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Sur les forums/fora tolkieniens francophones de JRRVF et de Tolkiendil, quelque-chose m'a interpellé, depuis quelque temps, en utilisant les moteurs de recherche : sauf erreur de ma part, personne n'a jamais explicitement parlé d'une œuvre littéraire pourtant susceptible d'intéresser les lecteurs de l'œuvre de J. R. R. Tolkien en raison du rapport très particulier que cette œuvre entretient avec le langage et l'imaginaire. Il s'agit de Ward, Ier-IIe siècle de Frédéric Werst, livre publié aux éditions Seuil en 2011, et qui a fait depuis l'objet d'une suite, Ward, IIIe siècle, publié chez le même éditeur en janvier dernier.
Le premier livre, écrit en quatre ans, est issu d'une idée et d'un projet remontant initialement à une vingtaine d'années plus tôt. À travers le premier livre, puis le deuxième, l'auteur a imaginé la littérature et l'histoire d'un peuple fictif, littérature et histoire présentées dans ces livres à la fois écrites dans la langue originale inventée du peuple en question, et dans une traduction en français. Selon Nils C. Ahl, l'écrivain « construit sa civilisation d'après des modèles qui rappellent un certain Orient, de Sumer à Canaan, en passant par l'Iran, l'Afghanistan, l'Égypte » : http://www.lemonde.fr/livres/article/20 … _3260.html
Voici les présentations de l'éditeur pour ces deux ouvrages de fiction :
- Ward, Ier-IIe siècle :
- Ward, IIIe siècle :
Précisons que J. R. R. Tolkien ne fait pas partie des inspirations de l'auteur, Frédéric Werst. À Christine Marcandier qui lui demandait, en 2011, quelles avaient été ses influences sachant que l'on avait beaucoup parlé de Tolkien à ce propos, Werst a répondu : « Réglons la question tout de suite. On en parle beaucoup, on m’en parlait déjà il y a vingt ans ! D’abord, c’est un auteur que je n’ai pas lu, que je ne connais que de loin et qui n’est proche de moi que sur un point : il a en effet inventé des langues, mais pour le reste, aucun rapport ! D’une part, parce que le monde de Tolkien est clos, fermé, rejeté dans un passé mythique tout en n’interrogeant pas cette question du mythe. Autre différence, il écrit en anglais et n’utilise ses langues que de manière ponctuelle, pour donner un peu de «couleur locale» à ses elfes, alors que j’écris directement en wardwesân et n’utilise le français que dans l’appareil critique et comme langue de traduction. Enfin, son univers est très nordique, inspiré des langues celtiques, scandinaves, très ancré dans un espace occidental. Donc j’exclus absolument Tolkien comme référence. » (Source : http://blogs.mediapart.fr/edition/bookc … eric-werst )
J'ai eu l'occasion de feuilleter un exemplaire de Ward, Ier-IIe siècle figurant dans la bibliothèque du Dragon, et ce dernier m'en a parlé il y a déjà un bon moment (c'était peut-être lors d'un réveillon [en 2012 ?] chez le Dragon et sa fée... ;-) ...), mais je me demandais s'il se trouvait d'autres JRRVFiens connaissant éventuellement l'œuvre originale de Frédéric Werst.
Avez-vous entendu parler de ces ouvrages ? Les avez-vous lu ? Qu'en pensez-vous ?
Amicalement,
Hyarion.
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Le 8 mars 2013, au Centre Pompidou à Paris, a été organisée une soirée d'échanges autour du wardwesân, avec son créateur, dans le cadre de la 4e édition du Nouveau Festival du Centre Pompidou consacrée aux langues imaginaires et inventées. Le service audiovisuel du Centre Pompidou a réalisé une captation vidéo de l'évènement, mise en ligne sur le site de l'établissement culturel avec pour titre "Frédéric Werst : La langue des Wards" : http://www.centrepompidou.fr/id/cgBjjo/r4aRnj/fr
Présentation du thème de la soirée : « Ward est un projet d’écriture qui vise à reconstituer la littérature d’un peuple imaginaire : les Wards. Mais pour que ce projet développe tout son sens, il fallait que cette littérature soit d’abord écrite dans la langue des Wards : le wardwesân. Le statut du wardwesân est nécessairement paradoxal. C’est bien une langue « imaginaire », puisque personne ne la parle. Et pourtant, cette langue « existe » dans ses textes, avec sa grammaire, son vocabulaire, son évolution, ses usages, ses dialectes, son étymologie. Avec, surtout, sa manière propre d’appréhender et de construire la réalité. Au-delà du paradoxe, il y a donc un questionnement. Comment les données de la langue interviennent-elles dans le discours et dans la littérature ? Peut-on penser autrement en écrivant dans une autre langue ? Une langue imaginaire est-elle une langue de l’imaginaire ? Comment l’imaginaire peut-il parler de la réalité ? Et pourquoi toutes ces questions, dans le monde réel d’aujourd’hui ? »
Amicalement,
Hyarion.
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Merci Hyarion pour cette présentation. Je ne connaissais pas, du tout. Encore un titre à ajouter à la liste. Merci pour la découverte et le partage.
++
Cédric.
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On m'avait offert le premier tome il y a quelques années et je viens de faire l'acquisition du second.
Il n'y a effectivement que très peu de rapport avec Tolkien dans l'esprit, même s'il y a certains rapprochements possibles sur la forme. Ce n'est pas de la fantaisie, mais, si l'on peut dire, de la philologie-fiction. Certes, il y a invention de langue, mais elle est d'un tout autre objet et présentée tout à fait différemment. La dimension linguistique est omniprésente chez Werst et elle est la raison d'être de ses livres. Il y a un élément évident de jeu érudit dans la présentation des formes littéraires de la langue, de leur évolution, des influences respectives des auteurs. La construction du monde secondaire n'est à côté qu'un pré-texte (au sens étymologique !), parce qu'un langue a besoin d'un contexte culturel pour s'exprimer ; mais je ne sens pas l'ardeur de l'auteur à le construire que l'on observe chez Tolkien avec son légendaire (malgré ses affirmations que ses langue étaient premières et que les histoires en ont découlé). Et surtout, les ouvrages sont dépourvus de toute dimension narrative : l'auteur ne se présente que comme traducteur et commentateur. De sorte que si l'on veut à toute force rapprocher Werst de Tolkien, ce serait d'une Tolkien qui du Seigneur des anneaux n'aurait écrit que les Appendices...
L'ouvrage se présente comme une introduction linguistique et culturelle, avec chrestomathie, grammaire, lexique, chronologie, notices sur les auteurs et personnages... Dans le second tome, il y a aussi des éléments sur le système et les supports de l'écriture, avec dessins à la clé. Exactement comme il existe, par exemple, des introductions à la langue et la culture sanskrites. Il s'ensuit que ce n'est pas un livre qui se lit d'une seule traite, mais qui se parcourt par fragments. Sa logique est d'ailleurs tout à fait celle du fragment : de texte, de culture, de système linguistique.
La langue est un vrai système ayant sa logique propre et pas du tout un décalque du français ni d'une autre langue (ou si c'est le cas, ce n'est pas évident et il ne s'agit pas d'une langue de grande diffusion). Elle est présentée in extenso par un lexique et une grammaire, et tous les textes sont bilingues. Il me semble percevoir quelques vagues influences arabes ou persanes dans la phonétique : présence de consonnes comme q, kh, gh, d'un â postérieur, emploi assez important d'alternances vocaliques dans la morphologie ; mais ce qui est surtout frappant, c'est l'omniprésence de la voyelle a. Le système nominal comporte un système assez complexe d'articles, mais employé de façon assez erratique ; pas vraiment de genre (mais des distinctions de sexe) ; et un système de pluriel assez déroutant, où seuls certains noms sont susceptibles d'un pluriel, lequel n'est pas prévisible à large échelle (il existe des régularités pour de petits sous-ensembles de noms). Rien de très exotique dans le système pronominal. Werst a l'air d'avoir eu plus de mal à inventer le verbe, son système est un peu trop schématique pour être crédible. La plupart des verbes sont en deux parties, un auxiliaire et un participe, qui se partagent le marquage des temps, personnes et nombres (ce qui rappelle un peu le système du basque). La syntaxe fait une grande place aux constructions nominales (il n'y a d'ailleurs pas de verbe être) et est essentiellement organisée par diverses particules qui marquent les rapports entre les syntagmes. Cette partie syntaxique est assez brève et très "traditionnelle" - je veux dire par là que ça ressemble aux chapitres syntaxe d'une grammaire scolaire traditionnelle du latin ou du grec, plutôt qu'à une présentation plus moderne. Il n'y a très peu de chose dans la grammaire sur la formation des mots, c'est donc au lecteur intéressé de parcourir le lexique pour les rassembler en familles... Enfin, la langue comporte plusieurs normes et dialectes : la norme la plus usuelle est celle de Mazrâ, une des capitales historiques des Wards, mais il y a aussi la norme cléricale de Kanamarkan et le dialecte de la cité d'Aên.
Le contenu des "extraits" de textes est très classique : chroniques historiques, littérature religieuse, poèmes de tous styles, un peu de théâtre, des bouts de traités médicaux et "scientifiques", réflexions sur la langue et l'esthétique... Tout cela fait très manuel de grec ancien. (Peut-être aussi parce que l'amour dit grec a une place importante, notamment dans la poésie !) Etant moins porté sur le sujet, je ne me suis pas allé chercher quels auteurs Werst est allé pasticher, mais j'imagine que l'exercice a été ou sera fait un jour. L'histoire fictive est celle de la migration du peuple ward du continent de Boran vers le Nentan, de sa conversion au culte du dieu Parathôn et de l'édification puis de l'évolution de leur royaume appelé Aghâr. Il y a des crises dynastiques, une révolution, des guerres... mais racontées de très loin, et j'ai trouvé ça assez plat ; ou plus exactement, il n'y a guère là qu'un cadre pseudo-historique pour les textes.
C'est un ouvrage des plus singuliers et il est assez remarquable qu'il ait trouvé un éditeur... quoique le parcours de normalien de l'auteur l'aie sans doute aidé. Je dirais que c'est une curiosité intrigante, un jeu de l'esprit pour érudits ; mais j'aurais plus de mal à dire que je l'ai aimé. Ce n'est pas écrit du tout pour que l'on puisse avoir le moindre rapport d'émotion avec ce que l'on lit, on reste toujours à distance ; et si j'ai assez apprécié le jeu intellectuel pour avoir envie d'en voir plus (j"ai bien acheté le deuxième tome...), les Wards manquent par trop de substance pour marquer profondément. Ils ont une histoire, une culture, mais pas de personnages.
Je le rapprocherais à cet égard de l'ouvrage d'Ursula K. Le Guin : La Vallée de l'éternel retour, qui est construit selon les même principes, mais du point de vue de l'ethnologue plutôt que du philologue. J'ai eu peine à le lire, malgré mon intérêt, alors que d'habitude j'apprécie beaucoup tant la science-fiction que la fantaisie d'Ursula Le Guin... mais sans doute me faut-il qu'elle raconte une histoire !
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