en empêcher, tu ouvres un fuseau dédié auquel tu renvoies aussi souvent que nécessaire, mais tu arrêtes de polluer chaque discussion), et j'arrête bien volontiers le mien sur les approches carnassières. Chiche ?

Cela nous éviterait bien des malheurs, Cétautomatix ne sortirait pas son marteau, et Assurancetourix serait le plus excellent des compagnons.

Mise en retrait ne veut pas dire disparition... mais à te lire, il faut croire qu'effectivement, je ne suis pas resté assez invisible (hors interventions éventuellement jugées par toi intéressantes). ^^' Je m'efforcerai, à l'avenir, de faire en sorte de ne plus trop te décevoir sur ce point.

Pas assez invisible sur ton refrain certainement.
Pour le reste, c'était au contraire plaisant et instructif de te lire, comme à ton habitude.

Jérôme

____________________________________

(*) Sur la question, je me suis depuis longtemps rangé à la synthèse d'un autre Benjamin ;).

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#40 19-03-2021 00:23

Yyr
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Re : Tolkien et le conte de fées : enchantements et pouvoirs théologiques

Elendil a écrit :

A vrai dire, l'expression "religions abrahamiques" est déjà meilleure, dans la mesure où les trois dont nous parlons mentionnent toutes Abraham et ses principaux successeurs. Sur le plan historique, cela met l'accent sur une certaine forme de lien entre elles, lien absent du Zoroastrisme, par exemple, même si la religion mazdéenne joue un rôle dans l'Ancien comme dans le Nouveau Testament, et, si je ne m'abuse, dans le Coran aussi. Sur le plan théologique, elle est plus problématique, car si christianisme comme Judaïsme font remonter l'Alliance initiale à Abraham (ce qui en fait une figure incontestablement séminale pour elles deux), il n'en va pas de même du Coran, qui la fait remonter à Adam. C'est une différence qui peut apparaître mineure au premier regard, mais qui a une importance largement égale à l'acceptation ou non d'une Nouvelle Alliance, car ces deux éléments permettent de comprendre les importantes différences de rapport entre ces religions et leur Livre respectif.

Tout à fait : Tandis que, dans la Bible, Abraham inaugure l’histoire du salut, dans l’islam, il s'inscrit dans une lignée prophétique qui commence avec Adam.
Ajoutons que que, dans le premier cas, l'héritage d'Abraham passe par Isaac, tandis que, dans le second cas, du moins après la rupture de Médine, son héritage passe par Ismaël.
Mais, surtout (d'après moi), si la figure de l'alliance s'appelle dans les deux cas Abraham, elle désigne dans le premier cas une alliance d'amour (que la Bible décrira de façon récurrente par le prisme de l'amour conjugal), dans le second cas une alliance d'obéissance (entre le suzerain et ses vassaux ; Islam : lit. « soumission à Dieu »).

En nommant “les trois religions d’Abraham”, on croit s’engager sur un terrain d’entente en invoquant un ancêtre commun. En réalité, on met plutôt le doigt sur une pomme de discorde […]. Ce n’est pas parce que les noms sont identiques que les personnages le sont […]. [...] l’Abraham que les trois religions auraient en commun est une vague abstraction […]. Accepter cet Abraham, ce serait pour chacune renoncer à une dimension de sa foi.

Rémi Brague, Du Dieu des chrétiens. Et d’un ou deux autres, Flammarion, 2008, pp.26,33

Si on a raison d’accorder à Abraham une importance décisive dans la vision de l’histoire religieuse des trois monothéismes, on aurait tort de confondre les plans sur lesquels juifs, chrétiens et musulmans se situent par rapport à la foi, à l’espérance et à la charité abrahamiques. En effet, de tous les prophètes communs à la Bible, à l’Evangile et au Coran, c’est précisément Abraham qui accentue la rupture entre les trois religions.

Michel Hayek, Le mystère d’Ismaël, Mame, 1964, p. 24

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#41 19-03-2021 11:09

Yyr
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Re : Tolkien et le conte de fées : enchantements et pouvoirs théologiques

Tant qu'on y est, on peut éclaircir le quiproquo sur l'expression des « Trois religions du Livre ». Cette expression, comme d'autres éléments de langage et de culture (contemporains mais pas que), provient d'une islamisation de nos référentiels. Je pensais que ce serait bien trop compliqué d'aborder cela, mais je viens de me souvenir, suite au post précédent, qu'un spécialiste de ces questions en avait admirablement rassemblé et résumé les contours. Ainsi été interrogé :

En votre qualité d'historien de la pensée médiévale, dans les domaines chrétien, juif et musulman, comment concevez-vous le rapport des trois religions du Livre à l'activité philosophique ? Pensez-vous qu'il y ait notamment une différence entre la théologie et la philosophie en chrétienté, et entre le Kalâm et la falsafa en Islam ?

Il avait répondu :

Les différences sont multiples, mais elles sont croisées. Il y a d’une part une tension à l'intérieur de chacune des deux religions, entre un pôle théologique et un pôle philosophique. Mais il y a aussi un abîme entre la théologie en chrétienté et le Kalâm en Islam, entre la philosophie en chrétienté et en Islam, où elle s'appelle falsafa. Ce qui a d’ailleurs pour conséquence que ces tensions entre deux pôles ne sont pas du tout produites et négociées de la même façon.

La différence majeure entre la philosophie et la falsafa est peut-être de nature sociale, elle tient dans le mot « institutionnalisation ». La falsafa est restée en terre d’islam une affaire privée, le fait d'individus en assez petit nombre. Les grands philosophes de l'Islam étaient des amateurs et faisaient de la philosophie pendant leurs heures de loisir : Farabi était musicien, Avicenne médecin et vizir, Averroès juge. Avicenne faisait de la philosophie la nuit, entouré de ses disciples, après une journée normale de travail aux affaires. Et il ne refusait pas un verre de vin pour se ravigoter un peu et se tenir éveillé. On a à peu près la même situation chez les Juifs : Maïmonide était médecin et juge rabbinique, Gersonide astronome (et astrologue), etc. Les grands philosophes juifs ou musulmans atteignent les mêmes sommets que les grands scolastiques, mais ce sont des isolés sans guère d'influence sur la société.

Dans l’Europe médiévale, la philosophie est devenue une matière universitaire, dont on pouvait vivre. Elle est aussi le fait d’une masse de sans-grade, de « profs de philo » lambda. Ceux-ci n'ont guère laissé de noms dans les manuels, même si on peut toujours exhumer leurs cours et y trouver bien des surprises. Mais ce sont eux qui ont permis à la philosophie de pénétrer profond dans les esprits des juristes, médecins, etc., qu'ils formaient, et de devenir de la sorte un fait social.

Cela a une incidence capitale sur la relation entre philosophie et théologie. On peut être un rabbin ou un imam parfaitement compétent sans avoir jamais étudié la philosophie. En revanche, une formation philosophique fait partie de l'équipement de base du théologien chrétien. Elle est même obligatoire depuis le concile du Latran (1215). La tension entre philosophie et théologie, en chrétienté, est pour ainsi dire verticale : elle oppose des gens qui ont fait les mêmes études, puisque les théologiens ont tous commencé par apprendre la philosophie. Ils parlent donc le même langage. La tension entre Kalâm et falsafa, en Islam, est horizontale : elle oppose des spécialistes de disciplines différentes, et qui contestent chacun la légitimité de la méthode de l’autre.

Quant à la théologie, c’est une spécialité chrétienne. Certes, plusieurs religions ont développé des savoirs qui peuvent aller jusqu'à un très haut degré de technicité et de subtilité, là où il s’agit de raconter les aventures des dieux, de réglementer le culte qui leur est dû, d’expliciter leurs commandements quand ils en émettent. En revanche, la « théologie » comme projet d'exploration rationnelle du divin selon le programme d’Anselme, n'existe que dans le christianisme.

En dernière analyse, cela tient au statut de ce qui permet une théologie, à savoir celui du logos dans les diverses religions. C'est ici qu'il me faut corriger une expression de votre question. Vous parlez des « trois religions du Livre ». L'expression est devenue courante, mais elle reste trompeuse. D’abord, parce qu’on s'imagine souvent qu’elle rendrait l'expression arabe de « gens du livre » (ahl al-kirâb). Cette expression technique désigne les religions ayant précédé l'islam et qui, parce qu’elles possèdent un Livre saint, ont droit à un statut juridique reconnu dans la cité musulmane, celui de « protégé » (ahl al-dhimma). En ce sens, elle exclut l'islam lui-même. Si en revanche on la prend au sens large, non technique, elle inclut l'islam.

Mais on voit alors le second piège de l'expression, et qu’il est symétrique au premier : elle laisse croire que dans ces trois religions qui, effectivement, comme d’autres d’ailleurs, ont un livre, le contenu de la révélation serait ce livre. Or, dans le judaïsme, ce contenu est l’histoire de Dieu avec son peuple qu'il libère et qu'il guide en lui donnant son Enseignement (torah) ; dans le christianisme, c’est la personne du Christ qui, pour les chrétiens, concentre l'expérience antérieure d'Israël. Les textes écrits consignent cette histoire, ou, pour le Talmud, recueillent les discussions des savants sur l'interprétation et l’application des commandements divins. Mais ces livres ne constituent en aucun cas le message même de Dieu aux hommes. Ce n’est que dans l'islam que l’objet révélé est Le Livre. Finalement, la seule religion du Livre, c’est l'islam !

Pourquoi cette précision ? Parce que la façon même dont le dieu parle, le style même de son logos, décide de la façon dont celui-ci pourra être élaboré. Si la parole divine est une loi, il faut l'expliquer et l'appliquer avec le maximum de précision. Mais elle ne dit rien sur celui qui l’édicte. Si cette parole est une personne, et à l'inverse si cette personne est une parole qui dit qui est celui qui l’émet, elle achemine vers une certaine connaissance de Dieu.

Rémi Brague, Au moyen du Moyen Âge : philosophies médiévales en chrétienté, judaïsme et islam, Champs essais, 2006, pp.17-20

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#42 20-03-2021 13:20

Silmo
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Re : Tolkien et le conte de fées : enchantements et pouvoirs théologiques

eh bé, encore une dispute sur JRRVF, ce n'est pas nouveau et souvent on se dit que c'était vain.
Je me garderai bien de réagir mais juste pour vous faire sourire, je contesterai la notion de "religion DU Livre".. On aurait pu dire, religion de la tablette, du parchemin, du manuscrit, du velin, du marbre gravé mais point du livre inventé plus tard. S'il est question de la bible, on aurait dit, la religion "des" Livres (Genèse, Exode, Job, Daniel, Jérémie, les Nevi'im et les Ketouvim etc. sans oublier Les Lamentations qui pourraient clore cette discussion)
S.
'Abraracourcix smile

ps : la théologie n'est pas une spécialité chrétienne, même si elle l'est devenue plus tard, on la doit d'abord à Platon et Aristote lequel distinguait philosophes et théologiens bien avant la naissance de Jésus (ensuite je me tais, je ne veux pas m'embarquer dans ce débat)

pps : Je l'ai déjà dit à Benjamin en toute amitié, il faut qu'il s'efforce d'être concis. Je lis volontiers ses posts mais pas des messages de 15.000 mots. On en revient toujours à Boileau "ce qui se conçoit bien s’énonce clairement et les mots pour le dire arrivent aisément smile Faut faire court cher Hyarion, sinon, on te zappe. Et comme avec Jérôme ou d'autres, on peut être amis sans avoir les mêmes idées. Ce qui réunit importe plus que ce qui sépare.

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#43 20-03-2021 13:59

ISENGAR
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Messages : 4 968

Re : Tolkien et le conte de fées : enchantements et pouvoirs théologiques

Ah oui, non mais, j'vois bien où tu veux nous entraîner, Silmo... une fois pour toute, la Bible n'est pas une trilogie !
Hein, quoi ? On ne parlait pas de la même chose ?...

I. monkey

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#44 20-03-2021 14:37

Silmo
Inscription : 2002
Messages : 4 040

Re : Tolkien et le conte de fées : enchantements et pouvoirs théologiques

smile  Ce n'était pas mon but mais tu as raison, ça marche, pas une trilogie biblique, beaucoup plus de livres ou moins de livres, on ne sait jamais  comment compter, c'est pourquoi je ne m'en occupe pas, pas plus que les différentes versions du SdA ou la geste d'Arthur et les épisodes de Star Wars . bon ouik à toute la famille.

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#45 20-03-2021 15:39

ISENGAR
Lieu : Tuckborough près de Chartres
Inscription : 2001
Messages : 4 968

Re : Tolkien et le conte de fées : enchantements et pouvoirs théologiques

Merci ! Bon courage pour les 4 semaines à venir smile

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#46 25-03-2021 14:37

Elendil
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Re : Tolkien et le conte de fées : enchantements et pouvoirs théologiques

Yyr a écrit :

Le problème n'est pas celui de l'injustice, de la grâce à discuter, des idées, etc., mais du ras-le-bol devant le sempiternel refrain de Benjamin, qui pollue la moindre de nos discussions sérieuses de ses lubies, à la limite (souvent franchie) de la diffamation me concernant (que l'on pourrait, pas tout à fait mais presque, résumer par « Yyr et les vrais chrétiens »).

[...]

Or donc, je nous propose de passer à autre chose.
Et si Benjamin me chante encore son refrain, je vous avertis que j'écraserai dorénavant sur son post le marteau de Cétautomatix, aussi souvent que nécessaire.

Je comprends bien l'agacement et l'impression que tu ressens d'être la cible d'attaques injustes. Dans la mesure où ces sentiments sont partagés par Benjamin, mieux vaut en effet passer à autre chose, car les discussions sur le forum trouvent là leur limite. Les malentendus qui pourraient aisément être résolus autour d'un pot de bière hobbitique tendent à s'empiler quand ils sont successivement exposés par écrit, surtout quand ils sont rédigés sous l'empire de la fatigue ou de l'irritation.

Toutefois, si je puis me permettre une remarque fondée sur mon expérience, mieux vaut éviter d'être à la fois juge et partie. Même si tu exerces la modération conformément aux règles du forum et avec autant d'impartialité que possible, ton contradicteur risque fort de te trouver biaisé dans l'exercice du pouvoir. Par conséquent, mieux vaudrait en référer à Cédric au cas où tu estimerais que Hyarion ait passé les limites. En espérant qu'il ne soit nullement nécessaire d'en arriver là, car cela ne me semblerait être un aveu d'échec collectif. Echec qui me semble parfaitement évitable si chacun y met un peu du sien.

E.

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