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#1 17-04-2017 00:52

Moraldandil
Lieu : Paris 18e
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Chant de la femme d’Āsemo (Kullervo)

[Édit (Yyr) 2021 : ce fuseau est l'un des nombreux rejetons de l'arbre initial de la traduction des poèmes]

J'ai récemment acquis The Story of Kullervo, la réécriture du cycle de Kullervo dans le Kalevala que J. R. R.  Tolkien écrivit vers 1913-1914, édité par Verlyn Flieger et récemment publié.

Il est très intéressant d'y retrouver les premiers pas d'écrivain d'un tout jeune Tolkien alors au début de sa vingtaine, dans le feu de sa découverte du Kalevala et du finnois, s'entraînant à la narration et à la poésie.  Le commentaire, extrait d'une présentation du Kalevala pour un club d'étudiants, est déjà très caractéristique de sa manière.

J'ai trouvé particulièrement délicieux un des poèmes intercalés dans la narration : le chant magique de la femme d’Āsemo le forgeron, par lequel elle entend protéger ses vaches confiées à la garde de Kullervo. C'est une reprise directe du chant 32 du Kalevala, où le personnage correspondant est la femme d'Ilmarinen.

Tolkien reprend dans ce poème le rythme octosyllabique obsédant du vers kalévaléen, et mêle noms finnois ou pseudo-finnois (annonçant le quenya qui viendra peu après) et de nombreux archaïsmes caractéristique de sa première façon d'écrire,  telle qu'on l'observe aussi dans les Contes perdus. Archaïsmes d'ailleurs pas toujours employés à bon escient, on le voit par exemple employer thou "tu" comme un pluriel, énormité grammaticale qu'il n'aurait sûrement pas commise plus tard !

Du coup, je me suis précipité cet après-midi et ce soir sur une feuille de papier pour en faire un rendu en français. Je vous le livre ici quasi brut de décoffrage.

Guard my kine O gracious Ilu
From the perils in the pathway
That they come not into danger
Nor may fall on evil fortune.
If my herdsman is an ill one
Make the willow then a neatherd
Let the alder watch the cattle
And the mountain ash protect them
Let the cherry lead them homeward
In the milktime in the even.
If the willow will not herd them
Nor the mountain ash protect them
And the alder will not watch them
Nor the charry drive them homeward
Send thou then thy better servants,
Send the daughters of Ilwinti
To guard my kine from danger
And protect my horned cattle
For a many are thy maidens
At thy bidding in Manoine
And skilled to herd to white kine
On the blue meads of Ilwinti
Until Ukko comes to milk them
And gives drink to thirsty Kēme.
Come thou maidens great and ancient
Mighty daughters of the Heaven
Come thou children of Malōlo
At Ilukko’s mighty bidding
O [Uorlen?] most wise one
Do thou guard my flock from evil
Where the willows will not ward them
Out across the quaking marshland
Where the surface ever shifteth
And the greedy depths are gulping.
O thou Sampia most lovely
Blow the honey-horn most gaily.
Where the alder will not tend them
Do thou pasture all my cattle
Making flowers upon the hummocks:
With the melody of the mead-horn
Make thou fair this heathland border
And enchant the skirting forest
That my kine have food and fodder,
And have golden hay in plenty
And the heads of silver grasses.
O Palikki’s little damsel
And Telenda thy companion
Where the rowan will not tend them
Dig my cattle walls all silver
Down on both sides of their pasture
With your straying feet of magic
Cause the grey springs to spout coolly
And the streams that flow by swiftly
And the speedy running rivers
Twixt the shining banks of grassland
To give drink of honey sweetness
That the herd may suck the water
And the juice may trickle richly
To their swelling teeming udders
And the milk may flow in runlets
And may foam in streams of whiteness.
But Kaltūse thrifty mistress
And arrester of all evil,
Where the wild things will not guard them,
Fend the sprite of ill far from them,
That no idle hands do milk them
And their milk on earth be wasted
That no drops flow down to Pūlu
And that Tanto drink not of it
But that when at Kame at milk tide
Then their milkstreams may be swollen
And the pails be overflowing
And the good wife’s heart be gladdened.
O Terenye maid of Samyan,
Little daughter of the forests
Clad in soft and beauteous garments
With thy golden hair so lovely
And thy shoon of scarlet leather,
When the cherry will not lead them
Be their neatherd and their shepherd.
When the sun to rest has sunken
And the bird of Eve is singing
As the twilight draweth closer
Speak thou to my horned creatures
Saying come ye hoofed cattle
Come ye homeward trending homeward.
In the house ‘tis glad and pleasant
Where the floor is sweet for resting
On the waste ‘tis ill to wander
Looming down the empty shorelands
Of the many lakes of Sutse.
Therefore come ye horned creature
And the women fire will kindle
In the field of honeyed grasses
On the ground o’ergrown with berries.

Gracieux Ilu, garde mes vaches
De tous les périls du chemin,
Qu’elles n’encourent de danger
Ni n’encontrent male fortune.
Et si j’ai un mauvais vacher,
Fais alors du saule un gardien ;
Que l’aulne veille le bétail
Et que le sorbier le protège,
Que le merisier le ramène
À l’étable au soir pour la traite.
Si le saule ne veut garder
Ni le sorbier les protéger,
Si l’aulne ne veut point veiller,
Le merisier les ramener,
Envoie tes meilleurs serviteurs,
Envoie les filles d’Ilwinti
Garder mes vaches du danger,
Protéger mon bétail cornu,
Car nombreuses sont tes pucelles
À ton vouloir à Manoine
Sachant paître les vaches blanches
Sur les prairies bleues d’Ilwinti,
Qu’enfin Ukko vienne les traire
Et calme la soif de Kēme.
Vous, grandes pucelles d’antan,
Ô puissantes filles du Ciel,
Venez, enfants de Malōlo,
Au commandement d’Ilukko.
Ô [Uorlen ?], qui es la plus sage,
Garde mon troupeau de tout mal,
Où les saules les laisseront
Errer par le marais mouvant
Dont toujours change la surface
Et gloutissent les fonds avides.
Ô toi Sampia toute belle,
Sonne gaiement la corne au miel ;
Où l’aulne le négligera,
Fais donc paître tout mon bétail
Et sème les buttes de fleurs ;
Au son de la corne à miessée,
Fais embellir ce bord de lande,
Enchante l’orée des forêts,
Que mes vaches aient en provende
Abondance de foin doré
Et têtes d’herbes argentées.
Demoiselle de Palikki,
Et Telenda, ton compagnon,
Où le sorbier les laissera,
Creuse-leur des puits tout d’argent
Des deux côtés de leur pâture ;
Divaguant de vos pieds magiques,
Faites jaillir les sources grises,
Couler vivement les ruisseaux,
Courir les rivières rapides
Dans leurs berges brillantes d’herbes
En boire doux comme le miel,
Afin que le troupeau s’abreuve
Et que se gonflent goutte à goutte
Du riche jus leurs pis nombreux,
Et que le lait coule en rigoles
Et mousse en ruisseaux de blancheur.
Kaltūse, maîtresse économe,
Toi qui sais arrêter tout mal,
Où faudront les choses sauvages,
Défends-les de l’esprit mauvais,
Que ne les traient point des mains vaines,
Que leur lait ne se perde en terre,
Nulle goutte à Pūlu ne tombe,
Et que Tanto n’en boive rien ;
Mais que pour la traite à Kame
Se gonflent leurs ruisseaux de lait
Et que les seilles en débordent,
Joie au cœur pour la bonne épouse.
Terenye, vierge de Samyan,
Ô fille menue des forêts,
Vêtue de doux et beaux habits,
Aux cheveux d’or si ravissants,
Aux souliers de cuir écarlate,
Quand le merisier leur faudra,
Sois leur vachère et leur bergère.
Quand le soleil va se coucher
Et que va chantant l’oiseau d’Ève,
Que s’approche le crépuscule,
Parle à mes bêtes encornées,
Dis-leur : Venez, vaches et vos sabots,
Venez, rentrez à la maison.
À l’étable il fait bel et bon,
Le sol est doux pour le repos ;
Il fait mal rôder aux gâtines
Qui surplombent les bords déserts
Des si nombreux lacs de Sutse.
Venez donc, bêtes encornées,
Et les femmes feront du feu
Dans le champ aux herbes de miel,
Sur le sol recouvert de baies.

Then Palikki’s little damsel
And Telenda her companion
Take a whip of birch to scourge them
And of juniper to drive them
From the hold of Samyan’s cattle
And the gloomy slopes of alder
In the milktide of the evening.

Demoiselle de Palikki
Et Telenda son compagnon,
Battez-les d’un fouet de bouleau,
De genévrier menez-les
Hors des pacages de Samyan,
Des pentes d’aulne désolées,
Le soir à l’heure de la traite.

O thou Uru, O my darling
My Honeypaw that rules the forest
Let us call a truce together
In the fine days of the summer
In the good Creator’s summer
In the days of Ilu’s laughter
Than thou sleepst upon the meadow
With thine ears thrust into stubble
Or conceal thee in the thickets
That thou mayst not hear cowbells
Nor the talking of the herdsman.
Let the tinkling and the lowing
And the ringing in the heathland
Put no frenzy yet upon thee
Nor thy teeth be seized with longing
Rather wander in the marshes
And the tangle of the forest.
Let thy growl be lost in wastelands
And thy hunger wait the season
When in Samyan is the honey
All fermenting on the hillslopes
Of the golden land of Kēme
Neath the faring bees a-humming.
Let us make this league eternal
And an endless peace between us
That we live in peace in summer,
In the good Creator’s summer.

Ô toi Uru, ô mon chéri,
Patte de miel, maître des bois,
Concluons ensemble une trêve
Durant les beaux jours de l’été,
De l’été du bon Créateur,
Pour les jours du rire d’Ilu,
Pour que tu dormes dur le pré,
Oreilles plongées dans le chaume,
Ou te caches dans les fourrés
Et n’entendes point les clarines
Ni les paroles du vacher.
Que tintements et meuglements
Et sonnailles de par la lande
Ne te mettent point en furie,
Ne donnent désir à tes dents.
Rôde plutôt dans les marais
Et le fouillis de la forêt.
Perds ton grognement aux gâtines,
Attends pour ta faim la saison
Où coule le miel en Samyan,
Tout fermentant sur les coteaux
Du pays doré de Kēme
Sous les abeilles bourdonnantes.
Et rendons ce pacte éternel,
La paix sans fin soit entre nous,
Qu’en paix nous vivions tout l’été,
Tout l’été du bon Créateur.

All this prayer and all this chanting
O then Ukko silver monarch
Hearken to my sweet entreaty.
Bind in leash the dogs of Kūru
And enchain the forest wild things
And in Ilwe set the Sun-star
And let all the days be golden.

De cette prière et ce chant,
Ö Ukko, monarque d’argent,
Écoute la supplication.
Mets la laisse aux chiens de Kūru,
Enchaîne les bêtes des bois,
En Ilwe mets l’astre-soleil
Et que tous les jours soient dorés.

B.

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#2 17-04-2017 01:27

jean
Inscription : 2002
Messages : 893

Re : Chant de la femme d’Āsemo (Kullervo)

Un grand merci

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#3 18-04-2017 10:40

sosryko
Inscription : 2002
Messages : 1 980

Re : Chant de la femme d’Āsemo (Kullervo)

Merci Bertrand pour ce beau cadeau smile

Dès les premiers vers, on relève (chez Tolkien qui suit la traduction de Kirby) la présence d'arbres gardiens (saule, aulne, sorbier, merisier), dont un sorbier/mountain ash, dont Tolkien fera plus tard un personnage à part entière avec l'ent nommé Vif-sorbier/Quickbeam (Cwicbéam, nous dit Shipppey dans Road to Middle-earth [n.7, p.379]).
J'apprécie autant que Tolkien le beau surnom d'honeypaw.

Ou bien, le refrain de la traduction de Kirby :

Through the finest of the summers,
In the good Creator’s summer !

à peine modifié par Tolkien en :

In the fine days of the summer
In the good Creator’s summer

Je note également la présence, dans la forêt, des wild things, qu’on retrouvera avec un autre homme-ours, Beorn, qui annonce que dans Mikwood, autre forêt dangereuse s’il en est, « the wild things are dark, queer and savage ».

S.

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#4 18-04-2017 15:41

ISENGAR
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Re : Chant de la femme d’Āsemo (Kullervo)

C'est toujours impressionnant de voir que, dès ces lointaines années d'avant-guerre, beaucoup de choses étaient déjà là, en gestation.

Merci beaucoup pour tout ceci, cher Bertrand.

I.

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#5 20-04-2017 19:59

Hyarion
Inscription : 2004
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Re : Chant de la femme d’Āsemo (Kullervo)

Merci pour ce partage, Bertrand.

Je me demandais encore, l'autre jour, quel était au juste cet « oiseau d'Ève » (“bird of Eve”) dont parle le poème... Qu'en est-il, selon vous ? J'ai pensé éventuellement à un rossignol, en supposant que le mot anglais “Eve” pouvait peut-être ici renvoyer au soir, d'une manière ou d'une autre, qui de facto se rapproche de la nuit, présente dans le nom anglais de l'oiseau, “nightingale”...
Sinon, le seul oiseau mis en rapport avec Adam et Ève que j'avais identifié jusqu'à présent, au hasard des recherches, figure dans une Légende de l'Oiseau Bleu, texte français d'Auguste Angellier (1848-1911), publié dans un recueil intitulé Contes pour tous (1895) sous le pseudonyme anglophile « Tristam Shandy ». Cette légende, dont Floris Delattre avait fait un résumé dans un ouvrage paru en 1939, met en scène un « Oiseau Bleu Divin », de la couleur du saphir, avec quelques nuances empruntées à l'émeraude et à l'améthyste, dont les chants suaves sont consolateurs pour le premier couple après la Chute.

Amicalement,

Hyarion.

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#6 20-04-2017 21:25

Moraldandil
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Re : Chant de la femme d’Āsemo (Kullervo)

C'est une excellente question, tu mets le doigt sur un gros problème de traduction : car effectivement bird of eve "oiseau du soir" serait nettement plus attendu en contexte. Et pourtant, la majuscule figure bien dans l'édition de Verlyn Flieger, j'imagine qu'elle ne l'a pas mise de son propre chef et qu'elle reproduit un choix typographique de JRRT. On sait bien qu'il aime recourir aux majuscules, mais dans ce poème il n'en met qu'aux noms propres et à quelques personnifications évidentes comme Heaven, Creator, Ocean ou Honeypaw. Inversement, il n'en a pas mis à sun et twilight dans les vers avoisinants, qui auraient pourtant pu s'y prêter.

C'est la raison pour laquelle j'ai favorisé la traduction par le nom biblique. Mais on ne peut certainement pas exclure un oiseau du Soir, même si ce Soir majuscule paraît un peu incongru et que j'imagine difficilement Tolkien passer à côté de l'ambiguïté produite ; il est bien plus probable qu'elle soit voulue, s'il y a bien là dedans une allusion à la première femme en plus de celle au soir. (Jeu de mots évidemment aussi intraduisible, s'il est bien là, que le and I never lie qui conclut le poème de l'Oliphant). Mais j'ignore, s'il y a bien un « oiseau d'Ève » là-dedans, à quoi Tolkien peut faire allusion exactement. Je dois dire que dans ma hâte à traduire je n'ai pas pris là le temps de chercher... Une petite recherche Google rapide sur cette expression suffit à rappeler des attestations chez plusieurs poètes dont James Thomson, Thomas Chatterton, Robert Burns, John Keats, manifestement au sens d' "oiseau du soir" et de"rossignol" ; il est possible que ce soit une expression toute faite (il faudrait que je jette un coup d'oeil dans l'OED).

Pour la nature même de l'oiseau, j'ai aussi pensé immédiatement au rossignol et pour les mêmes raisons que toi... et pas mal de poètes apparemment, pour des raisons évidentes liées au chant nocturne de cet oiseau. Mais il y a aussi le fait que c'est un oiseau qui sera plus tard chez Tolkien lié à l'amour et la femme. Le chant du rossignol est associé avec l'amour de Thingol et Melian, et le nom gris-elfique du rossignol Tinúviel l'est avec celui de Beren et Lúthien. Et l'on retrouve une idée du même ordre sur un registre doux-amer dans l'histoire d'Aldarion et Erendis, avec le couple d'oiseaux chanteurs qu'ils reçoivent des elfes à leur mariage (quoiqu'il ne soit pas dit que ce soient des rossignols)... et qui repartent quand l'amour s'étiole. C'est peut-être chercher un peu loin, mais ce possible « oiseau d'Ève » ne pourrait-il être une préfiguration de cette association d'idées ?

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#7 20-04-2017 22:38

Druss
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Re : Chant de la femme d’Āsemo (Kullervo)

Moraldandil a écrit :

Mais on ne peut certainement pas exclure un oiseau du Soir, même si ce Soir majuscule paraît un peu incongru

Le terme avec une majuscule n'est pas si rare que ça ; on a, certes toujours en expression, Christmas Eve, New Year's Eve, Midsummer's Eve, etc. Personnellement, dans ma propre traduction de ce passage, j'avais traduit par l'oiseau de Veille (mais je n'ai pas la prétention que ça soit un bon choix).

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#8 20-04-2017 22:52

Moraldandil
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Re : Chant de la femme d’Āsemo (Kullervo)

Certes, mais comme tu le notes, toujours en expression avec un nom propre ou quasi nom-propre, ce qui tend à amener la majuscule à tous les mots pleins en typographie anglaise... actuelle. Mais dans un manuscrit en 1913-1914, jamais révisé pour publication par l'auteur même ? On ne peut même pas exclure la simple bizarrerie passagère.

Je ne sais pas si cette difficulté d'interprétation a jamais été soulevée auparavant, mais si c'est le cas ça m'intéresse !

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#9 20-04-2017 23:29

Hyarion
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Re : Chant de la femme d’Āsemo (Kullervo)

Moraldandil a écrit :

[...] C'est la raison pour laquelle j'ai favorisé la traduction par le nom biblique. Mais on ne peut certainement pas exclure un oiseau du Soir, même si ce Soir majuscule paraît un peu incongru et que j'imagine difficilement Tolkien passer à côté de l'ambiguïté produite ; il est bien plus probable qu'elle soit voulue, s'il y a bien là dedans une allusion à la première femme en plus de celle au soir. (Jeu de mots évidemment aussi intraduisible, s'il est bien là, que le and I never lie qui conclut le poème de l'Oliphant). Mais j'ignore, s'il y a bien un « oiseau d'Ève » là-dedans, à quoi Tolkien peut faire allusion exactement. Je dois dire que dans ma hâte à traduire je n'ai pas pris là le temps de chercher... Une petite recherche Google rapide sur cette expression suffit à rappeler des attestations chez plusieurs poètes dont James Thomson, Thomas Chatterton, Robert Burns, John Keats, manifestement au sens d' "oiseau du soir" et de"rossignol" ; il est possible que ce soit une expression toute faite (il faudrait que je jette un coup d'oeil dans l'OED).

Pour la nature même de l'oiseau, j'ai aussi pensé immédiatement au rossignol et pour les mêmes raisons que toi... et pas mal de poètes apparemment, pour des raisons évidentes liées au chant nocturne de cet oiseau. Mais il y a aussi le fait que c'est un oiseau qui sera plus tard chez Tolkien lié à l'amour et la femme. Le chant du rossignol est associé avec l'amour de Thingol et Melian, et le nom gris-elfique du rossignol Tinúviel l'est avec celui de Beren et Lúthien. Et l'on retrouve une idée du même ordre sur un registre doux-amer dans l'histoire d'Aldarion et Erendis, avec le couple d'oiseaux chanteurs qu'ils reçoivent des elfes à leur mariage (quoiqu'il ne soit pas dit que ce soient des rossignols)... et qui repartent quand l'amour s'étiole. C'est peut-être chercher un peu loin, mais ce possible « oiseau d'Ève » ne pourrait-il être une préfiguration de cette association d'idées ?

Je remarque qu'Auguste Angellier a précisément consacré à Robert Burns et à John Keats ses deux thèses soutenues à Lille en 1893, et je me demande du coup si sa Légende de l'Oiseau Bleu, dont j'ai parlé précédemment, ne pourrait pas être une sorte d'exercice de style à partir, effectivement, d'une possible expression toute faite employée par les poètes d'Outre-Manche, en supposant que le récit est entièrement le fruit de son imagination. Ceci dit, l'oiseau d'Angellier, très directement associé par lui à l'histoire d'Adam et Ève juste après la Chute, s'il est inspiré peut-être du rossignol par association d'idées et en raison de son chant mélodieux, fait aussi penser, littéralement pour le coup, à une possible variante merveilleuse d'oiseau de Paradis... sachant en sus que le Paradisier bleu (Paradisaea rudolphi) était une découverte ornithologique très récente à l'époque d'Angellier ! ;-)

En ce qui concerne J. R. R. Tolkien et son mystérieux « oiseau d'Ève », peut-être effectivement cette association qu'il semble (?) faire entre un oiseau chantant de nuit (possiblement un rossignol, donc) et la figure biblique d'Ève est-elle une préfiguration d'une association d'idées que l'on retrouvera plus tard plusieurs fois dans son œuvre comme tu l'a signalé : après tout, ce ne serait pas la première fois que des références « externes » explicites apparaissent plus ou moins clairement dans ses premiers écrits (a fortiori dans un exercice de style de jeunesse comme The Story of Kullervo) avant de disparaître par la suite.

Amicalement,

Hyarion.

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#10 21-04-2017 10:20

Druss
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Re : Chant de la femme d’Āsemo (Kullervo)

J'ai du mal à être convaincu par une double référence, à la lecture du texte. Tolkien louait le caractère sauvage du Kalevala (et d'autant plus la partie sur Kullervo), justement non empreint de nos références et surtout pas celles de la chrétienté dans sa conférence qui accompagne le texte et qui date peu ou prou de la même époque.

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#11 12-05-2017 16:48

Alkar
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Re : Chant de la femme d’Āsemo (Kullervo)

Très élégante traduction, cher ami !

Je m'excuse de mon absence prolongée, mais j'avais perdu mes identifiants. Je ne pourrai malheureusement pas commenter l'actualité tolkienienne avec vous avant septembre, je pars lundi pour trois mois vers l'Ultima Thulé.

Bien à vous,

A.

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#12 12-05-2017 17:36

ISENGAR
Lieu : Tuckborough près de Chartres
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Re : Chant de la femme d’Āsemo (Kullervo)

Bon séjour au pays des Hommes du nord smile

I.

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