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Dans un fuseau, j'avais énoncé mes réserves au sujet de l’anti-allégorisme de Tolkien qui de fait est un peu trop souvent resservi dès que l’on tente de chercher un sens à un épisode, ou que l’on tente un parallélisme avec quelque autre référence.
Quelque peu critiqué, j’avais promis de venir étayer mes propos, et voilà que cela vient enfin.
Nous tenterons de voir ici ce que Tolkien refuse quand il rejette l’allégorie, et comment en fait il est lui-même sujet à un certain travail allégorique, quand nous aurons vu que tout est question de précision dans le sens du terme.
L’Allégorie au cœur de la romance
En préliminaire, je citerai :
Oui, je conçois les Orques comme une création aussi réelle que quoi que ce soit dans une fiction « réaliste » : tes mots vigoureux décrivent bien l’espèce ; ce n’est que dans la vraie vie qu’ils sont des deux côtés, bien sûr. Car la « romance » s’est développée à partir de « l’allégorie », et ses guerres sont toujours dérivées de la « guerre interne » de l’allégorie dans laquelle le bien est d’un côté et divers mode de mauvaiseté de l’autre. Dans la vraie vie (extérieure), les hommes sont des deux côtés : c'est à dire une alliance bigarrée d’orques, de bêtes, de monstres, d'hommes naturellement d’une pure honnêteté, et d'anges.
Lettre 71 (p82)
Nous y voyons Tolkien associer intimement l’allégorie et ce qu’il nomme la « romance », qui est peut-être chez lui déjà l’idée de subcréation artistique. Bien sûr, il s’adresse à une personne très avertie de ses conceptions, son propre fils, et ne s’embarrasse donc pas de précautions au sujet du terme d’allégorie, et c’est pourquoi le texte est très intéressant. Ce texte nous signale que l’allégorie est présente au roman comme un dérivé d’où il provient, la romance ayant pour caractéristique (contrairement aux œuvres qui se prétendent réalistes) de dissocier ce qui se trouve uni dans la réalité, de transformer des réalités mêlées dans le vrai monde en réalités extérieures distinctes dans la romance, comme le bien et le mal par exemple.
L’allégorie se trouve donc déjà présente dans ce simple jeu de méchant et de gentil propre à toute romance.
En Lettre 109 (p 120), Tolkien répond à la critique fort attendue d’un certain Rayner du livre I. Cette personne manifestement intelligente suspecte le roman « de délaisser l’histoire pour ne devenir qu’une pure allégorie. » Tolkien s’empresse de répondre à son ami qui a demandé et reçu la critique. Parlant d’une certaine horreur présente dans le roman, il dit :
Mais j’ai échoué s’il ne semble pas possible que le moindre banal hobbit puisse avoir à faire avec de telles choses. Je pense qu’il n’y a pas d’horreur concevable que de telles créatures ne puissent surmonter, par grâce (apparaissant ici sous formes mythologiques) conjugué à un refus de leur nature et de leur raison, au dernier moment, de se compromettre ou de se soumettre.
Mais en dehors de ceci, ne laisse pas Rayner suspecter « d ’Allégorie ». Il y a une « morale », je suppose, en tout conte qui vaille d’être raconté. Mais ce n’est pas la même chose. Même la lutte entre les ténèbres et la lumière (ainsi qu’il l’appelle, non pas moi) n’est pour moi qu’une phase particulière de l’histoire, un exemple de son motif, peut-être, mais pas Le Motif; et les acteurs sont individuels – ils contiennent tous, bien sûr, des universalités, ou ils ne vivraient pas du tout, mais ils ne les représentent jamais comme tels.
Bien sûr, Allégorie et Récit convergent, se rencontrant quelque part dans la Vérité. De telle sorte que la seule allégorie parfaite consistante est la vie réelle ; et la seule histoire pleinement intelligible est une allégorie. Et l’on trouve, même dans la « littérature » humaine imparfaite, que plus et mieux une allégorie est consistante, plus aisément peut-elle être lue « juste comme une histoire » ; et plus et mieux étroitement est tissée une histoire, plus aisément peuvent ceux ainsi avertis trouver de l’allégorie en elle. Mais les deux commencent à des extrémités opposées. Tu peux projeter l’Anneau dans une allégorie de ton propre temps, si tu veux : une allégorie du destin inévitable qui attend toutes les tentatives de vaincre la puissance du mal par la puissance. Mais ce n’est que parce que toute puissance magique ou mécanique fonctionne toujours ainsi. Tu ne peux écrire une histoire au sujet d’un apparemment simple anneau magique sans cela jaillisse à l’intérieur, si tu prends vraiment l’anneau au sérieux, et faire se produire ce qui se produirait, si une telle chose existait.
Lettre 109 (p 120)
Le récit rencontre donc l’allégorie au point de la Vérité, et puisque le récit le plus vrai qui soit est la pure réalité, la plus puissante allégorie se trouve donc dans la réalité elle-même (nous verrons ce que Tolkien désigne par là).
Mais sans aller jusqu’à cette perfection, le récit lui-même s’oriente vers l’allégorie, en lui-même, indépendamment d’une volonté consciente de l’auteur (c’est la raison pour laquelle nous verrons que Tolkien ajoute toujours ces mots quand il parle contre l’allégorie).
Mais il nous révèle aussi que, dans ce contexte, l’allégorie la plus parfaite provoque sa disparition visible du récit, et que parallèlement (d’où l’idée de convergence) le récit le plus parfait provoque une allégorie plus facilement détectable, pour ceux qui veulent la trouver, puisqu’elle est devenue invisible.
Nous voyons donc que Tolkien bénit une telle allégorie plus qu’il ne la combat, allant jusqu’à en proposer une, et annonce déjà la solution qu’il a proposée à son dilemme, car il est de fait que Tolkien en même temps réprouve l’allégorie.
Mais c’est qu’il ne met pas toujours le même sens dans le terme d’allégorie, et que c’est son sens exact qu’il réprouve, non son sens usuel.
« Je n’aime pas l’Allégorie »
Voyons maintenant les morceaux bien connus qui font dire que Tolkien n’aimait pas l’allégorie, et comprenons bien de quoi il parle :
Il y a bien sûr une discordance entre la technique « littéraire », et la fascination de l’élaboration détaillée d’un imaginaire Age mythique (mythique, non allégorique : mon esprit ne travaille pas de manière allégorique). En tant qu’histoire, je pense qu’il est bon qu’il y ait un grand nombre de choses inexpliquées (spécialement si une explication existe en réalité) ; et j’ai peut-être de ce point de vue eu tort en essayant d’expliquer trop de choses, et donné trop d’histoire ancienne. Beaucoup de lecteurs, par exemple, sont restés quelque peu coincés au Conseil d’Elrond. Et même en un Age mythique il doit y avoir quelques énigmes, comme il y en a toujours. Tom Bombadil en est une (intentionnellement).
Lettre 144 (p.174)
(où je laisse une suite du texte car elle donne la réponse à la question" qui est Tom Bombadil ?". Réponse : un mystère ! Le conte doit en être pourvu.)
Tolkien ne travaille donc pas de manière allégorique. Soit ! Mais lisons surtout :
Je n’aime pas l’Allégorie – l’allégorie consciente et intentionnelle – pourtant toute tentative pour expliquer le sens du mythe ou du conte de fée doit utiliser le langage allégorique. (Et, bien sûr, plus une histoire a de « vie », plus facilement sera-t-elle susceptible d’interprétation allégorique : tandis que mieux est faite une allégorie délibérée, plus il y a de chance qu’elle ne soit acceptable que comme une histoire)
Lettre 130 (p 145)
Le dilemme est posé. Tout en refusant l’allégorie, Tolkien est conscient que son langage est indispensable à la quête du sens d’un récit. Cette question du sens reviendra, et elle est certainement ce qui distingue la lecture d’amusement de la lecture d’intérêt, le sens étant indispensable à l’intérêt. Et Tolkien écrit pour les deux : l’amusement d’abord, et l’intérêt.
Mais la clef du problème se situera au niveau de ce sens, qui n’est qu’offert, et point imposé.
Le Seigneur des Anneaux en tant que récit a été achevé il y a si longtemps à présent que je peux en prendre un large panorama impersonnel, et trouver « les interprétations » assez amusantes ; même celles que je pourrais faire moi-même, qui sont globalement post scriptum [= après l’écriture] : j’avais très peu d’intention particulière, consciente et intellectuelle à l’esprit à aucun moment. Excepté pour les quelques critiques délibérément désobligeantes – comme celles du Vol II dans le New Statement, dans lequel vous et moi fûmes tous deux châtiés à coups de termes comme « pubertaire » et « infantilisme » – ce que des lecteurs appréciatifs ont retiré du travail ou vu en lui semblait assez honnête, même quand je n’étais pas d’accord avec eux. En cela j’exclus toujours, bien sûr, toute "interprétation" sur le mode de la simple allégorie : c’est à dire, le détail et l’événementiel.
Dans un sens plus large, il est, je suppose, impossible d’écrire aucune « histoire » qui ne soit pas allégorique en proportion de ce qu’elle « prend vie » ; puisque chacun de nous est une allégorie, incarnée dans un récit particulier et revêtu des habits du temps et du lieu, [de] la vérité universelle et de la vie éternelle.
Quoi qu’il en soit la plupart des gens qui ont apprécié le Seigneur des Anneaux ont été touchés en premier lieu par [le roman] en tant qu’histoire passionnante ; et c’est ainsi qu’il fut écrit. Bien que l’on n’échappe pas, bien sûr, à la question « de quoi cela parle-t-il ? » par cette porte de derrière. Ce serait comme répondre à une question d’esthétique par un point de technique.
Lettre 163 (p 211)
Remarquons que Tolkien parle de "simple allégorie", ce qui laisse la porte ouverte à quelque chose de plus subtil que cette simple allégorie, mais qui en soit proche. En même temps, il ne se permet pas de la dissocier totalement de quelque œuvre que ce soit, même la sienne.
L’allégorie est représentative
Voici un texte clef :
(à quelqu’un qui demandait si le nettoyage de la Comté ne faisait pas référence à l’Angleterre de son temps)
J’espère que vous avez pris du plaisir à la lecture du Seigneur des Anneaux. Plaisir est le mot clef. Car il a été créé pour amuser (dans son sens le plus élevé) : pour être lisible. Il n’y a pas « d’allégorie », morale, politique ou contemporaine dans l’œuvre du tout.
C’est un conte de fée, mais un écrit pour les adultes – selon la conviction que j’ai un jour exprimé dans un long essai « Du Conte de fée » qu’ils en sont l’audience propre. Parce que je pense que le conte de fée a sa propre manière de refléter la « vérité », différente de l’allégorie, de la satire (soutenue), ou du réalisme, et en certains sens plus puissante. Mais avant tout, il doit avoir du succès seulement en tant que récit, passionner, plaire, et même à l’occasion émouvoir, et au sein de son propre monde imaginé être en accord avec ses croyances (littérairement). Réussir en cela était mon premier objet.
Mais bien sûr, si l’on décide de s’adresser « aux adultes » (gens mentalement adultes, de toute façon), ils ne seront pas enjoués, passionnés, ou émus à moins que le tout, ou les incidents, semblent avoir pour sujet quelque chose qui vaille d’être considéré, plus [fondamental] qu’un simple danger ou fuite : il doit y avoir quelque rapport avec la « situation humaine » (de toutes périodes). Ainsi quelque chose des propres réflexions et « valeurs » du conteur seront inévitablement à l’œuvre. Ceci n’est pas la même chose que l’allégorie. Nous exemplifions tous, en groupe ou comme individu, des principes généraux ; mais nous ne les représentons pas. Les Hobbits ne sont pas plus une allégorie que sont (disons) les pygmées de la forêt Africaine.
[…]
La scène finale de la Quête fut ainsi façonnée parce qu’au regard de la situation et des « personnages » de Frodon, Sam et Gollum, ces événements semblaient être mécaniquement, moralement et psychologiquement crédibles. Mais bien sûr, si vous souhaitez plus de réflexion, je dirai que dans le mode de l’histoire la « catastrophe » exemplifie (un aspect) des paroles familières : « Pardonne-nous nos offenses comme nous pardonnons ceux qui nous ont offensés. Ne nous soumets pas à la tentation, mais délivre-nous du mal. »
Lettre 181 (p. 232)
Puis il poursuit en expliquant comment la « sanctification » de Frodon a permis le « salut du monde » et le salut de Frodon lui-même malgré son « apostasie », puis répond à la question du nettoyage de la Comté en expliquant qu’il n’y a là pas de référence spéciale à l’Angleterre, autrement que dans sa propre conception acquise d’un village rural, avouant avoir pris modèle sur ses propres références dans la vie réelle. Il ajoute cependant que la malice de Sharkey peut être appliquée à toutes sortes de cas « de nos jours ».
Nous voyons donc que Tolkien donne une définition de l’allégorie qui est très restrictive et qui n’est pas celle que nous utilisons couramment. L’allégorie qu’il rejette n’est pas celle de donner ou trouver un sens plus profond aux histoires qu’il écrit, mais seulement celle de vouloir représenter (il souligne le mot) une chose au travers d’une autre, ce dont était spécialiste notamment la littérature chrétienne des contes arthuriens. Cette littérature allait parfois jusqu’à divulguer le sens de certaines des analogies, de façon à éveiller le lecteur sur le sens de celles qui ne seraient pas dévoilées, sans doute.
Mais ces allégories sont des représentations. La trinité est représentée par trois femmes allant puiser de l’eau, et le but de la scène n’est pas autre que celui d’évoquer cette trinité. Elle s’insère d’ailleurs parfois mal dans le récit, ne vient pas là par un processus logique, mais est comme catapultée là pour donner un enseignement au lecteur. C’est de cela qu’il se plaint déjà dans la lettre 131.
Tout comme le manichéisme ce se définit pas vulgairement par le simple fait d’opposer quelque part le bien et le mal, l’allégorie ne se définit pas simplement par ce qui est porteur d’un autre sens que le sens premier. Et Tolkien explicite lui-même en de nombreux endroits (comme ici - et à forte connotation chrétienne) quel est le sens caché d’un passage. Et ce n’est pas pour autant de l’allégorie, tout simplement parce qu’il n’impose pas ce sens à son lecteur, et que, comme il le précise, le récit en vient naturellement, de toute façon, à une telle scène. Avec ou sans sens caché, la scène aurait été la même, ce qui n’est pas vrai de l’allégorie, qui ne vise qu’à amener à un sens caché au travers d’une scène qui n’est qu’instrumentalisée.
Il introduit par contre dans le passage sur le nettoyage de la comté ce que nous allons voir à présent :
L’applicabilité.
Il n’y a pas de « symbolisme » ou d’allégorie consciente dans mon récit. Une allégorie du genre « cinq magiciens = cinq sens » est tout à fait étrangère à mon mode de pensée. Il y avait cinq magiciens et cela est simplement une unique partie de l’histoire. De demander si les Orques « sont » les Communistes est pour moi aussi sensé que de demander si les Communistes sont des Orques.
Qu’il n’y ait pas d’allégorie ne signifie pas, bien sûr, qu’il n’y ait pas d’applicabilité. Il y en a toujours. Et puisque je n’ai pas fait de débat tout à fait sans équivoque : la paresse et la stupidité chez les hobbits, la fierté et … [illisible] chez les Elfes, la rancune et l’avidité dans les cœurs-de-Nain, la folie et la perversité chez les « Rois des Hommes », et la traîtrise et la convoitise du pouvoir même chez les « Magiciens », il y a je suppose dans mon histoire de l’applicabilité avec les temps présents.
Lettre 203 (p 262)
La confusion dont je parle, Tolkien l'avait lui-même décelée,
en croyant la résoudre avec son applicabilité, qui à mon avis est là encore trop spécifique pour pouvoir être bien comprise :
Je n’ai pas de d’objectif didactique, et nulle intention allégorique. (Je n’aime pas l’allégorie (dans son sens propre : la plupart des lecteurs semblent la confondre avec signification et applicabilité) mais c’est là un sujet trop long pour en traiter ici). Mais les longues narrations ne peuvent être réalisées à partir de rien ; et l’on ne peut réarranger l’objet premier en motif secondaire sans indiquer des sentiments et des opinions au sujet de sa matière...
Lettre 215 (p 296)
Tolkien distingue non seulement l’allégorie de l’applicabilité, mais aussi de la signification qu’une scène peut contenir.
On remarquera quand même à quel point Tolkien, dès qu’il rejette l’allégorie, s’empresse de préciser qu’il parle d’allégorie consciente ou voulue, et surtout qu’il ne se contente jamais de rejeter l’allégorie sans ajouter aussitôt après qu’il y a dans ses romans pourtant bel et bien une forme d’allégorie, qu’il distingue pourtant de la « simple allégorie » (comme il dit lui-même) et qu’il nomme applicabilité. Nous avons pourtant vu qu’il a autre chose qu’une simple applicabilité laissée au libre choix arbitraire du lecteur, mais bien un sens caché et profond dans ses œuvres, qu’il juge indispensable à toute œuvre humaine digne de susciter de l’intérêt, mais qui se distingue de l’allégorie en ce qu’elle ne contraint pas le lecteur à chercher ce sens. Le récit se suffit à lui-même, contrairement à l’allégorie qui n’a aucun intérêt sans le sens qu’elle cherche à évoquer.
C’est là un point important qu’il faut mesurer quand on veut faire dire à Tolkien qu’il n’aime ou n’use pas d’allégorie. Soyons sûr de parler de la même chose que lui… et c’est plutôt rare.
L’allégorie dans son œuvre définie par Tolkien
Notons bienqu’ailleurs Tolkien utilise plus librement la référence à l’allégorie, et ne s’en cache pas (s’adressant sans doute à un public plus averti) :
La branche particulière des Hauts-Elfes concernés, les Noldors ou Maîtres de savoir, étaient toujours du côté de la « science et de la technologie », comme nous pourrions les nommer : ils voulaient avoir la connaissance que Sauron possédait véritablement, et ceux d’Eregion refusèrent les avertissements de Gilgalad et d’Elrond. Le « désir » particulier des Elfes d’Eregion – une « allégorie » si vous voulez d’un amour de la machinerie et des systèmes techniques – est aussi symbolisé par leur amitié spéciale avec les Nains de Moria.
Lettre 153 (p 190)
Il poursuit bien plus loin :
Pour conclure, ayant mentionné le Libre Arbitre, je pourrais dire que dans mon mythe j’ai utilisé la « subcréation » en en sens particulier (pas le même que la « subcréation » comme terme de la critique d’art, quoique j’ai tenté de montrer allégoriquement comment il pourrait arriver que cela soit inclus dans la Création en quelque dessein dans mon histoire « purgatoriale » Feuille, de Niggle pour rendre visible et physique les effets du péché ou du Libre Arbitre mal utilisé par les hommes.
(p 195)
Mais il se reprendra dans une autre lettre pour expliquer que Feuille de Niggle n’est
pas vraiment ou proprement une « allégorie » mais plutôt un « mythe ». Niggle est appelé à être une vraie personne aux qualités mêlées, et non une « allégorie » d’aucun vice ou vertu isolé.
Lettre 241 (p 320)
Nous voyons de mieux en mieux ce que Tolkien met derrière le mot allégorie, qu’il accepte dans un sens large, mais qu’il réprouve dans le sens d’un symbolisme univoque et précis, ce qui est effectivement le propre de l’allégorie. C’est un peu ainsi qu’il définit la distinction entre l’allégorie et l’applicabilité dans son avant propos du Seigneur des Anneaux :
Je pense que beaucoup confondent “applicabilité” avec “allégorie” ; mais l’une réside dans la liberté du lecteur, et l’autre dans la domination à dessein de l’auteur.
On pourra encore se référer à une note de la lettre 131. La note commente cette phrase :
Il y avait la Lumière de Valinor, visible dans les Deux Arbres d’Argent et d’Or *
* Plus que tout, ceci a une signification symbolique ou allégorique. La Lumière est un tel symbole primitif dans la nature de l’Univers qu’il ne peut guère être analysé. La lumière de Valinor (dérivée de la lumière avant toute chute) est la lumière d’un art encore marié à la raison, qui voit les choses à la fois scientifiquement (ou philosophiquement) et imaginairement (ou subcréativement) et ‘dit qu’ils sont bons’ – comme beau. La Lumière du Soleil (ou de la Lune) est dérivée des arbres seulement après qu’ils fussent souillés par le Mal.
Lettre 131 (p 148)
Ce symbolisme prend une ampleur redoublée quand quelques lignes plus bas, dans le résumé du Silmarillon que Tolkien fait à Milton Waldman, nous lisons au sujet de la faute de Fëanor et de ses frères :
Le premier fruit de leur chute est la guerre dans le Paradis, le meurtre d’Elfes par des Elfes […]
Comment ne pas voir que les deux arbres eux-mêmes sont peut-être une référence aux deux arbres du Paradis, dont l’un était celui de la connaissance du Bien et du Mal, quand Tolkien nous annonce que la Lumière de ses arbres procurait la distinction du bien.
Mais c'est précisément le genre de débat qui ne peut naître qu'après que nous ayons bien compris quel genre d'allégorie rejetait Tolkien.
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Je pensais qu'on t'aurais répondu depuis longtemps sur ce sujet "serpent-de-mer" ;-)
Désolé de ne pas pouvoir te répondre de mon côté, d'autant plus que comme toi, je voulais aborder le sujet depuis longtemps, mais je suis beaucoup trop pris en ce moment.
Je constate toutefois - et encore une fois - qu' avec l'"allégorie tolkienienne" en tant qu'"applicabilité", on se rapproche souvent de la notion de "typologie" : le type n'est pas l'anti-type, il a sa réalité propre et indépendante, mais certains points de son histoire ou certaines de ses caractéristiques s'enrichissent du rapprochement avec l'anti-type, sans qu'il n'y ait jamais décalque, univocité qui enferme (=Allégorie)
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Après quelques réactions (que j'espérait plus promptes :-( je l'avoue),je comptais poursuivre par rapport à l'idée de "parabole" émise par Hisweloke, et surtout de "figure" (que tu nommes "typologie"), que tu a développé dans les sujets "affaires de volonté".
Mais je ne suis peut-être pas assez compétent là-dessus.
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Je lirai la partie liée à ce sujet du livre de Vincent Ferré avant de poursuivre, mais je reste surpris que le sujet interesse si peu de monde.
...
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Mais si, mais si, Vinyamar, il est intéressant, le sujet. Seulement, il me faut y réfléchir un peu, ne pas dire n'importe quoi...
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je comptais poursuivre par rapport à l'idée de "parabole" émise par Hisweloke
Je ne faisais que brièvement mentionner Tolkien and the Art of Parable de R. Murray, dans Pierce, Tolkien, A Celebration, article qui aborde justement ces distinctions sur l'allégorie et dont la lecture fournirait un très bon complément, je n'en doute pas, à l'intéressante introduction du sujet que tu donnes ici.
Didier.
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Bonjour à vous tous,
Je n'avais pas vu ce sujet, mais je profite du message de Didier pour rebondir et féliciter Vinyamar pour son approche de la question.
Je me permets d'apporter ma (modeste) contribution à ce débat, riche de possibilités et de promesses...
Dans le cadre de la préparation d'une thèse de 3ème cycle de sociologie politique traitant de l'Imaginaire de la Fin dans l'Oeuvre de Tolkien et de ses rapports, en termes de continuité et de rupture, avec l'eutopie/"l'eucatastrophe", j'ai mené un travail préalable sur les occurences du terme "allegory" et ses composés dans les Letters.
Ce travail a été dicté par ma lecture de l'article portant sur le genre littéraire de l'Utopie et de ses "rapports" avec l'Oeuvre de Tolkien, paru sur le site d'Hiswelokë ("Question de définition :
Chronique d'Uchronie." Article collégial compilé et complété par Didier Willis).
En effet, il m'a paru nécessaire de mener ce travail de "dépoussiérage du sens commun" car, à la suite de la préface de Marie Delcourt, traductrice de L'Utopie de Thomas More (Paris, Flammarion, 1987, 1ère éd. 1966), le rapprochement entre l'utopie et le récit allégorique (tel qu'il est fait dans l'article précité) semble peu pertinent : "[...] More n'écrit pas une fable; il ne dessine pas non plus une parabole" (pp.39-40).
Ce travail de typologisation m'a permis de recadrer les occurrences du terme "allegory" et ses composés au regard du/des contexte(s) socio-historique(s) dans le(s)quel(s) Tolkien a écrit à ce sujet. En cela, l'apport de Vinyamar est indéniable... Merci!
Comme vous pourrez en juger, ce ne sont que quelques éléments quantitatifs qui n'attendent qu'une analyse, sur laquelle je suis en train de travailler. Si vous le souhaitez, je pourrais la mettre en ligne, dès que j'en serais satisfait.
Le mot « allegory » et ses composés dans les Letters :
The darkness of the present days has had some effect on it. Though it is not an 'allegory'. (I have already had one letter from America asking for an authoritative exposition of the allegory of The Hobbit).
n°34, To Stanley Unwin (13 October 1938)
The best entertainment proved to be the chapter of Major Lewis' projected book – on a subject that does not interest me: the court of Louis XIV; but it was most wittily written (as well as learned). I did not think so well of the concluding chapter of C.S.L.'s new moral allegory or 'vision', based on the mediaeval fancy of the Refrigerium, by which the lost souls have an occasional holiday in Paradise.
n°60, To Christopher Tolkien (13 April 1944)
I saw C.S.L. from 10.45 to 12.30 this morning: heard 2 chapters of his 'Who Goes Home?'2 – a new allegory on Heaven and Hell; and I read my 6th new chapter 'Journey to the Cross Roads' with complete approval.
n°69 To Christopher Tolkien (14 May 1944)
Yes, I think the orcs as real a creation as anything in 'realistic' fiction: your vigorous words well describe the tribe; only in real life they are on both sides, of course. For 'romance' has grown out of 'allegory', and its wars are still derived from the 'inner war' of allegory in which good is on one side and various modes of badness on the other. In real (exterior) life men are on both sides.
n°71, To Christopher Tolkien (25 May 1944)
But in spite of this, do not let Rayner suspect 'Allegory'. There is a 'moral', I suppose, in any tale worth telling. But that is not the same thing. Even the struggle between darkness and light (as he calls it, not me) is for me just a particular phase of history, one example of its pattern, perhaps, but not The Pattern; and the actors are individuals – they each, of course, contain universals, or they would not live at all, but they never represent them as such.
Of course, Allegory and Story converge, meeting somewhere in Truth. So that the only perfectly consistent allegory is a real life; and the only fully intelligible story is an allegory. And one finds, even in imperfect human 'literature', that the better and more consistent an allegory is the more easily can it be read 'just as a story'; and the better and more closely woven a story is the more easily can those so minded find allegory in it. But the two start out from opposite ends. You can make the Ring into an allegory of our own time, if you like: an allegory of the inevitable fate that waits for all attempts to defeat evil power by power. But that is only because all power magical or mechanical does always so work. You cannot write a story about an apparently simple magic ring without that bursting in, if you really take the ring seriously, and make things happen that would happen, if such a thing existed.
n°109, To Sir Stanley Unwin (The struggle between darkness and light (sometimes one suspects leaving the story proper to become pure allegory) is macabre and intensified beyond that in "Hobbit" .... 31 July 1947)
But an equally basic passion of mine ab initio was for myth (not allegory!) and for fairy-story, and above all for heroic legend on the brink of fairy-tale and history, of which there is far too little in the world (accessible to me) for my appetite.
I dislike Allegory – the conscious and intentional allegory – yet any attempt to explain the purport of myth or fairytale must use allegorical language. (And, of course, the more 'life' a story has the more readily will it be susceptible of allegorical interpretations: while the better a deliberate allegory is made the more nearly will it be acceptable just as a story.) Anyway all this stuff is mainly concerned with Fall, Mortality, and the Machine.
n°131, To Milton Waldman (The letter (…) is not dated, but was probably written late in 1951)
There is of course a clash between 'literary' technique, and the fascination of elaborating in detail an imaginary mythical Age (mythical, not allegorical: my mind does not work allegorically). As a story, I think it is good that there should be a lot of things unexplained (especially if an explanation actually exists); and I have perhaps from this point of view erred in trying to explain too much, and give too much past history.
n°144, To Naomi Mitchison (25 April 1954)
The particular branch of the High-Elves concerned, the Noldor or Loremasters, were always on the side of 'science and technology', as we should call it: they wanted to have the knowledge that Sauron genuinely had, and those of Eregion refused the warnings of Gilgalad and Elrond. The particular 'desire' of the Eregion Elves – an 'allegory' if you like of a love of machinery, and technical devices – is also symbolised by their special friendship with the Dwarves of Moria.
I don't think Tom needs philosophizing about, and is not improved by it. But many have found him an odd or indeed discordant ingredient. In historical fact I put him in because I had already 'invented' him independently (he first appeared in the Oxford Magazine)3 and wanted an 'adventure' on the way. But I kept him in, and as he was, because he represents certain things otherwise left out. I do not mean him to be an allegory – or I should not have given him so particular, individual, and ridiculous a name – but 'allegory' is the only mode of exhibiting certain functions: he is then an 'allegory', or an exemplar, a particular embodying of pure (real) natural science: the spirit that desires knowledge of other things, their history and nature, because they are 'other' and wholly independent of the enquiring mind, a spirit coeval with the rational mind, and entirely unconcerned with 'doing' anything with the knowledge: Zoology and Botany not Cattle-breeding or Agriculture .
To conclude: having mentioned Free Will, I might say that in my myth I have used 'subcreation' in a special way (not the same as 'subcreation' as a term in criticism of art, though I tried to show allegorically how that might come to be taken up into Creation in some plane in my 'purgatorial' story Leaf by Niggle (Dublin Review 1945)) to make visible and physical the effects of Sin or misused Free Will by men.
n°153, To Peter Hastings (September 1954)
The Lord of the Rings as a story was finished so long ago now that I can take a largely impersonal view of it, and find 'interpretations' quite amusing; even those that I might make myself, which are mostly post scriptum: I had very little particular, conscious, intellectual, intention in mind at any point. Except for a few deliberately disparaging reviews – such as that of Vol. II in the New Statesman, in which you and I were both scourged with such terms as 'pubescent' and 'infantilism' – what appreciative readers have got out of the work or seen in it has seemed fair enough, even when I do not agree with it. Always excepting, of course, any 'interpretations' in the mode of simple allegory: that is, the particular and topical. In a larger sense, it is I suppose impossible to write any 'story' that is not allegorical in proportion as it 'comes to life'; since each of us is an allegory, embodying in a particular tale and clothed in the garments of time and place, universal truth and everlasting life. Anyway most people that have enjoyed The Lord of the Rings have been affected primarily by it as an exciting story; and that is how it was written. Though one does not, of course, escape from the question 'what is it about?' by that back door. That would be like answering an aesthetic question by talking of a point of technique. I suppose that if one makes a good choice in what is 'good narrative' (or 'good theatre') at a given point, it will also be found to be the case that the event described will be the most 'significant'.
n°163, To W. H. Auden (7 June 1955)
It is not 'about' anything but itself. Certainly it has no allegorical intentions, general, particular, or topical, moral, religious, or political. The only criticism that annoyed me was one that it 'contained no religion' (and 'no Women', but that does not matter, and is not true anyway). It is a monotheistic world of 'natural theology'. The odd fact that there are no churches, temples, or religious rites and ceremonies, is simply part of the historical climate depicted. It will be sufficiently explained, if (as now seems likely) the Silmarillion and other legends of the First and Second Ages are published. I am in any case myself a Christian; but the 'Third Age' was not a Christian world.
n°165, To the Houghton Mifflin Co. (30 June 1955)
Thank you for your letter. I hope that you have enjoyed The Lord of the Rings? Enjoyed is the key-word. For it was written to amuse (in the highest sense): to be readable. There is no 'allegory', moral, political, or contemporary in the work at all.
It is a 'fairy-story', but one written – according to the belief I once expressed in an extended essay 'On Fairy-stories' that they are the proper audience – for adults. Because I think that fairy story has its own mode of reflecting 'truth', different from allegory, or (sustained) satire, or 'realism', and in some ways more powerful. But first of all it must succeed just as a tale, excite, please, and even on occasion move, and within its own imagined world be accorded (literary) belief. To succeed in that was my primary object.
But, of course, if one sets out to address 'adults' (mentally adult people anyway), they will not be pleased, excited, or moved unless the whole, or the incidents, seem to be about something worth considering, more e.g. than mere danger and escape: there must be some relevance to the 'human situation' (of all periods). So something of the teller's own reflections and 'values' will inevitably get worked in. This is not the same as allegory. We all, in groups or as individuals, exemplify general principles; but we do not represent them. The Hobbits are no more an 'allegory' than are (say) the pygmies of the African forest. Gollum is to me just a 'character' – an imagined person – who granted the situation acted so and so under opposing strains, as it appears to he probable that he would (there is always an incalculable element in any individual real or imagined: otherwise he/she would not be an individual but a 'type').
n°181, To Michael Straight (Not dated; probably January or February 1956)
Men do go, and have in history gone on journeys and quests, without any intention of acting out allegories of life. It is not true of the past or the present to say that 'only the rich or those on vacation can take journeys'. Most men make some journeys. Whether long or short, with an errand or simply to go 'there and back again', is not of primary importance.
n°183, Notes on W. H. Auden's review of The Return of the King (written in 1956)
Of course my story is not an allegory of Atomic power, but of Power (exerted for Domination). Nuclear physics can be used for that purpose. But they need not be. They need not be used at all. If there is any contemporary reference in my story at all it is to what seems to me the most widespread assumption of our time: that if a thing can be done, it must be done. This seems to me wholly false.
n°186, From a letter to Joanna de Bortadano (Not dated; April 1956)
There is no 'symbolism' or conscious allegory in my story. Allegory of the sort 'five wizards = five senses' is wholly foreign to my way of thinking. There were five wizards and that is just a unique part of history. To ask if the Orcs 'are' Communists is to me as sensible as asking if Communists are Orcs.
That there is no allegory does not, of course, say there is no applicability. There always is. And since I have not made the struggle wholly unequivocal: sloth and stupidity among hobbits, pride and [illegible] among Elves, grudge and greed in Dwarf-hearts, and folly and wickedness among the 'Kings of Men', and treachery and power-lust even among the 'Wizards', there is I suppose applicability in my story to present times. But I should say, if asked, the tale is not really about Power and Dominion: that only sets the wheels going; it is about Death and the desire for deathlessness. Which is hardly more than to say it is a tale written by a Man!
n°203, From a letter to Herbert Schiro1 (17 November 1957)
I do not know what I mean, because 'aesthetic' is always impossible to catch in a net of words. Nobody believes me when I say that my long book is an attempt to create a world in which a form of language agreeable to my personal aesthetic might seem real. But it is true. An enquirer (among many) asked what the L.R. was all about, and whether it was an 'allegory'. And I said it was an effort to create a situation in which a common greeting would be elen síla lúmenn' omentieimo,2 and that the phase long antedated the book. I never heard any more. But I enjoyed myself immensely and retire to bed really happy. It was obvious that the ball is right at your toes, so far as the total sphere of the academic world is concerned. (Actually I think it of vast nobility and importance).
n°205, From a letter to Christopher Tolkien (21 February 1958)
Theologically (if the term is not too grandiose) I imagine the picture to be less dissonant from what some (including myself) believe to be the truth. But since I have deliberately written a tale, which is built on or out of certain 'religious' ideas, but is not an allegory of them (or anything else), and does not mention them overtly, still less preach them, I will not now depart from that mode, and venture on theological disquisition for which I am not fitted. But I might say that if the tale is 'about' anything (other than itself), it is not as seems widely supposed about 'power'. Power-seeking is only the motive-power that sets events going, and is relatively unimportant, I think. It is mainly concerned with Death, and Immortality; and the 'escapes': serial longevity, and hoarding memory.
n°211, To Rhona Beare (14 October 1958)
I hope 'comment on the world' does not sound too solemn. I have no didactic purpose, and no allegorical intent. (I do not like allegory (properly so called: most readers appear to confuse it with significance or applicability) but that is a matter too long to deal with here.) But long narratives cannot be made out of nothing; and one cannot rearrange the primary matter in secondary patterns without indicating feelings and opinions about one's material...
n°215, To Walter Allen, New Statesman (Not dated; April 1959)
Here [in Mordor] rules the personification of satanic might Sauron (read perhaps in the same partial fashion [as other identifications Ohlmarks has made] Stalin).
There is no 'perhaps' about it. I utterly repudiate any such 'reading', which angers me. The situation was conceived long before the Russian revolution. Such allegory is entirely foreign to my thought. The placing of Mordor in the east was due to simple narrative and geographical necessity, within my 'mythology'. The original stronghold of Evil was (as traditionally) in the North; but as that had been destroyed, and was indeed under the sea, there had to be a new stronghold, far removed from the Valar, the Elves, and the sea-power of Númenor.
n°229, From a letter to Allen & Unwin (23 February 1961)
I am now sending you 'Leaf by Niggle'. I have had a copy made specially to keep if you wish – from the Dublin Review in which it appeared nearly 20 years ago. It was written (I think) just before the War began, though I first read it aloud to my friends early in 1940.1 recollect nothing about the writing, except that I woke one morning with it in my head, scribbled it down – and the printed form in the main hardly differs from the first hasty version at all. I find it still quite moving, when I reread it.
It is not really or properly an 'allegory' so much as 'mythical'. For Niggle is meant to be a real mixed-quality person and not an 'allegory' of any single vice or virtue. The name Parish proved convenient, for the Porter's joke, but it was not given with any intention of special significance. I once knew of a gardener called Parish. (I see there are six Parishes in our telephone book.) Of course some elements are explicable in biographical terms (so obsessively interesting to modern critics that they often value a piece of 'literature' solely in so far as it reveals the author, and especially if that is in a discreditable light). There was a great tree – a huge poplar with vast limbs – visible through my window even as I lay in bed.
n°241, From a letter to Jane Neave (8-9 September 1962)
He says: þam is noma cenned/fyrnstreama geflotan Fastitocalon, 'to him is a name appointed, to the floater in the ancient tides, Fastitocalon'. The notion of the treacherous island that is really a monster seems to derive from the East: the marine turtles enlarged by myth-making fancy; and I left it at that. But in Europe the monster becomes mixed up with whales, and already in the Anglo-Saxon version he is given whale characteristics, such as feeding by trawling with an open mouth. In moralized bestiaries he is, of course, an allegory of the Devil, and is so used by Milton.
n°255, From a letter to Mrs Eileen Elgar (5 March 1964)
I am not at all confident that I can produce anything worthy of the honorarium that you offer. I am not naturally attracted (in fact much the reverse) by allegory, mystical or moral. But I will do my best, if there is time. In any case I am grateful to you for your consideration. Yours sincerely, J. R. R. Tolkien.
n°262, To Michael di Capua, Pantheon Books (7 September 1964)
Sur les 21 lettres dans lesquelles le mot « allegory » et ses composés apparaissent :
- 2 sont adressées à Stanley Unwin (éditeur) ;
- 4 sont adressées à Christopher Tolkien (fils) ;
- 1 est adressée à Milton Waldman (éditeur) ;
- 1 est adressée à Naomi Mitchison (écrivain) ;
- 1 est adressée à Peter Hastings (libraire) ;
- 2 sont adressées à W.H. Auden (critique littéraire) ;
- 1 est adressée à la Hougthon Mifflin Co (maison d’édition américaine) ;
- 1 est adressée à Michael Straigth ;
- 1 est adressée à Joanna de Bortadano ;
- 1 est adressée à Herbert Schiro ;
- 1 est adressée à Rona Beare ;
- 1 est adressée à Walter Allen (éditeur) ;
- 1 est adressée à Allen et Unwin (éditeurs) ;
- 1 est adressée à Jane Neave (tante) ;
- 1 est adressée à Eileen Elgar ;
- 1 est adressée à Michael di Capua.
- Nombre d’occurrences du mot « allegory » (nom singulier) : 41 ;
- Nombre d’occurrences du mot « allegories » (nom pluriel) : 1 ;
- Nombre d’occurrences du mot « allegorical » (adjectif) : 6 ;
- Nombre d’occurrences du mot « allegorically » (adverbe) : 2.
Au total, il y a 50 entrées du mot « allegory » et de ses composés (formes plurielle, adverbale et adjectivale) dans les Letters de Tolkien. Tolkien se sert une seule fois du pluriel contre 41 entrées pour le singulier.
Nombre d’occurrence du mot « allegory » et de ses dérivés par année (sur le total de lettres écrites cette même année) :
- En 1938, 2 occurrences du mot « allegory » dans 1 lettre sur 2 ;
- En 1944, 4 occurrence du mot « allegory » dans 3 lettres sur 21 ;
- En 1947, 8 occurrences du mot « allegory » dans 1 lettre sur 3 ;
- En 1951, 4 occurrences du mot « allegory » et 2 occurrences du mot « allegorical » dans 1 lettre sur un nombre inconnu ;
- En 1954, 4 occurrences du mot « allegory » dans 1 lettre, 1 occurrence du mot « allegorical » dans 1 lettre, 2 occurrences du mot « allegorically » dans 2 lettres sur 11 ;
- En 1955, 2 occurrences du mot « allegory » dans 1 lettre, 2 occurrences du mot « allegorical » dans 2 lettres sur 16 ;
- En 1956, 5 occurrences du mot « allegory » dans 2 lettres, 1 occurrence du mot « allegories » dans 1 lettre sur 8 ;
- En 1957, 3 occurrences du mot « allegory » dans 1 lettre sur 8 ;
- En 1958, 2 occurrences du mot « allegory » dans 2 lettres sur 7 ;
- En 1959, 1 occurrence du mot « allegory » dans 1 lettre, 1 occurrence du mot « allegorical » dans 1 lettre sur 6 ;
- En 1961, 1 occurrence du mot « allegory » dans 1 lettre sur 8 ;
- En 1962, 2 occurrences du mot « allegory » dans 1 lettre sur 5 ;
- En 1964, 2 occurrences du mot « allegory » dans 2 lettres sur 7.
- Dans les années 30, il y 2 occurrences, soit env. 5% du total ;
- Dans les années 40, il y 12 occurrences, soit env. 30% du total ;
- Dans les années 50, il y a 21 occurrences, soit env. 52% du total ;
- Dans les années 60, il a 5 occurrences, soit env. 13% du total.
Le mot « allegory » et ses composés sont surtout utilisés dans les années 40 et 50 (env. 82%). Dans les années 60, ce mot et ses composés ont 4 fois moins d’entrées dans les Letters de Tolkien que dans les années 50, décennie où il y en a le plus (plus de la moitié, sous la forme d’un nom commun singulier, d’un nom commun pluriel, d’un adjectif et d’un adverbe).
Sur les 41 entrées du mot « allegory », 34 (env. 83%) ont été écrites après la fin de la Deuxième Guerre mondiale, dont 8 pour 1947, soit env. 20% du total d’occurrences pour ce mot après 1945.
Le pluriel est utilisé dans une lettre datée de 1956.
Les 6 entrées du mot « allegorical » datent des années 50.
Les 2 entrées du mot « allegorically » datent de 1954.
Cordialement,
Eric (alias Gumbadan, qui officie habituellement sur les Chroniques de Chant-de-Fer).
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Eh bien merci d'être passé dans le coin.
J'ai évidemment lu toutes les occurences du mot avant de faire cet exposé, mais il faut bien noter qu'elles ne s'appliquent pas toutes à son légendaire, ou n'entrent pas toutes dans une explication de texte, et qu'il y a des répétitions d'une même idée.
A ce titre, les données brutes que tu donnes ne sont pas exploitables si aisément, mais par contre tu as sorti l'un des éléments que j'espérais mettre en avant (sauf que je ne l'aurais jamais fait sérieusement merci donc de l'avoir fait) :
Le mot « allegory » et ses composés sont surtout utilisés dans les années 40 et 50 (env. 82%). Dans les années 60, ce mot et ses composés ont 4 fois moins d’entrées dans les Letters de Tolkien que dans les années 50, décennie où il y en a le plus (plus de la moitié, sous la forme d’un nom commun singulier, d’un nom commun pluriel, d’un adjectif et d’un adverbe).
Ce qui prouve un des points sur lequel je comptais rebondir: Tolkien s'est mis à se méfier de ce mot au fur et à mesure des commentaires qu'il recevait. Alors qu'il l'utilisait parfois légèrement, il s'est rendu compte d'un problème avec des interprétation qu'on voulait rendre allégoriques, et il s'en est défendu, si bien qu'il a dû préciser le sens de l'allégorie, pour s'en écarter au profit de ce qu'il appelle "applicabilité". Mais il ne prenait pas ces précautions au départ.
Cette évolution dans le temps est importante, et montre bien que l'allégorie est un concept subtil qu'il ne faut pas traiter avec légèreté. Il faut bien savoir ce que Tolkien rejette quand il dit ne pas aimer l'allégorie. Ce n'est pas aussi simple qu'il n'y parait (mais je radote....).
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Merci pour ta réponse Vinyamar... et de rien!
Juste un point : je te demanderai de ne pas te servir de ces données telles quelles car elles n'ont été mises sur ce site qu'à titre indicatif et non à des fins d'exploitation personnelle...
Sinon, je profite de ton message pour rebondir.
La présentation faite au préalable des données quantitatives du terme "allegory" et de ses composés, n'a pour but que de tracer quelques lignes directrices pour une généalogie de l'usage du terme « allegory » dans les Letters de Tolkien et pour une critique de sa capacité à décrire et expliquer son oeuvre : pour reprendre la formule de Paul Ricoeur, comment (et non pourquoi) l'allégorie peut-elle être évènement (question de la contextualisation) et sens (à distinguer ici du sens littéral, tropologique et anagogique) dans l'oeuvre de Tolkien ?
Pour ce faire, et avant même de penser à exploiter ces données, une tentative de définition de ce terme s'impose. Elle est d'autant plus nécessaire au regard de sa longue histoire, remontant à l'Antiquité. En effet, l'allégorie recouvre dès son origine deux pratiques, la création de récits allégoriques et l'allégorèse, interprétation rationalisante des mythes. Toute allégorie est travaillée par ces deux tendances, mêlant production et réception, création et interprétation. Il est donc nécessaire de cerner le sens que lui donnent tour à tour les rhéteurs, les philosophes, les théologiens et les philologues car chaque discipline, chaque école même, enrichit le concept.
Après ce premier travail, il faut ensuite étudier les concordances et les divergences de l'allégorie avec la métaphore, la métaphore filée, la métonymie, etc. Cependant, Tzvetan Todorov a montré que « l'allégorie ne saurait se réduire à une figure microstructurale » (Dictionnaire de stylistique, Paris, P.U.F., 1989, p.9). Pour lui, c'est « uniquement le macrocontexte qui signale et qui impose le caractère figuré du discours allégorique. » Cette explication permettra ainsi de rebondir sur la formule de Paul Ricoeur et de pouvoir poser les questions de départ à l'analyse des occurences du terme "allegory" et de ses composés dans les Letters de Tolkien.
Bref, ce travail de conceptualisation et d'historicisation de l'allégorie est néecssaire afin d'éviter tout scheme explicatif a priori dans l'analyse des Letters de Tolkien. Car, en effet, l'évolution dans le temps de ce terme dans les Letters est importante, tout comme il ne faut pas traiter avec légèreté ce concept subtil (sic.)...
Cordialement,
Eric.
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Ce travail a été dicté par ma lecture de l'article portant sur le genre littéraire de l'Utopie et de ses "rapports" avec l'Oeuvre de Tolkien, paru sur le site d'Hiswelokë ("Question de définition : Chronique d'Uchronie." ...
Un peu plus d'un an après ce message: si Gumbadan passe dans le coin, qu'il n'hésite pas à nous faire part de l'avancement de ses travaux de "dépoussiérage du sens commun" -- Histoire que l'on puisse dépasser cette modeste compilation de nos échanges précédents et reprendre, avec autant de plaisir, un dossier intéressant.
Didier.
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Un peu plus d'un an après ce message: si Gumbadan passe dans le coin, qu'il n'hésite pas à nous faire part de l'avancement de ses travaux de "dépoussiérage du sens commun"
Didier, Gumbadan passe parfois dans le coin, puisque il s'agit de mon ancien pseudo (qui peut d'ailleurs, soit dit en passant, être effacé)... :o)
Pour te répondre rapidement (je suis sur mon lieu de travail...), les recherches sur le sujet avancent lentement mais sûrement. ;o) Toutefois, c'est un projet de longue haleine qui devait, à l'origine, déboucher sur une thèse de 3ème cycle en sociologie.
Quand je parlais de "dépoussiérage du sens commun" concernant la notion d'utopie, je me référais en fait non seulement à l'article publié sur ton site mais, au-delà, à certaines interventions dans lesquelles cette notion est rejetée de façon systématique sous prétexte que l'utopie relève forcément de la parabole, voire de l'allégorie (bien que ces deux termes ne soient pas forcément liés) de nature politique. Or, il n'en est rien ; tout du moins si l'on en revient à une lecture philosophique et sociologique de L'Utopie de Thomas More, écrit à l'origine comme réponse à L'éloge de la folie de son ami Erasme.
Humaniste anglais, catholique en pays protestant et professeur de théologie et de grec à Oxford, le parcours de vie de More n'est pas sans évoquer celui de Tolkien qui, comme son illustre prédécesseur, était un humaniste catholique anglais, de surcroît don d'Oxford...
Toutefois, au-delà de ces analogies (et des différences aussi, More ayant été une personnalité politique de premier ordre), L'Utopie et Le Seigneur des Anneaux pourraient tous deux relever du genre littéraire de l'ethno-fiction (cf. l'article de la revue Solaris "L'ethno-fiction : soi-même comme un autre" : http://www.revue-solaris.com/numero/200 … ction.htm). Martin Hébert, auteur de l'article sus-nommé et professeur d'anthropologie à l'université de Montréal, travaille sur cette notion depuis quelques années maintenant et j'ai eu le plaisir d'échanger avec lui quelques courriels fort constructifs sur la question.
Cette notion est apparue dans le champ de l'anthropologie pour catégoriser certains écrits d'observation de terrain. Par extension, elle pourrait être appliquée à certains récits fictionnels comme ceux de More ou de Tolkien car ces livres soulèvent la question de la création d'un "univers-monde" (pour reprendre l'expression du titre de la thèse de Laurent Genefort) cohérent et se suffisant à lui-même...
Dans cette perspective, la comparaison des oeuvres de More et de Tolkien pourraît peut-être permettre de dépasser les prénotions entourant le genre littéraire de l'utopie et que l'on retrouve communément assénées sur divers fora consacrés à Tolkien, utopie et Terre du Milieu n'ayant a priori rien en commun...
Enfin, désolé de ne pouvoir développer davantage cette question car non seulement je n'ai pas le temps de m'étendre pour le moment mais, d'autre part, je crains que l'on ne s'éloigne de trop du sujet initial de ce fuseau portant sur l'allégorie. Toutefois, je serai ravi d'en discuter plus longuement quand le temps me sera plus favorable ou de continuer par courriels interposés, si tu le souhaites, bien sûr ! ;o)
Cordialement,
Eric.
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Et que conclut tu de ces statistiques ? (par ailleurs etant donnee qu'il y a un probleme majeur de mesure: toutes les lettres ne sont pas accecibles/connues, la marge d'erreur est probablement importante)
CdC
PS ca fait bien longtemps qu'il n'existe plus de these de troisieme cycle ou de these d'etat ...
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Bonjour,
Voilà un questionnement qui me travaille assez en ce moment depuis que j’ai de nouveau réussi à trouver le temps de voyager épisodiquement en Terre du milieu et ailleurs dans l’œuvre de Tolkien. La focalisation si fréquente sur la question « SdA, allégorie ou non ? » me semble digne d’être interrogée. Comment se fait-il que Tolkien prenne les devants dans la préface à la seconde édition à l’œuvre pour prévenir de cette (fausse) interprétation ? Certes la première édition avait donné lieu à des interprétations de ce type. Avant même la première édition Rayner Unwin écrivait certes que la lutte entre les ténèbres et la lumière semble laisser « the story proper to become pure allegory ». Tolkien avait répondu rapidement à Sir Stanley, - comme pour ne pas laisser se propager cette interprétation au sein de l’éditeur de l’œuvre - notamment en invoquant la profondeur des personnages, le fait que chacun d’eux soit un univers en soi, ce qui ne peut être le cas dans une allégorie où ils ne sont que pur prétexte (Letters, p.121). C'est une lettre abondamment citée et connue, je n'y reviens donc pas.
Cependant en quoi ces interprétations allégoriques pouvaient-elles s’avérer un réel danger pour l'oeuvre - c'est-à-dire risquant de plomber sa réception - alors même que l’allégorie n’est que très relativement à la mode à l’époque de l’écriture et de la publication du SdA (un texte comme Animal Farm d’Orwell, et quelques autres mis à part, on ne peut pas dire que c'est une forme qui domine les oeuvres romanesques de l'entre deux guerres et de la deuxième guerre mondiale) ?
Un élément qui montre que la question de l’allégorie n’est absolument pas secondaire pour Tolkien est qu’il l’utilise finalement assez fréquemment : la « tour » de Beowulf and the critics, et surtout le conte entier de Feuille, de Niggle qui est une œuvre, non simplement allégorique, mais pour certains aspects dépendante du mode de lecture allégorique, c’est-à-dire fondée et pensée sur une allégorie.
Je me demande finalement, si ce n’est pas l’association de son œuvre à celle de C.S. Lewis qui a donné au moins partiellement à Tolkien l’impression qu’au-dela même de Rayner Unwin, l’allégorie risquait d'être trop massivement associée au SdA. Et peut être aussi, est-ce la fréquentation de Lewis qui lui a donné suffisamment d’intérêt envers l’écriture allégorie pour en arriver à écrire Feuille, de Niggle sous cette forme (une forme qui de toute évidence n’est pas sa manière de prédilection). En effet l’investigation de la littérature allégorique médiévale par Lewis est assez importante pour qu’on puisse le considérer comme l’un des spécialistes de la question (son texte The Allegory of Love fut un grand succès critique, ouvrage avec lequel il a renouvelé le champ d’étude de la littérature allégorique du Moyen Age). Les œuvres médiévales étudiées ou enseignées par Tolkien ne sont généralement pas allégoriques (à quelques excepcions près, par exemple, Pearl, mais qui est une œuvre poétique où l’allégorique n’est qu’une des modes de lecture, et auquel s’oppose et/ou se surajoute un mode poétique, que je dirais « onirique », mode tout à fait distinct ; on est très loin de La Cité des Dames de Christine de Pisan, par exemple), mais celles de Lewis par contre le sont très nettement (Le Roman de la Rose et bien d’autres œuvres). Il ne faut bien garder en tête que les travaux de Lewis sur l’allégorie ont une importance centrale dans sa carrière de scholar – ils sont à peu près aussi centraux, par exemple, que ceux sur Beowulf dans la carrière de Tolkien.
Les Chroniques de Narnia ont apparemment été reçues par le même débat que le SdA – s’agit-il d’une allégorie ou non ? Lewis s’en défend (This is not allegory at all) mais n’ayant pas lu l’œuvre (ni vu les films), je m’adresse à ceux d’entre vous la connaissant pour savoir si cette œuvre est aussi clairement distincte de l’allégorie que le SdA. La notion d’ « applicabilité » qu’évoque Tolkien y convient-elle aussi bien que pour le SdA ?
Autre question, mais qui y est liée : le jeu d’intertextualités chez Lewis est-il du même type qu’on trouve chez Tolkien (très voilé, fondamental dans la structure de l’œuvre, mais pas pour le lecteur, qui peut s’en passer) ou plus proche de ce qu’on trouvera plus tard chez un auteur comme Dan Simmons (où ce jeu est immédiatement visible, mais présenté comme un mystère à décrypter).
Merci de vos avis sur mon questionnement et de vos éclaircissements !
Círdan
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Cher Círdan,
voilà un sujet passionnant, qui donne l'occasion d'évoquer ce cher C. S. Lewis. Je pestais de ne pouvoir me plonger dans mes livres et y chercher quelques réponses, mais une rapide recherche m'a conduit à un billet d'un blog (inconnu jusqu'alors) qui reprend tout ce que je pense au sujet de l'allégorie chez C.S. Lewis. En résumé :
- L'allégorie pour Lewis est l'allégorie médiévale : est allégorique un récit dans lequel le matériel représente l'immatériel, i.e. des personnages ancrés dans l'espace et le temps du récit représentent des idées, des notions, des sentiments, des expériences...
- la liberté du lecteur lui donne de voir en un texte quelconque une allégorie s'il le souhaite : tout texte (romanesque j'imagine) peut être lu comme allégorie ;
- une seule véritable allégorie chez Lewis : The Pilgrim's Regress ;
- le qualificatif d'allégorie est par conséquent rejeté à plusieurs reprise par Lewis à propos de Perelandra ou des Chroniques de Narnia. Dans Perelandra, Ransom n'est pas le Sacrifice quand bien même il se sacrifie pour Perelandra, de même que dans les Chroniques de Narnia, Aslan n'est pas la Royauté mais bien Christ. Finalement, CS Lewis écrit pour répondre sur un mode imaginaire à des questions spirituelles : Comment Christ se manifesterait dans un monde (Narnia) où les hommes côtoient les créatures qui sur Terre relèvent des mythes et des contes ? Et si un monde (Perelandra) avait échappé à la Chute ?
- j'ajouterais que ces récits de Lewis sont aussi différents de l'allégorie (au sens où il l'entendait) que certaines paraboles (celle du Fils prodigue ou celle de la brebis perdue). Le symbolisme est manifeste ; le lecteur apprécie (ou rejette) un récit qui l'invite à opérer des analogies entre le monde imaginaire et le texte biblique. Il y a là une différence essentielle avec Tolkien, comme tu le fais remarquer. Autre écart essentiel avec le SdA : CS Lewis écrit des récits qui se déroulent après Bethléem.
- Quant au SdA justement, si Tolkien en rejette une lecture allégorique, il reconnaît que ponctuellement l'allégorie (au sens de CS Lewis) est non seulement possible mais devient nécessaire "pour révéler certaines fonctions" de ses personnages : il suffit de renvoyer à Tom Bombadil, personne qui incarne l'esprit de la campagne d'Oxford d'une manière externe, et qui conserve cette nature allégorique jusqu'au sein du légendaire puisqu'il représente la connaissance qui ne cherche ni la puissance ni l’accaparement (L53, Lettres, p. 274 = Letters, p. 192).
S.
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Merci pour toutes ces clarifications, Sosryko!
Concernant les moments et/ou personnages d'allégorie nécessaire chez Tolkien, je pense que l'exemple de Tom que tu cites est le plus judicieux. Pourtant, dans son mode même cette "allégorie" ne reprend pas totalement le principe - encore une fois le personnage peut être apprécié et la lecture des chapitres le concernant font sens même sans la référence allégorique.
Je te concède tout à fait que l'aspect allégorique de Tom est plus marqué du Légendaire. C'est notamment ce que montre, à mon avis, l'immanquable sentiment de mystère autour du personnage qui saisit un grand nombre de lecteurs (il suffit de se rappeler le nombre de messages posant la question "Qui est Tom Bombadil?", messages auxquels tu as apporté à plusieurs reprise la réponse la plus complète que j'ai pu lire).
Je me dis que cela tient aussi et surtout à cette absence de complétude "romanesque" : Tom est mystérieux parce qu'il n'entre pas dans une grille de lecture comparable aux autres personnages : sa "nature allégorique", il la conserve en effet "jusqu'au sein du Légendaire" car c'est bien elle qui fait qu'il ne prend pleinement sens qu'en étant envisagé à cheval entre le Légendaire et des références hors du Légendaire. Mais s'il était totalement allégorique, il aurait sans doute cette apparence de personnage en carton creux que peuvent être, par exemple, les déesses de Raison, Justice et Droiture dans La Cité des Dames de Christine de Pizan et on ne s'intéresserait alors qu'au contenu de son discours, ou bien on ne chercherait le sens de ses actes que dans la référence externe. Ce que l'esthétique du SdA n'aurait pas pu admettre - cela aurait créer une rupture vis-à-vis du traitement général des personnage beaucoup trop marquée. Qu'en-penses-tu?
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Merci à tous les deux pour ces messages très instructifs.
(Et pour ma part, je suis d'accord avec ta synthèse, cher Círdan)
J'en profite pour vous poser (ou aux autres bien sûr :)) la question suivante. Je suis bien d'accord avec la définition donnée ici de l'allégorie. Le Grand Robert de la langue française donne d'ailleurs pour sa part la définition d'une « narration mettant en œuvre des éléments concrets, de manière cohérente (selon une isotopie), chaque élément correspondant métaphoriquement à un contenu de nature différente, en général abstrait. » Ainsi faut-il une correspondance métaphorique. Pourtant, je vois parfois employé, dans les discussions autour de Tolkien notamment, allégorie au sens d'une correspondance disons analogique, terme à terme. Par exemple, dans son article sur « L'esprit de l'espoir » (Tolkien aujourd'hui, 2011), Michaël met en garde contre une correspondance analogique entre l'Estel et la vertu théologale de l'espérance, sous peine de « basculer vers l'allégorie » (p. 48). Autre exemple dans Narnia : Aslan est le Christ (cf. Sosryko) : le Lion meurt et ressuscite, et il apparaît comme l'alpha et l'omega du Royaume de Narnia. Pour vous est-il correct de parler d'allégorie, disons dans un sens étendu ? Ou bien est-ce une appellation tout à fait abusive ?
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J'avais rédigé une belle réponse, mais j'ai été déconnecté, grmpfff...
Version courte :
@Yyr :
- Oui, appelation abusive si on reprend la définition de Lewis ou celle du Grand Robert e les deux exemples que tu relèves :
- Aslan est le Christ et pour autant Narnia n'est rien d'autre que Narnia et ses habitants (centaures, satyres, dryades, ...) ne sont rien d'autres que ses habitants
- une correspondance de l'Estel avec l'espérance chrétienne ne conduit personne (à ma connaissance) à identifier les personnages ou les objets ou les lieux de la Terre du milieu avec des valeurs morales, des idées ou des notions philosophiques ; là encore, Aragorn, l'Arbre Blanc ou Minas Tirith se sont rien d'autre qu'Aragorn, l'Arbre Blanc ou Minas Tirith. Et quand bien même, dans une lecture analogique (dans le sens où on se contenterait d'établir des analogies en mettant de côté tout ce qui n'entre pas dans les cases toutes faites), on les identifierait avec le Christ, l'arbre et la Jérusalem Céleste de l'Apocalypse, il ne s'agirait pas d'une allégorie mais d'une analogie entre des "objets" de nature identiques (un roi-messie-guerrier-guérrisseur, un arbre, une cité).
@Círdan :
Tout à fait d’accord avec toi. Je pensais avoir dit d’ailleurs la même chose ;-) Tom Bombadil n’est certainement pas une allégorie, mais avant tout le Maître de la maison sous la Colline. Seulement le lecteur qui veut relire le récit bombadilien pour en relever « certaines fonctions » (au sujet de la Puissance) est libre de lui attribuer une nature allégorique (un personnage devant figure d’une forme de connaissance) sans pour autant dénaturer son rôle dans le récit.
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Comme il a été remarqué, il se peut tout à fait que Tolkien ait voulu se détacher du style de C.S. Lewis ou du mode allégorique médiéval, qu'il ne semble guère avoir goûté. Cela pourrait expliquer la remarque de la préface à la deuxième édition. Il me paraît remarquable, en particulier, que le seul point sur lequel Tolkien critique l'art du poète de Sir Gawain est l'usage qui est fait du symbole du pentangle sur le bouclier de Gauvain :
And if the pentangle with its touch of learned pedantry, at war it seemed with the artistic instinct of a narrative poet, may for a moment have made us fear that we were going to lose Faerie only to gain a formalized allegory, we are now swiftly reassured.
MC, p. 78–79
Pour autant, Círdan a eu raison de souligner que Tolkien fait aussi usage d'allégories à l'occasion. Shippey recense trois allégories distinctes dans « Beowulf: The Monsters and the Critics », ce qui est beaucoup pour un texte académique. De la même manière, Niggle est incontestablement une allégorie de bout en bout, et Shippey avance des arguments très convaincants pour affirmer qu'il en va de même de Smith of Wootton Major (voir le recueil d'essais Roots and Branches: Selected Papers on Tolkien). Il se pourrait donc bien que Tolkien ne se défende de l'accusation d'allégorie au sujet du SdA que parce qu'il connaît parfaitement les rouages de ce type d'écriture et ne veut pas être accusé de mettre au point des allégories boiteuses. Fierté professionnelle, en somme. Les deux hypothèses ne me semblent pas nécessairement exclusives.
Elendil
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Nous sortons très loin du domaine de Tolkien et de la littérature, mais concernant le pire exemple de ce que peut produire une lecture allégorique, lisez donc cet article :
Les jeunes Français impliqués dans le djihad suivis par le CPDSI ont tous regardé ces vidéos qualifiées d'« endoctrinantes », qui enchaînent « des images choc, une musique envoûtante, des rythmes entraînants et une ambiance hypnotique ». Des références aux films Matrix et Le Seigneur des anneaux sont présentes dans ces vidéos, faisant du jeune qui les regarde un « élu », incompris des autres, qui se bat pour une cause juste.
Voir le nom du SdA - même si uniquement associé au film - dans la propagande de cette secte islamique est tout à fait insupportable.
Depuis l'Autre Monde, s'il en a connaissance, notre cher Professeur doit regarder avec une très profonde tristesse ce phénomène.
Aucun doute que le gourou en question doit avoir une lecture bien précise de Sauron en Oncle Sam - après tout il y a même de pseudo - tolkiendili faisant des cartes qui associe la Russie à Mordor.
Loin de moi l'idée de voir une quelconque responsabilité directe de Peter Jackson dans la possibilité d'en arriver à de pareilles absurdités, mais on ne m'otera pas de l'idée qu'une certaine esthétique propre à ce type de blockbusters associant une simplification des idées à une puissance visuelle jouant sur un symbolisme manichéisé facilite le terreau pour qu'un gourou haineux cherche à toucher de pauvres êtres perdus et en cours de lobotomie...
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Cher Cirdan, je m'associe complètement à cette réflexion, même si mon jugement à l'égard de Peter Jackson est sans doute plus sévère que le tiens en termes de responsabilité.
I.
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Je suis pleinement d'accord avec Cirdan. Cela dit, la reprise et le détournement d'icônes de culture populaire par divers intégristes et autres criminels ne sauraient être en aucun cas de la responsabilité des auteurs de l'oeuvre d'origine (ou de son adaptation cinématographique). Si les canons des blockbusters hollywoodiens peuvent en effet faciliter ce genre de détournements, la faute ne leur en incombe certainement pas, ceux qui déforment les produits culturels pour servir leur discours n'ayant aucune frontière à respecter dans cette déformation.
Si outre-atlantique des fanatiques évangelistes peuvent arguer que Harry Potter est l'oeuvre du Diable car il fait l'apologie de la sorcellerie alors les djihadistes de tout poil pourraient très bien se passer de "l'aide" hollywoodienne (et jacksonienne)...
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Je suis pleinement d'accord avec Cirdan. Cela dit, la reprise et le détournement d'icônes de culture populaire par divers intégristes et autres criminels ne sauraient être en aucun cas de la responsabilité des auteurs de l'oeuvre d'origine (ou de son adaptation cinématographique).
Je suis plutôt de l'avis d'Isengar : pour que le détournement soit possible, il faut que l'œuvre d'origine ou son adaptation le permette. Bien évidemment, Peter Jackson n'est nullement le responsable direct de cette réutilisation. Il n'empêche que la simplification à outrance de la complexité morale du Seigneur des Anneaux, qui en fait un combat de gentils (pleinement gentils) contre les méchants (avides de pouvoir) rend l'œuvre cinématographique très manichéenne, ce qui ne peut que favoriser son détournement dans un but politique.
Nul doute que Peter Jackson ne condamne cela s'il en est conscient, mais comme dit le proverbe : l'enfer est pavé de bonnes intentions...
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Je remonte ce vieux fuseau pour noter au passage que Tolkien, en dépit de ses protestations de détestation de l'allégorie, a exploré son usage assez tôt dans ses travaux. En effet, on retrouve une comparaison détaillée qui semble être un premier pas dans cette direction dans The Year's Work in English Studies, vol. V (1924), au début de la rubrique « Philology : General Works », que Tolkien rédigeait alors pour la deuxième et avant-dernière fois :
As generals in command of modern millions may be imagined to have sighed for the simple little operations (and great renown) of Caesar, so now does a reviewer weakly sigh for the happy nineteeth century.
De même qu'on peut imaginer des généraux commandant des millions [de troupes] modernes regretter les simples petites opérations (et le grand renom) de César, ainsi désormais le compilateur soupire-t-il faiblement après l'heureux dix-neuvième siècle.
Le sujet est bien sûr l'immense littérature philologique qui devenait de plus en plus touffue avec les années, forçant le rédacteur de revues de synthèse à être d'une compétence et à fournir un effort de lecture sans cesse croissants. Ce qui, avec presque un siècle de recul, fait doucement sourire quand on constate que le même commentaire s'appliquerait aujourd'hui parfaitement aux seules études tolkieniennes.
Cela permet aussi de souligner le soin que Tolkien mettait à rédiger ses articles pour les rendre agréables à lire, que ce soit au moyen de traits d'humour ou de comparaisons comme celle-ci. Parallèlement, on voit sa maîtrise croissante en tant qu'auteur (ici scientifique), puisque ce rapprochement reste ici explicite et manque un peu de vigueur, là où l'allégorie de la tour dans « Beowulf : les monstres et les critiques » se trouve être d'une grande puissance rhétorique (de même que celle de la Babel des voix, comme le souligne Drout).
E.
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Beau partage, Elendil :)
Et beau commentaire aussi (sur les études tolkieniennes ;)).
Si on chipote, je dirai qu'il ne s'agit pas d'allégorie, toutefois, dans le passage que tu donnes : il s'agit d'une simple comparaison, ici, entre le travail du compilateur et celui du général. Incidemment, il me semble que Tolkien rejetait l'allégorie non en elle-même mais seulement pour faire un conte ... Après, cela dépend aussi de ce que l'on met derrière le terme ... De mémoire, The Pilgrim's Regress est en effet un bon exemple du recours à l'allégorie au sens strict. Dans un sens large et peu délimité, j'ai l'impression qu'on parle facilement d'allégorie pour de simples métaphores, ou pour des comparaisons, comme ici.
[édit : j'en ai profité pour fusionner ce fuseau avec celui qui le précédait sur le même sujet]
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