Vous n'êtes pas identifié(e).
Pages : 1 bas de page
Bonjour à tous,
Je n'apprendrai à personne qu'il y a un nombre impressionnant de chants ds le SDA. Ms quel est le rôle de ces chants ? Pratiquement tous les personnages (au moins ds la CDLA) chantent une chanson. La présence de tels chants ne serait-elle pas une allusion de Tolkien à la mythologie et aux épopées ? En effet, Tolkien, voulant combler le vide en matière de mythologie anglaise, n'aurait-il pas introduit ces chants pour modeler son oeuvre de façon mythologique ?
Quelqu'un aurait-il une réponse ?
Salut
Hors ligne
Salut, Barad Dur!
C'est un sujet très intéressant, mais je crois qu'il est aussi très vaste. ;o)
Effectivement, si on repense au chant sur Earendil composé par Bilbo à Fondcombe, ou au moment ou Sam se souvient du début du chant de Gil Galad, ces chants ont pour effet d'introduire les histoires et légendes du passé et donc décrivent l'arrière plan historico mythique de l'histoire.
Dans ce fuseau, on avait aussi parlé d'un autre aspect, la fonction magique ou religieuse des chants. J'espère que cet aspect complémentaire te sera utile pour ta réflexion...la place du chant dans l'oeuvre de Tolkien, hum, ....tu nous fais une thèse? ;o)
Hors ligne
Bonsoir Romaine,
Non je ne prépare pas de thèse sur la question ms j'ai lu ds plusieurs fuseaux les nombreuses références à la mythologie et cet aspect de l'oeuvre (à travers les chants) m'est apparue.
Salut
Hors ligne
amusant : une thèse est en cours sur le sujet (Emilie Denard)
Vincent
Hors ligne
Si, comme l’a rappelé Romaine, il a déjà été question de la fonction du chant en interne, je ne me souviens pas d’avoir vu discuter de leur rôle dans l’écriture même. C'est une excellente question !
Il est manifeste que les passages poétiques et chantés n'ont généralement pas une fonction narrative, ils ne servent pas à faire avancer l'intrigue, mais viennent plutôt comme des intermèdes. Remarquons au passage que cet usage est caractéristique de l'écriture du Hobbit et du Seigneur des Anneaux, on ne le retrouve - presque - pas dans les récits des Jours Anciens: là, on a soit de la prose pure, soit de véritables poèmes narratifs qui se suffisent à eux mêmes (si l'on fait abstraction de leur inachèvement), à de rares exceptions près - un fragment du Lai de Leithian dans le Silmarillion, une version du poème de Tinúviel dans le lai des Enfants de Húrin.
Essayons de classer les poèmes et chants de Hobbit et du SdA selon leur sujet et leur fonction interne. Pour se fixer les idées, je proposerai pour commencer les catégories suivantes (sans vouloir en faire un système définitif, d'ailleurs certains poèmes en recoupent plusieurs) :
- les poèmes légendaires et historiques, qui font allusion au passé de la Terre du Milieu. Ils sont fort nombreux, citons par ex. le chant d'Earendil, le chant de Durïn, la complainte de l'Ent et de l'Ent-femme, le lai de Nimrodel, le lai de Tinúviel, le chant des Tertres de Mundburg (We heard of the horns in the Hills ringing...), la complainte de Galadriel ("I sang of leaves, of leaves of gold"), la chute de Gil-Galad...
- les chants sacrés, beaucoup plus rares, qui sont des actions de grâce ou des invocations aux Valar. Ils sont ce qui en Terre du Milieu s'approche le plus d'une prière, d'un acte religieux - Tolkien dans une note à la lettre n° 153 dit que les Valar pouvaient être invoqués comme un catholique le ferait d'un saint. Y entre bien évidemment l'Hymne à Elbereth sous ses diverses formes, mais aussi le Chant de l'Aigle ("Sing now, ye people of the Tower of Anor...") qui rappelle fortement un psaume.
- les poèmes gnomiques, parmi lesquels la Longue Liste des Ents, l'Oliphant, le poème de l"Anneau, les énigmes et les prophéties comme le Dit de Malbeth le Voyant
- les poèmes lyriques composés par un des personnages qui y exprime ses sentiments, ainsi le Tombeau de Gandalf par Frodon, la chanson de Sam à Cirith Ungol, le chantde Bilbon à Fondcombe ("I sit beside the fire and think..."), la Lamentation pour Boromir, le chant de la Mer de Legolas, ainsi que Namárië
- les chansons d'ambiance qui font souvent partie d'un répertoire traditionnel entonné en certaines situations, accompagnent une action particulière, ainsi les chansons de marche, la chanson du Bain de Bilbon, les chansons à boire et les chansons de Tom Bombadil, ou les chansons satiriques des orques ou de Bilbon se moquant des araignées de Mirkwood.
On peut aussi souligner une dichotomie entre les poèmes qui appartiennent à un fonds traditionnel (en interne) et ceux qui sont directement composés par les personnages, mais elle me semble moins intéressante à première vue.
Je pense que cet essai de classification permet de mieux souligner la fonction des fragments poétiques dans le Hobbit et le SdA. Un de leurs premiers rôles est certainement de donner l'impression de la profondeur historique : les personnages que nous voyons vivre dans le récit ont leurs traditions, leur mémoire, leurs légendes, ils vivent dans un monde qui a déjà une longue histoire. Les poèmes légendaires et historiques y concourent largement, ils ouvrent de nouveaux espaces (qui ne s'éclairent souvent qu'à la lecture du Silmarillion) et suggèrent l'existence en Terre du Milieu d'un vaste corps de traditions et de poèmes dont seule une petite partie nous serait offerte.
Cette impression de profondeur est quelque chose que Tolkien tenait en haute estime. Il l'appréciait particulièrement dans Beowulf, où figure effectivement un morceau étranger à la trame principale - l'épisode de Finnsburg, qui appartient à une tradition antérieure, et est employé comme référence pour glorifier le premier haut fait de Beowulf, à savoir tuer Grendel. Tolkien a manifestement repris et amplifié ce procédé.
Ensuite, ces références permettent à Tolkien de tisser des liens entre les différentes parties et époques de sa création. Les textes se renvoient l'un l'autre, ce qui les lie en une unité plus grande et les fait s'accréditer mutuellement (pour reprendre un commentaire d'Anne Besson à la BNF le 31 janvier dernier), permettant d'assurer sa vraisemblance et sa cohérence au monde secondaire que crée l'auteur.
Il est aussi possible de lier cette présence des poèmes au rôle fort important de la parole et particulièrement de la parole créatrice chez Tolkien - elle apparaît éminemment dans l'Ainulindale, puis dans les nombreux serments, prédictions, bénédictions et malédictions. La Terre du Milieu, bien qu'on y connaisse l'écriture et qu'il y existe des lettrés comme Elrond ou, à sa mesure, Bilbon, est une culture de tradition avant tout orale, la récitation, la transmission et la mémoire dans le chant y sont prévalents. Les poèmes légendaires et gnomiques en témoignent. Là, il y a certainement un lien avec les mythologies, qui sont largement tributaires d'une élaboration collective et d'une vie dans l'oralité - et c'est vrai en particulier des mythologies nordiques dont Tolkien a tiré une bonne part de son inspiration.
En ce qui concernent les poèmes lyriques, ils peuvent aussi créer la profondeur en renvoyant au passé, ou permettent de développer des éléments qui ne concourent pas à la trame principale du récit, accroissant la consistance du monde secondaire. Mais c'est aussi un moyen pour Tolkien, qui n'emploie guère l'introspection et montre essentiellement les actes des personnages, de suggérer leurs sentiments, leurs réactions, leur état d'esprit, et ainsi de mieux les caractériser. Le style du poème joue aussi - Frodon et Sam n'ont ainsi pas le même registre.
Quant aux chansons d'ambiance, elles soulignent l'action, lui donnent du relief, de la couleur. Elles introduisent aussi souvent une bonne dose d'humour.
De façon générale, on peut voir dans les chants et poèmes qui parsèment le Hobbit et le SdA un contrepoint à la trame principale. Ils n'y concourent pas directement, mais offrent une caractérisation supplémentaire, invitant à poursuivre en soi la construction du monde fictionnel. C'est pourquoi il est possible de lire le SdA en les passant, comme ont dû le faire plus d'un lecteur francophone, mais l'on y perd certainement en profondeur et en enchantement. Et là l'on peut voir un autre intérêt de présenter ces "digressions" sous fome poétique : le lecteur est susceptible de moins s'y intéresser, puisqu'elles ne concernent pas directement l'intrigue principale, et que souvent elles sont allusives et peu compréhensible du premier coup. La forme poétique, de par l'intérêt esthétique qu'elle présente, permet de retenir l'attention du lecteur en jouant sur autre chose que le strict contenu. On peut d'ailleurs en tirer une leçon pour la traduction : réduire ces poèmes à de la prose leur ôtera une grande part de leur intérêt immédiatement saisissable, et les rendra inagissants ; il importe donc de travailler leur forme, fût-ce peut-être au prix de légères distorsions du sens d'origine. C'est là une faiblesse majeure des traductions de Francis Ledoux - fort explicable et excusable de par la difficulté de l'exercice et du temps limité laissé au traducteur, mais indubitable.
B.
Hors ligne
Pages : 1 haut de page