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Bonjour,
Lors de son combat contre le Balrog, Gandalf subit une chute vertigineuse (Long I fell, and he fell with me), réçoit une blessure par brûlure (His fire was about me) et enfin subit une noyade (Then we plunged into the deep water and all was dark. Cold it was as the tide of death: almost it froze my heart).
Cette rapide succession d'une triade d'accidents (tous "normalement" mortels) le conduit tout en bas de l'abysse, dans une forme d'outre-monde (beyond light and knowledge (...) far under the living earth, where time is not counted), avant une ascension (réelle au sommet de la montagne et spirituelle dans le "renvoi" de Gandalf).
En motif inversé, le Balrog lui-même subit la première chute avec noyade (His fire was quenched, feu qui se ranime néanmoins), est blessé par Gandalf (I hewed him) avant une dernière chute fatale (I threw down my enemy...).
Je n'ai pas retrouvé si cela avait déjà été évoqué ici ou ailleurs, mais il me semble qu'on pourrait y voir une "triple mort".
La triple mort d'un héros, d'un dieu, mais aussi d'un ennemi est un motif probablement indo-européen, assez récurrent en particulier dans les traditions celtiques et irlandaises (Lleu dans les Mabinogi, Merlin dans la Vita Merlini, etc.), et qui obéit souvent dans ces textes aux mêmes types d'événements canoniques : blessure / noyade / brûlure ou encore chute / noyade / blessure. Je crois comprendre aussi qu'elle est souvent associée à une forme de folie ou de déraison...
Pensez-vous qu'il puisse y avoir matière à prolonger cette éventuelle piste de réflexion ? Ou avez-vous connaissance qu'elle ait déjà pu être étudiée ?
Didier.
EDIT: Très hors sujet évidemment, mais un certain cas de triple mort (threefold death) est présent dans la version longue du Retour du Roi de Peter Jackson - mentionné dans les commentaires - chute / empalement / noyade -- Je présume que rien qu'à la blessure, je ne pas besoin d'en rappeler plus sur cet épisode
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Salut Didier,
On peut éventuellement voir le motif d'une triple mort pour Gandalf et le Balrog, mais je ne perçois pas ce motif chez Lleu Llaw Gyffes, qui est simplement tué par une lance, même si c'est dans des circonstances inhabituelles. Dans la Vita Merlini, c'est en fait Merlin qui prophétise trois types de mort différents à un jeune homme (chute, mort violente dans un arbre, noyade), lesquels se réalisent évidemment en même temps.
Je vois effectivement le lien entre les Mabinogi et la Vita Merlini, vu que les deux accumulations de conditions permettant la mort ou de types simultanés de mort se ressemblent, mais elles ne me paraissent guère semblables aux péripéties du combat entre Gandalf et le Balrog, qui sont des événements sériels. En outre, je ne me souviens pas d'autres motifs de morts extraordinaires dans des cultures non celtiques.
Bref, c'est un sujet qui me semble neuf et qui pourrait bien avoir du potentiel, mais je ne suis pas encore convaincu par tes conclusions. Il faudrait avant tout trouver d'autres parallèles.
Elendil
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Philippe Walter, le Devin maudit: Merlin, Lailoken, Suibhne : textes et étude, parle des triples morts prédites par Merlin, en renvoyant à divers ouvrages dont ceux de Le Roux & Guyonvarc'h (le lien donné pointe sur la page concernée dans Google Books)
En continuant mes recherches, j'ai aussi déniché un mémoire de thèse (Gaël Hily, Universite Rennes 2, 2012) sur "le dieu Lugus" -- mais qui aborde le sujet qui nous intéresse, la "triple mort" (cf. chapitre 2), avec de nombreux exemples irlandais (Lleu et Merlin sont cités, entre autres, ainsi que Lailoken) et deux exemples de traces de triple mort sur le continent. Un PDF est téléchargeable, via la notice.
La wikipédia anglaise a aussi une page, quoique peu détaillée, sur la question.
Plusieurs autres ressources aussi dudit G. Hily déjà mentionné, mais auquel je n'ai pas accès, par ex. "Triple mort et chasse au cerf dans la littérature galloise médiévale", cf. notice bibliographique.
D'autres référence dans Dans l'eau, sous l'eau: le monde aquatique au moyen âge de Danièle James-Raoul & Claude Alexandre Thomasset (lien Google Books sur la page 378 concernée à nouveau, mais la p. 379 n'est pas consultable, la p. 380 poursuit sur le même thème).
Pour répondre à ton objection ("sériel"), je n'ai pas lu que la triple mort sacrificielle devait survenir "simultanément" (comme dans le cas de la mort du jeune homme prophétisée par Merlin), mais il semble que les accidents peuvent se succéder, comme dans la mort de Diarmaid, qui est mortellement blessé, se refugie chez lui mais se noie dans le tonneau de bière où il cherche à éviter le feu mis à sa demeure, et enfin se prend une poutre enflammée. Certes, les éléments sont rapprochés, mais c'est aussi le cas pour Gandalf, qui tombe, tout en brûlant, dans l'eau (le tout filé dans une même phrase de son récit !).
Quant à des motifs de triples morts (et pas uniquement de morts extraordinaires) hors de la sphère celtique, ils semblent rares, même si des traces (morts doubles, etc.) sont évoquées -- Cf. par ex. quelques premiers éléments de recherche et de comparatisme dumézilien dans "Les trois morts fictives d'Arès au chant V de l'Iliade"
Ceci dit, pour Gandalf et le Balrog, ce n'est qu'une intuition de ma part, et quand bien même elle serait peut-être fondée, je ne sais pas encore où elle peut mener (juste un motif isolé ?).
Didier.
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Merci pour ces références, que je terminerai de lire avec plaisir.
Comme tu le soulignes, même avec Lucain, ainsi qu'avec Crépin et Crépinien, on reste dans le monde celtique : en particulier Crépin et Crépinien sont vraisemblablement des figures christianisées de Lug (si je suis l'analyse de Bernard Sergent). Quant aux commentaires à Lucain, ils se contentent de parler des trois dieux à qui les Gaulois offrent des victimes humaines, phénomène qu'on peut rapprocher des victimes offertes à Odin, Thor et Freyr en Suède. On a donc bien un ensemble possiblement trifonctionnel (le rôle d'Esus est ambigu, puisque ce dieu est étroitement associé à Lug, lui-même polytechnicien), mais je ne pense pas qu'on puisse parler de triple mort, puisque ce ne sont pas les mêmes victimes qu'on sacrifie aux trois dieux.
Pour Arès, je vais lire ça en détail, même si je suis plus réticent, vu qu'il ne s'agit pas d'une mort réelle : un parallèle grec convergent serait le bienvenu. Au passage, la mort en tombant dans un tonneau de bière me rappelle un passage célèbre des Gesta Danorum (Hadingus et Hundingus) : tu y trouveras peut-être un parallèle.
Après, cela ne préjuge pas de ce qu'on peut trouver chez Tolkien et du sens qu'on peut éventuellement accorder à ce passage.
Elendil
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Le passage des Gesta Danorum que tu cites est effectivement évoqué dans un des articles de mon message précédent, mais semble constituer une mort unique (je n'ai pas vérifié).
Avoir accès aux articles académiques traitant du motif de la triple mort n'est pas aisé...
Pour l'applicabilité du motif celtique au domaine indo-européen, l'article fondateur semble être :
D. J. Ward, "The threefold death: an Indo-European trifunctional sacrifice?” in Myth and law among the Indo-Europeans: studies in Indo-European comparative mythology, Puhvel, Jaan (ed.), Berkeley and Los Angeles: University of California Press, 1970, p. 123–142 : je n'ai pour l'instant trouvé que la notice, et un résumé du propos dans une encyclopédie.
Pour le domaine grec :
David Evans, "Agamemnon and the Indo-European Threefold Death Pattern" in History of Religions Vol. 19, No. 2 (Nov., 1979), p. 153-166 : notice seulement sur JSTOR, mais on peut supputer que l'analyse porte probablement sur le meurtre d'Agamemnon dans l'Orestie d'Eschyle (Cassandre prophétise : "[Clytemnestre] le surprend enveloppé dans un vêtement artificieux, elle le frappe, il tombe dans son bain, dans le vase de la ruse et de la mort.")...
Pour le domaine perse :
Harry Neale, "Iblis and the Threefold Death Motif in a Medieval Persian Hagiography" in Journal of Indo-European studies, 2007, vol. 35, no 3-4, p. 275-284 : cet article peut se dénicher en ligne, sa lecture rapide ne m'a pas convaincu, je le relirai plus posément.
Pour le domaine scandinave, en lien avec le celtique :
Lawrence Eson, "Odin and Merlin: Threefold Death and the World Tree" in Western Folklore, vol. 69, No. 1, Winter 2010 : je n'ai pour l'instant trouvé que la notice et le début de l'article. Dommage, étant donné que Odin et Gandalf ont déjà été rapprochés par ailleurs (Marjorie Burns, "Gandalf and Odin" in Tolkien's Legendarium: Essays on the History of Middle-earth, Westport, Greenwood, 2000) -- Cet article aurait peut-être pu permettre de trouver un pont.
Dans ces trois articles, pour ce que j'ai pu en lire ou en deviner, le motif est interprété selon deux modes (soit une triple mort simultanée, soit trois morts successives), avec une approche tripartite dans la lignée de Dumézil, justifiant la triple mort par le fait que le personnage aurait transgressé chacune des trois fonctions et serait donc puni de la sorte. Quelques articles rapprochent chacune des 3 événements mortels (i.e. triplet chute / blessure / noyade, blessure / brûlure / noyade, etc.) d'une des trois fonctions, au cas par cas.
Pour en revenir à l'intuition à la base de ces recherches, j'avoue que je ne vois pas comment cela pourrait s'appliquer à Gandalf -- S'il peut y avoir des éventuelles transgressions (ex. opposition à Aragorn et décision apparemment "folle" de passer par la Moria -- folie renvoyée en écho par Gandalf à ses compagnons lors de sa chute), je ne vois pas comment les rattacher à une interprétation tripartite et une triple transgression fonctionnelle... Le faisceau de convergence semble assez mince !
Enfin, il me vient à l'esprit qu'on peut trouver un autre cas de mort triple dans le SdA, mais j'ai encore plus le sentiment de couper les cheveux en quatre rien qu'à l'évoquer : Frodo meurt en quelque sorte une première fois sur le mont Venteux par la lame de Morgul (dont la blessure le poursuivra jusqu'à la toute fin), une seconde fois dans les Sammath Naur (où il se serait jeté lui-même dans le feu s'il n'avait pas été attaqué par Gollum, cf. lettre n° 246 - et la brûlure de la perte de l'Anneau, le manque conséquent, se feront aussi sentir jusqu'à la toute fin) -- et enfin une toute troisième fois, métaphoriquement, à partir de son départ aux Havres Gris (indirectement, l'élément aqueux ? Je ne me convainc pas moi-même)...
D.
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Rque : Concernant Frodo, ne pas oublier l'attaque et la morsure de Shelob qui le laisse avec toutes les caractéristiques de la mort (immobilité, pâleur, froid) il me semble. Si la blessure sur le Mont Venteux le poursuit jusqu'à la toute fin, la morsure d'Arachné également qui revient à la date anniversaire. Frodo ne me paraît pas entrer dans un schéma de triplication des morts symboliques (on a aussi évoqué en ces lieux un motif de trois blessures, mais là encore, on pourrait en trouver d'autres : on sait au moins que Snaga a foueté Frodo dans la tour de Cirith Ungol p.ex.)
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Effectivement... Bon on oublie très probablement Frodo, qui n'était qu'une pierre lancée en l'air sans grande conviction de toute façon !
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Effectivement, Agamemnon semble un bon candidat non celte dans cette démonstration. Pour Odin, j'imagine qu'il s'agit du motif triple qui lui permet de s'emparer de la connaissance universelle et du pouvoir des runes : pendaison dans Yggdrasil, transpercement par la lance Gungnir, dépôt de l'œil dans le puit de Mimir.
En lisant quelques-uns des articles que tu cites, j'en viens à penser qu'on a là trois, peut-être quatre motifs originaux de blessure trifonctionnelle, bien distincts les uns des autres :
1) Un châtiment en trois parties successives, corrélat naturel de la triple transgression trifonctionnelle du guerrier impie : c'est le cas chez Héraclès, chez Indra, chez Starcatherus. Ce motif est le premier identifié par Dumézil. Chaque châtiment affaiblit (au moins temporairement) le guerrier, jusqu'au dernier où il trouve la mort (souvent suivie d'une transcendance).
2) Un châtiment unique, qui vient punir le péché typique du roi, l'orgueil : c'est le cas chez Yayati et Jamsid, deux exemples étudiés par Dumézil, et j'avancerais qu'on peut y rajouter Agamemnon, vu que l'orgueil est son principal défaut. Les rois irlandais de l'épopée pourraient bien se rattacher à ce motif. En effet, on trouve assez systématiquement des éléments trifonctionnels dans les récits de ces morts (ce qui est logique quand on tient compte du fait que le roi constitue normalement une union harmonieuse des trois fonctions), mais pas toujours dans les moyens par lesquels le châtiment s'effectue. Par exemple, après avoir été expulsé du paradis par un mouvement d'orgueil, Yayati est sauvé par quatre de ses petits-fils, qui se répartissent harmonieusement dans les trois domaines trifonctionnels (deux pour la première fonction), lesquels acceptent de transférer sur lui la somme de leurs mérites afin qu'il puisse retourner au ciel.
3) Une triple mort symbolique, où les éléments trifonctionnels apparaissent de manière concomitante, et qui sert de rite de passage chez un état plus exalté qu'auparavant. Dans ce cas, la victime n'a évidemment rien fait pour mériter la mort, mais en revanche elle y collabore activement. Le personnage concerné est souvent lui-même trifonctionnel : c'est le cas chez Lleu Llaw Gyffes, apparemment aussi chez Lailoken/Merlin (ils prédisent la façon dont ils vont mourir). J'ai tendance à penser que le cas d'Odin peut y être rattaché (il se sacrifie lui-même).
Éventuellement :
4) Trois types de sacrifices humains distincts, offerts aux trois principaux dieux qui se répartissent sur les trois fonctions. Apparemment, les sacrifices ne sont pas mis en rapports les uns avec les autres. On observe le cas au moins chez les Gaulois et les Scandinaves. Les Romains et les Indiens védiques ont occasionnellement procédé à des sacrifices humains, mais je connais très mal les textes correspondants. Quoi qu'il en soit, j'ai du mal à accepter d'appeler cela une « triple mort ».
Cette modeste tentative de ma part pourrait alors déboucher sur un axe d'analyse tolkienien, car Gandalf traverse bel et bien une mort à la fois réelle et symbolique, dont il émerge renforcé. Il se sacrifie volontairement pour sauver ses amis. Bref, il semble se calquer sur le cas n° 3. C'est d'autant plus patent que Gandalf est comparé à un roi au Conseil d'Elrond, et qu'il cumule des caractéristiques des trois fonctions : il est Magicien, il combat, il guérit (notamment Théoden).
En revanche, Frodo ne semble effectivement pas un très bon candidat à l'analyse, quand bien même il regroupe ses trois grandes blessures dans un même tableau (LR, VI/7 ; l'emphase est mienne) :
‘I fear it may be so with mine,’ said Frodo. ‘There is no real going back. Though I may come to the Shire, it will not seem the same; for I shall not be the same. I am wounded with knife, sting, and tooth, and a long burden. Where shall I find rest?’
Ici les trois blessures sont successives et ne débouchent ni sur une mort héroïque, ni sur une transcendance. Elles ne sont pas le résultat d'un péché quelconque et ne suivent pas non plus un schéma trifonctionnel clair, puisqu'à chaque fois c'est un objet tranchant qui est impliqué.
Elendil
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J'ouvre une parenthèse au milieu de votre recherche externaliste (qui promet d'être passionnante!) à laquelle il me manquerait bien des éléments et du temps pour pouvoir y participer de manière studieuse, pour faire une remarque qui ne répond pas tout à fait à l'énoncé de la question...
Néanmoins, quand j'ai lu le premier message de Didier, ce qui m'a immédiatement frappé c'est qu'il est question ici, à mon sens, du triptyque élémentaire qu'on retrouve souvent chez Tolkien: air, eau et feu, que ce soit par exemple concernant les anneaux de pouvoir où là, l'association est évidente puisqu'ils sont nommément associés à leurs éléments respectifs, ou bien aux silmarilli, où l'association est moins évidente mais elle peut se faire par leurs fins respectives, l'un terminant dans les airs (celui qui est lié à Eärendil), l'un terminant au fond des océans jeté par Maglor et l'un terminant dans le feu de la terre par la mort de Maedhros.
L'absence de l'élément Terre dans cette triple mort peut pour moi symboliser le fait que Gandalf n'est pas complètement mort, eût égard au rôle de cet élément dans leur lien à Morgoth et Sauron: il n'a pu être détruit par tous les éléments. Pour moi ce que Didier a mis en avant, avec sa finesse et son flair habituels, s'inscrit parfaitement dans ce symbolisme interne du légendaire. Si on creuse plus loin munis de ce symbolisme en tête, toute cette scène de la Moria devient d'autant plus épique, puisque nous somme dans les entrailles de la Terre, confrontés à une créature de Morgoth, et prisonniers de ces murs de roches profonds.
Je referme cette parenthèse / remarque hâtive pour vous laisser rebondir dessus et/ou continuer votre développement!
*B*
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Benilbo ! dans mes bras !
tu as formulé en quelques mots justes ce lien avec d'autres associations air/eau/feu que je n'ai eu le temps ni de creuser, ni de mettre par écrit
Je me demandais même si l'Akallabêth ne répond pas aussi à cette forme de "triple mort", mais dans une version apocalyptique : air (aigles envoyés par Manwë), eau (engloutissement), feu (flammes du Meneltarma)
I.
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Haha! Merci pour ce témoignage d'affection hobbitique D'ailleurs, en continuant à y réfléchir, cette scène du combat contre le Balrog est truffée de références aux éléments, une vraie danse élémentaire!...
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messages presque croisés, camarade (j'ai ajouté ma remarque sur Numenor au moment ou tu répondais )
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quand j'ai lu le premier message de Didier, ce qui m'a immédiatement frappé c'est qu'il est question ici, à mon sens, du triptyque élémentaire qu'on retrouve souvent chez Tolkien: air, eau et feu
Je me suis fait la même réflexion
Et d'ailleurs, dans le contexte de la Moria, ce tryptique élémentaire air/feu/eau pour décrire la triade d'accidents que subit Gandalf (qui chute, se brûle, puis se noie) n'est pas sans m'évoquer le merveilleux métallurgique et certains mythes liés à la forge (dont la pratique associe l'air du soufflet au feu de la forge, puis l'eau de la trempe). Notamment dans leur fonction de métamorphose, de transformation et de purification (cf. la conception "obstétrique" de l'art métallurgique chez Eliade).
Après tout, c'est bien après cette série d'événements que Gandalf le Gris meurt pour "ressusciter" en tant que Gandalf le Blanc - cette couleur correspondant d'ailleurs au point de fusion en métallurgie. De fait, c'est en trois stades que le minerai est réduit (du grillage à la fusion, puis au raffinage), tout comme c'est en trois stades que la matière métallique est retravaillée (de la fonte à la réduction, puis au martelage).
L'analogie entre le travail du métal et la transformation du corps (du dieu, du héros, du guerrier, etc.) se retrouve dans plusieurs mythes sous plusieurs formes - comme dans le Kalevala où le forgeron Ilmarinen se forge une femme d'or et d'argent, ou encore dans les légendes sur les Nartes, où l'une des fonctions du forgeron Kurdalaegon est de "tremper" certains héros afin de leur donner un corps d'acier, tandis que le héros Batradz subit dans son corps les opérations de fabrication de l'acier.
Alors pour en revenir à Gandalf, triple mort ou, plutôt, triple réduction, marquant le passage d'un état à un autre ?
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Génial, Eric! C'est une très belle idée je trouve, que ce Gandalf reforgé au sein d'une cité naine. Je le ressens comme un écho (voulu ou non par Tolkien est une autre discussion...) à la reforge d'Andúril pour Aragorn, ou dans les deux cas, le symbolisme de chacune des transformations est vaste.
Dans le cas de Gandalf, ce qu'il me semblait intéressant de noter était l'opposition de deux caractères bien distincts de l'élément Feu. Le premier, incarné par Gandalf, est évoqué dans les contes et légendes inachevés du 3ème âge si ma mémoire ne me fait pas défaut. Gandalf y est décrit comme gris, de la couleur de la cendre, et évoque le feu qui réchauffe, qui réconforte; les feux d'artifices en sont une des nombreuses facettes, de même que la garde de Narya qui lui échoit (et dont il fait justement allusion face au Balrog). Le Balrog représente le Feu marri, celui qui consume la chair et les âmes. En revenant en tant que Gandalf le blanc, ce symbolisme cède la place à "quelque chose" de plus vaste, uni, dont on pourrait disserter pendant longtemps (n'est-ce pas Jean-Philippe . On pourrait voir en ce passage à travers les différents éléments séparés un processus d'unification de ces éléments justement en la personne de Gandalf (arrêtez-moi si vous trouvez que j'abuse de l'herbe à pipe).
Dans le cas d'Aragorn - un peu plus hors sujet, le symbolisme réside davantage dans le passage de la Lune (Narsil) au Soleil (Andúril), préfigurant la transition d'une époque elfique à une époque humaine - il me semble, en tout cas.
*B*
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