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On le sait, la Feuille n°2 de la Compagnie est éditée par Ad Solem.
On y trouve, entre autres choses, deux belles choses :
* Un énooooorme dossier sur le Père Bouyer (p. 85-116), ami de Tolkien (signé par Michaël Devaux/Eruvike).
Ce qui est l'occasion de rappeler ici l'édition par Ad Solem (rédition en fait) d'un recueil d'entretiens : Louis Bouyer, Le métier de théologien. Entretiens avec Georges Daix, Ad Solem, 2005.
Après feuilletage en librairie, Tolkien y est évoqué à trois reprises, avec un développement sur le mythe il me semble.
* Un article d'Irène Fernandez : La vérité du mythe chez Tolkien : imagination et gnose (p. 247-272)
En fin de la Feuille n°2 (p. 414), on rappelait qu’Irène Fernandez avait publié en 2002 Et si on parlait… du SdA aux Presses de la renaissance.
Vous vous souvenez peut-être de ce petit livre intéressant pour ceux qui découvrent le SdA.
Mais vous vous souvenez aussi qu’il était marqué d’une couverture horrible :
Je me demande comment on est arrivé à épuiser un tirage si laid…
Aujourd’hui (depuis 2003), une autre édition revue et augmetée est disponible, à la couverture bien plus jolie (et commerciale) :
Toujours en fin de la feuille était annoncée la parution prochaine de sa thèse d’État portant sur le rapport du mythe, de la raison et de la réalité selon C. S. Lewis.
Quelques sites (mais pas celui d’Ad Solem qui n’est pas à jour sur la section nouveautés) annonçaient la sortie pour novembre 2005, mais ce devrait être courant décembre apparemment, sous le titre :
Irène Fernandez, Mythe, Raison ardente. Imagination et réalité selon C. S. Lewis, Ad Solem, 2005 (?).
Déjà, dans son article dans la Feuille, elle mentionnait la parenté d’idée et la complémentarité de Tolkien et Lewis sur l’idée de mythe :
On ne peut pas dire que Tolkien se soit beaucoup étendu sur la définition du mythe — paradoxalement, ce sera Lewis qui y insistera bien plus longuement dans son œuvre critique —, mais il en donne cependant un critère essentiel en parlant à son sujet de la cohérence d’un monde “bien construit”.
Feuille 2, p. 261
Sur les développements du mythe par Lewis, je pense à trois articles que j'ai lu : Myth became Fact [p. 138-142], Is Theology poetry ? [p. 10-21], et The funeral of a Great Myth [p. 22-32] qu’on trouvera dans C. S. Lewis, Essay Collection : Faith, Christianity and the Chrurch, HarperCollins, 2002.
Au-delà du sujet, ce que m'a le plus frappé, c'est une très belle écriture et des idées fortes énoncées avec beaucoup de simplicité (dans le meilleur sens du terme!).
[point de rapport chez Tolkien entre] son œuvre et des dérives imaginatives actuelles (…). Car malgré ce qu’on peut appeler (…) son obsession imaginative, il ne reconnaît pas à l’imagination une valeur de connaissance à elle toute seule. Ce ne peut être sans rapport avec sa foi (…) Chez Tolkien en tout cas, la synergie de l’imagination et de la raison est totale et consciente. On peut lui attribuer “l’imagination pleinement éveillée d’un esprit logique” dont parle C. S. Lewis à propos de l’appréhension du mythe, mais qui me paraît valable aussi pour sa création.
Feuille 2, p. 255
Si j’ai fait ces deux citations, c’est pour que les intéressés puissent saisir les échos entre cette illustration de Tolkien par Lewis et les propos qui suivent sur le mythe chez Lewis, retranscription de l’interview d’Irène Fernandez sur la chaîne catholique « KTO » actuellement disponible en ligne.
Bon, si je me suis permis de me faire, c’est en croyant Vinyamar dans le fuseau où Christine annonçait la nouvelle (« C'est pas du piratage, d'autant plus que KTO veut rendre ses émissions le plus vues possibles ») et comme notre cher Vin’ n’avait pas la possibilité de visionner la vidéo, j’ai usé mes petits doigts. Si ça ne plaît pas, si on nous tombe dessus, Cédric pourra toujours faire sauter mes posts. En attendant, Vin’ et d’autres intéressés auront pu lire l’interview à défaut de la voir ;-)
Ensuite, il faut savoir à quoi s'attendre. Non pas à une interview sur la seule pensée de Lewis (bien qu'il y a un peu de cela) mais essentiellement :
une présentation de Narnia à l'occasion de la sortie cinématographique
pour informer des auditeurs qui n'y connaissent rien et
qui sont essentiellement catholiques et
donc intéressés avant tout par la chrétienté de Lewis et de ce qu'il a pu mettre de religieux dans son oeuvre (c'est cet axe là vers lequel l'interviewer [de piètre qualité je trouve] va aller).
L'intérêt réside dans le discours posé, intelligent et éclairant d'Irène Fernandez qui, décidément, est une dame au propos des plus intéressants. Souvent, elle recadre, rappelle le danger de l'allégorisation et donne son avis équilibré.
5 parties dans l'interview (La partie 3, en résonance avec l'article de la Feuille, étant ma préférée):
(1) C. S. lewis
(2) Narnia : un conte de fée ?
(3) Narnia : la valeur du mythe.
(4) Narnia : un mythe chrétien ?
(5) Narnia : comme Harry Potter ? (mais aussi mention de Pullman)
S.
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Partie (1) : C. S. Lewis
— La première question est toute simple : parlez nous un peu de C. S. Lewis
— Lewis est un nom extrêmement répandu en Angleterre ; en réalité c’est un nom Gallois (…) On l’appelait « C. S. L. » mais personnellement ses amis l’appelaient « Jack »
(rires)
— Alors qui était ce fameux Lewis ?
— Lewis est un écrivain anglais, c’est un des plus grands écrivains du XXe siècle, un des plus grands écrivains chrétiens du XXe siècle, mais c’est aussi un grand écrivain tout court. C’est un universitaire. Il a fait toute sa carrière à Oxford d’abord et ensuite à Cambridge, voyez c’est…
— … tout ce qu’il y a de plus classique
— Oui, tout ce qu’il y a de plus classique. C’est… Il a pas eu une vie, il a pas eu de grandes aventures dans sa vie, il est rarement sortie même d’Angl… enfin, c’est un irlandais, né à Belfast, d’une famille de protestants irlandais, mais enfin il a passé toute sa vie en Angleterre. Je crois qu’il est sorti de l’Angleterre que pour les tranchées de la guerre de ’14 et une fois à la fin de sa vie pour un voyage en Grèce avec sa femme. Mais c’est tout ; c’est une vie relativement sédentaire dont les aventures étaient surtout intérieures. Et ce qui a beaucoup compté dans sa vie c’est l’amitié. C’était d’ailleurs dans le style de vie de ces universitaires — et en particulier son amitié avec Tolkien [Irène Fernandez prononce bien « Tol-Qin »] qui était considérable et d’autant plus étonnant que Tolkien était catholique et lui non. Et comme il le dit : « On m’avait dit : “Méfiez-vous de deux choses : les philologues et les, et les papistes !” »… et Tolkien était les deux ! [rires]… Ils sont devenus extrêmement amis.
— Alors il a enseigné… qu’est-ce qu’il a enseigné ?
— Sa spécialité, c’était la littérature médiévale et religieuse anglaise, latine, etc, et d’ailleurs Cambridge a créé une chaire (…) une petiote histoire avec des collègues d’Oxford qui étaient peu jaloux de lui parce qu’il est devenu très célèbre, alors c’est l’université rivale qui a créé une chaire de professeur, une chaire qui lui permettait d’enseigner sans être [un mot anglais que je ne comprends pas], une charge pour lui, un charge très très lourde parce qu’il faut recevoir des étudiants trois fois par semaine…
— En gros on lui a fait un pont d’or
— On lui a fait, Oh « d’or » c’est beaucoup dire, enfin, en tout cas un pont de liberté qu’il a beaucoup apprécié dans les dernières années de sa vie
— Donc, on le connaît, enfin, on commence à le connaître en France pour les Chroniques de Narnia mais ce n’est pas uniquement, il n’a pas écrit que ça.
— Ah ,non, il a écrit ça j’allais dire non pas « par-dessus le marché » mais enfin parce que ça lui a passé par la tête à un certain moment, mais, son œuvre est énorme parce qu’elle est comp… Pour simplifier il y a trois parties : il y a d’une part de la critique littéraire — c’est un remarquable critique. On a fêté, il était né en 1898, et en 1998 on a fêté le centenaire de sa naissance partout, y compris, même dans des milieux euh qui se méfiaient un peu de lui… parce que en tant que chrétien militant, il y a avait des gens qui se, qui n’étaient pas tellement à l’aise avec lui. Il n’empêche que tout le monde reconnaît sa valeur de critique qui est exceptionnelle… et d’ailleurs avec, en anglais le mot « catholicité » veut dire « universalité » (ce qui est très beau) et il avait un goût qui se limitait pas du tout ni à des auteurs de la renaissance ni à des auteurs chrétiens, enfin vraiment c’était un homme qui avait le sens de l’œuvre littéraire, poétique. Ça allait de l’Odyssée à des petits contes de fées, voyez, c’est un homme merveilleux [sur ce point ?]. Alors, [1] une œuvre critique, [2] une œuvre, heu.., je sais pas trop comment l’expliquer, mais de « théologien » entre guillemets il faudrait dire ; il ne s’est jamais voulu théologien, mais c’est un des grands défenseurs de la foi (le vieux titre du XVIe siècle « defensor fideis » c’est tout à fait ça). Et il est connu aux États-Unis, en Angleterre, dans tous les pays de langue anglaise vraiment comme le loup blanc, mais surtout pour ses œuvres justement de défense de la foi. il y en a une qui s’appelle Mere Christianity (cela veut dire « L’Essence du Christianisme ») qui s’est vendu, je sais pas, à des millions et des millions d’exemplaires, et qui, non seulement s’est vendu, mais qui a vraiment nourri beaucoup les gens. Et il y a là tout un aspect de sont œuvre vraiment important. [3] Et enfin, il y a une œuvre de fiction (dont les Chroniques de Narnia dont vous avez parlé) et, mais, dans cette œuvre de fiction vous avez aussi une trilogie de science-fiction, heu… La Planète silencieuse, Le Voyage à Vénus et Cette Force Terrible qui se passe sur terre qui est une, c’est de la science-fiction si l’on veut mais c’est plutôt, enfin c’est mi-science-fiction, mi-théologie si vous voulez…
— Oui, parce que c’est ça qu’il y a d’intéressant chez Lewis c’est que toute son œuvre de fiction est quand même baigné par la théologie, en particulier je pense à La Planète silencieuse, il y a une grande réflexion sur…
— Oui, Le Voyage à Vénus c’est une réflexion sur le péché originel, alors si on dit ça comme ça ça risque de [rires] d’être rébarbatif…
— … de décourager le lecteur
— … mais c’est une, l’évocation de Vénus, qui est la planète du plaisir, hein, il reprend ces vieilles images (ça il les connaissait très bien par son métier) qui était très forte au Moyen-Âge encore
— Vénus la déesse de l’amour, hein
— Oui, c’est la planète du plaisir avant le péché, avant que le mal ne s’y introduise, oui, c’est magnifique. Et puis il a écrit une troisième, enfin, ça fait [1] Narnia, [2] la trilogie et [3] il y a un roman qui s’appelle en français Un Visage pour l’éternité qui est une, qui est très très beau, peut-être le plus beau et qui raconte le mythe de Psyché ; vu par Lewis d’une façon très originale…
— Et donc sur une trame de science-fiction…
— Oh ben c’est le mythe de Psyché que vous connaissez…
— … oui [dit l’interviewer pour faire bonne figure je pense ;-)]
— … dans l’antiquité. Psyché qui est sacrifiée au dieu, dieu qui se révèle être le dieu de l’amour et la jalousie des sœurs. Mais ce qui est génial chez Lewis c’est que, c’est qu’il prend comme héroïne une des sœurs qui est loin d’être jalouse de la beauté de Psyché — Alors vous disiez qu’il était chrétien, c’est un chrétien militant mais de quelle manière ? — Alors voilà, il était né dans une famille qui était conventionnellement protestante, enfin, je veux rien dire sur la sincérité de ses parents mais, au fond, cela ne l’avait pas tellement marqué, et il est très vite devenu athée, carrément athée, en particulier à cause de la souffrance, du mal. Sa mère est morte quand il avait 10 ans, il a fait la guerre de ’14 alors qu’il s’était engagé, puisque les irlandais n’étaient pas mobilisés, c’était donc un engagé volontaire, mais enfin vous savez que la guerre des tranchées (que Tolkien a faite aussi) ça a vraiment terriblement marqué ; alors, la conception d’un Dieu bon combiné avec ça, ça l’a, enfin, il est devenu vigoureusement athée. Et puis alors il a eu toute une recherche spirituelle et intellectuelle qui l’a ramené à la foi mais par un chemin très intéressant, parce qu’il a d’abord cru en Dieu avant d’admettre le Christ. Voyez… Mais ça, c’était quand il avait environ 30 ans déjà, donc il est reste 12, 12 à 13 ans complètement athée. Et… Tolkien a joué un rôle d’ailleurs pour lui faire comprendre ce que c’était le mythe chrétien, ce qui était très très important. Et alors il est devenu vraiment chrétien et à partir de là, Lewis qui était très pugnace, dès qu’il tenait à quelque chose d’ailleurs, il se mettait à défendre ce quelque chose, surtout si ce quelque chose était plutôt attaqué et dans les milieux universitaires anglais dans les années disons ’30 du XXe siècle, bah, c’était pas le christianisme qui tenait le haut du pavé… Pourtant c’était encore théoriquement l’Église anglicane qui était une Église bien établie à l’époque, etc., mais… Enfin, il s’est mis à défendre le christianisme et son premier livre, qui est un livre… cela s’appelle Défense du Christianisme, de la Raison et du Romantisme [rires] — Et ce qu’il faut bien dire, c’est que, on l’imagine professeur, professeur en Angleterre, une vie un peu austère, mais en fait c’est quelqu’un d’assez fantaisiste, d’assez amusant… — Il vivait une vie austère si on appelle une vie d’étude une vie austère — d’abord, il aimait beaucoup ça ; et d’autre part il faut voir Oxford et Cambridge d’ailleurs aussi ce sont des petites villes où il y avait une espère de vie de « communauté » (si vous voulez) : on descendait de son bureau pour aller au pub voisin… IL y a de très jolis pubs. Il y en a un d’ailleurs où ils se réunissaient tous les mardis pendant longtemps ; autour de Lewis s’était fait une espèce de club dont faisait partie Tolk… un club informel (cela s’appelait les Inklings) qui a un rôle dans l’histoire littéraire anglaise. Ils se réunissaient dans un pub qui existe toujours, le « Eagle and the Child » qui — cela veut dire « L’Aigle et l’enfant », c’était Ganymède, c’était une vieille — eux, ils appelaient ça le « Bird and Baby » [rires] « L’Oiseau et le bébé ». Et il y a aujourd’hui une plaque pour dire que Tolkien, Lewis et compagnie se réunissaient là et en fait, on savait qu’ils étaient là parce qu’on les entendait rire aux éclats [rires] — Donc c’étaient plutôt des gens conviviaux — Oh oui, non mais ils aimaient beaucoup rire ensemble et ça c’était tout de même très important, je crois, pour eux. — Merci Irène Fernandez.
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Partie (2) : Narnia : un conte de fée ?
— Alors, d’abord une première question, Narnia, c’est quoi ? Le monde même de Narnia désigne quoi ?
— Narnia désigne un pays, un lieu, ça, Lewis a inventé le terme, je crois pas qu’il faille chercher plus loin <…> Narnia c’est une contrée que découvrent des enfants à travers, en passant pour la première fois — parce qu’on y accède de façons différentes à chaque fois, il y a 7 contes de Narnia et c’est 7 entrées différentes —, mais la première est la plus connue qui est devenue proverbiale dans le monde anglo-saxon, c’est l’entrée par la porte d’une vieille armoire qui se trouve dans une espèce de grenier, dans une vieille maison à la campagne
— Cela explique que la photo qu’on ait choisie pour faire la campagne de publicité soit une petite fille qui entrouvre la porte d’une armoire…
— Oui, et ‘est très très célèbre. L’autre jour je lisais quelque chose de scientifique sur les paradoxes du temps (ce qui n’a rien à voir) et tout d’un coup le type écrit : « c’est exactement comme dans l’armoire de Lewis, on passe d’un monde à l’autre comme ça ». Mais il n’a éprouvé le besoin d’expliquer à ses auditeurs de quoi il s’agissait — enfin, à ses lecteurs plutôt.
— Oui, est-ce que, est-ce qu’il faut, je l’ai dit, Lewis est extrêmement célèbre.
— Ah oui, en particulier Narnia c’est vrai mais pas seulement. Mais Narnia est devenue (qui a paru maintenant il y a une 50aine d’années) c’est vraiment devenu un classique du livre pour enfant.
— Et très méconnu en France.
— Ben, en France ça été traduit mais heu, je ne sais pas si nous sommes, peut-être nous n’avons pas le même goût pour le féérique ou le fantastique que les anglais… [haussement d’épaules] donc le film aidera à faire passer
— Alors vous disiez justement que c’est un conte, un conte pour enfants. Euh, est-ce que c’est un conte de fées, Narnia ?
— Narnia, Narnia, il y a 7 Chroniques de Narnia. Ce n’est pas Lewis qui a trouvé ce titre mais tout le monde les appelle comme ça maintenant. Beh, ce sont 7 contes au sens où disons il y a des événements qui ne se passent pas dans le monde ordinaire. Par exemple le passage d’un monde à l’autre [rires] et dans ce monde là, mais il n’y a pas de « fées » au sens de conte de fées français, voyez. Disons que ça appartient au genre fantastique mais en Français on est, on manque un peu de vocabulaire pour le féerique, le fantastique, le… Disons qu’il s’agit d’un monde imaginaire, imaginé par Lewis, mais qui a sa cohérence propre.
— Alors, est-ce que ce sont justement des contes pour enfants ?
— Au point de vue littéraire, ça appartient au genre littéraire que les anglais cultivent beaucoup, justement, plus que nous, le conte le récit pour enfants. C’est-à-dire que c’est écrit avec certaines contraintes, certains procédés stylistiques etc. qui fait que c’est accessibles aux enfants. Mais ça ne veut pas dire que c’est réservé aux enfants. Vous savez il y a le vieux machin — pardon [elle lève les yeux au ciel] — le vieux, je ne sais pas, le vieil adage « de 7 à 77 ans »… Bah, c’est aussi valable pour Narnia. D’ailleurs les adultes, en fait, lisent Narnia. Je crois qu’on vendu pour l’instant (enfin, les statistiques sont toujours approximatives) environs 85 millions d’exemplaires des Chroniques de Narnia [rires] depuis leur parution et c’est pas uniquement pour les lire aux petits enfants.
— Pourtant ce sont des enfants qui sont les héros de cette heu…
— Ah oui, mais primitivement, heu, Lewis pensait qu’il écrivait des fairy tales (comme on dit en Anglais, des « contes de fée ») pour des enfants parce que c’était le genre littéraire qu’il avait envie de pratiquer à ce moment là. Ce sont effectivement des enfants qu’il y a, mais ces enfants, comme beaucoup de lecteurs l’ont remarqué, deviennent dans certains cas adultes.
— Oui, au moment où ils rentrent dans Narnia, ils agissent comme des adultes.
— Ils deviennent des rois, par exemples, des reines, avec les responsabilités que cela implique. C’est pas toujours les mêmes parce que les enfants se renouvellent mais ils ont toujours des comportements, c’est vrai, d’adultes. et Lewis était en correspondance avec des enfants ou d’autres personnes et il y a une petite fille un jour qui lui a demandé : « Mais comment cela se fait qu’ils n’aient pas toujours le même âge ? » Oui elle avait bien vu. Et il lui a répondu que pour lui, l’âge était un aspect superficiel de la personne et qu’à certains aspects, on avait tous certains aspects où on était enfant et d’autres où on était adultes. Et ce, à tous les âges, voyez. Et d’autre part, ça c’est pas Lewis qui l’a dit mais moi je l’ajoute, c’est aussi des romans de croissance qui sont, qui est un thème essentiel, des romans d’éducation, on devient peu à peu ce qu’on doit être et c’est-à-dire qu’on passe de l’état d’enfance à l’état adulte. Je crois que ça symbolise aussi ça.
— Et alors, justement, on dit souvent que ce sont des contes de fée, on fait un peu de psychanalyse sauvage là-dessus, comme on l’a fait très souvent sur les contes de fée… Qu’est-ce que vous en pensez ? Est-ce que vous en pensez que c’est des faux contes pour enfants qui en fait traduisent de vraies névroses d’adultes ?
— Oh, absolument pas. Je ne veux pas défendre Lewis à tout prix mais je crois que l’approche psychanalytique en tant qu’elle est entendue comme ça est complètement, mène à se fourvoyer complètement. Parce que d’abord cela projette une espèce de lourde allégorisation sur des récits qui sont quand même des récits allègres, amusants, inventifs, et pas du tout faits pour exprimer des névroses ou des trucs comme ça. Et il y a… Bettelheim parlait d’une psychanalyse des contes de fées, alors il y voyait lui, c’est déjà un peu mieux mais je ne suis pas tout à fait d’accord, il y voyait des éléments qui permettent à l’enfant de croître,, de grandir ; des images qui lui permettent de se construire, ça c’est déjà plus valable (si vous voulez), mais cela risque quand même d’être très lourd.
— Alors, il y a quand même une question : Pourquoi, pourquoi Lewis fait le choix du conte de fée ? Qu’est-ce que lui permet ce genre littéraire ?
— Beh, écoutez en fait c’était un choix littéraire, heu, Lewis était écrivain comme on l’a dit il — Alors, est-ce que c’est parce que justement ce conte de fée finalement permet rend plus libre parce que permet une certaine interprétation beaucoup, plus grande que le roman qui est quand même un genre extrêmement contraint. Est-ce que c’est un choix de liberté ? — Bien, c’est un choix de liberté mais qui convient aussi aux autres œuvres de Lewis, qui convient à Tolkien, qui convient à tous ceux qui ont écrit dans le genre que je ne sais pas trop comment qualifier, fantastique ou féerique, qui est certainement un genre qui permet d’échapper à certaines contraintes… mais surtout d’exprimer la manière dont nous pouvons y échapper. Parce qu’il s’agit pas de s’enfuir dans un autre monde, voyez, qui n’aurait pas de rapport du tout avec le notre. — Pourtant, il y a quand même de la part des enfants, surtout dans les premiers là, une sorte de rejet du monde des grands ; et l’entrée dans Narnia c’est aussi une manière de s’affranchir de ce monde là. — Ah là je crois que… non, je crois que c’était pas l’idée de Lewis. C’est vrai que comme beaucoup de romans ou récits pour enfants c’est d’abord les enfants qui sont au premier plan, alors si les parents sont là ça va pas du tout [rires] Il y a toujours des moyens que les parents soient absents mais c’est pas du tout parce qu’on veut se débarrasser d’eux ou que des choses comme ça, c’est pour que les enfants aient toute leur liberté. Mais il n’y a pas ce désir de se libérer du monde adulte. — Et alors, pour terminer, juste, comme on parle de contes pour enfants, pourquoi vous, est-ce que vous les recommanderiez à des enfants ? — Ah oui, certainement. Écoutez, j’ai lexpérience de mes propres enfants qui maintenant sont adultes [rires] qui ont lu Narnia ou même je leur ai lu Narnia très jeune et donc, qui adoraient ces personnages et qui maintenant sont largement adultes et lisent toujours Narnia. [rires] — Merci, Irène Fernandez.
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Partie (3) : Narnia : la valeur du mythe
— Irène Fernandez votre livre s’appelle Mythe, raison ardente, à propos de C. S. Lewis. Alors pourquoi vous avez choisi d’utiliser ce mot de « mythe » ?
— Parce qu’en fait c’est l’objet même de l’étude que j’ai essayée de faire. C’est pas une étude de l’œuvre de Lewis uniquement mais c’est une étude des idées que l’on peu tirer de cette œuvre au sujet précisément de la portée du mythe, de ce que c’est qu’un mythe d’abord et ensuite de ce qu’il peut éventuellement signifier. Et si j’ai pris, si j’ai pillé Apollinaire pour prendre « raison ardente » c’est parce que le mythe, pour Lewis, l’imagination au sens fort du terme ne s’oppose pas à la raison mais à elles deux elles forment, elles constituent notre approche très profonde de la réalité. C’est ce que j’ai essayé de montrer, c’est pour cela ce titre.
— Alors je vous pose une question difficile : c’est quoi que vous appelez un mythe ? qu’est-ce qu’un mythe ?
— Écoutez là je suis, je ne prétend aucune originalité dans ce domaine, je suis Lewis et c’est ce quoi m’avait le plus intéressé dans son œuvre c’est qu’il a une conception du mythe… Il faut d’abord distinguer les mythes « mythologiques » si on peut dire (les mythes qui appartiennent aux mythologies)
— Les mythes grecs, enfin, Jupiter, … [sic :-(]
— Oui et autres…
— Oui, ces choses-là [argh, mais faite le taire !]
— … qui ont une portée religieuse, qui faisaient partie de religion. Et puis le mythe, disons, « littéraire » qui provient de… ça peut être d’ailleurs un conte comme les contes populaires recueillis par Grimm par exemple ou bien ça peut être l’Odyssée donc [rires] c’est vraiment vaste. Et le mythe, c’est un type de récit ; ça c’est vrai pour les deux catégories d’ailleurs. De récit ou de « structure narrative » pour être un peu pédant si vous voulez) dont… de type imaginaire, ou fantastique enfin non réaliste, et qui… je ne peux rien dire de mieux que c’est plein de sens, au sens que l’on sent, on perçoit que dans ce récit, dans cette structure, quelquefois dans cette grande image d’ailleurs, un foisonnement de sens qu’on ne peut pas d’ailleurs décrypter. On s’est exercé déjà depuis l’antiquité à faire une espèce d’allégorisation par exemple des mythes d’Homère, mais si un mythe pouvait être réduit par l’allégorie à une série de concepts qu’on mettrait sur la table, ça ne serait pas un vrai mythe, enfin, du moins pour Lewis, voyez.
— Donc, un mythe, ça serait une histoire qui est plus que l’histoire. il y a quelque chose dans l’histoire qui dépasse la simple histoire.
— Tout à fait. Vous avez employé tout à l’heure le mot de « résonance » [ah bon ?] mythique et je crois que c’est un mot qui compte. Alors vous me direz : « ça peut paraître un peu vague comme ça ». Il faut avoir en fait… c’est très difficile de parler du mythe en général. Il faut parler des mythes ou de tel mythe, de Narnia par exemple ou d’autres, vous voyez. Et au bout d’un certain temps (c’est Lewis aussi qui dit ça), on a, on finit par avoir, sentir la… « saveur » du mythe. Je crois que c’est une piste qui est intéressante à suivre.
— Et alors, justement, Narnia, vous parlez du mythe de Narnia, est-ce que c’est un mythe ? Ou qu’est-ce qu’il y a dans Narnia qui peut être mythique ?
— Alors, évidemment, on décrète pas « mythique » n’importe quoi (c’est un mot aussi qu’on met un peu à toutes les sauces, hein). Je pense, je ne sais pas si Narnia est un mythe (enfin, ou les contes) mais il y a certainement des éléments mythiques très forts. Je pense aussi par exemple que, j’ai parlé du mot « image »… Lewis donne comme exemple l’image des Hespérides vous savez ces gardiennes des pommes d’or. C’est même pas un récit, c’est une grande image et ça a une résonance mythique. Et bien dans Narnia, vous avez des éléments de ce genre. On parlait par exemple de la « porte ». on entre dans Narnia par la porte d’une armoire ; tout à fait à la fin, dans le dernier conte on sort par une porte qui est d’abord la porte d’une étable et puis la porte d’un lieu de torture et puis la porte de la Mort et qui débouche finalement sur la Lumière. C’est un… je veux pas employer le mot « symbole » qui est encore plus dangereux que le mot « mythe » je crois [rires] mais ça a vraiment une portée mythique ; en ce sens que d’ailleurs cette porte (ou ces portes) on peut leur donner beaucoup de sens, voyez, il n’y a pas un seul, on ne peut pas dire : « Ah ! Il a voulu dire ça et pas autre chose ! ». Et alors vous avez dans Narnia le personnage d’Aslan…
— Le lion.
— … Le lion, qui alors a une force mythique incontestable.
— Alors, justement, vous disiez que Lewis s’est intéressé aux mythes, mais est-ce qu’il a voulu écrire des mythes en écrivant Narnia ?
— Écoutez, je ne crois pas qu’on puisse vouloir écrire un mythe. Parce que, au fond, par exemple, quand Kafka écrit Le Château (qui est vraiment un mythe)… Voyez, quand je disais que ce n’est pas réaliste, cela ne veut pas dire que cela n’exprime pas la réalité. Mais cela ne l’exprime pas par les moyens de la description réaliste. Ça l’exprime par d’autres moyens qui sont justement souvent sous-estimés parce qu’on dit : « Oh, c’est du conte de fée, c’est du fantastique… ». Mais il n’y a rien de plus réel que Le Château de Kafka. Prenez un autre mythe moderne, La Ferme des animaux d’Orwell, par exemple. Voyez, on ne peut pas dire…
— Expliquez-nous un petit peu de quoi il s’agit.
— Ah, vous ne connaissez pas ? Vous connaissez Kafka quand même !
— [rires] non non, La Ferme des animaux.
— La Ferme des animaux c’est un magnifique conte de Georges Orwell (vous savez, celui qui a écrit 1984, je crois que tout le monde connaît ça…) mais dans La Ferme des animaux, c’est une sorte de conte qui se passe dans une ferme où les animaux se révoltent contre les fermiers et les tuent et se mettent à leur place et ils recréent un monde totalitaire particulièrement horrible. C’est fait avec une très grande économie de moyens, sans… y a pas de « graisse », si vous voulez. C’est vraiment un mythe, une structure narrative significative. Alors on voit très bien ce qui est visé mais en même temps c’est applicable… bien sûr Orwell pensait certainement au communisme à l’époque, mais cela ne s’applique pas seulement à ça ! Sinon, cela n’aurait qu’une valeur historique etc., ça s’applique à toutes les structures tyranniques qui sont sécrétées par heu par notre mauvaiseté naturelle.
— Un des aspects mythiques si on peut dire, je ne sais pas si vous allez reprendre cette définition, c’est dans l’œuvre de Lewis cette sorte de mythe anti-technologie, une sorte de haine pour tout ce qui est chemin de fer, voitures etc.… Comment ça s’explique ?
— Lewis était un homme de sa génération, donc il était né en 1898 et il est mort en 1963. Comme Tolkien, il faisait partie… il y a tout un tas, en Angleterre il y a tout un, qui a été le lieu le berceau de la révolution industrielle, il y a un très violent mouvement de retour à la nature, de l’amour de la nature qui a été presque contemporain de cette révolution d’ailleurs, et qui continue, c’est une tradition anglaise dans laquelle il s’insérait, heu… ils étaient très sensibles à la dévastation industrielle. D’ailleurs quand on voit aujourd’hui les friches industrielles de l’Angleterre on comprend que c’est un peu, pour Tolkien c’est Mordor. Pour Lewis il y a cet aspect là aussi peut être moins violent que chez Tolkien mais enfin… Il faudrait peut être dire un mot qu’on ne peut pas choisir d’écrire un mythe (écologique ou pas) parce que, que votre œuvre soit mythique c’est presque une sorte de grâce au fond. On peut pas savoir… on peut décider de prendre un genre littéraire fantastique, ça peut très bien aussi être pas du tout mythique, le résultat, voyez ce que je veux dire. Et pas quelque chose… c’est d’ailleurs assez mystérieux.
— Il en était conscient Lewis, après coup, qu’il avait écrit quelque chose qui avait plus de sens ? Ou il écrivait comme ça, pour son plaisir ?
— Il écrivait comme ça et c’était un homme, je crois, sans prétentions, sans vanité d’auteur, ce qui est très rare. Bien sûr il tenait à ses livres. Bon il les écrivait, et quand on lui demandait de faire des suite de Narnia il a dit que non, qu’il n’était plus dans l’humeur mais qu’on n’avait qu’à les faire nous-mêmes. Il disait ça très gentiment. Et aujourd’hui, essayez d’écrire une suite de Narnia, vous aurez tous les gens qui ont les droits d’auteurs sur le dos. Il s’en fichait, d’ailleurs il donnait, je dois dire, c’était un chrétien j’allais dire « pratiquant » au sens propre : il a gagné beaucoup d’argent avec ses livres quand il a eu du succès et il donnait tout cet argent, il avait fait une sorte de fondation pour ça.
— Merci Irène Fernandez.
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Partie (4) : Narnia : un mythe chrétien ?
— Irène Fernandez, on a dit que Lewis était chrétien, que l’œuvre de Lewis était imprégnée de christianisme et que l’œuvre était mythique. Est-ce que le mythe justement, est-ce que cet aspect mythique c’est quelque chose de chrétien, que les Chroniques de Narnia sont une œuvre mythique chrétienne d’une certaine façon ?… J’allais dire « mystique chrétienne ».
— Je vous répondrai que pour Lewis le christianisme, je voudrais être bien comprise, est un « mythe vrai ». Et c’est d’ailleurs lors de son évolution, alors qu’il croyait déjà en Dieu mais qu’il n’arrivait pas à comprendre le rôle du Christ si vous voulez, il n’était pas encore « chrétien », c’est une grande conversation avec Tolkien qui est restée célèbre un peu dans les annales de leur amitié (ces conversations la nuit dans les jardins de ce merveilleux collège <…>) de qui lui a fait comprendre que ce qu’il aimait… d’une part il aimait les mythes, d’autre part il croyait en Dieu et il fallait qu’il comprenne que Dieu avait réalisé un mythe parce que le mythe du dieu qui meurt et qui renaît existe en dehors du christianisme, c’est un schéma mythique étudié par les spécialistes etc. Et selon Tolkien, et puis Lewis y a adhéré très profondément, une fois c’est arrivé, c’est-à-dire que Dieu a réalisé cela par des événements de l’histoire au lieu de le réaliser simplement dans un récit. Et pour Lewis les mythes disons païens étaient des premiers coups d’œil, des intuitions, des divinations, peut-être un peu de lumière divine. C’est un peu d’ailleurs ce qu’a repris le concile Vatican II dans sa déclaration Nostra Etate <…> Et bien, et d’ailleurs Lewis a écrit ensuite un essai qui est absolument magnifique qui s’appelle « Le Mythe devenu Fait » et que le cardinal Schönborn avait magnifiquement commenté dans un de ses livres qui s’appelle Noël, quand le mythe devient réalité. Alors, pour Lewis, le mythe, comment dirai-je, peut vraiment être porteur de vérité au point que Dieu même peut l’utiliser pour se révéler. Alors, au point de vue humain imaginatif, l’imagination est aussi porteuse de vérité et pas de la même façon que la raison, elle a besoin d’être contrôlée par la raison et elle l’est dans — Et alors, justement, quelle lecture on peut faire ? Il y a une lecture assez facile. On a parlé d’Aslan qui est le lion. Euh… est-ce qu’on peut dire qu’Aslan, c’est Dieu ? OU Aslan, c’est le Christ ? — Beh, j’allais dire oui et non. Il faut savoir que Narnia est d’abord, bon là c’est pas toujours cohérent jusqu’au bout, mais avant c’était le royaume des animaux. Donc qui est le roi des animaux ? le lion. Donc le lion s’est imposé comme le roi et puis finalement, quand les enfants débarquent, une des caractéristiques de Narnia, qui peut faire dire que c’est un conte, c’est que les animaux, ils parlent ; des animaux doués de raison, si vous voulez mais tout en restant, en ayant leur psychologie animale. C’est souvent très réussi d’ailleurs. mais leur roi est Aslan, le grand lion etc. qu’on n’a pas vu depuis longtemps. Le premier des contes c’est Le lion et l’armoire et la sorcière blanche, c’est par là qu’il faut commencer. Et c’est d’ailleurs le premier qui a été très judicieusement filmé. Après, ils feront peut-être les autres, je ne sais pas, mais c’est celui où on entre dans Narnia, c’est la première entrée des enfants dans Narnia, c’est par là qu’il faut commencer, et on sait, on entend parler d’Aslan etc. Il va apparaître, il va aider les enfants et les animaux à se débarrasser du règne d’une sorcière qui fait régner un hiver, qui fait régner la glace, qui est aussi… enfin, le symbole n’est pas très compliqué, on voit… mais c’est peu à peu qu’on peut découvrir que c’est une figure christique. — Oui, déjà dans l’attente, la figure de celui qui vient. — Oui, mais enfin, il faut dire aussi qu’il n’y a pas de parallèles exacts avec euh, un conte théologique… Jean-Yves Lacoste a parlé à propos de Narnia d’une réécriture féerique de la dogmatique chrétienne et ça me paraît très très juste. Mais cette réécriture féerique obéit aux lois de la féerie et ne consiste pas à prendre chaque élément de la doctrine pour en faire un petit catéchisme heu… — Oui. Quand vous voyez, justement, que dans cet épisode le lion meurt et ensuite revit, je dis pas « ressuscite »… — Ah ben si, « ressuscite » — … Il y a quelque chose là enfin… — Il meurt pour un enfant, il n’est pas question de racheter les péchés du monde, il n’est pas question, voyez… Mais c’est certainement une figure… c’est vraiment une figure du Christ. C’est évident. Et peu à peu, ça s’approfondit, si vous voulez, c’est une figure divine, mais c’est une chose qu’on découvre peu à peu et c’est très important. Si on vous dit d’emblée : « Aslan, c’est le Christ »… Oh, mon Dieu, y a quantité d’enfants qui ont lu Narnia sans jamais s’en apercevoir ! [rires] — Justement, c’est ce qui fait qu’il s’agit d’un mythe… Sinon, c’est du catéchisme. — L’allégorie on vous dit : « ça c’est ça, alors ça c’est ça » et si on veut essayer, il n’y a absolument pas de parallélisme exact entre le monde de Narnia et le monde chrétien. La première chose, c’est qu’il n’y a pas de religion à Narnia. Du tout. Donc, il faut dire que Lewis c’est pas ce qu’il aimait le plus [rires] mais au contraire il y a une présence de Dieu très forte et il y a une relation à Dieu etc., et les enfants sont supposés avoir cette relation, y compris religieuse, dans leur monde à eux, dans leur vrai monde. — Alors, est-ce qu’il y a d’autres éléments qui traduisent l’origine chrétienne ou qui pourraient faire écho à des mythes chrétiens ? — Écoutez [je sens I. F. lassée par la question, à moins que je ne projette ma lassitude…], il y a beaucoup de thèmes, il y a surtout le, je crois, un sens de la grâce de Dieu, dans ce qui arrive aux enfants, dans leur évolution, dans… il y a par exemple le thème du choix nécessaire. Mais il n’y a pas de, comment dirai-je, je le répète, de, d’incarnation du catéchisme. — Alors, ce que vous expliquez dans votre livre c’est que… c’est assez étonnant, Narnia sert pourtant, il y a une sorte d’utilisation catéchétique dans certains… — Il faut dire que Narnia, les Chroniques de Narnia ont un succès gigantesque dans le monde anglo-saxon et en particulier aux Etats-Unis, tout le monde connaît Narnia <… cité> par le président Clinton c’est tout dire [rires] Cette œuvre se cite spontanément. Par exemple, après le 11 septembre, la première chose qu’on a envoyée comme message aux pompiers (je crois de la part de la Maison Blanche) c’était une citation de Lewis. C’est exactement ce qu’il fallait leur dire d’ailleurs à ce moment là. Mais enfin, pour revenir à… qu’est-ce que vous — Sur l’utilisation catéchétique. — Ah oui alors justement aux Etats-Unis il y a dans les milieux, en particulier, ce qu’on appelle « évangéliques » — c’est-à-dire le courant protestant très important qui est pas du tout, faut pas du tout le voir comme composé de fondamentalistes avec un couteau entre les dents (ça c’est vraiment une marge) — il ya un courant très fervent, d’ailleurs. Et alors, certains d’entre eux jugent que c’est tout à fait, que c’est épatant de prendre Narnia pour faire le catéchisme, parce que les enfants adorent Narnia, et on peut les introduire par là aux vérités de la foi. Mais, c’est certain qu’on peut le faire et d’ailleurs, le film qui est annoncé pour l’instant, il est déjà proposé en preview à des groupes de catéchistes, etc. C’est déjà tout prévu, qu’on va aller voir le film et qu’on va en tirer… Mais, je trouve que c’est quand même, c’est un petit peu dommage, parce que Lewis disait que donc son idée de conte, de lion, d’images, la première image qu’il a eu c’est celle d’un faune se promenant avec des paquets dans la neige, alors ça n’a rien de particulièrement pieux [rires] ; mais après, le lion, il dit, est devenu finalement une figure du Christ, il s’est dit ça pourrait servir à faire entrer les enfants (ou les adultes) directement dans le sens des vérités chrétiennes qui sont souvent, justement, un petit peu engoncées dans les catéchismes ou les souvenirs (ou les pseudo-souvenirs) du catéchisme pour les gens. Alors, ça peu servir dans ce cas là, mais je pense que si on s’en sert systématiquement pour en faire le catéchisme, c’est fichu et puis c’est… enfin, non, je trouve que c’est très lourd. Moi, je suis tout à fait contre. — [rires] Merci Irène Fernandez [rires].
vouliez savoir déjà ?
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Partie (5) : Narnia : comme Harry Potter ?
— Irène Fernandez, il y a beaucoup de, enfin, en ce moment c’est la mode des contes pour enfants qui deviennent des sorte de vastes fresques cinématographiques, on pense à Harry Potter, on pense à Philip Pullman. Qu’est-ce que vous pensez de cette mode ? Est-ce que C. S. Lewis fait partie du train comme les autres ?
— Je ne sais pas si c’est une mode ; une mode pour qui ? Si c’est une mode pour les enfants qui lisent, on peut en être absolument enchanté mais je ne sais pas si ça traduit quelque chose dans notre société du point de vue des adultes. Et si ça a du succès, si les livres dont vous parlez ont du succès, c’est quand même parce que c’est des bons livres, pour commencer, qu’on lit parce qu’on a plaisir à les lire et parce que c’est vrai que les adultes aussi peuvent avoir plaisir à les lire.
— Vous pensez pas qu’il y a une sorte de régression vers l’enfance comme on le dit souvent ?
— Beh, écoutez là je ne la vois pas… ça ne consiste, la régression… Lire des livres pour enfants n’est pas une régression, vous voyez, je ne pense pas que c’est un signe d’infantilisme. il faudrait quand même arriver à distinguer l’infantile de ce qui est le fait de l’enfance. ou alors quand le Christ dit de laisser les enfants venir à lui, c’est de l’infantilisme ? [rires]
— Quand même ce recours à la magie, cette volonté de puissance par l’artifice est-ce que c’est pas quelque chose d’inquiétant ?
— Ah beh si c’est ça, certainement mais il faut quand même distinguer le royaume de l’imaginaire (pris au sens fort, hein) de, de la magie. La magie en tant que moyen de pouvoir ou recherche du pouvoir est cert…, et surtout si c’est par des moyens plus ou moins occultes etc. ça peut effectivement entraîner sur de mauvais chemins. Je ne crois pas d’ailleurs que si on lit Harry Potter (que personnellement j’aime beaucoup, c’est peut être moins grand je crois que Narnia, Tolkien etc., mais c’est quand même de très bons livres), mais Harry Potter bien sûr il a des dons de sorcier, c’est un monde où il y a de la magie, on a des dons (ou pas d’ailleurs) par la naissance mais c’est, dans le monde de Rowling (l’auteur de Harry Potter), c’est un moyen la magie, c’est un… on apprend une « technique » comme ici on apprend l’informatique ou autre chose. Alors après, comme l’informatique d’ailleurs, on s’en sert pour le bien ou pour le mal mais, je veux dire, il n’y a pas cette espèce d’atmosphère d’occultisme, de révélation de secrets qu’on aurait, auxquels les autres n’auraient pas accès etc., enfin tout le mauvais côté… je crois pas du tout qu’il y ait ça.
— Alors, dans Narnia il y a assez peu de magie justement.
— Il n’y a pas de magie non, il y a même pas de magie du tout. Il y a des événements surnaturels, enfin…
— Alors, vous avez dit que Harry Potter c’est moins bien que Narnia…Pourquoi ?
— Ça c’est un jugement bien sûr que…
— Non non, justifiez, pourquoi vous…
— Mais — Alors, on a parlé de Harry Potter, il y a un autre livre à la mode c’est les, c’est tous les livres de Philip Pullman. Philip Pullman est très, écrit des choses très violentes contre Narnia. — Philip Pullman, il est vraiment anti-chrétien — Alors expliquez un peu qui est ce Philip Pullman. — Philip Pullman est un auteur, d’ailleurs, qui a beaucoup de talent, qui écrit bien, qui a une forte imagination créatrice, très bien, mais qui a écrit une, en particulier, une trilogie qui a été traduite et dont on va tirer un film, qui met en scène lui aussi un monde fanstastique etc., mais qui est un monde fantastique de révolte contre Dieu qui d’ailleurs n’est pas Dieu mais un vieil archange gâteaux (enfin, vous voyez, ça). Et, bon, c’est d’ailleurs assez sinistre dans l’ensemble, mais enfin, on peut pas dire qu’il manque de talent. Mais il déteste… il déteste Dieu. C’est pas simplement quelqu’un comme Rowling qui pourrait être agnostique ou bien athée, c’est un anti-Dieu. Par conséquence, il déteste Narnia. Il a écrit encore il y a deux trois ans des articles d’une violence contre Narnia, je veux dire comme « nauséabonds », « horribles », « dangereux », « véhiculant une idéologie dangereuse », voyez. Alors ça vous laisse un peu pantois, mais enfin c’est comme ça. [cf. propos de Pullman ici, surtout là ou encore là…]. — Sur quoi il se fonde ? Est-ce qu’on peut critiquer Narnia ? — Bien sûr qu’on peut critiquer Narnia, on peut dire, par exemple, il y a des choses… D’ailleurs Lewis (qui est mort relativement jeune, hein) voulait unifier un peu le monde de Narnia — parce qu’il les a écrit comme ça, les uns après les autres. Quand il a écrit le Voyage de la belle aurore par exemple, il croyait que ça serait le dernier, il y a d’ailleurs comme une espèce de « fin ». Et puis après il en a écrit encore trois autres [rires] voyez, c’est, donc, on peut, il manque, il y a des choses qui ne sont pas cohérentes et puis on peut trouver que certains thèmes ne conviennent pas. Je veux dire, on peut toujours critiquer un auteur. Mais ça, Pullman ne le critique pas en tant que, d’un point de vue littéraire, d’un point de vue de la composition, il le critique parce que il est chrétien. C’est d’ailleurs honorable pour Lewis parce qu’il se fait attaquer pour quelque chose, parce qu’il représente… Si vous lisez la fion de Pullman où le vieil archange gâteux se… on arrive à l’expédier, je dirai pas « ad patres », je sais pas trop où mais enfin,... on se débarrasse de Dieu si vous voulez pour, pour d’ailleurs quelque chose qui n’est pas particulièrement joyeux. — Justement c’est ce que, c’est ce que vous disiez, ce qu’il y a de frappant chez Lewis c’est qu’il y a quelque chose de joyeux, heu… c’est ça qui est frappant. — Ah oui mais, en fait la joie est un de ses grands thèmes, j’allais dire la vraie joie, ce qui d’ailleurs inclut aussi cette joie de la vie. vous savez Lewis c’était un grand buveur de bière, il adorait les femmes comme on l’a déjà dit [ah bon ?] [rires] Mais la joie c’est une anticipation déjà de la présence de Dieu pour lui, voyez, donc ça, c’est très très important. Tout ce qui est, en fait,… Il connaissait très bien la tristesse, la dépression, le malheur. Il a perdu sa femme alors qu’il s’était marié tardivement <…> — on en avait tiré d’ailleurs un film « Shadow Lands », « Les Ombres du cœur » (qui était pas très fidèle mais qui essayait de traiter ça) — donc c’est pas un de ces optimistes qui vous prêchent une joie alors qu’on a envie de… [rires] … donne des envies de, comme disait Chesterton, de les assassiner [rires]. C’est quelqu’un qui, dont la joie au cœur devait être, enfin, comme le signe que Dieu finalement l’emportera. Et ça je crois que c’est très important. Ça se traduit dans une espèce d’allégresse aussi de son propos, de son récit… — C’est une œuvre allègre. — Ah oui. — Et justement c’est une œuvre qui, peut-être par son allégresse, contraste avec celui dont on n’arrête pas de parler qui est Tolkien qui lui est, on a l’impression que c’est beaucoup moins allègre, c’est beaucoup plus… — Ah ben, Lewis était un grand ami de Tolkien, vous savez qu’il l’a beaucoup aidé, enfin l’a soutenu pour la composition interminable du Seigneur des Anneaux. Il disait que c’était pour lui une œuvre où le thème de l’angoisse est dominant. Je crois qu’il parfaitement raison. Mais chez Lewis ce thème existe aussi. Par exemple il y a une île où les rêves se réalisent, à Narnia, qu’on rencontre. Alors tout le monde veut y aller, les rêves se réalisent… En fait ce sont les cauchemars qui se réalisent, pas les rêves ce sont les cauchemars. Voyez qu’il y a quand même un côté où il était tout à fait sensible à ça, mais finalement… Il faut dire que Narnia c’est un livre qui se termine dans l’approche du Paradis. Tous les héros sont morts. Il y a quatre ou cinq chapitres après leur mort. Alors évidemment il ne décrit pas la vision de Dieu. Mais, une approche qui est certainement une des plus belles choses que j’ai lues sur la question. Ça, on peut le lire quand on est petit et on peut le lire, certainement, beaucoup plus quand on est adulte. — Écoutez, merci Irène Fernandez de nous avoir parlé avec autant de simplicité et d’allégresse de _Narnia et de C. S. Lewis. — Merci.
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arf,
arf,
arf
... ;-)
S.
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Merci cher Sosryko !!! Beaucoup :)
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Merci beaucoup Sosryko! Je n'avais pas eu le courage de le faire...
Pour les droits, je suis d'accord avec Vinyamar, je ne pense pas que cela pose un quelconque problème.
Effectivement le site d'Ad Solem n'est pas à jour, ça va venir. "Patience et longueur de temps" (je parle pour moi, là)
Pour le livre d'Irène Fernandez, CS Lewis, Mythe, raison ardente, il est arrivé cette semaine à l'entrepôt du diffuseur-distributeur et sera donc disponible en fin de semaine prochaine dans la plupart des librairies. (528p. 25 euros)
Signature à Paris le 19 décembre à la librairie La Colomberie de Irène Fernandez (pour Mythe, raison ardente) et Jean-Yves Lacoste (pour Narnia, monde théologique, un petit essai philosophique sur Lewis, également disponible la semaine prochaine).
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Romaine et moi venons de regarder la vidéo. Irène F. crève l'écran... posée, raisonnée, passionnante et donnant envie de lire des livres commes on les aime.
Et je ne sais pas jusqu'où l'interview a été préparée, mais le journaliste est bien, intervenant à bon escient sans monopoliser la parole.
Merci pour le lien :)
Didier et Romaine.
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C'est vrai que Dame Irène donne un bel exemple d'intelligence et de vitalité réunies !
Et je ne sais pas jusqu'où l'interview a été préparée, mais le journaliste est bien, intervenant à bon escient sans monopoliser la parole.
... ça doit être moi alors ;-) à force de repasser la vidéo pour bien retranscrire, j'en avais tellement ras le pompon de ses "alors" et de ses "justement" et de ses "alors, justement" ;-))
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Quelques références complémentaires :
Un rapide tissage en guise de rappel : l’interview d’Irène Fernandez par Nicolas Liau, sur JRRVF.
C.S. Lewis, Un visage pour l’éternité. Un mythe réinterprété (Till We Have Faces, 1956), Lausanne, Éditions L’Âge d’Homme, 1995, trad. fr. de M. et D. Le Péchoux, préface d’Irène Fernandez.
C.S. Lewis, L’abolition de l’homme. Réflexions sur l’éducation (The Abolition of Man: Reflections on Education with Special Reference to the Teaching of English in the Upper Forms of School, 1943), Limoges, Édition A. Ardant / Criterion, 1986, trad. fr. et préface d’Irène Fernandez.
C.S. Lewis, « Un mythe qui s’est fait réalité », Conférence, n° 7, automne 1998, trad. fr. et présentation par Irène Fernandez, p. 435-445.
Irène Fernandez, « Les chemins de l’apologétique selon C.S. Lewis », Communio, tome XXVIII, 4, juillet-août 2003, p. 91-105.
Irène Fernandez, « Regards sur les mythes : autour de C.S. Lewis et J.R.R. Tolkien », Revue des Deux Mondes, décembre 2003, p. 141-146.
suivi de : C.S. Lewis, « Les chemins de Brocéliande », p. 147-149 (l’auteur de la trad. n’est pas explicitement mentionné, mais le chapeau étant signé d’Irène Fernandez, je suppose qu’elle l’a faite).
Irène Fernandez, Dieu avec esprit. Réponse à Michel Onfray, Paris, Éditions Philippe Rey, 2005.
Voici également deux sites, offrant quelques informations bibliographiques sur ce qui existe en français pour C.S. Lewis :
http://www.librairie-compagnie.fr [recherche avancée : taper « LEWIS C.S »]
Sosryko, retranscrire toutes les hésitations de l’oral à l’écrit, c’est vraiment impitoyable de ta part... ;-) En tout cas, merci beaucoup pour cet usage de ta force de frappe, car je ne pouvais pas non plus avoir accès à la chose.
Une coquille qui m’a fait particulièrement bien rire : « Si vous lisez la fion de Pullman ». Je préfère ne pas commenter... ;-)
Sébastien
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C'est vraiment impitoyable, mais cela a été plus facile pour moi car :
* je n'avais pas le temps de retravailler la chose (d'ailleurs, je n'avais pas le temps da *faire* la chose tout court, d'où ma fatigue d'alors et d'aujourd'hui encore)
* et je ne voulais pas qu'on pense que j'avais modifié les propos en quoi que ce soit sur certains sujets importants.
En même temps, Irène Fernadez n'en sort que grandie : elle s'exprime "très très" (...;-)) bien :-)
Qui te dit que c'est une coquille... ;-)
Oui, bon, c'est une coquille. Mais tu es "impitoyable" de me la montrer... d'un autre côté, cela signifie que tu as lu, et jusqu'au bout, donc que je n'ai pas fait de travail inutile :-)
S.
Et puis, dans Conférence n°7 [et pas seulement dans le n°7], il y a une traduction de Pétrarque...
Et Pétrarque, on ne le dira pas assez, c'est bien, c'est "très très" bien :-)
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une autre coquille (toujours au sujet de Pullman, que voulez-vous, un réflexe de défense je suppose):
« vieil archange gâteux » et pas « gâteaux » bien sûr :-(...
Je pensais peut-être à des "fraisiers" (gourmand que je suis, j'en imaginais plusieurs)... car lorsqu'on est "gâteux", c'est bien qu'on est sur le point de "sucrer les fraises non" ? ;-)
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Pendant qu’on y est, sur Pétrarque, voir les belles traductions de Christophe Carraud et de Rebecca Lenoir, aux Éditions Jérôme Millon.
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Merci beaucoup Sosryko.
Il m'a fallu 3 jours pour tout lire, mais lire la vidéo était définitivement impossible (30 mn de téléchargement pour 3 secondes, puis blocage).
Merci donc infiniment pour cette retranscription. Mais tu es vraiment un "workaholic" !! Faut te faire soigner :-))))))))) Taper 1 heure d'interview juste pour nous ! Il doit y avoir de l'attention pour nous de ta part !
Re merci.
Comme Hiswelokë, malgré l'aspect pataud du journaliste, on apprécie largement le fait qu'il laisse parler son invitée et que son interview est quand même bien construite, comme tu l'as signalé dans le sommaire.
Evidemment, on reste sur sa faim (et en plus y'a du spoiler !! Moi qui voulais voir le film, j'ai plus qu'à lire le livre (que j'ai offert à ma soeur l'an dernier) pour apaiser ma curiosité avant la sortie du film).
Comme Mme Fernandez, je suis offusqué de voir qu'on propose déjà d'utiliser le film comme support pour la catéchisme. Qu'on propose le fil ou le livre (surtout) aux enfants pour avoir droit à une autre porte d'entrée au christianisme (;-)) c'est une bonne idée, mais utiliser ça comme base pour le caté, ça prouve qu'il y a un sérieux problème de catéchisme aujourd'hui. Enfin bon...
Ce qui m'intrigue à l'issue de cet interview, c'est la confrontation avec ce que Tolkien en dit.
Mme Fernandez dit que Narnia n'est pas de l'allégorie. Pourtant Tolkien trouvait que si, et ça le gênait beaucoup. Les références trop évidentes au christianisme le gênaient aussi beaucoup. Pourtant on nous montre ici qu'elles sont loin d'être aussi évidentes.
Je suppose que Tolkien surestimait la culture religieuse des lecteurs, surtout de ceux du XXIe siècle. (peu aujourd'hui peuvent discerner la foi dans le SdA, alors même dans Narnia, il doit y en avoir moins capable de le faire).
Narnia est-il vraiment un mythe ? La ferme des animaux aussi ? (on en avait justement parlé sur ce fuseau : Orwell et Tolkien : 2 conceptions du conte de fée ?)
Si Narnia n'est pas une allégorie (parce que la définition d'allégorie est de plus en plus restreinte), alors j'aimerai bien reprendre le débat là dessus, parce que Tolkien lui-même n'est aps très net non plus là-dessus et son trop célèbre "i dislike allegory" mérite de nombreuses nuances (puisqu'il n'hésite pas ailleurs à parler d'allégorie dans le SdA.)
Tolkien n'aimait pas Narnia parce qu'il y avait trop de références religieuses. Quelle conception de mythe ou du conte de fée se faisait finalement Tolkien ?
(bon, tout ça est un peu désordonné, mais j'avais des idées qui ont disparues, ne reste plus que les questions. Je reviendrai quand j'aurai remis de l'ordre).
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j'ai pas le temps, j'ai pas le temps, j'ai pas le temps, tant pis, je le prends quand même.
Je suis en train de lire le livre d'Irène Fernandez, CS Lewis, Mythe, raison ardente, et je pense Vinyamar que la plupart des développements à tes questions sont présents dans le chapitre intitulé "le mythe selon Lewis" et celui nommé "Mythe et allégorie" et aussi "une théo/logie du mythe ?" (bref au moins 3 chapitres sur les 5...) Je ne peux pas faire un "rapport de lecture" maintenant, mais toute cette problématique-là est abordée de manière très fine et très philosophique, y compris la différence de perception entre Lewis et Tolkien (44 références dans l'index).
Je ne dirai pas que "Mythe, raison ardente" donne des "réponses définitives", mais enfin, c'est de la nourriture solide, si je puis m'exprimer ainsi.
J'ai aussi été interpellée par la référence à Orwell, mais je le connais trop peu pour en parler.
Si je puis émettre une opinion (qui demande à être étayée, mais j'y travaille) il me semble que Tolkien n'aimait pas chez Lewis une certaine "facilité", c'est ce que j'avais compris de son reproche principal à l'allégorie. Dans sa biographie, Carpenter rapporte que Tolkien traita un jour Lewis de "théologien pour tous". Derrière ce "coup de gueule" (si on peut dire) il y a je crois un sentiment propre à Tolkien de ne pas aimer ce qui est trop "évident" ou trop "lisible", qui prête trop le flanc à l'interprétation univoque. (je ne suis pas sûre d'être claire).
Je le rapproche de ma propre lecture car, quand pleine de bons sentiments, j'ai voulu attaquer les Chroniques de Narnia il y a deux ans, je n'ai pas réussi à dépasser les deux premiers chapitre du Neveu du Magicien. Il y a un ton un peu "didactique", (la référence aux "bonbons" tout au début, m'a proprement hérissée, pourtant en général le ton des contes me séduit plutôt) une facilité d'applicabilité qui m'ont irritée, et maintenant encore je ne les lis que par devoir.
Il me semble que la pensée mythopoétique de Lewis est parallèle (ou similaire) à celle de Tolkien jusqu'à un certain point (après tout, il en hérite!), mais diverge ensuite, et l'une des causes de cette bifurcation, pour moi, est en partie d'ordre théologique (puisque Tolkien comme Lewis comprennent le mythe dans l'ordre d'une révélation, adhèrent à cette révélation mais divergent quant à son économie (au sens de développement), et notamment au niveau sacramentel : je me demande -mais ce n'est qu'une question- s'il n'y a pas là quelque chose à creuser.)
A voir... en tout cas, c'est passionnant. Merci :)
(sit finis "verbum", non finis quaerendi
ici finit le "[petit] mot", non la quête)
Bien à vous,
C.
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il y a je crois un sentiment propre à Tolkien de ne pas aimer ce qui est trop "évident" ou trop "lisible", qui prête trop le flanc à l'interprétation univoque.
Oui, cela me semble très juste. je crois que c'est en cela que tient la critique de Tolkien à l'allégorie, parce que par ailleurs il développe lui même les propres allégories de son oeuvre. Mais il n'aime pas en effet qu'elles soient univoques, disons contraignantes poru le lecteur. Mais je crois aussi qu'il surestime son lecteur, qui ne partage pas forcément sa culture. (et à coup sûr il surestimait le lecteur d'aujourd'hui, qui même quand on lui met le nez dedans continue à réfuter ou refuser plutôt la portée religieuse de son oeuvre).
Mais c'est là que je ne comprends plus Tolkien. Pourquoi n'aime-t-il pas ce qui est trop facile, trop évident selon lui ? Veut-il réserver les trésors de ses mythes à des lecteurs informés, je ne dirai pas à une élite (on me ferait des histoires car cela serait mal compris) mais à des lecteurs capables ?! Pourquoi ne pas vouloir que tout le monde comprenne ce que recèle son oeuvre ?
Il préfère l'applicabilité à l'allégorie, mais en même temps il refuse qu'on voit dans les artefacts de son histoires des symboles qui sont trop éloignés de ce à quo il pensait (ainsi refusait-il qu'on voit dans l'Anneau la bombe Atomique, estimant qu'au mieux il représente le Pouvoir en général. Pris en flagrant délit de refus d'une applicabilité. Et il y en a des dizaines d'autres. Tolkien donne son interprétation de son oeuvre, accepte parfois d'autres auxquelles il n'avait pas songé (comme la Vierge Marie vue en Galadriel), mais en refuse quelques unes.
Et je suis sûr qu'aujourd'hui il serait triste de découvrir que certains voient en son oeuvre un génial récit païen excluant tout rapport à la foi.
Pourtant c'est ce que doit permettre l'applicabilité.
Je trouve donc des contradictions dans l'antipathie de Tolkien vis-à-vis de l'allégorie, et je ne la comprend pas.
l'une des causes de cette bifurcation, pour moi, est en partie d'ordre théologique (puisque Tolkien comme Lewis comprennent le mythe dans l'ordre d'une révélation, adhèrent à cette révélation mais divergent quant à son économie (au sens de développement), et notamment au niveau sacramentel
Et ce serait parfaitement cohérent avec ce qui les distingue dans leur vie de foi. Mais je ne comprends pas cette inclusion du sacramentel dans le rapport au mythe. Peux-tu être plus explicite ?
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Pardon pour ce long texte. je ne suis pas sûre d'avoir répondu, et j'ai probablement développé des fils qui ont déjà couru ailleurs, mais la réflexion est si dense que je n'ai guère pu faire autrement.
Si ces ligne dérangent par leur optique ouvertement catholique, je m'en excuse : pour ma défense, je dirais que j'essaie maladroitement de me placer dans l'optique de Tolkien. Je ne pense pas avoir fait de la théologie pour la théologie et même si les développement sont conséquents, croyez bien que je ne perds ou ne veux pas perdre de vue le conte.
@ Vinyamar : "sacramentel" est peut-être mal choisi. L'idée est difficile à exprimer. Sur le plan de la foi, Tolkien est un "homme de l'eucharistie", qui communiait, sinon tous les jours, du moins très fréquemment. Ceux qui vivent cette réalité (j'essaie d'en être) savent que le rapport au Mystère est différent, mais pas seulement, c'est le rapport à la création (et partant, à la sub-création) qui est, je ne dirais pas "modifié", mais sans doute "appuyé". Il me semble qu'il faut compter avec cela, dans le rapport que Tolkien pouvait avoir avec son lectorat. Je ne sais pas s'il le surestimait, (si même il pensait être lu des décennies plus tard) : les lectures simplistes qu'il condamne ne se déterminent pas (enfin je crois) en fonction d'un niveau culturel, mais plutôt selon une "tournure d'esprit", j'irais jusqu'à dire un "rapport au monde", et ceux qui sont à l'origine de ces surinterprétations (parfois à l'emporte-pièce) ne sont pourtant pas dénués de culture.
De plus, Tolkien n'induit pas de jugement de valeur : il ne juge pas : voir sa réaction très simple quand on lui rapporta le comportement des adolescents américains : "ces jeunes ont un rapport avec ces choses qui m'est étranger". Mais il ne les juge pas et ne les méprise pas (preuve, déjà, d'une grande miséricorde).
Ce qu'il ne supporte pas, je pense, dans par exemple la comparaison de l'Anneau avec la bombe atomique, c'est que cette comparaison est stérile. Qu'apporte en effet de le savoir ? Où est l'enseignement, la nourriture ? Alors que le niveau "supérieur" (l'Anneau en tant que pouvoir, la bombe en tant que pouvoir) est déjà un "enseignement" (ou au moins une réflexion, mais toute réflexion peut servir l'enseignement) sur le rapport de la volonté de puissance et le mal, et l'homme en face de ces deux choses. L'allégorie "historique" (définition non homologuée et toute personnelle!) n'apporte rien, sinon de placer les événements du conte dans l'ordre des choses formellement (mais non forcément profondément) connues (historiques).
Car enfin, si nous savons l'histoire de la bombe, nous savons, effectivement, qu'elle est néfaste (au plan du résultat direct : il y en aura pour dire que ça a été utile, mais c'est un autre débat), mais néfaste en tant que bombe (matériellement). Ça, c'est le plan allégorique de base (voire de bas étage). Mais pour tirer leçon de l'évènement, encore faut-il élever la bombe au rang de "pouvoir" et la comprendre comme un mal, ni matériel ni théorique, mais philosophique (et dans le cas de Tolkien, théologique) qui s'en est pris non seulement à l'humanité dans sa chair, mais à l'homme dans son intégrité d'être.
L'Anneau et la bombe sont deux "évènements" au sein de deux histoires, quelque part, il y a parallèle, mais on ne peut comprendre l'un à la lumière de l'autre, si cet autre n'est pas élevé sur un autre plan, beaucoup plus conceptuel (et d'ailleurs, plutôt que comparer, autant directement "élever" : les deux réalités (celle du conte et celle de l'histoire) se rejoindront dans le "lieu philosophique" du mythe). Dire que l'un "est" l'autre ne sert de rien (et cette inutilité -ou vanité- ne devait pas être pour rien dans le ressentiment de Tolkien), par contre, placer l'un et l'autre dans l'ordre du mythe permet de dégager une réflexion sur une préoccupation essentielle de l'homme : le mystère du mal.
Le rejet de Tolkien n'est pas à mon sens le rejet d'une lecture "simple" (c'est à dire dans une véritable simplicité de l'âme). D'ailleurs les interprétations allégoriques ne sont pas simples : il faut une sacrée pirouette pour transformer l'anneau en bombe A (en tout cas, ça ne m'était jamais venu spontanément), mais elles oblitèrent le rapport de l'homme (en tant qu'humanité) au monde en le réduisant à une donnée historique. Elles ferment la porte à la réflexion du rapport au monde, au créé, à Dieu (je me place ici dans l'optique de Tolkien- enfin j'essaie- pardonnez ma sensibilité catholique qui s'autorise une majuscule) que doit, justement, engendrer (ou au moins nourrir) le mythe. La définition (certes simplifiée) n'est-elle pas : le langage est une invention par rapport aux choses (visibles et invisibles) de même le mythe est une invention par rapport à la réalité [de l'homme, et plus spécialement dans sa relation au monde avec pour horizon le mystère de la mort]. C'est là (il me semble) l'utilité fondamentale du mythe, d'exprimer le "mystère de l'homme dans le monde" (ce qui implique le rapport Créateur-créature) afin d'essayer de le comprendre.
J'en reviens à la lecture "simple" : la plus simple que l'on puisse trouver, je pense, c'est celle que fera un enfant (et l'allégorie historique, m'est avis, ne lui viendra pas à l'esprit, à moins qu'il ne soit déjà amputé [j'insiste sur le terme "amputé" ; sans même se placer dans l'ordre d'une croyance, la conceptualisation reste une donnée essentielle du développement humain] de la faculté de transcendance du mythe : même chez les adultes ce n'est pas si fréquent, pour preuve le forum!). Tolkien n'a pas écrit des histoires "didactiques", il voulait écrire des "contes" parce qu'il aimait cela, et il voulait émouvoir comme lui-même était ému. C'est à dire que, en dehors de toute théorisation, il y a à la base de l'écriture de Tolkien, ce désir de toucher l'autre, de lui transmettre ce qui le touchait lui-même. C'est par la sensibilité qu'il prend d'abord (et c'est d'ailleurs par elle qu'il écrit en premier lieu : voir quand il dit que la première écriture du SdA était inconsciemment catholique : c'est le mouvement spontané, naturel de son être qui s'exprime en premier lieu. C'est important pour constater à quel point la pensée de Tolkien était naturellement catholique). On touche ici à la question de l'âme, qui est infiniment délicate, mais tant que j'y suis, autant m'y risquer.
La sub-création est la forme responsoriale, proprement humaine, s'inscrivant dans "l'ineffable dialogue" avec Dieu, mais voir Dieu et ne pas voir les hommes, c'est une faute grave. Il y a donc chez Tolkien non seulement la présence de la relation (véritable religion, de religare) au divin, mais aussi à l'homme, et du divin dans l'homme. Pour preuve : il essayait tant que faire se pouvait de répondre à ceux qui lui posaient des questions. Et la suscitation du dialogue, du partage, n'est pas la moindre des choses. J'en reviens à cette lecture simple : Tolkien voulait toucher, donc. Disons que pour une large part, il y a réussi. Mais pourquoi toucher, et que voulait-il communiquer, qui ne trouvait, chez lui, d'autre moyen privilégié que le conte ? Réduire la portée du conte à sa sensibilité, c'est de nouveau l'amputer, c'est tout le problème des "jeunes américains" : ils sont touchés, mais ne dépassent pas ce stade. Tolkien disait : "l'art les émeut, ils ne savent pas comment, et l'ivresse les prend". J'entends ici l'art au sens de la sub-création, suprême poiesis.
La fantaisie n'est pas une illusion, mais nombre la considèrent, et depuis longtemps, comme telle : c'est là où le fossé d'incompréhension s'est creusé entre Tolkien et son lectorat. S'il n'y a pas, à la base du dialogue entre le livre et le lecteur, cette conscience de la vérité fondamentale du mythe (qui est déjà en soi un acte de "conversion" ou de retournement) le piège le plus grand est l'illusion : les lignes étaient parallèles, les voilà embrouillées.
Maintenant, que voulait transmettre Tolkien, qui l'émouvait tant ? L'émotion pour l'émotion, quel intérêt ? Pas de quoi en faire une affaire. Mais c'est là où intervient la réalité sacramentelle (j'y viens, j'y viens).
Dans l'ordre du monde sensible, nous avons pour communiquer avec Dieu, pour nous rencontrer avec lui, un lieu et un espace privilégié : la liturgie.
Ce n'est pas seulement un cadre cérémoniaire, ni un habillement, si minime qu'elle soit en certains cas, la liturgie existe toujours dans l'exercice du sacrement, elle est sa demeure pour être parmi les hommes. C'est le lieu par excellence du sacrement, lequel est (pour une part, je ne vais pas me lancer dans une définition du sacrement) l'efficience parfaite de la grâce, signe et sens. Qu'est-ce donc que la liturgie, pour produire cet effet ? Du grec" leitourgia", le terme traduit un "office public" un service. Elle est avant tout la manifestation au coeur du monde d'une relation toute intérieure à Dieu, ordonnancée et structurée par Dieu lui-même (d'où c'est Lui qui indique le plan, les matériaux, les mesures du temple, lieu de sa présence, cf Exode, cf Ezechiel, etc.). Or la liturgie, en premier lieu, suscite l'artefact (au niveau sensible) et la poésie (niveau rationnel), parce qu'elle est autant le lieu de la saillance de la parole de Dieu, que celui, privilégié, d'une réponse de l'homme structurée dans un espoir de justesse. Mais cela ne veut pas dire que la liturgie n'existe pas en dehors du temple ou de l'église, bien au contraire. Elle existe dans le temple et dans l'église parce qu'elle existe en tout premier lieu dans l'homme. Toute poétique, tout art, est liturgique dans le sens d'une relation (quelque soit son état). J'exprime ici un point de vue que j'espère catholique et qui me semble refléter pour une petite part la pensée de Tolkien.
Nous voici donc avec plusieurs éléments : une émotion (au sens propre un mouvement, et certainement un mouvement de l'âme) sensible, un lieu de rencontre, et la grâce. Là réside le mystère de la sub-création.
Raccrochons les wagons avec l'interrogation première, à savoir la différence entre Lewis et Tolkien dans leur rapport respectif au mythe. Je ne sais pas à quel mouvement du protestantisme Lewis se rattachait, mais si mes souvenirs sont bons, il était anglican, d'un anglicanisme proprement irlandais, influencé par le protestantisme tel qu'on peut le connaître en France. Je ne vais pas me lancer dans une étude comparée, mais il y a fondamentalement, des points de divergence doctrinale qui expliquent les divergences mythopoétiques. Le plus important (hors la question de la Présence Réelle : si Lewis n'y croyait pas, alors le premier clivage, fatalement, vient de là, mais je ne le sais pas : à vérifier) se situe au niveau de la grâce (pour une définition réelle de celle-ci, voir le Cardinal Journet, Entretiens sur la grâce, ed. st Augustin).
Les "deux écritures" (pour schématiser) du SdA sont symptômatiques. La première est sensible ; Tolkien y apparaît déjà (malgré quelques chaos théologiques, voir les Home) "brûlé par l'Esprit". La deuxième est rationnelle, mais au lieu de détruire ou de ne rien en faire, prend en compte la brulûre de la première. "le Seigneur était là, et je ne le savais pas" dit Jacob en s'éveillant au matin du songe (cf Genèse). Et il dresse la pierre qui lui avait servi de chevet, l'oint d'huile, et le lieu reçoit un nom. Ce que je veux dire, c'est qu'il y a chez Tolkien ce courant qui le traverse et que je n'ai pour ma part pa senti chez Lewis (ce qui ne remet pas en cause sa foi). En dehors même des différences de dogme, l'un et l'autre vivent leur foi différemment. Lewis est un grand rationnel, un rationnel ardent. Mais des deux, c'est Tolkien qui est allé à l'intérieur du langage.
Je m'explique : il n'est pas anodin que l'un des reproches de Tolkien à Lewis soit l'invention de noms rattachés à des pseudo-langages, sans satisfaire à son exigence de philologue. Caprice de spécialiste ? Non. Tolkien est pleinement philologue, c'est à dire Philo-Logos, un amoureux du langage, mais surtout un amant du Logos et partant, du Verbe fait chair. Tolkien, comme tout homme, est au prise avec le problème indicible, insoluble en ce monde de l'expression de Dieu ou même de la relation à Dieu. C'est ce qui est au coeur du procédé faërique, de la sub-création. Je livre ici (tel quel) un extrait de mon mémoire :
Devant le tabernacle (et ce qu'il contient) il ne reste souvent que le silence contemplatif de l'abîme. il semble que toute notre vie, tous les mots que nous pourrons inventer, toutes le formes que nous pourrons imaginer, toutes les mélodies que nous pourrons improviser ne suffiront jamais à "raconter" le divin. Pourtant la fontaine de joie et de souffrance profondes - la joie de la Rencontre et la souffrance de notre insuffisance- continue de jaillir et ruisseler. L'eau ne coule jamais en vain.
A présent assis près de la source en Lorien, et entendant autour de lui les voix de Elfes, sa pensée prit forme en un chant qui lui parut convenable ; mais quand il essaya de le répéter à Sam, seuls quelques fragments restèrent comme un poignée de feuilles flétries.
Ce passage du SdA où Frodo, endeuillé par la disparition de Gandalf, ente de composer un chant à sa louange stigmatise tout un rapport au langage poétique : notre malhabilité à l'employer, la rareté de son usage et surtout le paradoxe de l'indicible désiré. En son âme chantait un cantique, et cela était beau ou du moins, selon sa propre appréciation, "convenable" mais il n'a pu (si beau que soit son poème) parvenir à une plénitude de l'expression. Et Sam à son tour prenant le relais fait la même expérience à son échelle. C'est que l'un comme l'autre, bien qu'ils aient déjà été éprouvés, ont encore du chemin à parcourir. Du moins ont-ils perçu la beauté particulière du chant des Elfes avant même d'entamer leur périple. Mieux : la notion même de cette beauté, notion que l'on peut qualifier de "disposition intérieure" (grâce première de l'état) aide Frodo à partir (de même que Sam : son enthousiasme presque enfantin traduit certes un attrait pour les choses elfiques, mais cet attrait lui-même est signe d'autre chose. Cette beauté n'est pas sans cause. Il est possible de saisir une parcelle de la beauté d'une langue sans la comprendre (comme le fait Legolas pour la langue des Rohirrim), comme de la liturgie sans en tenir les tenants et aboutissants. C'est notre condition proprement humaine que de chercher à la chanter, tout en sachant que nous ne pourrons exprimer qu'une infime parcelle du peu que nous pouvons en appréhender. Tolkien a suivi ces sentiers, tissé et retissé inlassablement, non pour vaincre ni pour en finir, mais parce qu'il cherche, et que cela n'a pas de fin en ce monde.
« Tolkien, arts et artefact du sacré » (tiré de l'introduction « dire l'ineffable »)
Bon, la "réponse" est longue, mais j'avais besoin de tout ça pour poser ma propre pensée. Pour dire bref (une fois n'est pas coutume) je pense que Tolkien n'était pas élitiste. Mais il n'espérait pas forcément que l'on place son livre dans l'ordre d'une réflexion ultime, qu'on le voit comme une fin en soi. Les méprises, selon son tempérament, devaient beaucoup l'agacer, mais il me semble que son espoir est celui d'avoir "fait passé"quelque chose, qui est la présence de l'Autre. Mon sentiment est qu'il n'aurait pas souhaité, ne pouvait pas souhaiter, que l'on s'arrête au SdA et à la Terre du Milieu, mais que, à travers ses contes, se joue La Rencontre. La Faërie (qui est pour moi le lieu liturgique par excellence) est par essence "translucide" : les choses sont telles quelles sont sous le ciel, mais magnifiées non pas par un quelconque esthétisme, mais par une inhabitation plénière.
Car maintenant nourri d'un ineffable blé,
il semblait qu'à ses yeux s'ouvrît un nouveau monde :
l'oiseau, l'arbre, la pierre avaient une clarté
qu'il ne connaissait pas, et la tuile frappée
par le soleil tombant était profonde et nette.
Ce n'était plus ce cauchemar fou et grotesque
Où les choses ont l'air surprises d'exister :
Maintenant chaque chose est telle qu'elle est.
Francis Jammes, l'Eglise habillée de feuilles, in Clairières dans le Ciel, Gallimard, paris, 1980.
et aussi :
La lecture d'un bon livre est un dialogue où le livre parle et où notre âme répond.
(mais j'ai oublié l'auteur, mea culpa!)
bien à vous,
C.
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Merci Christine pour ce passionnant développement. Et plus encore, pour sa beauté.
Il me semble que tu mets le doigt sur la solution à ce conflit entre allégorie ou non en montrant que ce que Tolkien regrette, c'est finalement l'allégorie historique, l'allégorie qui identifie un élément matériel du conte avec un élément tout aussi matériel du monde primaire. Comme tu le dis, si c'est ça, quel est l'intérêt ? Alors que si l'élément du conte désigne (en rappelant que ce n'est pas le but premier de cet élément que de désigner autre chose, mais nous y reviendrons) une autre réalité plus conceptuelle, plus universelle aussi, sur la condition humaine, alors l'allégorie devient noble et propre à faire réfléchir l'adulte.
Car je pense que le conte de fée a sa propre manière de réfléchir [reflect] la "vérité", différente de celle de l'allégorie, la satire (prolongée) ou du "réalisme" - et d'une certaine façon, plus puissante.
(j'ai l'impression que ce serpent de mer me taraude tant qu'il va bien falloir que je finisse par en faire un article)
Tolkien rappelle que le premier but du conte de fée, c'est de donner du plaisir, et d'émouvoir (comme tu le rapelles).
Mais si l'on entreprend de s'adresser à des "adultes" (à des gens mentalement adultes en tout cas), ceux ci ne prendront plaisir, ne seront passionnés ou émus qu'à condition que l'ensemble, ou les péripéties, semblent concerner une chose qui mérite leur attention ; plus par exemple que le simple danger et l'évasion : il doit y avoir un rapport avec la condition humaine (de toutes les époques).
Lettre 181
Tolkien distingue cela de l'allégorie. Il apparaît donc que la définition que Tolkien donne à l'allégorie est effectivement très restreinte, comme tu le dis Christine : un élément qui en représente un autre (l'anneau = la Bombe A).
(Tu dis que tu ne pense pas spontanément à la Bombe A quand on te parle de l’Anneau, mais c’est parce que la bombe A n’est pas aujourd’hui un élément qui nous préoccupe, comme elle l’était, on peut l’imaginer à l’époque où elle fut utiliser pour la première fois. Par contre, je suis certain que si Tolkien avait écrit son roman cette année ou l’an dernier, on n’aurait pas manqué de voir l’Irak et les Etats-Unis dans les guerres du roman. Et ça nous aurait tous effleuré l’esprit, même pour le rejeter ensuite, parce que ces événements nous marquent aujourd’hui.)
Mais dès que l'on parle de condition humaine, on s'approche du mythe plus que de l'allégorie. Le mythe est-il une allégorie ? Oui, sans doute, mais d'une puissance particulière.
Ou alors, il faudrait que nous parvenions à définir et bien distinguer le mythe, l’allégorie, et le symbolisme (un beau titre pour un article).
Je trouve sur Wikipédia une définition convenable du mythe :
Le mythe raconte une histoire sacrée, performative pour celui qui appartient à la culture qui le crée. Il relate non seulement l'origine du Monde, des animaux, des plantes et de l'homme, mais aussi tous les événements primordiaux à la suite desquels l'homme est devenu ce qu'il est aujourd'hui, c'est-à-dire un être mortel, sexué, organisé en société, obligé de travailler pour vivre, et vivant selon certaines règles. Il produit une explication concrète de certains aspects fondamentaux du monde : sa création (cosmogonie), les phénomènes naturels, le statut de l'être humain, ses rapports avec le divin et la nature ou avec les autres humains
Le mythe se déroule dans un temps primordial et lointain, un temps hors de l'histoire, un Âge d'Or, un temps du rêve. Le mythe cosmogonique est « vrai » parce que le monde existe. Le mythe d'identité est « vrai » parce que la communauté dont il est l'image existe. Le mythe d'origine est « vrai » parce que la communauté le répète pour continuer de vivre. En ce sens, le mythe contient quasiment toujours des éléments de liturgie.
Wikipédia
Cela rejoint, je trouve, ton explication que je partage. Tolkien n’aime pas l’allégorie parce qu’en contraignant, selon lui, à une identité entre un élément du conte et un élément du monde primaire, « elle oblitère le rapport de l'homme au monde en le réduisant à une donnée historique ». Elle ferme, selon lui, la porte à la réflexion du rapport au monde, au créé, à Dieu que doit, justement, engendrer le mythe.
Pour autant, on est d’accord pour dire que ce que Tolkien cherche d’abord à faire dans son ouvrage, c’est émouvoir.. il l’a suffisamment répété, il voulait recréer, offrir à nouveau à ses lecteurs la chose la plus digne et qui est l’essence (ou le sens) même du conte de fée : l’eucatastrophe ! Et il lie directement l’eucatastrophe du conte à celle de l’Evangelium, conte suprême parce que réalisé dans l’Histoire. Et c’est le mystère de cette scène des réjouissances du champ de Cormallen, où la joie est saisissante comme une épée et les transporte en des régions où la douleur et le plaisir coulent de pair « et où les larmes sont le vin même de la béatitude ». C’est le faîte de l’émotion que Tolkien veut nous proposer de partager.
C’est le premier but du conte… mais Tolkien nous révèle lui-même que ce n’est pas sa fin.
Mais bien sûr, si vous désirez que je réfléchisse davantage, je dirai que le mode de cette histoire, la « catastrophe » illustre (partiellement) cette phrase bien connue « Pardonne-nous nos offenses comme nous pardonnons à ceux qui nous ont offensés. Ne soumets pas à la tentation, mais délivre-nous du mal ».
Le changement de ton est brutal. Du simple émerveillement d’un récit bien fait, l’auteur nous projette dans une orientation tout à fait inattendue chez n’importe quel auteur, et en particulier dans un conte de fée. A l’allégorie, Tolkien oppose « l’illustration » (il souligne le mot). Mais quel thème ! (et ce n’est qu’un de ceux qu’il explicitera, puisqu’il dit ailleurs :
Le véritable thème, pour moi, est lié à quelque chose de beaucoup plus intemporel et difficile : la Mort et l’Immortalité : le mystère de l’amour du monde dans le cœur d’un peuple condamné à le quitter et à le perdre (apparemment) ; l’angoisse d’un peuple « condamné » à ne pas le quitter tant que toute son histoire engendrée par le Mal ne sera pas achevée.
Lettre 186
On reste stupéfait par la thématique que Tolkien a voulu inclure dans son œuvre, à 1000 lieues en effet d’une vulgaire bombe atomique ou de la vie libre et sauvage.
Peut-être est-ce là ce qui fait passer un récit (ou une allégorie) au rang de mythe : traiter de thèmes intemporels ? (comme tu le disais Christine, refuser l’étroitesse de l’allégorie historique).
Je crois que, grâce à toi, je suis en train de résoudre cette contradiction qui me gênait tant chez Tolkien concernant l’allégorie.
Pour le sujet du sacrement, ou de la liturgie, je ne suis pas encore satisfait.
D’abord tu établis une équivalence entre le sacrement et la liturgie (ou un raccourci) qui me semble erroné. Les protestants, justement, ont des liturgies sans sacrement. (Mais Lewis était bien anglican, reste à savoir s’il était de la High Church ou de la Low Church pour étudier son rapport au sacrement). Tout art est-il une liturgie. Je n’en suis, hélas, pas si sûr parce que je crois qu’on l’on peut détourner le pouvoir de subcréation de l’homme loin de l’image de Dieu qu’il est censé pouvoir refléter. Tolkien, en tout cas, estimait (dans Feuille de Niggle) que son œuvre pouvait trouver à entrer dans le plan de Dieu et dans une économie particulière du Salut (le sien ?). (je serais d’ailleurs plus réservé que toi concernant l’attention que Tolkien portait aux autres hommes. Il se rend justement coupable, dans ce conte, d’avoir négligé les besoins plus matériels des autres hommes en passant son temps à travailler à sa fresque immense !).
La Faërie (qui est pour moi le lieu liturgique par excellence) est par essence "translucide" : les choses sont telles quelles sont sous le ciel, mais magnifiées non pas par un quelconque esthétisme, mais par une inhabitation plénière.
C’est fort joliment dit, et j’acquiesce, (cela reprend ce que disait Tolkien dans son essai sur la faculté qu’a le conte de fée de permettre de voir le monde réel à travers une nouvelle fenêtre) ; mais je n’y trouve pas le sacrement dont tu parlais. Quant à dire que la Faërie est un lieu liturgique, je comprends mal malgré toutes tes explications.
La liturgie est le « service » donné aux hommes pour entrer en lien avec Dieu, en relation. Oui, je crois en effet que la sub-création est (ou peut être)
la forme responsoriale proprement humaine s'inscrivant dans "l'ineffable dialogue" avec Dieu.
Et la sub-création peut devenir une liturgie. Mais la Faërie, produit de cette sub-création, le devient-elle elle-même ? Elle peut être le « lieu » où l’homme peut rencontrer Dieu, grâce à l’auteur. Si c’est cela, alors d’accord, la Faërie peut être une liturgie. Comme n’importe quel roman empreint de foi. Mais pourquoi « lieu par excellence » ?
Et puis toujours, quid du sacrement ?
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Je sais que je n'ai strictement rien à faire ici, pardonnez donc mon intrusion... mais une chose m'intrigue.
BUT Faery is not religious. It is fairly evident that it is not Heaven or Paradise. Certainly its inhabitants, Elves, are not angels or emissaries of God (direct). The tale does not deal with religion itself. The Elves are not busy with a plan to reawake religious devotion in Wootton. The Cooking allegory would not be suitable to any such import. Faery represents at its weakest a breaking out (at last in mind) from the iron ring of the familiar, still more from the adamantine ring of belief that is known, possessed, controlled, and so (ultimately) all that is worth being considered — a constant awareness of a world beyond these rings. More strongly it represents love: that is, a love and respect for all things, 'inanimate' and 'animate', an unpossessive love of them as 'other'. This 'love' will produce both ruth and delight. Things seen in its light will be respected, and they will also appear delightful, beautiful, wonderful even glorious. Faery might be said indeed to represent Imagination (without definition beacause taking in all the definition of this world): esthetic: exploratory and receptive; and artistic; inventive, dynamic, (sub)creative. This compound — of awareness of a limitless world outside our domestic parish; a love (in ruth and admiration) for the things in it; and a desire for wonder, marvels, both perceived and conceived — this 'Faery' is as necessary for the health and complete functioning of the Human as is sunlight for physical life: sunlight as distinguished from the soil, say, though in fact permeated and modifies even that.
J.R.R. Tolkien, Smith of Wooton Major, extended edition, ed. By Verlyn Flieger, éd. Harper Collins, 2005
Les exergues de la première phrase ne sont pas de moi, mais de Tolkien himself.
Je trouvais ça bien, moi... aller au-delà des querelles de clocher, toucher à cet idéal de Bonté et Beauté, d'amour de l'autre et d'émerveillement... qui, je le maintiens, le pense et l'affirme, existe (peut exister du moins) chez tout homme, qu'il soit ou non d'une confession quelle qu'elle soit. Et (mais ce n'est que mon opinion de jeune personne sans doute idéaliste) je pense que c'est cela que Tolkien voulait faire vibrer (c'est pour ça que cette conclusion m'a tant plu), cet état d'esprit qu'il voulait induire : non pas convertir à quoi que ce soit, mais montrer que le monde, en dépit de tout, est source d'émerveillement, que le respect et l'amour, "outside our domestic parish", sont la clé de l'épanouissement de l'Homme.
Mais encore une fois, ce n'est que mon interprétation, n'allez pas me jeter d'enclume :)
S. -- repart sur la pointe des pieds...
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"au delà des querelles de clocher"
Euh, non. Je ne vois aucune querelle de clocher ici, du moins pas avant ton intervention.
Nous ne parlions pas ici, nous ne débattions pas une 100e fois de la préence du religieux chez Tolkien. C'est dommage que tu ramènes le débat à ce permanent refus d'une présence de la foi dans les récits de Tolkien. Du reste, nous n'analysons pas la même oeuvre. Smith, de Grandwood ne me paraît pas relever du mythe (mais de l'allégorie, cela se peut), et ne me paraît pas non plus, comme le dit Tolkien, diffuser d'éléments de foi comme c'est le cas dans son oeuvre plus importante.
Mais on a déjà parlé de Smith en d'autres lieux (hymne à la poésie (poieo) et à l'imagination).
Le texte de Tolkien s'applique à Smith.
Je ne souhaite pas (pour ma part) relancer ici le débat sur la foi, qui a déjà eu lieu en maints endroits.
(on ne ferait guère que se répéter. C'est d'ailleurs pour y pallier que j'avais rédigé cet article qui résumait pas mal d'interventions sur le forum : Le Seigneur des Anneaux, mythe païen ou récit catholique ?)
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ben voilà... On va dire que c'est de ma faute, et qu'en plus je le sentais venir, ce qui aurait dû m'arrêter. La jeunesse est trop fougueuse et pas assez prudente :(
Il me semblait avoir vu le mot Faërie dans la citation que tu fais de Christine, et dans ton dernier message aussi. Or, il me semblait aussi que l'Essai sur les Contes de Fées, et a fortiori Smith of Wooton Major, était lié à Faërie. Or donc, suivant cette même logique, les écrits liés à Smith me semblent liés à Faërie. Je ne pense pas me tromper, et n'intervenait pas sur la présence ou non du Christianisme dans le SdA (que je ne refuse pas non plus... c'est juste que je ne la vois pas. Mais ce n'est pas parce que moi je ne la vois pas que je vais dire que ceux qui la voit se trompe ! Où aurais-je écrit cela ? Est-ce que je jette des enclumes sur Yyr et Sosryko quand ils tissent des liens et des parallèles ? Non. Parce qu'un éclairage différent illumine d'autres aspects et que je suis bien contente qu'ils le fassent), mais sur sa présence ou non dans ce que Tolkien a décrit de la Faërie (et là... ben là, Tolkien est tout à fait explicite).
Mais si effectivement, Christine désigne une autre Faërie que celle qu'on trouve dans Smith, dans l'Essai sur les Contes de Fées et les écrits liés, quand elle dit que "La Faërie [est] pour moi le lieu liturgique par excellence", ma citation est en effet mal placée.
Maintenant, pour ne pas être mal interprêtée non plus : Christine, ce n'est pas une attaque ou quoi que ce soit, ça m'étonnait juste :) Tu as un point de vue différent, interessant à savoir, et je ne suis pas une intégriste.
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Bonjour,
Laegalad > Je comprends que mon texte prête à confusion. Accorde-moi cependant le bénéfice du doute. Effectivement, je ne parle pas expressément de la Faërie nommément évoquée dans Smith. Cependant, je fais une lecture différente de la tienne quant à la citation que tu avances, mais j'y reviendrai (en tout cas elle ne me semble en aucune manière contradictoire avec ce que j'ai pu dire au-dessus).
Vinyamar > merci pour tes commentaires. Je suis d'accord que je n'ai pas vraiment répondu sur la notion de sacrement. M'accordes-tu un peu de temps ? J'ai des choses à dire là-dessus et aussi (pour tâcher de rassurer Laegalad) sur l'idée que je peux me faire de la faërie d'après Tolkien, mais j'ai besoin de structurer les choses et comme la santé ne suit pas, il me faut un petit délais.
amicalement,
Christine
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Cristine : merci :) Et ne t'inquiète pas pour moi, prend ton temps :)
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HS :
Laegalad, j'ai voulu répondre à ton mail, mais l'adresse ne passe pas. En as-tu une autre ?
Fin du HS
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Je peux faire un hors sujet ici ?
dans l'adresse de laegalad il y a "enlevezceci" ben il faut "enlever ceci" elle fait ça pour éviter d'être spammée par des programmes récupération massive d'adresses qui scrutent les sites Internet.
Au fait, coucou Christine, contente que tu fasses surface, tu auras fini par mailer à toute la troupe sudiste si ça continue : Laegalad et moi, nous sommes grosso-modo de la même région (et nous avons des points communs de tempérament)
fin du hors-sujet
Sinon, Tonton a dit maintes fois qu'il ne fonctionnait pas sur le mode allégorique.
Puisque il faut citer (soupir...) je cite les Lettres :
page 208 « J'ai nourri ab initio une passion tout aussi fondamentale pour les mythes (non l'allégorie!) »
page 210 « Je n'aime pas l'allégorie — l'allégorie consciente et délibérée — mais toute tentative pour expliquer la portée du mythe du conte de fées doit recourir au langage allégorique »
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Mais dans sa biographie de tolkien, Carpenter avance que "Smith" est le seul conte qui traite de l'allégorie :
Smith of Wootton Major was generally well received by the critics, though none of them perceived its personal content nor remarked that it was uncharacteristic of its author in containing an element of allegory. Tolkien wrote of this: “There is no allegory in the Faery, which is conceived as having a real extramental existence. There is some trace of allegory in the Human part, which seems to me obvious though no reader or critic has yet averted to it. As usual there is no “religion” in the story; but plainly enough the Master Cook and the Great Hall, etc.. are a (somewhat satirical) allegory of the village-church, and village parson: its functions steadily decaying and losing all touch with the “arts”, into mere eating and drinking - the last trace of anything “other” being left in the children.’
Silmo :-)
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Kendra, en lisant ce fuseau, tu auras remarqué que justement Tolkien se contredit (semble-t-il) justement sur ce point. Les soupirs sont donc fortuits. C'est justement à cause de cette très célèbre phrase que la compréhension de ce que Tolkien veut dire est délicate.
De même que pour la citation de Laegelad, qui d'ailleurs se palce d'un point de vue internaliste (et est donc conforme à ce que disait Tolkien lui même sur l'absence de religion dans ses conte, expliquant que c'est justement la conséquence du fait que le roman est, quant à lui, fondamentalement religieux.
Pas si simple à comprendre, n'est-ce pas ?
(mais je souhaiterais vraiment que l'on ne se remette pas à débattre du religieux ou non dans l'oeuvre de Tolkien (et on en prend droit le chemin) mais bien de ce qu'est l'allégorie chez Tolkien et chez Lewis, le mythe chez l'un et chez l'autre.)
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Bien joué, Silmo !
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Je trouvais ça bien, moi... aller au-delà des querelles de clocher, toucher à cet idéal de Bonté et Beauté, d'amour de l'autre et d'émerveillement... qui, je le maintiens, le pense et l'affirme, existe (peut exister du moins) chez tout homme, qu'il soit ou non d'une confession quelle qu'elle soit. Et (mais ce n'est que mon opinion de jeune personne sans doute idéaliste) [...]
Oui et non :) je ne crois pas que Tolkien pensait que cet « idéal de Bonté, d'amour et d'émerveillement » était encore accessible de manière naturelle à l'Homme dans un monde qu'il n'arrête pas de qualifier de déchû. Et il n'était pas non plus un relativiste qui croyait à une relation au Bien donnée à l'Homme indépendamment de sa relation à Dieu ... Il n'a cependant pas écrit pour convertir, et je te suis :) dans ce que tu dis ensuite :
[...] je pense que c'est cela que Tolkien voulait faire vibrer (c'est pour ça que cette conclusion m'a tant plue), cet état d'esprit qu'il voulait induire : non pas convertir à quoi que ce soit, mais montrer que le monde, en dépit de tout, est source d'émerveillement, que le respect et l'amour, "outside our domestic parish", sont la clé de l'épanouissement de l'Homme.
Je crois que d'une manière générale, Tolkien a voulu sensibiliser à la Faërie.
Mais si Faërie n'est pas religieuse, cela ne veut pas dire que le Conte Faërique lui n'est pas religieux : Tolkien dit dans son (autre) essai que le conte peut être un véhicule du Mystère (entre autre ! pas uniquement !). En aucun cas (pour Tolkien) la faërie du conte ne sera (dans sa nature) religieuse, i.e. ne pourra se permettre d'incarner le Mystère, mais à travers elle, et surtout à travers l'histoire, le dessin du Mystère pourra-t-il être entraperçu, comme le reflet renvoyé par un miroir (le conte faërique est ce miroir, et la faërie son pouvoir, sa magie). Faire de la Faërie elle-même une incarnation du Mystère, selon Tolkien (auquel je m'accorde), c'est de l'allégorie, et c'est gênant à la fois pour le conte et pour le Mystère : - et d'un le conte n'est plus vraiment « vivant », car il a alors été écrit en vue de tout autre chose que pour lui-même - et de deux il prétend à quelque chose qui dépasse tout sous-créateur : seul Dieu est l'auteur/créateur capable de concevoir le Mystère et de le dire, dans sa Parole. Voilà pourquoi, sans beaucoup de doute, Tolkien écrivait-il aussi que s'il s'agissait d'étudier le Mystère lui-même, il valait mieux écrire un traité de théologie qu'un conte.
Il n'y a (à mon avis) pas la moindre contradiction dans les affirmations de Tolkien tant par rapport à l'allégorie que par rapport au religieux d'un conte ; ainsi dans la même lettre voire peut-être même dans la même phrase écrivait-il, de mémoire (en écho à Vinyamar) : « le Seigneur des anneaux est profondément religieux (...) c'est pourquoi j'en ai ôté tout élément religieux » :). Mais il s'agit de bien distinguer ce qui est du ressort de la nature de faërie (et des créatures qui l'habitent et qui sont libres de nous) de ce qu'elle véhicule dans le conte et l'histoire.
Jérôme :)
— qui passe très vite, sur le départ de ses vacances, et souhaite à chacun, à l'occasion de ce Noël, l'émerveillement et le respect des Elfes, et l'ouverture « outside our domestic parish » que la Faërie peut enseigner ... en lien avec un très beau mystère ... :)
Je sais que je n'ai strictement rien à faire ici (...)
Tu ne dis pas souvent de grosses bêtises, princesse, mais en voilà une - bise :)
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