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#1 29-01-2003 14:32

Cirdan
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Tolkien, le monde 'celte' et la Terre du Milieu

La relation l’œuvre tolkienienne à l’imaginaire et plus largement à la culture celtique, semble avoir été immédiatement perceptible pour bien des lecteurs, mais finalement mal comprise. Combien d’entre nous on d’abord pensé à la littérature arthurienne comme première source de la Terre du Milieu alors qu’elle s’avère à l’étude plus faible et plus éparse que la littérature de vieil islandais ?

Sur la nomenclature, on se souvient de la réaction du lecteur d’Allen & Unwin évoquant les « noms celtiques exorbitants » du Silmarillion de 1937. Certes, l’auteur précise avec un certain agacement « qu’ils ne sont pas celtiques ». Mais l’erreur d’un lecteur sans culture celtisante ne provient-t-elle pas au moins partiellement de l’influence du vieux gallois sur la création du sindarin (alors encore appelé « gnomish »). 
Tout d’abord intéressons-nous aux sentiments de l’homme vis-à-vis des pays celtes et de leur culture. Tolkien revendiqua toujours son goût pour la langue galloise mais le gaélique irlandais ne lui plaisait guère. Ce qui ne l’empêche de ressentir une profonde sympathie pour la terre d’Irlande et son peuple. Chez un auteur qui se sent avant tout anglais et agacé par l’idée ‘britannique’ et le concept de Common Wealth, cela pourrait paraître un peu étrange, surtout au regard de la longue et difficile histoire qui lie les deux îles. Mais le catholicisme de Tolkien est, je n’en doute pas, le premier pont qui le rend sensible à l’âme irlandaise. C’est ce que suggère le texte de George Sayer, Recollections of J.R.R. Tolkien. L’auteur qui a connu Tolkien écrit :

« Once he spoke to me of Ireland after he had spend part of the summer vacation working there as an examiner : “It is as if the earth there is cursed. It exudes an evil that is held in check only by Christian practice and the power of prayer” [...] He thought hatred of Catholic was commonin Britain. His mother, to whom he was most deeply devoted, wasa martyr because of her loyalty to the Catholic faith, and his wife, Edith was turned out of her guardian’s house when she was received into the Church. In 1963, he wrote in a letter :
“And still goes on. I have a friend who walked in procession in the Eucharistic Congress in Edinburgh, and who reached the end with the face drenched with spittle of the populace which lined the road and were only restrained by mounted police from tearing the garments and faces of the Catholics”.

                        Tolkien : A Celebration, p. 13


Si Tolkien n’aime pas l’idée moderne ‘britannique’, ce n’est aucunement par fierté anglaise (‘overmastering pride’ eut dit le professeur) ou par mépris des gallois et écossais (contrairement à ce que pourrait croire avec ses a priori naturels, un lecteur hanté par les formulations ne se conformant pas au sacro-saint ‘politiquement correct’). Il s’agit en fait d’un problème étymologique.
L’usage commun du terme « british » ne plaisait pas du tout à Tolkien qui préférait considérer le mot dans son sens premier comme en témoigne sa conférence de 1955, English and Welsh:

« In this story [> La vie de St Guthlac, par Felix de Crowland] we find the term ‘british’ used. In the Anglo-saxon version of the Life the expression Bryttisc sprecende appears. This no doubt ispartly due to the Latin. But Brettas and the adjective brittisc, bryttisc, continued to be used throughout Old English period as equivalents of Wealas (Walas) and wielisc (waelisc), that the two terms were combined in Bretwalas and bretwielisc.
    In modern England the usage has become disastrously confused by the maleficent interference of the Government with the usual object of governments: uniformity. The misuse of British begins after the union of the crowns of England and Scotland, when in a quite unnecessary desire for a common name the English were officially depreived of their Englishry and the Welsh of their claim to be the chief inheritors of the title of British”

                                MC ; p. 182


    A propos de l’opposition des anglais et des peuples dits « celtes » (Tolkien accepte le terme à contrecoeur), il se montre hostile à la persistance populaire de l’idée raciale, en allant même jusqu’à présenter cet a priori, fait rarissime chez notre auteur, comme un mythe faux !

    “In that case they are and were not either ‘Celts’ or ‘Teutons’ according to the modern myth that stillholds such an attraction for many minds. In this legend, Celts and Teutons are primeval and immutable creatures, like a triceratops and a stegosaurus (bigger than a rhinoceros and morepugnacious as popular palaentologists depict them), fixed notonly in shape but in innate and mutable hostility, endowed even in the mists of antiquity, as ever since, with the pecularities ofmind and temper which is still observed in the Irish or Welsh one the one hand,and the English on the other : the wild incalculable poetic Celt, full of vague and misty imaginations, and the Saxon, solid and practical when not under the influence of beer. Unlike most myths this myth seems to have no value  at all.” 

                                MC ; p. 171-172


    Juste après la citation d’un extrait du Mabinogi de Pwyll, il se fait plus virulent, avant d’évoquer les langages qu’il juge – à raison – plus concrets que les concepts raciaux :

“A very practical man was this Pwyll, or the writer who described him. Can he have been a ‘Celt’ ? He had never heard of the word, we may feel sure ; but he spoke zand wrote with skill what now we classify as a Celtic language : Cymraeg, which we call Welsh.
That is all that I have to say at this time about the confusion between language (and nomenclature) and ‘race’ ; and the romantic misapplication of the terms Celtic and Teutonic (or Germanic). Even so I have spent too long on these points for the narrow limits of my theme and time ; and my excuse must be that, though dogs that I have been beating my seem to most of those who are listning to me  dead, they are still alive and barking in this land at large”.

                            MC ; p.173


Revenons à la lettre 19. Un point important est que le lecteur d’Unwin ne se contente pas de trouver les noms du Silmarillion celtiques, mais précise plus étrangement à propos du texte en lui-même : « Il y a quelque chose de cette beauté folle, aux yeux brillants, qui déconcerte les Anglo-Saxons lorsqu’ils contemplent l’art celtique » (Letters p.25 ; bio, p. 169) Voilà une réponse qui involontairement (le lecteur ne pouvait en avoir l’intention, ne connaissant pas l’intention des mythes tolkieniens) devient ironique, lorsque l’on sait que le projet original de Tolkien avec le Silmarillion fut d’écrire une mythologie pour l’Angleterre. Aussi, ne nous étonnons pas de le voir réagir vivement à ces propos. Mais les mots de Tolkien en réponse à Stanley Unwin sur les termes de son lecteur peuvent porter à confusion : ils ne montrent pas assez le double sentiment de l’écrivain à l’égard de la culture celtique tout en gardant un certain hermétisme dans la formulation : « I do know Celtic things (many in their original languages Irish and Welsh) and feel for them a certain distaste : largely for their fundamental unreason. They have bright colours, but are like broken stained glass window reassembled without design. They are in fact mad as your reader said – but I don’t believe I am.”

La sorte de « dégoût » dont parle Tolkien est-elle vraiment représentative de l’appréciation de l’auteur vis-à-vis des mythes celtiques ? Je m’avancerais à dire que non. Remise dans son contexte, on peut comprendre que par cette formule Tolkien cherche à montrer une chose : son inspiration principale n’est pas celtique contrairement à l’idée d’un lecteur qui ne s’est sans doute basé que sur ses impressions. La métaphore qu’utilise Tolkien pour évoquer la « folie » celtique rejoint le problème de la cohérence interne aux mythes. Le Silmarillion, comme le christianisme et l’ancienne religion scandinave, trouve son sens profond dans sa construction eschatologique. C’est au moins certain pour la version de 1937 soumise au lecteur de Unwin (Cf. HoME V)). Et ça l’est aussi pour les versions plus tardives puisque le centre des textes de HoME X se situe bien dans les concepts d’Arda « Marred » et de la renaissance d’une Arda post-histoirque nommée « Arda Unmarred ». Tous les mythes des jours valinoriens, toutes les légendes du Premier Age sont précisément liés entre eux : la notion du destin d’Arda est déjà présente dans la musique des Ainur et tous amènent à la Dernière Bataille. A propos de l’histoire de Maeglin , Tom Shippey parle à raison de la boule de neige qui devient avalanche – mais ce n’est qu’un exemple parmi d’autres.

Tout est lié ici, comme dans les mythes scandinaves où le meurtre de Baldr par la complicité de Loki prépare à long terme le Ragnarök. Les légendes impliquant des héros humains sont également ancrées dans cette histoire supérieure dont la fin est déjà écrite. Ainsi tous les hauts faits de Sigurdr et sa mort sont encore conséquences et illustrations du destin de la Terre (lequel est conté dans la Völuspa). Il est, par exemple, facile de remonter au rôle indirect de l’Ase Loki dans la tragique histoire des Völsungs à la lecture de la Reginsmal. Comme pour le Silmarillion, on a une architecture mythologique suffisamment claire pour y trouver un sens, une raison.
La « fundamental unreason » qu’évoque Tolkien pour les mythes celtiques tient beaucoup, je crois,  à l’aspect épars dans lequel les légendes celtiques nous sont parvenues. Nous n’avons pas, pour les celtes, un texte comme l’Edda prosaïque, qui éclaire tant la religion des vikings. Les textes gallois et irlandais nous apparaissent parfois insensés car ils puisent dans une source orale qui nous est en grande partie cachée à jamais et que l’on tente continuellement de déduire par les textes et l’archéologie.


Mais est-ce uniquement cela ? Car de toute évidence, Tolkien sait que la cohérence interne de ces textes existe même si lecteur moderne ne peut pas toujours l’entrevoir et même si les auteurs ne sont souvent que les lointains héritiers d’une tradition orale qu’ils ne peuvent plus appréhender que comme un souvenir d’une culture sur laquelle ils fondent leur littérature. Si la christianisation de l’Irlande date du VIème siècle, on doit se rappeler que les Bretons d’Albion avaient déjà embrassé la foi chrétienne bien avant, même si leur liturgie n’a guère de rapports avec celle de Rome. Repoussés vers l’ouest de l’île, par l’envahisseur germanique leur animosité est trop grande pour qu’ils acceptent la volonté du pape d’évangéliser les Anglo-Saxons. Il faut attendre le pape Grégoire le Grand (590-604) pour que soit envoyée la première mission sur l’île visant à convertir les Anglo-Saxons. Ainsi, les Bretons n’ont plus de religion « celte » à une époque où les Anglo-Saxons (installés sur l’île depuis déjà deux cent ans) sont encore des païens. On peut donc supposer sans trop se hasarder que les auteurs des textes gallois du XIIIème siècle, ne sont plus familiarisés avec leur ancienne religion, et ce qu’ils rapportent les dépassent.
Où se situe donc le caractère irraisonné que Tolkien reprochait à cette littérature ? Est-ce l’aspect excessif de certains textes dans lesquels l’influence de la littérature orale a donné naissances à des formes écrites bâtardes ? Des oeuvres comme le gallois songe de Rhonabwy ou la Tain irlandaise offrent pourtant un savant équilibre de la narration. Et le plus paradoxal reste que l’un des textes gallois où l’extravagance de l’oral est le plus présent, en l’occurrence Kulwch et Olwen (souvenons-nous, par exemple, de l’incroyable liste des travaux à effectuer que demande le géant Yspaddaden pour offrir la main de sa fille) s’avère être celui qui fournit la trame du Conte de Beren et Luthien!
Dans son essai English and Welsh déjà cité, Tolkien citte un passage du mabinogi de Pwyll et évoque le conte de Lludd et Llefelys. Il considère (MC ; p. 189) le livre rouge de Hergest comme un des trésors de la littérature galloise médiévale. Il s’agit certes d’une vérité de Lapalisse… mais cela montre une tonalité bien différente de la lettre 19. Dans le même registre, on peut continuer à s’étonner qu’un homme qui dit n’avoir que peut de goût pour la littérature celtique choisisse d’insérer deux mythes irlandais dans son projet The Lost Road comme le précise Verlyn Flieger. Même si ces textes ne furent jamais écrit, on a bien trace de l’intention : Christopher Tolkien (HoME V, p. 77-78) rappelle les notes de son père. Au livre devait être inclus « a Tuatha-de-Danaan story, or Tir-nan-Og ». L’idée d’une histoire concernant Finntan, le plus vieil homme d’Irlande, même si elle n’aboutit pas, trouva un prolongement dans ses propres légendes avec les allusions à l’âge de Tom Bombadil et de Fangorn dans le Seigneur des Anneaux.


En fait, l’influence celtique sur la création de Tolkien est plus large qu’il ne veut bien le laisser entendre. Ainsi le lecteur de History of Middle Earth se souviendra que les terres du Beleriand, cœur des légendes du Premier Age eu d’abord pour nom Broceliand dans les anciennes versions du Silmarillion tout comme dans l’immense Lai de Leithian.
Des grands thèmes celtiques qui se retrouvent dans l’œuvre tolkienienne, il y a en tout premier lieu, celui de la temporalité féerique par opposition au temps humain. Verlyn Flieger rapproche (A Question of Time ; p. 249) avec justesse le fait que Pwyll (dont, on l’a vu Tolkien cite le Mabinogi dans English and Welsh) pénètre dans l’Autre Monde par une forêt avec « la physique et la métaphysique de la Lorien ».
Toujours sur la notion de temps, le sentiment d’une fin d’époque est aussi un thème très cher à Tolkien. Ce n’est pas par hasard si la seule histoire arthurienne qu’il écrivit traite de la Chute d’Arthur. Les œuvres arthuriennes sont déjà en elles-mêmes des témoignages de fin d’époque (on est plus dans le mythe celtique, mais dans une littérature qui s’en inspire tout en s’en éloignant) mais l’histoire de la chute de Camelot, que ce soit dans l’œuvre française La Mort le Roi Artu, ou dans les textes d’Angleterre comme l’anonyme LaMorte Darthur ou la version plus tardive de Malory, on assiste à la fin d’un monde semblable à celle du Seigneur des Anneaux. D'aucuns ont par ailleurs souligné les rapports entre le couple Arthur/Merlin et Aragorn/Gandalf ou ceux d'Anduril à la lame de Perceval dans le Conte du Graal ou encore Excalibur.
Tolkien (qui comme on l’a vu plus haut préfère évoquer les langages que les ‘races’ de l’île de Bretagne) trouve enfin et surtout dans le gallois une profondeur historique qui mythifie l’île entière, comme une splendide fenêtre sonore sur un passé qui n’en devient que plus légendaire et qu’il ne pouvait éviter même si son but premier fut une mythologie pour l’Angleterre : « Welsh is of this soil, this island, the senior language of the men of Britain ; and Welsh is beautiful».  (MC ; p. 189).    
J’ai exprimé plus haut que le lecteur ayant exagéré le caractère celtique de la Terre du Milieu et négligé au passage l’influence scandinave et chrétienne, Tolkien s’est sans doute un peu emporté dans la lettre 19. Mais, on peut voir encore dans la réponse de Tolkien, l’illustration de sa colère vis-à-vis de la recherche des « sources » mythologiques et linguistique de la Terre du Milieu. Colère… qu’il n’a cependant plus à l’égard des sources de ses langues inventées quelques années plus tard puisqu’il écrit noir sur blanc dans la note 33 d’English and Welsh : « If I may once more refer to my work, The Lord of the Rings, in evidence : the names of persons and places were mainly composed on patterns deliberately  modelled on those of Welsh (closely similar but not identical) ». Mais le cher professeur n’était pas à une contradiction près...
:-)         

Voilà donc pour mes petites réflexions. Si quelqu’un veut venir compléter (ou discuter) le sujet, vous êtes sur le bon fuseau !

Laurent.

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#2 29-01-2003 16:16

Silmo
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Re : Tolkien, le monde 'celte' et la Terre du Milieu

He bien voila de la lecture pour ce soir... merci Laurent!

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#3 29-01-2003 22:25

Cirdan
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Re : Tolkien, le monde 'celte' et la Terre du Milieu

Deux oublis :

MC renvoie bien sûr à "The Monsters And The Critics", le recueil d'essais et de conférences de Tolkien paru chez HarperCollins. "Tolkien : A Celebration" ouvrage collectif dirigé par Jospeh Pearce est publié par le même éditeur et "A Question Of Time : Tolkien's Road to Faërie" de Verlyn Flieger est publié par Kent State University Press.

C.

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#4 29-01-2003 23:35

Aredwin
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Re : Tolkien, le monde 'celte' et la Terre du Milieu


Salut Cirdan,

Tres intéressant ton topo. J'apprend encore beaucoup de choses concernant le professeur T.
Au sujet de Finntan, le plus vieil homme d'Irlande, s'agit-il du même Fintan ou Tuan Mac Cairill que l'on trouve dans la littérature irlandaise. Si c'est le cas, cela nous ramène effectivement au conte gallois de Kulhwch (et donc au Livre Rouge de Hergest) mais là je songe au thème des animaux. Tolkien désirait-il développer cela?

Aredwin.

PS: As-tu reçu mon message hier?

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#5 30-01-2003 04:51

Caledfwlch
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Messages : 361

Re : Tolkien, le monde 'celte' et la Terre du Milieu

Laurent, j'ai beaucoup apprécié ton article. Non seulement il est admirablement documenté, mais il confirme également les doutes que j'avais à propos du cordial mépris que Tolkien affichait en apparence pour les cultures celtiques et en particulier galloise. Voilà bien longtemps que je souhaitais me plonger dans le Mabinogion, tu me donnes là une motivation supplémentaire.

C'est une habitude chez le professeur de se contredire régulièrement à mesure que les années passent. Je n'y vois pas spécialement un "retournement de veste" mais plutôt la capacité d'un homme à accepter de se remettre en cause continuellement. Je me demande à présent si sa légendaire gallophobie (sans doute cordiale, elle aussi) n'est pas finalement à attribuer à son caractère volatile.

J'ai dans l'idée que Tolkien, sans vouloir se l'avouer, adressait aux Français (en tant que peuple descendant originellement des Francs "teutons" et non des Gaulois "celtes") le même reproche qu'aux Anglais : à savoir la perte irrémédiable de leur propre "patrimoine mythologique" au cours du premier millénaire. Incidemment, la France fut christianisée dès l'aube de son histoire et l'on ne connait plus grand chose du paganisme de "nos" ancêtres (on ne l'enseigne plus en tout cas dans les écoles). Une entreprise telle que le Kalevala aurait-elle pu donner des résultats comparables en France ? C'est un peu tiré par les cheveux, mais ça mérite réflexion :-)

Patrice

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#6 30-01-2003 12:16

Cirdan
Inscription : 2001
Messages : 440

Re : Tolkien, le monde 'celte' et la Terre du Milieu

Merci Caled et Aredwin. Il y a un autre problème dans ce que tu évoques. Les anglais sont réellement les descendants des anglo-saxons, il viennent de cette culture avec une influence normande (donc française) tandis que l'empreinte germanique sur la culture française (je prend le mot au sens large et moderne) est bien moindre. Les francs au Nord ou les Wisigoths au Sud-Ouest représentaient environ 5% de la population qu'ils ont colonisés durant les invasions. Tous le reste est gallo-romain ou assimilé (les celtes par exemple, ont défendu l'empire contre les francs). Les Francs et Wisigoths ont pris la place des dirigeants romains mais n'ont certainement pas imposés leur coutume à 90% de la population! :-)
Aussi, j'ai plus de mal à me sentir 'franc' que latin (et ce n'est certainement pas par manque d'admiration pour les civilisations germaniques), tout simplement parce que c'est ma véritable culture - et celle majoritairement de ce pays. Tiens, par exemple, mon nom de famille est Wisigoth et si je me plais à rêver parfois de mes ancêtres comme des maîtres à la cour de Toulouse, je ne peux m'empêcher de rendre compte que toute ma famille paternelle est paysanne, avec une culture latine dont je suis fier.

Enfin, en ce qui concerne la gallophobie de Tolkien, je crois malheureusement pour nous, que c'est quelque chose de plus profond...:-) En fait, je crois que l'influence française en Angleterre via la conquète normande est mal ressentie par Tolkien pour plusieurs raisons. Peut-être est-ce en tout premier lieu linguistique et la mort du vieil anglais au profit d'une langue dont lamoitié des mot viennent du français devait lui sembler une chute. Mais il y a d'autres facteurs, par exemple, le fait que le français en Angleterre fut vraiment la langue de la noblesse, et que par voie de conséquence, il en ressortit une honte de la culture du peuple héritée des Anglo-saxons et considérée comme 'barbare'. Et sans chercher à exagerer, on peut encore ressentir cela dans les universités anglaises où les professeurs préfèrent de loin la Renaissance Elysabethaine et ses innombrables références à Catulle, Ovide ou Pétrarque au plus rude Moyen Âge anglo-saxon et gallois.
Mais les choses ont un peu évolués grâce à Tolkien. Je ne crois pas qu'on aurait une traduction de Beowulf par le poète irlandais Seamus Heaney, prix nobel de littérature, si le vieux Professeur ne s'était pas tant battu pour montrer la valeur littéraire du poème.
Mais dans sa grande majorité l'Angleterre littéraire se veut plus latine que germanique.

Laurent

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#7 30-01-2003 12:30

sosryko
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Re : Tolkien, le monde 'celte' et la Terre du Milieu

>>Cirdan : où les professeurs préfèrent de loin la Renaissance Elysabethaine et ses innombrables références à Catulle, Ovide ou Pétrarque au plus rude Moyen Âge anglo-saxon et gallois.

c'est une tentation bien compréhensible (et digne de pardon!) :-))

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#8 30-01-2003 15:49

Ylem
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Messages : 68

Re : Tolkien, le monde 'celte' et la Terre du Milieu

Merci, Cirdan-Laurent, pour ce post qui apporte une réponse fournie à l’une de mes questions autrefois posées à la lecture de ton mémoire.  Je vais lire ça dès que j’ai un peu plus de temps…   Ylem

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#9 30-01-2003 17:55

Cirdan
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Messages : 440

Re : Tolkien, le monde 'celte' et la Terre du Milieu

Ah Petrarque..., il s'agit certes d'un grand poète, je ne vais pas te contredire, cher Sosryko :-) Mais justement, j'aurais tendance à croire qu'aimer la culture méditerranéenne (ce qui est mon cas) ne nécessite pas le dénigrement de la culture germanique. C'est pourtant ce que j'ai pu ressentir à l'université de Warwick dans le discours d'un professeur dont le cours se nommait... "Medieval to Renaissance Literature".


Cirdan

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#10 30-01-2003 21:31

NIKITA
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Re : Tolkien, le monde 'celte' et la Terre du Milieu

Cirdan : « Mais il y a d'autres facteurs, par exemple, le fait que le français en Angleterre fut vraiment la langue de la noblesse, et que par voie de conséquence, il en ressortit une honte de la culture du peuple héritée des Anglo-saxons et considérée comme 'barbare'. Et sans chercher à exagérer, on peut encore ressentir cela dans les universités anglaises où les professeurs préfèrent de loin la Renaissance Elysabethaine et ses innombrables références à Catulle, Ovide ou Pétrarque au plus rude Moyen Âge anglo-saxon et gallois.
Mais les choses ont un peu évolués grâce à Tolkien. Je ne crois pas qu'on aurait une traduction de Beowulf par le poète irlandais Seamus Heaney, prix nobel de littérature, si le vieux Professeur ne s'était pas tant battu pour montrer la valeur littéraire du poème. »

Ces lignes que tu as écrites me font penser à un vieux débat qui agita l’histoire littéraire en France au XVIIe siècle, la fameuse Querelle des Anciens et des Modernes !
Petit rappel : Charles Perrault, 16 ans après son élection à l’Académie Française (soit en 1687), prononce devant ses confrères un discours révolutionnaire qui fera date : Le siècle de Louis Grand. Dans ce plaidoyer, il vante les mérites des écrivains de son siècle et remet en cause les sacro-saints modèles de l’Antiquité gréco-romaine. Lui-même se détournera des canons littéraires antiques et puisera dans la tradition orale populaire française pour rédiger ses Contes du temps passé.
Quelque impact qu’ait eu cette prise de position à l’époque, force est de constater que l’histoire littéraire a plus retenu le nom d’Anciens comme La Fontaine, Racine, La Bruyère que celui des Modernes parmi lesquels seul Perrault est resté à la postérité…
Alors Tolkien-Perrault, même combat ? Même résistance plutôt à une certaine suprématie de l’identité culturelle européenne… Tout ceci est évidemment à nuancer et Tolkien sait aussi s’amuser avec la « romanisation » de l’Angleterre, comme par exemple dans le délicieux Fermier Gilles de Ham :

Aegidius de Hammo était un homme qui vivait dans la région centrale de l’île de Bretagne. Son nom complet était Aegidius Ahenobarbus Julius Agricola de Hammo, car, à cette époque, il y a très longtemps, alors que notre île était encore heureusement divisée en de nombreux royaumes, les gens étaient richement dotés de noms…

NIKITA

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#11 31-01-2003 11:00

Lambertine
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Re : Tolkien, le monde 'celte' et la Terre du Milieu

Disons plutôt résistance à la suprématie gréco-latine sur la culture Européenne ...

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#12 03-02-2003 12:18

Moraldandil
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Re : Tolkien, le monde 'celte' et la Terre du Milieu

Bravo pour cette mise au point, Círdan.

Je pense aussi que la lettre 19 présente un point de vue relativement biaisé et doit se lire avec précaution. Le contexte dans lequel Tolkien l'écrivit, que tu as rappelé, me semble avoir quelque peu déteint sur son appréciation littéraire.Il m’y semble avant tout soucieux de défendre l’originalité de sa mythologie personnelle contre une identification trop rapide et simpliste avec les légendes celtiques, ce qui est se comprend facilement au vu de ses intentions véritables.

Mes connaissances en la matière sont très superficielles, mais je hasarderai pourtant quelques remarques.

Le terme de « dégoût » est certainement trop fort. Néanmoins, sans exclure que Tolkien ait évolué dans son appréciation de ces mythes, il ne me semble pas impossible qu’il ait voulu dire qu’il abordait ces récits avec plus de distance que, par exemple, les anciens mythes germaniques. La critique qu’il formule est très intéressante : "broken stained glass window reassembled without design" - une vitre salie et brisée réassemblée sans plan d’ensemble… ou sans dessein ? "Design" ne suggère pas qu’un seul sens. Il peut s’agir d’une critique sur la conception d’ensemble, qui serait certes valable pour un conte comme Kulhwch et Olwen mais pas à titre général,  comme tu l’as signalé. Mais je me demande si Tolkien ne déplore pas aussi (surtout ?) la perte de la dimension profonde du mythe. Comme les légendes celtiques ont été collectées après la christianisation (et souvent en milieu monastique), on peut supposer qu’elles avaient déjà perdu leur rôle d’explication du monde et étaient devenus des contes appréciés d’abord pour leur valeur narrative. Ce n’est pas quelque chose que Tolkien méprisait - au contraire, il défendra l’évasion littéraire dans On Fairy Stories - mais je conçois que la perte du plus sérieux et du plus profond d’une mythologie ait pu, dans une certaine mesure, lui déplaire, était donné son attachement à cette dimension des contes. Au delà de la critique, il me semble percevoir quelque regret dans les termes "broken" et "stained".

Je me souviens également avoir lu que Tolkien reprochait aux récits arthuriens en particulier de renvoyer trop explicitement au christianisme. Cette remarque peut paraître assez curieuse sous sa plume, mais se devrait d’être observée de près pour préciser sa vision personnelle de la sub-création, pour reprendre sa terminologie. Je suis persuadé que c’est là un point à creuser ce que je vais lâchement laisser à d’autres pour l’instant...

J’aurais quelques réserves quant à la formule de Círdan selon laquelle Kulhwch et Olwen aurait fourni la trame du conte de Beren et Lúthien. Il y a certes des points communs – le plus évident me semble être le parallèle entre Carcharoth et le Twrch Trwyth, tous deux porteurs d’objets précieux, détruisant tout sur leur passage, et causes d’une chasse devenue célèbre. Mais d’autres comme le thème du mariage que tente d’empêcher le père de la jeune fille et des épreuves impossibles (ou supposées telles) me semblent trop courants pour qu’on puisse dire qu’ils proviennent explicitement de ce conte gallois. Son influence me semble nettement moins nette que celle sur le Narn i Chîn Húrin des histoires de Kullervo (on sait que Túrin sort historiquement d’un essai de réécriture de ce conte) et de Sigurdr. Ou alors... peut-être devrais-je relire Beren et Lúthien ?

Pour ce qui est de l’influence du gallois sur le sindarin (et sur le « noldorin » et le gnomique qui le précédèrent, d'un point de vue externe), elle est effectivement évidente – plus que celle du finnois sur le quenya, dirais-je. Bien des caractéristiques grammaticales et phonétiques du gallois y ont leur pendant. Il y a même une parenté nette entre les changements phonétiques qu’a subi l’elfique primitif pour devenir le sindarin d’une part et ceux que l’on reconstruit entre le brittonique et le gallois d’autre part. Cela ne se limite d’ailleurs pas au vieux gallois : certains changements entre moyen gallois et gallois moderne peuvent être supposés dans l’évolution du sindarin (par exemple, â > ô ouvert > diphtongaison en au > monophtongaison en o dans certaines positions).

Enfin, pour ce qui est de la gallophobie de Tolkien, les essais d’explications de Círdan ne sont pas invraisemblables. Et c’est vrai qu’en fait de mythologie, nous ne somme guère moins dépourvus qu’en Angleterre. Mais ça me semble encore plus... viscéral. A plusieurs reprises, Tolkien a affirmé que de toutes les langues qu’il avait « goûtées », le français était une de celles qui lui avaient donné le moins de plaisir – on se demande bien pourquoi. Pour autant que je sache, il n’en a pas donné d’explication . Etait-ce un dégoût trop brut, trop irrationnel, pour qu’il ne puisse s’en distancier et l’analyser ? :-P

Moraldandil

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#13 03-02-2003 17:46

Iarwain
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Re : Tolkien, le monde 'celte' et la Terre du Milieu

Moraldandil: juste une petite précision:-): en fait, "stained glass" signifie "vitrail", ce qui va mieux avec les "bright colors" de la citation.

Iarwain

PS: sinon, je souscris entièrement à ce qui a été affirmé ici, d'autant que je m'étais déjà fait des réflexions similaires (mais très peu développées)

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#14 04-02-2003 18:00

Moraldandil
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Re : Tolkien, le monde 'celte' et la Terre du Milieu

Oups... la gaffe ! J'aurais dû ouvrir mon dico :-(

Cela dit, l'image d'un "vitrail brisé" évoque bien elle aussi un regret.

Moraldandil, confus

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#15 08-02-2003 21:33

Moraldandil
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Re : Tolkien, le monde 'celte' et la Terre du Milieu

Pour être précis, les remarques que j’évoquais sur les légendes arthuriennes se trouvent tout bêtement dans la préface à la deuxième édition du Silmarillion qui reproduit la lettre n° 131 :

.… Of course there was and is all the Arthurian world, but powerful as it is, it is imperfectly naturalized, associated with the soil of Britain but not with English ; and does not replace what I felt to be missing. For one thing its “faerie” is too lavish, and fantastical, incoherent and repetitive. For another and more important thing : it is involved in, and explicitly contains the Christian religion.
    For resons which I will not elaborate
[Dommage !], that seems to me fatal. Myth and fairy-story must, as all art, reflect and contain in solution elements of moral and religious truth (or error), but not explicit, not in the known form of the primary “real” world. (I am speaking, of course, of our present situation, not of ancient pagan, pre-Christian days. And I will not repeat what I tried to say in my essay, which you read.)

Moraldandil

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