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Deux petites questions auxquelles je ne trouve nulle part réponse :
Le jeu des énigmes, qui voit s'affronter Gollum et Bilbon, est dit être très ancien, à ce point que même les créatures mauvaises hésitent à y tricher. Je cherche depuis un moment un autre exemple de ce jeu chez Tolkien, ainsi que son origine, et je ne trouve rien. Quelqu'un aurait-il des renseignements ?
Silmo, dans un fuseau sur Tom Bombadil : "et surtout pas Aulë dont la légendaire impétuosité le pousserait à intervenir".
Et là, je suis assez surpris, car Aulë me paraissait être un valar très puissant certes, mais calme, sage, rapide à la création lent à la colère, bref un de ceux qui étaient peu emportés et controlaient bien leur force. Aurais-je loupé une action d'éclat d'Aulë ?
Je vous laisse assez vilainement, car je ne pourrais préciser mes interrogations et défendre mes points de vues (si besoin est) avant une semaine. Désolé...
Bonne journée
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Salut Norendil
Attention : un fuseau / un sujet, et les vaches seront bien gardées... :-)
Pour ce que tu dis du fuseau sur TB, je te propose d'aller en discuter là-bas (surtout que tu as bien raison de me rappeler à l'ordre sur ce point), d'accord??
Pour ta question sur les énigmes, Tolkien, en disant que c'était un jeu très ancien, ne faisait sans doute pas référence à son propre imaginaire.
Bilbo le Hobbit, Chap. V. Enigmes dans l'obscurité, Page 96
"Il savait, naturellement, que le jeu des énigmes était sacré, qu'il remontait à la plus haute antiquité et que même les créatures mauvaises redoutaient de tricher quand elles y jouaient."
Le Hobbit, à l'origine, n'était pas fait pour s'ancrer avec toute la rigueur que cela aurait nécessité, dans le reste du Légendaire des Terres-du-Milieu.
Le caractère sacré des énigmes semble évoqué ici de manière générale.
La seule référence à laquelle on peut songer est le thème des énigmes dans l'antiquité greco-romaine, et plus particulièrement l'énigme entre Oedipe et le Sphynx (si tu ne réponds pas, je te mange) énigme à laquelle un écho plutôt humoristique est donné dans la question "Sans-jambes repose sur une-jambe, deux-jambes s'assirent sur trois-jambes, quatre-jambes en eut un peu".
Silmo
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Pour ceux que la question Bombadil intéresse, le fuseau dont parle Norendil est celui-ci:
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Pour ce qui est des énigmes, c'est une tradition immémoriale dans l'humanité; Silmo a évoqué les exemples gréco-romains, mais les traditions celtes en comprennent aussi (euh, pour les exemples, comptez sur moi un autre jour ...) et il me semble en avoir un vague souvenir dans la mythologie scandinave chère à Tolkien.
j'ai presque honte de poster des réponses aussi vagues!
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Avant de fournir quelques références sur les énigmes, il serait bon de rappeler les deux courtes lettres de Tolkien qui traite du sujet [traductions glosées et bancales de ma pomme]:
L25 [1,p.32/ datée du 16/01/38]
"Et qu'en est-il des Enigmes? Du travail reste à faire sur les sources et les (énigmes) équivalentes. Je ne devrais pas du tout être surpris d'apprendre qu'aussi bien le hobbit que Gollum verront rejetées leurs prétentions d'avoir inventé n'importe laquelle de ces énigmes."
Ce qui ne tarde pas à arriver, Tolkien devant défendre l'originalité de son travail sur les énigmes devant son éditeur (Allen & Unwin) qui lui en conteste la paternité :
L110 [1,p.123/ datée du 20/09/47]
"En ce qui concerne les Enigmes : elle sont "toutes (issues de) mon travail personnel" hormis "Trente Chevaux Blanc" qui est traditionnelle, et "Sans-Jambes". Celles qui restent, bien que leur style et leur méthode soient ceux des énigmes de la littérature ancienne (mais pas du "folklore"), n'ont pas de modèles à ma connaissance, à part seulement l'énigme de l'œuf qui apparaît dans certains livres de "comptines", livres américains en particuliers.[…]"
Mais quelles sont ces 'sources' et 'énigmes de la littérature ancienne'?
Il faut remarquer que Tolkien parle 'des' énigmes comme un tout aussi, dans la recherche des sources je me limiterai à la recherche de textes qui ne contiennent pas une seule énigme mais toute une série, comme le chapitre qui voit l'affrontement de Bilbo et Gollum.
La Bible recèle, elle aussi son lot d'énigmes.
Pensons à Samson (Juges 14:12-18) qui lance un défi aux Philistins en leur posant une question dont lui seul à la réponse :
"De celui qui mange est sorti ce qui se mange, et du fort est sorti le doux"
pour désigner la carcasse d'un lion contenant des abeilles et du miel.
(L'énigme est ponctuelle, je viens donc de faire une entorse à l'esprit de la recherche que je m'étais fixé. Disons que c'était une mise en jambe et que ce sera le seul écart.)
Mais surtout, bien sûr, pensons à Salomon, le roi plein de sagesse, don divin, que tout le monde vient mettre à l'épreuve (1 Rois 5:14). La fameuse reine de Saba est décrite comme venant "éprouver celui-ci par des énigmes" (1 Rois 10:1 // 2 Ch 9:1-2).
Cette tradition perdurera jusqu'au Moyen Age puisque entre les VIIème et XIIème siècles, des moines irlandais et anglais ont rédigé plusieurs dialogues, en prose comme en vers, dont quatre nous sont parvenus, entre Salomon et Saturne, un mystérieux voyageur. Là encore, dans ces apocryphes, Salomon est celui qui est interrogé, celui qui a la connaissance et répond aux nombreuses énigmes ou questions. Le recueil de ces dialogues sera appelé Salomon et Saturne [2].
La première énigme que pose Saturne dans un de ces poèmes est tout à fait dans le style des énigmes anglo-saxonnes (cf. [2,p.65] qui renvoie à une étude sur l'Exeter Book [3]) :
Saturne dit :
Quelle est cette chose muette cachée dans un ravin?
Sa sagesse est immense, elle a sept langues,
Chaque langue a vingt pointes,
Chaque pointe a la sagesse d'un ange
Et chacune a elle seule peut t'élever
Jusqu'à ce que tu voies de Jérusalem briller
Les murailles d'or, scintiller la croix bénie,
La bannière des justes. Dis-moi ce que c'est!
Salomon dit:
Des livres […]
Ils fortifient l'esprit et le raffermissent,
Ils réjouissent le cœur de chaque homme
Au milieu des soucis de cette vie." [2,p.39-40]
La description de la "chose" à deviner (des livres) est assez curieuse, elle fournit des détails assez précis, sous forme de métaphores, dont le sens n'est pas évident. Une telle technique se retrouve dans les énigmes de l'Exeter Book [4] que Tolkien connaissait très bien puisqu'il aimait citer le manuscrit dans ses lettres (L54 et L90 [1,p.66,102-3]).
Je me permets de citer [2,p.152-3] qui a de fortes chances de renvoyer à des textes qui devaient être, eux aussi, connus de Tolkien : "Ce dialogue [de 'Salomon et Saturne'] est un élucidaire, une liste de questions et de réponses portant sur des connaissances bibliques et autres sans qu'il y ait nécessairement de relation thématique entre elles.
Il existe de nombreuses listes de ce type en latin et dans d'autres langues. La plus ancienne conservée est celle du manuscrit no 1093 de la bibliothèque municipale de Sélestat (France) […] début du VIIIè siècle […]
En Angleterre, il existe, à côté de notre dialogue, un autre dialogue en vieil-anglais, Adrian and Ritheus, qui se trouve dans le manuscrit Cotton Julius A.II, à la British Library (XIIè siècle). Des cinquante-neuf questions-réponses de Salomon et Saturne, vingt se retrouvent plus ou moins semblables, sinon même identiques, dans Adrian and Ritheus […]
Comme autre parallèle, on peut mentionner une liste en latin, appelée Excerptiones patrum, Collectanea, flores ex diversis quaestionis et parabolea [2bis] attribuée à Bède […].
On peut mentionner un missel en langue latine, le Durham Ritual […]
D'autre part, il existe en moyen-anglais un questionnaire, intitulé Questiones betwyne the Master of Oxenforde and his clerke, 'Questions entre un maître d'Oxford et son élève', préservé dans deux manuscrits, l'un du XVè siècle […], l'autre de la fin du XV siècle ou début du XVIè".
N'aurions-nous pas là, avec l'Exeter Book, certains des ouvrages auxquels pensait Tolkien lorsqu'il évoquait les "énigmes de la littérature ancienne"?
Toujours est-il que ces ouvrages en vieil-anglais – langue chère à Tolkien, un des titres évoquant "Le Maître d'Oxford" – université où Tolkien enseigna, méritaient d'être cités ici.
Après ces élucidaires, rédigés souvent par des clercs, il faudrait faire référence à certaines des énigmes d'origine purement celtiques (d'autres références celtiques suivront).
Ainsi CuChulainn (l'Achille irlandais) et Emer, la femme qu'il courtise, se parlent sous forme d'énigmes [5, p.259, 265-6] car Emer n'acceptera d'épouser qu'un homme qui l'égale en naissance, en beauté et en sagesse. On trouve les énigmes suivantes dans la Cour faite à Ailbe [5,p.350]:
Qu'est-ce qui est plus doux que l'hydromel? - Une conversation intime.
Qu'est-ce qui est plus noir que le corbeau? - La mort.
Qu'est-ce qui est plus blanc que la neige? - La vérité.
Qu'est-ce qui est plus vif que le vent? - La pensée.
Qu'est-ce qui est plus affûté que l'épée? - La compréhension.
Qu'est-ce qui est plus léger qu'une étincelle? - L'esprit d'une femme entre deux hommes.
Chaque réponse repose sur une transmutation métaphorique de l'adjectif situé dans la question.
(suite au prochain post)
Bibliographie et notes :
[1] The Letters of J.R.R. Tolkien, édition paperback 2000 Houghton Mifflin.
[2] Salomon et Saturne, trad. Robert Faerber, 1995 Brepols (Apocryphes 6).
[2bis] soit, en gros, 'Florilège d'extraits, de questions et de récits tirés des Pères'.
[3] F.Tupper, The Riddles of the Exeter Book, 1910 Boston. Mais cf. un ouvrage plus récent, donc plus accessible, The Exeter Book Riddles, traduit par Kevin Crossley-Holland, 1993 Penguin Classics.
[4] On trouve toutes les énigmes de l'Exeter Book avec leurs solutions sur internet à l'adresse : Exeter Book
…soit presque cent (!) devinettes en vieil-anglais accompagnées (heureusement pour nous!) de leur traduction en anglais moderne.
[5] Celtic Heritage, Alwyn Rees & Brinley Rees, 1998 Thames and Hudson.
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Bonjour Sosryko,
Avant toute chose, je te souhaite la bienvenue parmi nous sur ce Forum. J'utiliserai bien sûr ma formule pour souhaiter te lire souvent.
Et ce d'autant plus que je tiens à te féliciter pour la très belle réponse que tu viens de nous apporter. La forme (je vois que les tests en HTML t'ont bien servi ;-) et le fonds sont remarquables de pertinence ;-)
Merci.
Cédric.
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un grand merci à toi en retour, Cédric, pour bien des raisons :
1) ta gentillesse dans l'accueil des petits nouveaux
2) ce forum, non seulement géré avec tact, intelligence et efficacité par qui tu sais, mais également visité par des personnes des plus intéressantes
3) ce site qui ne cesse de m'étonner par ses qualités. je l'ai découvert voici trois mois, et je ne m'en lasse pas. Comme beaucoup, je fais partie de ceux qui connaissaient Tolkien de nom, qui avaient même tenté de lire sa grande oeuvre mais n'étaient pas allé bien loin (trop jeune? pas le bon moment?) et qui, grâce au film, on eut envie de redonner une chance aux livres. Est-il utile de dire que je ne le regrette pas?
Quant à me lire souvent, je ne pourrais certainement pas répondre à de telles attentes, faute de temps bien sûr, faute de connaissance de l'Oeuvre également, par besoin de réflexion par nature et par désir de ne pas intervenir mal à propos... mais je lirai tout (ou presque), pour bénéficier de la sagesse des anciens ;-)
Mais il me reste à terminer un message et je ne sais pas encore jusqu'où il va me mener, alors...
une des suites arrive (ahh, la vérification des tags!)
D'ailleurs, pour les lecteurs intéressés, afin de gagner de la place, la numérotation des notes de la suite poursuivra celle des notes des messages précédents, considérant qu'il s'agit d'un texte unique sur les joute par énigmes dans la mythologie et leur comparaison avec le chapitre V 'Enigme dans l'Obscurité' de Bilbo le Hobbit.
J'attends avec plaisir vos remarques et surtout vos contributions à cette recension de références.
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(suite du post écrit le 21-03-2002 03:31 )
Le dialogue des deux sages (Immacallam in da thuarad) est un autre texte celtique (irlandais).
Il s'agit d'une dispute académique entre un aspirant (devin) au grade de "docteur suprême d'Ulster" et son examinateur. C'est un dialogue versifié, rédigé en un style rempli de sous-entendu et d'allusions obscures ou métaphoriques, avec un vocabulaire rare et recherché.
Mes renseignements étant de seconde main [6, p.357], je ne peux caractériser la nature énigmatique ou pas des questions, mais tout le porte à croire, même si ce caractère doit seulement traduire la volonté de n'être compris que par des lecteurs initiés.
Jusqu'à présent, nous avons vu des dialogues sous forme de questions d'une partie et de réponses à ces questions par l'autre partie.
On est au niveau : du disciple (Saturne, la reine de Saba) et du maître (Salomon), et/ou plus généralement du testeur (le maître, la femme celte) et du testé (le disciple, le prétendant au mariage).
Il n'y a aucun conflit entre les parties : bien qu'il puisse y avoir un enjeu (le mariage, l'accès du disciple au grade de docteur) il n'y a pas de réel antagonisme, de lutte pour un bien qui ne pourrait être partagé entre les deux personnages. Et puis surtout, il n'y a pas de réciprocité dans le dialogue : le questionnement est à sens unique.
On est loin, formellement et sur le fond, de l'affrontement entre Bilbo et Gollum qui prend la forme d'une véritable joute oratoire chacun posant une série d'énigmes à l'autre, le vainqueur remportant une mise en jeu qui ne peut être partagée. Cette mise en jeu, d'un point de vue narratif, celui du conte, c'est la vie de Bilbo : si Bilbo gagne, il a la vie sauve et se voit indiqué la sortie, sinon, Gollum le mange.
Mais en réalité, cette victoire est liée à la possession de l'Anneau Unique. C'est l'Anneau qui est l'objet de la dernière question de Bilbo et gagner le concours d'énigmes revient à acquérir définitivement l'Anneau pour Bilbo ou à le récupérer pour Gollum (qui aurait fini par fouiller les poches de Bilbo avant même la fin de son repas…).
L'affirmation que l'Anneau a une place prépondérante dans cette compétition d'énigmes se trouve vérifiée de la main même de Tolkien. Pour cela, il faut revenir aux Lettres.
La lettre L128 [1,p.141] nous apprend que ce n'est que suite à un problème de communication entre Tolkien et ses éditeurs que le chapitre V de Bilbo le Hobbit, Enigmes dans l'Obscurité, a la forme que nous lui connaissons. En effet, les éditeurs ont pris pour une version définitive ce qui n'était pour Tolkien qu''un exemple de ré-écriture' envoyé à Allen & Unwin pour leur 'divertissement (L111, [1p.124])…
La version initiale décrivait un Gollum beaucoup moins terrifiant et plus généreux. Je traduis (avec crainte) la note 1 de la lettre L128 [1,p.442] :
"Dans la version originale […] Gollum a réellement l'intention de donner l'Anneau à Bilbo une fois que le hobbit a gagner le jeu des énigmes, et il se répand en excuses lorsqu'il découvre sa disparition :
"Je ne sais pas combien de fois Gollum demanda à Bilbo de le pardonner. Il n'arrêtait pas de dire : "Nous sssommes désolés; nous ne voulions pas tricher, nous voulions le donner notre sseul cadeau, ss'il gagnait le tournoi.' Il proposa même d'attraper pour Bilbo un bon gros poisson juteux à manger en guise de consolation."
Bilbo, qui avait l'Anneau dans sa poche, convainc Gollum de le guider par les passages souterrains jusqu'à la sortie, ce que fais Gollum, et tous deux se séparent avec amabilités."
Cherchons donc des récits mythologiques d'affrontement par énigmes avec enjeu à la clef et si possible la notion de réciprocité dans l'échange…
Ceci va nous transporter très loin dans le temps et dans l'espace, aux débuts de la civilisation, en … Mésopotamie, quelques 2050 ans av. J.-C (!), date à laquelle on estime la rédaction d'une épopée sumérienne, Enmerkar et le seigneur d'Aratta appelé encore Epopée d'Enmerkar ([7,p.285-6] et [8, p.291]).
Enmerkar est le deuxième roi de la première dynastie d'Uruk après le Déluge (le cinquième sera le fameux Gilgamesh; on est autour de 2800 av.J.-C. [7,p.890]). Enmerkar et le seigneur d'Aratta sont tous deux des "rois-prêtres" et sont, à ce titre, époux de la déesse Innana qui devient l'objet de leur lutte. [9] Enmerkar gagnera les faveur de la déesse puisque la tradition fait de la déesse Inanna à la fois sa cousine et son épouse et la patronne d'Uruk.
Dans l'Enmerkar et le seigneur d'Aratta, Enmerkar voudrait construire pour la déesse Innana un temple plus magnifique que celui édifié par le seigneur d'Aratta.
L'épopée précise qu'en ces temps lointains n'existaient ni échanges, ni commerce, ni même l'écriture.
Enmerkar tire parti du fait qu'Innana montre pour lui plus d'inclination que pour son autre époux, le seigneur d'Aratta. Il obtient donc de la déesse qu'elle provoque une famine dans le pays d'Aratta, puis envoie un ultimatum au seigneur de cette ville : il lui ordonne de reconnaître la suzeraineté d'Uruk et de lui envoyer en signe d'allégeance les pierres et métaux précieux (or, argent, lapis lazuli et cornaline) dont Uruk a besoin pour orner le temple d'Innana.
C'est alors que l'épopée devient intéressante pour cette étude : le seigneur d'Aratta voit sa cité-état subir les effets de la famine mais cherche cependant à gagner du temps en proposant à Enmerkar un duel intellectuel…un concours d'énigmes! le souverain d'Uruk doit :
1) lui faire parvenir du grain transporté dans des récipients troués,
2) puis lui envoyer un symbole d'autorité qui ne soit fait d'aucun bois connu, ni de métal, ni de pierre,
3) et enfin, faire venir à Aratta pour un combat singulier un champion portant un habit sans couleur connue.
A chacun de ces défis, l'ingéniosité d'Enmerkar trouve une solution :
1) il envoie du grain germé, qui ne peut s'échapper des paniers de transport,
2) un sceptre en roseau,
3) et un combattant vêtu d'un habit de laine écrue. [10]
En réalité l'ingéniosité d'Enmerkar n'a dû s'exprimer que pour le troisième défi; il lui aura fallu l'aide de Nisaba, la déesse de "la répartition du grain", pour résoudre la première énigme et celle d'Enki, dieu des eaux douces, associé à la magie et à la sagesse, pour résoudre la deuxième.
On peut donc dire que le héros de la première joute par énigmes, vieille de 5000 ans, ne s'en sort pas par sa seule intelligence mais qu'il use d'artifice : il a de son côté le soutient d'Innana, de Nisaba et d'Enki, comment pourrait-il perdre?
Attention, je ne dis pas que Tolkien s'est inspiré de la mythologie mésopotamienne pour rédiger le chapitre V de Bilbo le Hobbit! Il me semblait simplement nécessaire (à y être…) de faire référence à la plus antique trace que nous possédions d'une dispute sous forme de suite d'énigmes. Car il s'agit bien d'énigmes, épreuves intellectuelles par oppositions aux travaux, épreuves physique. Notons que l'enjeu de la dispute par énigmes entre deux hommes est une femme, ce qui nous ramène quelques 4000 ans plus tard, chez les celtes (voir ci-dessus) et les scandinaves (à venir).
Bibliographie et notes :
[6] Les Druides, Françoise Le Roux et Christian-Joseph Guyonvarc'h, 1986 Editions Ouest-France Université.
Ce dialogue a été édité depuis :
Le dialogue des deux sages, Christian-Joseph Guyonvarc'h, 1999 Payot.
[7] Dictionnaire de la Civilisation Mésopotamienne, Francis Joannès et al., 2001 Robert Laffont (Bouquins).
[8] L'Orient Ancien, B. Hrouda et al., 1991 Bordas (Civilisations).
[9] La lutte entre le seigneur d'Aratta et Enmerkar, seigneur d'Uruk pour l'amour de la déesse Innana (et donc le patronnage de la ville par elle) est détaillée dans une autre œuvre sumérienne : Enmerkar et Enshukesdanna. [7, p.286-7]
[10] Pour la suite, cf. le résumé et l'interprétation [7,p.286] ou, en anglais, un résumé et une traduction du texte original 'Enmerkar et le seigneur d'Aratta' (obscur car lacunaire et difficile d'interprétation par endroits).
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Ce qui va suivre n'est pas parfait, car il faudra peut-être y revenir, ayant il y a deux jours découvert un détail que je ne connaissais pas (mais que vous étiez en mesure de connaître puisqu'il apparaît sur ce site) et qui nous sera des plus utiles (woaaa, le suspense…). Mais ne sachant pas quand je pourrai compléter ce message, je livre la suite des précédents dans l'état où elle se trouve
On trouve des récits tout aussi intéressants que les précédents, si ce n'est plus, dans la mythologie nordique.
Je terminerai avec eux car ils me paraissent avoir inspiré Tolkien sur plusieurs points.
J'espère justifier ceci dans la suite de ce message.
Il faudra garder à l'esprit les résumés des situations et les noms des personnages qui vont suivre (enfin, savoir y revenir ;-)) car ils nous seront utiles.
Dans les dialogues des poèmes et chants scandinaves, les questions ne prennent pas forcément une tournure énigmatique au sens fort : ce sont souvent des "colles", des questions de connaissance (assimilée à la 'sagesse'), l'ensemble ayant la forme de dialogue didactique; certainement, le but de ces textes était de transmettre au lecteur un savoir mythologique ou religieux.
1) Ainsi en est-il de la première partie de l'Edda de Snorri Sturluson (autour de 1220), dite la Fascination de Gyfli (la Gylfaginning). Gylfi est un roi de Suède légendaire qui, sous un déguisement et sous le pseudonyme de Gangleri, se rend à Asgardr, la demeure des dieux pour y faire la connaissance des Ases et de leur sagesse. Dans une salle, il rencontre trois dieux qui répondent à ses questions : Harr (le Très-Haut), Jafnharr (l'Egalement haut) et Pridi (le Troisième). Dans leur réponse, Snorri nous offre une présentation systématique de la mythologie nordique qui constitue notre source essentielle sur le sujet. [11, p.29-102].
Dans cette première partie de l'Edda en prose, le ton énigmatique des questions a disparu, mais leur flot incessant (qui nécessite même le concours de trois dieux!) donne parfois à l'échange un aspect de défi.
Par contre, on revient à une matière plus proche des énigmes avec la seconde partie de l'Edda en prose, la Poétique (les Skaldskaparmal), là encore sous forme de questions-réponses entre Aegir (l'apprenant) et Bragi (l'instructeur).
Quelques exemples :
Pourquoi l'or est-il appelé 'chevelure de Sif'? [11, p.117]
Pour quelle raison l'or est-il appelé 'tribut de la loutre'? [11,p.119]
Pourquoi l'or est-il appelé 'semence de Kraki'? [11,p.128]
Pourquoi l'or est-il appelé 'farine de Frodi'? [11,p.127] [12]
Ces questions ne sont pas encore des énigmes puisque leur but étant de demander des explications, à un connaisseur, sur des circonlocutions de poésie scaldique (les kenningar) qui sont impossibles à résoudre si on ne connaît pas les mythes auxquels elles se réfèrent. Mais elles peuvent facilement le devenir si on les reformule ainsi:
Qu'est-ce que la chevelure de Sif?
Qu'est-ce que le tribut de la loutre?
Qu'est-ce que la semence de Kradi?
Qu'est-ce que la farine de Frodi ?
2) Passons à l'Edda poétique maintenant. C'est un recueil anonyme de nombreux chants mythologiques et héroïques qui ont servi de source à Snorri puisque composés entre le VIIIème et le XIIIème siècle (Liste en [13,p.18]). Certains de ces chants sont des plus intéressants pour notre recherche.
Premièrement, considérons les Dits de Fjölsvinnr (les Fjölsvinnsmal [15,p.504-516]) qui, avec un poème (le Grodaldr, [15, p.584-7]), forme les Dits de Svipdagr.
Svipdagr est le héros de ces deux poèmes. Dans le Groladr, il ressuscite sa mère et lui demande des formules magiques afin de mener à bien le périlleux voyage qu'il va entreprendre pour demander la main de la vierge Menglöd; sa mère prononce sur lui neuf formules magiques pour le protéger en toutes occasions.
Dans les Dits de Fjölsvinnr, Svipdagr est arrivé jusqu'à la montagne sur laquelle se trouve, entourée d'une muraille de flamme, la demeure de Menglöd. Sous le pseudonyme de Vindkaldr [16], il provoque par ses questions le géant qui la garde. Ce géant s'appelle Fjölsvinnr ou encore Fjölsvidr ('Celui qui sait beaucoup de choses' [14.I]). Le savoir que Fjölsvinnr révèle traite de la demeure de Menglöd et surtout de thèmes de la mythologie (15 questions-réponses sur 18). Finalement, Fjölsvinnr annonce que Menglöd ne peut appartenir à aucun homme en dehors de Svipdagr, lequel se fait alors connaître et peut alors déclarer son amour à sa promise.
Les 18 questions ne sont pas énigmatiques. Elles relèvent, comme celles de la Fascination de Gyfli, de la pure connaissance. Mais le contexte est plus intéressant (pour nous) car la joute oratoire est liée, d'une manière qui nous échappe, à un enjeu, c'est-à-dire l'accès ou pas du héros à ce qu'il désire : sa fiancée.
3) Dans les Dits d'Alviss (Alvissmal), poème de 35 strophes, Thor entreprend de mettre à l'épreuve la science du nain Alviss, dont le nom signifie 'Qui sait tout' [14.I]. On s'éloigne à nouveau des énigmes, les questions étant en fait des questions de vocabulaire. Par exemple, en Alvissmal 11-12, Thor demande
"Comment ce ciel s'appelle,
Qui n'a point de terme,
Dans chaque monde?"
Et Alviss de répondre :
"'Ciel' s'appelle chez les hommes,
Mais 'corps céleste' chez les dieux,
Les Vanes l'appellent 'tisse-vent',
Les géants, 'monde d'en haut',
Les Alfes, 'beau toit',
Les nains, 'gouttante salle'." [15, p.82]
(a) Toutes les autres interrogations de Thor sont de ce type. Point donc de devinettes, les questions sont directes. Mais, là encore, la formulation peut facilement se renverser pour donner naissance à des énigmes (Il est un toit qui tisse les vents, qui est-il?).
(b) Et ici aussi, il y a une différence essentielle entre la didactique Fascination de Gyfli et les Dits d'Alviss; en effet, il existe un enjeu terrible entre Thor et Alviss : si Alviss ne répond pas à une seule question, il perd son droit d'épouser la fille de Thor! [17]
(c) Mieux encore! Thor, qui ne veut pas donner sa fille à un nain, use de subterfuge pour emporter le défi qu'il a lancé à Alviss. Or, nous avons vu (cf. Enmerkar) et nous verrons que c'est toujours par ruse (enfin, à ma connaissance, car il doit bien y avoir des exceptions), et non par sagesse ou intelligence, que les tournois d'énigmes entre ennemis sont gagnés.
Voilà la ruse de Thor : ne cessant poser des questions, il s'arrange pour qu'Alviss se prenne au jeu au point que le nain en oublie le lever du soleil; or, comme tous les nains (du moins chez les scandinaves…), Alviss ne peut supporter la lumière et sera pétrifié. Le poème se termine donc (Alv.35) sur Thor reconnaissant la qualité de son "opposant" avant qu'il ne meure :
"En un seul sein
Oncques n'ai vu
Plus antique science.
Grand fourbe,
Je le déclare, t'a abusé.
Sur toi, nain, l'aube point.
Voici que le soleil scintille dans la salle. "[15, p.87]
Ces deux derniers points (l'enjeu et la ruse) rapprochent donc ce dialogue de connaissance, plus encore que les précédents, du jeu des énigmes entre Bilbo et Gollum (qui repose sur un enjeu – la vie/l'Anneau, et sur la ruse qui donne la victoire finale – la dernière question de Bilbo).
4) Nous avons donc assisté à la progression (temporaire) suivante :
La Fascination de Gyfli : dialogue de connaissance
les Dits de Fjölsvinnr : dialogue de connaissance + enjeu
les Dits d'Alviss : dialogue de connaissance + enjeu + ruse
Nous verrons au message prochain que les personnages des ces textes ont des caractéristiques communes intéressantes pour nous et dont certaines se retrouvent dans un texte scandinave de l'Edda poétique qui se rapproche encore plus que ses prédécesseurs de celui de Tolkien : les Dits de Fort-à-l'Embrouille… tout un programme.
Bibliographie et notes :
[11] L'Edda, Récits de mythologie nordique, Snorri Sturluson, trad. F.-X. Dillman, 1991 Gallimard (L'Aube des peuples).
[12] Cette dernière question mériterait qu'on s'y attarde car je pense qu'elle a été une (petite) 'source' pour Tolkien dans son élaboration du Seigneur des Anneaux. Mais ce n'est pas l'objet de ce message.
[13] Dieux et Mythes Nordiques, Patrick Guelpa, 1998 Presses Universitaires du Septentrion (savoir Mieux).
[14] Dictionnaire de la Mythologie germano-scandinave, tomes I et II, Rudolf Simek, 1996 Editions du Porte-Glaive (Patrimoine de l'Europe).
[15] L'Edda Poétique, traduction et présentation de Régis Boyer, 1992 Fayard.
[16] Tout comme dans la 'Fascination de Gyfli', celui qui pose des questions, use d'un pseudonyme. On retrouvera ce stratagème étrange…
[17] Là aussi, étrange comme le dialogue de connaissance/par énigme est lié à la séduction que ce soit chez les Celtes (CuChulainn, le prétendant d'Ailbe) ou chez les Scandinaves (Alviss, Svipdagr). Par contre les femmes celtes sont plus émancipées que les femmes scandinaves : ce sont elles qui interrogent directement leurs prétendants.
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Et bien voilà une série de messages de très haute tenue. Bravo Sosryko!
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Entièrement d'accord avec toi Semprini. Je me demande d'ailleurs si ce sujet ne mériterait pas de faire l'objet d'une compilation pour les Chroniques. Sosryko, vois-tu un inconvénient à ce que je reporte tes interventions dans cette rubrique ?
Cédric.
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Semprini et Cédric - deux des plus illustres!, merci :-)
quant à ta proposition qui me flatte, Cédric, pourquoi la refuserais-je?
touefois, je préfèrerais attendre la fin de cette recherche parce que :
1)il faudrait mettre un peu d'ordre (des titres?)
2)peut être que ce que prévois comme suite (et fin) aura une influence sur le début
3)et puis, je ne désespère pas que des membres illustres (il y en a) de ce forum illustre (il l'est) me fassent part de références que je ne connais pas (il doit y en avoir quantité encore!) et qui pourraient avoir une incidence sur mon propos ou simplement être ajoutées en notes.
4) enfin, peut-être que d'autres auront quelques critiques (pas trop quand même ;-)) qui pourront tout autant m'aider à améliorer ce texte.
Puisqu'on parle d'aide, j'aurais fichtrement besoin de consulter le chant III du Kalevala (au moins quelques extraits de la joute) que je n'ai jamais eu l'occasion d'acheter et auquel je n'ai pas accès, ici, à Périgueux.
Et toi, cher webmaster, que je crois savoir amateur, à juste raison, d'Edda et autres textes nordiques, si tu envisages quelques modifications ou conseils n'hésite pas à m'écrire (à moins que tu n'aies pour politique de tout faire passer par la partie Webmaster du forum?).
portez-vous bien, tous deux, et à bientôt j'espère
Sosryko
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Honte sur moi!
je n'avais pas remarqué que le magicien qui oeuvre sur ce site avait réparé mes erreurs de tags du (trop) long post précédent, et sans rien dire, preuve s'il en était besoin de son humilité :-)
muchas muchas gracias !!
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Tout d'abord, Sosryko, bravo pour la qualité de tes messages.
Pour ta question 3, bien que je ne sois pas un "membre illustre (...)de ce forum illustre", je me permets de rajouter quelques références citées par Tom Shippey dans son livre J.R.R. Tolkien author of the century: il parle bien de Solomon and Saturn, mais aussi de la Saga of King Heidrek the Wise pour l'énigme de Gollum sur le poisson (avec une analogie dans le Layamon's 'Brut', un poème médiéval du Worcestershire que Tolkien admirait); il fait aussi remarquer que les énigmes dont les origines coïncident avec le monde ancien des sagas, des poèmes héroïques, sont prononcées par Gollum.
Enfin, en ce qui concerne le Kalevala, je n'ai pas vraiment le temps de faire une réponse structurée maintenant, mais je vais essayer dès que possible de te donner mon opinion.
Iarwain
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Iarwain! c'es plaisir que je te lis et reçois tes conseils!
(si j'ai dit membres 'illustres', c'est que vous l'êtes tous pour moi, ne serait-ce que par le nombre de vos interventions ... on se rattrape comme on peut ;-))
En ce qui concerne le roi Heidrek, ce sera pour la/une prochaine 'livraison' (car cette saga a une qualité qui n'a pas encore été mise en évidence jusqu'à présent et qui se retrouve dans la compétition entre Gollum et Bilbo). Malheureusement, je n'en parlerai pas en détail (ne possédant pas la traduction hors de prix des Sagas de Régis Boyer chez La Pléiade). Aussi ta remarque sur les l'origine des énigmes de Gollum (dont celle des poissons) est des plus précieuses! Idem pour le Layamon Brut (quelqu'un sait ce que ça veut dire?) qui m'était inconnu.
Très intéressant tout ça :-)
Quelqu'un aurait-il accès à la Saga du roi Heidrek ? (ou connaissance d'une adresse en ligne?)
en tout cas, par avance, merci pour ta recherche sur le Kalevala :-)
Sosryko,
très heureux pour la journée d'avoir découvert, grâce à toi, de nouveaux horizons de lecture.
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Pour la Saga du roi Heidrek, c'est bon, je viens de trouver (en cherchant bien...ou mieux)
Sosryko
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Chose promise, chose due...je vais essayer de synthétiser ce que l'on peut trouver dans le chant III du Kalevala, où l'on assiste à une joute verbale entre "le ferme et vieux Väinämöinen"* et "le jeune Joukahainen"* (comme il s'étend sur quelques 580 vers, je ne me risque pas à le recopier intégralement)
Au début (v.1-84), Joukahainen veut se mesurer à Väinämöinen dont il connaît la réputation, et ce malgré les avertissements de ses parents; il s'en va donc à traîneau à Kalevala (v.85-282) où il se heurte à celui de Väinämöinen; comme aucun ne veut céder le passage, ils se livrent à une joute oratoire dans laquelle Väinämöinen pousse son rival dans ses derniers retranchements:
"Le jeune Joukahainen dit:
'Je connais certes quelque chose,
Je le possède avec clarté,
Je le comprends exactement:
Près du toit passe la fumée,
Le feu n'est pas loin du foyer.
Au phoque la vie est facile,
Le chien de mer aime à nager (...)'
Le vieux Väinämöinen parla:
'Savoir d'enfant, babil de femme,
Et pas d'homme à bouche barbue,
De héros déjà marié!
Raconte les causes profondes,
Les origines éternelles'" (v.147-188)
Voici un petit échantillon de leurs échanges: rien de très énigmatique, à première vue (au sens de l'affrontement par énigmes entre Bilbo et Gollum); pour ma part, j'y verrais bien une source d'inspiration pour le dénombrement des êtres vivants des Ents (SdA,III,4,p.83~; désolé pour le manque de référence, mais je n'ai pas mon exemplaire sous la main, et l'outil de recherche ne donne pas le poème en totalité), notamment dans cette réponse de Joukahainen (v.191-198) :
"Je sais du pinson l'origine,
Le pinson est un oisillon,
La vipère verte un serpent,
La grémille un serpent de l'eau;
Je sais que le fer est flexible,
Que la terre noire est amère,
Que l'eau bouillante est dangereuse,
Que le feu brûle méchamment"
Un peu redondant par moments, mais il faut dire que les connaissances de Joukahainen dans ce domaine ne doivent pas être très grandes; de plus, il aime beaucoup à se vanter, notamment d'avoir été présent à la création du monde; il en vient même à provoquer Väinämöinen en combat singulier.
Le seul élément qui pourrait rappeler l'affrontement entre Bilbo et Gollum (à part l'analogie avec la lutte que mènent Joukahainen et Väinämöinen) me semble être le ton général de ces listes, un certain air archaïque.
Bien entendu (v.283-476), tout ceci se termine mal pour Joukahainen, qui se retrouve envoûté par le chant de Väinämöinen, et obligé de se racheter en lui offrant sa soeur Aïno (il y a tout un long dialogue fastidieux à retranscrire, où il offre de nombreuses choses, à chaque fois refusées par Väinämöinen); il finit par retourner chez lui (v.477-580), où il est accueilli par sa mère.
Iarwain
* j'utilise la traduction déjà ancienne de Jean-Louis Perret parue chez Stock (il y a une autre édition plus récente chez Gallimard, dans la collection L'aube des Peuples)
PS: A vrai dire, je m'aperçois que j'ai davantage paraphrasé qu'analysé le texte de ce chant, mais j'espère t'avoir été utile en quelque chose.
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Bien sûr, Iarwain, que ce résumé de centaines de vers me sera utile!
et certainement pas qu'à moi!
Mais j'aurais besoin d'un dernier détails (ou deux) quitte à gâcher un peu la surprise (?) de ce qui suivra (pas encore :-(...je n'ai encore rien rédigé faute de temps):
1) sont-ce uniquement des affirmations suite à des ordres du style 'raconte-moi l'origine des choses', ou bien y a-t-il des questions?
2) et surtout, j'ai compris, grâce à tes extraits, que Joukahainen se mesure à Väinämöinen en 'étalant sa science', mais, à son tour, pose-t-il des questions au vieux Väinämöinen, attend-t-il des réponses et se voit-il fourni ces réponses de sagesse?
encore merci
(je dis beaucoup merci ces derniers temps, mais je ne vois pas d'autre mot ;-))
Sosryko qui te salue
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A ton service...et à celui de ta famille!
Je réponds tout de suite à tes questions, avant de m'aventurer sur d'autres territoires.
1)Le mieux, je crois, c'est que je retranscrive directement les questions de Väinämöinen :
"Mais cependant, quoi qu'il en soit,
Laisse-moi maintenant entendre
Ce que tu connais de meilleur,
Ce que tu comprends mieux qu'autrui." (v.143-146)
"As-tu quelqu'autre chose à dire
Ou ton babil est-il fini?" (v.213-214)
avec entre les deux celle que j'ai déjà citée. C'est vrai aussi qu'il finit par remettre Joukahainen à sa place (v.236-254, où il reprend des vers entiers de celui-ci, en les niant), mais sans rien apporter de nouveau.
2)En fait, seul Väinämöinen pose des questions: la seule fois où Joukahainen a l'initiative, c'est lorsqu'il propose à Väinämöinen une confrontation poétique ou, à la fin, un duel physique; c'est à ce moment que ce dernier, qui n'a donc pas eu l'occasion de montrer son savoir, se fâche :
"Il se mit à chanter lui-même,
Entonna les grandes paroles;
Ce ne sont pas des chants d'enfants,
Des chants d'enfants, des ris de femmes,
Ce sont des chants d'hommes barbus
Que ne chantent pas les enfants (...)
Le vieux Väinämöinen chantait:
Le lac s'émut, le sol trembla,
Les monts de cuivre tressaillirent,
Les rochers puissants éclatèrent,
Les pierres en deux se fendirent,
Les rocs des rives se fêlèrent." (v.285-300)
J'aurais également un petit ajout concernant la Gylfaginning ou Mystification de Gylfa (à ce propos, d'où vient la traduction: Fascination de Gylfa? Il me semble, mais je ne suis pas spécialiste, que le premier titre s'accorde mieux à la nature du texte): en effet, dans le deuxième chapitre, on apprend que "le Très-Haut lui déclara alors qu'il [Gylfa] ne sortirait pas sain et sauf de la halle, à moins qu'il ne se révélât être plus savant qu'eux" (p.31). Bien sûr, on sait à la fin que tout ce qu'il a vécu n'est que "mystification", mais cela m'apparaît comme point commun avec la situation de Bilbo, dont la vie est l'enjeu du concours d'énigmes.
Je reviens enfin sur ce que j'avais avancé quant à la ressemblance avec le dénombrement des êtres vivants de Treebeard ("the old lists that I learned when I was young"), dont voici le texte :
"Learn now the lore of Living Creatures!
First name the four, the free peoples:
Eldest of all, the elf-children;
Dwarf the delver, dark are his houses;
Ent the earthborn, old as mountains;
Man the mortal, master of horses:
Hm, hm, hm.
Beaver the builder, buck the leaper,
Bear bee-hunter, boar the fighter;
Hound is hungry, hare is fearful...
hm, hm.
Eagle in eyrie, ox in pasture,
Hart horn-crownéd; hawk is swiftest,
Swan the whitest, serpent coldest..." (LotR, p.453)
"Apprenez maintenant la science des Créatures Vivantes!
Nommez d'abord les quatre, les gens libres:
Aînés de tous, les enfants des Elfes;
Le Nain, fouilleur, sombres sont ses demeures;
L'Ent, né de la terre, vieux comme les montagnes;
L'Homme, mortel, maître des chevaux;
Hum, hum, hum.
Le castor, constructeur, le daim, sauteur,
L'ours, chasseur d'abeilles, le sanglier, lutteur;
Le chien courant est affamé, le lièvre peureux...
Hum, hum.
L'aigle dans son aire, le boeuf dans son pâturage,
Le cerf couronné de bois; le faucon est plus rapide,
Le cygne le plus blanc, le serpent le plus froid... (SdA,t.2, p.83)
On le voit, un véritable poème didactique dont la forme lapidaire peut être rapprochée (sans chercher à démontrer une correspondance exacte, de toute façon impossible) de certains vers de ce chant III, outre ceux que j'ai déjà cités :
"Le lavaret a des prés lisses,
Le saumon un plafond uni (...)
Pohja laboure avec des rennes,
Le sud avec de vrais chevaux,
Les Lapons avec des élans" (v.157-170)
"Des montagnes a jailli l'eau,
La flamme est descendue des cieux,
Le fer est issu de la rouille,
Le cuivre provient des rochers.
Humide fut le premier sol,
L'osier est le plus vieux des arbres" (v.203-208
Bon... je m'arrête (enfin!) là pour ne pas lasser davantage le lecteur bénévolent qui m'aura suivi jusque là...
Iarwain
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Effectivement le dialogue de La Fascination de Gylfi est précédé de l'avertissement du Très-Haut qui annonce à Gylfi qu'il met sa vie est en jeu s'il ne se montre pas plus savant que les dieux. Ce qui semble mettre en défaut la progression (vers le modèle de la joute entre Bilbo et Gollum) proposée ci-dessus.
Aïe…
Mais pour ma défense, je trouve que cette mise en garde est une pièce rapportée qui ne colle pas avec la suite du texte; en effet la connaissance de Gylfi n'est à aucun moment testée et les dieux; mieux, plutôt que de réclamer la vie soi-disant mise en jeu, ils se contentent d'un bon petit conseil : 'Mets à profits maintenant ce que tu as appris!' [15, p.102]…
Enfin, je ne suis pas le seul à remarquer l'emprunt de l'enjeu à une autre joute scandinave: Dillmann le constate en [15, p.140, n.18]
Voilà pourquoi je pensais que nous n'avions pas là une joute avec enjeu vital mais un simple dialogue de connaissance.
Pour autant, ce n'est pas le lieu ici d'imaginer sa version originelle. Je reconnais que j'ai fait une erreur de méthode.
En effet notre seul but est de trouver les traces d'un modèle mythologique ou légendaire qui a pu inspirer l'échange entre Bilbo et Gollum. Il faut donc prendre les textes tels qu'ils nous sont arrivés!
Félicitation pour ton intérêt et ta lecture attentive, Iarwain. En me faisant revenir sur ce point, je viens de découvrir une nouvelle grille de lecture (fondée sur une notion de l'enjeu plus précise) qui porte déjà ses fruits sur le brouillon!
A suivre…
Sosryko
Qui enrage de ne pouvoir continuer avant quelques temps; si peu de temps et tant à explorer!
Pour le terme 'Fascination' à la place de 'Mystification', c'est que je préfère la traduction de Simek [14] et Guelpa [13] (ce dernier s'inspirant fortement du premier) à celle de Dillmann [15]. Car Gylfi n'a pas été l'objet d'une illusion de son esprit, il a réellement vécu ce qu'il lui est arrivé, en tout cas il le croit puisqu'il 'raconta tout ce qu'il avait vu et entendu' [15, p.102]; simplement il est incapable de savoir comment, lui qui s'était mis en route de lui-même pour Asgard, effectuant ce voyage en cachette [15, p.30], pénétrant dans la halle des dieux, il se voit, après un dernier conseil du Très-Haut et 'de grands bruits' traduisant l'action divine, en un clin d'œil revenu dans une vaste plaine.
Au passage corrigeons une coquille : il faut lire Gylfi dans les messages précédents et non Gyfli (le seul défaut du copier-coller est bien de propager de telles erreurs!).
"Il a eu une vision, une extase, […], une fascination, d'où le titre de la Gylfaginning" [13, p.96]
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C'est surtout mon intérêt pour la mythologie qu'il faut féliciter...
Concernant "Layamon's Brut", j'ai trouvé cette référence dans le Dictionnaire des lettres françaises, Moyen Âge, à l'entrée "Wace": celui-ci est l'auteur du Roman de Brut.
"Le Brut, achevé en 1155 et dédié à la reine Aliénor, est une traduction et une paraphrase de l'Historia regum Britanniae de Geoffroi de Monmouth et la base du Brut de Layamon. Le récit, qui compte quelque 15.000 vers octosyllabiques, raconte l'histoire des rois bretons depuis l'arrivée dans le pays d'un descendant d'Enée, Brut, le conquérant de la Grande-Bretagne, jusqu'à la disparition du roi Arthur, à la fin du VIIe siècle. [...] C'est le premier texte français consacré, en partie, à la légende arthurienne que véhiculait l'Historia de Geoffroi de Monmouth."
Iarwain
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Mais, cher Iarwain, au vu de ton profil, je n'envisageais point d'autre intérêt de ta part que celui de la mythologie...
je ne suis pas présomptueux au point de croire que tu éprouves un intérêt pour ma personne; même si je ne désespère pas, qu'un jour... toutefois, ne brûlons pas les étapes ;-).
Blague à part, merci encore une fois pour cette énième précision :-)
Sosryko
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Désolé pour l'absence, mais les activités et les propositions d'Iarwain ont nécessité du temps et de la réflexion. J'ai du faire des modifications, abandonner une vision trop étroite de la notion d'enjeu. Pardonnez donc ce message qui va reprendre en partie le matériel qui précède lorsqu'il a besoin d'être complété ou d'être révisé, mais la bonne compréhension de la suite en dépend. Les ajouts dans le texte que vous avez déjà lu seront en couleur. Pour ne pas surcharger ce fuseau, les compléments plus ou moins indépendants sont donnés avec le numéro de la partie auquel vous êtes priés de vous renvoyés (…en attendant peut être, un texte plus clair et intégral si Cédric est toujours intéressé ;-)).
Des notes supplémentaires étant apparues, j'ai poursuivi, pour simplifier, la notation entamée sur ce fuseau. Donc, les notes 18 et suivantes se trouveront à la fin de ce message et des suivants.
Que cette trop longue introduction ne se termine pas sans prendre le temps de remercier Iarwain pour ses indications et son aide! :-))
Plan des épisodes précédents :
I – Bible, apocryphes et autres élucidaires anglo-saxons
II – Comment juger un mari ou un ollam chez les Celtes?
III – Pause : Bilbo et Gollum (1)
IV – Au commencement…Enmerkar
V – Mythologie nordique
Complément au II
Les poètes émérites d'Irlande ancienne participaient à des concours d'énigmes, et, selon Marbán le Gardien de pourceaux, 'prophète suprême de la terre et des cieux', de telles disputes apparurent à cause des noix qui apportent la connaissance, [noix provenant] des neuf noisetiers de sagesse qui poussaient autour du mystérieux puits de Segais. Dans un concours entre Marbán et Dáel Dulied, le 'docteur' (ollam) de Leinster, on rencontre les énigmes suivantes [5, p.349] :
– Quel bien l'Homme trouva-t-il sur la terre que Dieu ne trouva pas?
– Un bon maître
– Quelle bête vit dans la mer et se noie lorsqu'on l'en sort?
– Gním Abraein.
– Quel animal vit dans le feu et se brûle lorsqu'on l'en sort?
– Tegillus (la Salamandre).
Dáel Dulied perdra cette compétition et se placera alors sous la protection de Marbán.
Complément à la conclusion du IV
Attention, je ne dis pas que Tolkien s'est inspiré consciemment de la mythologie mésopotamienne pour rédiger le chapitre V de Bilbo le Hobbit! Il me semblait simplement nécessaire (à y être…) de faire référence à la plus antique trace que nous possédions d'une dispute sous forme de suite d'énigmes. Car il s'agit bien d'énigmes, épreuves intellectuelles par oppositions aux travaux, épreuves physique.
Cette précaution prise, il ne faudrait pas pour autant affirmer que Tolkien ne connaissait pas ce mythe. Une nouvelle fois, ses Lettres nous renseignent :
"Puisque naturellement, en tant que personne intéressée par l'antiquité et notamment l'histoire des langages et de l''écriture', j'ai connu et lu un grand nombre [de textes] à propos de la Mésopotamie, […]" L297 [1, p.384]
Tolkien lui-même met entre guillemets, pour la souligner, la notion d''écriture'. Or, surprenante coïncidence pour nous, l'épopée d'Enmerkar et du Seigneur d'Aratta se termine avec l'invention de l'écriture par Enmerkar!
Souvenons-nous que lorsque l'épopée commence l'écriture n'existait pas. Les échanges entre les deux seigneurs se faisaient donc par messagers qui récitaient de mémoire ce qu'ils avaient à transmettre. À la fin, l'ultimatum que lance Enmerkar au seigneur d'Aratta se révèle si long et difficile à mémoriser pour son messager qu'il "invente" l'écriture en rédigeant une lettre sur une tablette d'argile.
Et, à ce stade, est-il besoin de rappeler toute l'activité littéraire, en tant que chroniqueur et poète, dans l'univers de la Terre-du-Milieu, de Bilbo Baggins, vainqueur d'un affrontement par énigmes tout comme Enmerkar?
"Il se mit à écrire de la poésie [...] Un soir d'automne, quelques années plus tard, Bilbo, assis dans son bureau, était occupé à écrire ses Mémoires […]".Bilbo le Hobbit, p.311 (Ed.Pocket : p.365)
V – Mythologie nordique
1) L'Edda de Snorri Sturluson
1.1) La Fascination de Gyfli
Ainsi en est-il de la première partie de l'Edda de Snorri Sturluson (autour de 1220), dite la Fascination de Gyfli (la Gylfaginning) [11, p.29-102]. Gylfi, "homme intelligent et versé dans la magie" [Gyl 2], est un roi de Suède légendaire qui, sous un déguisement et sous le pseudonyme de Gangleri, se rend à Asgardr, la demeure des dieux pour y faire la connaissance des Ases et de leur sagesse. Dans une salle, il rencontre trois dieux: Hárr (le Très-Haut), Jafnhárr (l'Également haut) et Thridhi (le Troisième).
Le Très-Haut demanda alors à l'arrivant si d'autres raisons [que celle de savoir qui est le souverain des Ases] leur valaient sa venue, en ajoutant que la nourriture et la boisson étaient à sa disposition comme toutes les autres personnes présentes dans la salle du Très-Haut. Il répondit qu'il voulait en premier lieu s'enquérir s'il se trouvait là quelqu'un de savant. Le Très-Haut lui déclara alors qu'il ne sortirait pas sain et sauf de la halle, à moins qu'il ne se révélât être plus savant qu'eux :
"Tiens-toi debout, là, devant nous
Pendant que tu questionnes!
C'est à celui qui raconte qu'il revient d'être assis."
[Gyl 2]
Gylfi ne se démonte pas et questionne les dieux sur l'univers :
- depuis le commencement ("Quelle fut l'origine?"[Gyl 4])
- jusqu'à la fin des temps ("Qu'y a-t-il à dire du Crépuscule des dieux?"[Gyl 51])
- et au-delà ("Certains dieux survivront-ils? Et la terre et le ciel existeront-ils encore?" [Gyl 53]).
À travers les réponses des dieux, Snorri nous offre une présentation systématique de la mythologie nordique qui constitue notre source essentielle sur le sujet. Puis Le Très-Haut de clore la conversation [Gyl 53] :
"À présent, je doute fort que d'autres questions puissent te venir à l'esprit, car je n'ai entendu personne décrire plus avant le cours du temps. Mets à profit maintenant ce que tu as appris!"
Gylfi-Gangleri entend alors 'de grands bruits autour de lui' (le tonnerre?) et se retrouve seul dans une 'vaste plaine' où il n'y a plus 'ni halle ni fort' [Gyl 54]. Gylfi "a eu une vision, une extase, une hallucination, une fascination, d'où le titre de la Gylfaginning : 'La fascination de Gylfi'" [13, p.96]
Dans cette première partie de l'Edda en prose, les questions n'ont pas la forme d'énigmes; Gylfi-Gangleri recherche la sagesse des Ases (prix intellectuel), aussi le dialogue est un dialogue de connaissances. Mais le flot incessant de ces questions (qui nécessite même le concours de trois dieux!) donne parfois à l'échange un aspect de défi.
1.2) La Poétique (rien de changé)
2) Les Dits de Fjölsvinnr (nouvelle conclusion)
Les 18 questions ne sont pas énigmatiques. Elles relèvent, comme celles de la Fascination de Gyfli, de la pure connaissance. Mais le contexte est plus intéressant (pour nous) car si la joute oratoire semble tout aussi dangereuse (affronter les dieux ou affronter un géant), elle est liée, d'une manière qui nous échappe, à l'accès ou pas du héros à ce qu'il désire, sa fiancée; laquelle est un prix physique – par opposition à un prix intellectuel comme la connaissance que recherchait Gylfi auprès des dieux.
3) Les Dits d'Alvíss
Dans les Dits d'Alvíss (Alvíssmál) [15, p.79-87] [18], poème de 35 strophes, Thórr entreprend de mettre à l'épreuve la science du nain Alvíss, dont le nom signifie 'Qui sait tout' [14.I]. On s'éloigne à nouveau des énigmes, les questions étant en fait des questions de vocabulaire.
Par exemple, en Alvíssmál 11-12, Thórr demande :
"Comment ce ciel s'appelle,
Qui n'a point de terme,
Dans chaque monde?"
Et Alvíss de répondre :
"Ciel s'appelle chez les hommes,
Mais corps céleste chez les dieux,
Les Vanes l'appellent tisse-vent,
Les géants, monde d'en haut,
Les Alfes, beau toit,
Les nains, gouttante salle." [15, p.82]
(a) Toutes les autres interrogations de Thórr sont de ce type. Point donc de devinettes, les questions sont directes. Mais, là encore, la formulation peut facilement se renverser pour donner naissance à des énigmes (Il est un toit qui tisse les vents, qui est-il?).
(b) Ce troisième texte confirme que la joute oratoire chez les peuples nordiques est un affrontement extrêmement dangereux (affronter un géant, risquer sa tête devant les Ases) qui peut très bien conduire à la mort (Alvíss). Dans les trois situations, le visiteur (Gylfi, Svipdagr, Alvíss) met sa vie en jeu (Enjeu vital)
(c) Mais ici aussi, comme pour les Dits de Fjölsvinnr, il y a une différence entre la didactique Fascination de Gyfli et les Dits d'Alvíss; en effet, l'avenir d'une femme est en jeu dans l'affrontement entre Thórr et Alvíss : si Alvíss ne répond pas à une seule question, il perd son droit d'épouser la fille de Thórr! [17]
Toutefois, il ne faut pas que cette différence nous cache un point commun plus important : dans les trois situations, le visiteur recherche un bien, physique ou spirituel, un prix non vital (le savoir, une fiancée, une promise), que possèdent son/ses hôtes (les 3 Ases, Fjölsvinnr, Thórr)
(d) Par contre, les Dits d'Alvíss contiennent un détail supplémentaire qu'il faut relever absolument. Thórr, qui ne veut pas donner sa fille à un nain, use de subterfuge pour emporter le défi qu'il a lancé à Alvíss. Or, nous avons vu (cf. Enmerkar) et nous verrons que c'est toujours par ruse (enfin, à ma connaissance, car il doit bien y avoir des exceptions), et non par sagesse ou intelligence, que les tournois d'énigmes entre ennemis sont gagnés.
Voilà la ruse de Thórr : ne cessant poser des questions, il s'arrange pour qu'Alvíss se prenne au jeu au point que le nain en oublie le lever du soleil; or, comme tous les nains (du moins chez les scandinaves…), Alvíss ne peut supporter la lumière et sera pétrifié. Le poème se termine donc (Alv. 35) sur Thórr reconnaissant la qualité de son "opposant" avant qu'il ne meure :
"En un seul sein
Oncques n'ai vu
Plus antique science.
Grand fourbe,
Je le déclare, t'a abusé.
Sur toi, nain, l'aube point.
Voici que le soleil scintille dans la salle."[15, p.87]
Ces trois derniers points (l'enjeu, le prix et la ruse) rapprochent donc ce dialogue de connaisance, plus encore que les précédents, du jeu des énigmes entre Bilbo et Gollum qui repose sur :
- un enjeu vital – la vie de Bilbo, le visiteur,
- un prix non vital – l'Anneau de Gollum, l'hôte,
- et sur la ruse qui donne la victoire finale – la dernière question de Bilbo.
Dans notre recherche d'un hypothétique modèle mythologique de la joute entre Bilbo et Gollum, nous avons, pour l'instant, la progression suivante : La Fascination de Gyfli : dialogue de connaissance + enjeu vital + prix intellectuel
les Dits de Fjölsvinnr : dialogue de connaissance + (enjeu vital) + prix physique
les Dits d'Alvíss : dialogue de connaissance + enjeu vital+ prix physique + ruse
[18] Une traduction anglaise en ligne des Dits d'Alvíss se trouve ici.
Bibliographie et notes :
**Les renvois à Bilbo le Hobbit sans indication d'éditeur font référence à l'édition 2002 Le Livre de Poche.**
Voilà, j'espère que cela ne vous aura pas paru trop inutile, mais la distinction enjeu/prix et visiteur/hôte s'est révélée et va être très utile dans la suite et je ne voyais pas d'autre moyen pour vous la présenter que de reprendre ce qui avait été maladroitement exposé.
à très bientôt et au plaisir de vous lire ;-)
Sosryko
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Ne jamais, JAMAIS, ajouter un ou deux tags au dernier moment, après avoir vérifié les autres, avec le seul prétexte que ça fera plus joli. Vraiment désolé pour l'inconfort de lecture :-((
[Edit (Yyr 2020): j'ai fait ce que j'ai pu ça et là :)]
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Pour me faire pardonner, la suite...
si je me suis encore planté, cette nuit sera à tout jamais marquée du sceau de la honte...la mienne, brrr
V-4) Les Énigmes de Gestumblindi dans la saga d'Heidrekr le Sage
Les Énigmes de Gestumblindi sont un poème de 29 strophes figurant dans une des 'sagas des temps anciens' [19], La saga de Hervör et du roi Heidrekr (= Hervararsaga ok Heidhreks).
Ne possédant pas la traduction de Régis Boyer [20], j'ai utilisé un texte disponible en ligne, remontant à 1889, de Du Chaillu qui traite de cette saga [21]. Le texte (ou du moins sa version anglaise) me paraît être un résumé avec de larges extraits de la saga; j'en donne l'adaptation à défaut d'une traduction fidèle pour deux ou trois mots qui me sont inconnus [22].
Heidrekr, un roi de Reidgotland, était connu pour avoir été capable de répondre à toutes les énigmes qui lui avaient été posées.
Un homme, appelé Gestumblindi, était un puissant seigneur de Reidgotland, mais méchant et dominateur. Il n'avait pas payé l'impôt qui revenait de droit au Roi Heidrekr; aussi il y avait une grande inimitié entre les deux. Le roi lui fait dire de se présenter devant lui et de se soumettre au jugement de ses sages (wise men), ou bien de se battre.
A l'arrivée de Gestumblindi, le roi lui dit : "Si tu trouves une énigme que je ne peux résoudre, alors tu pourras repartir en paix".(If you wilt come with a riddle which I cannot guess, and thus procured thyself peace.)
Deux chaises sont apportées sur lesquelles ils s'assoient. Et Gestumblindi de proposer ses énigmes.
Voici la première [Ges. 2]:
Alors, Gestumblindi dit :
"Je partis de chez moi,
De chez moi je fis un voyage,,
J'ai vu la route des routes:
Route au-dessus
Et route au-dessous
Et routes dans toutes les directions.
Roi Heidrek,
Réfléchis à l'énigme."Le roi dit :"Ton énigme est bonne, Gestumblindi. Elle est devinée. Tu es passé sur un pont au-dessus de la rivière. Il y avait le cours de la rivière en dessous de toi, et les oiseaux volaient au-dessus de ta tête et près de toi des deux côtés, et c'étaient là leurs routes"
Suivent 24 autres énigmes profanes (pas de résonances mythologiques, ici, à part en Ges. 12,15 et 28) auxquelles Heidrekr répond sans grande difficulté. [15, p.103-111] [23].
Puis la 26ème, la dernière, qui n'est pas formée sur le(s) même(s) modèle(s) que les précédentes [15, p.112] :
Alors Gestumblindi dit :
"Dis -moi cela pour finir,
Si tu es le plus savant des rois:
Que dit Ódhinn
À l'oreille de Baldr
Avant qu'il fût placé
Sur le bûcher funéraire?"Le roi Heidrekr dit : "Toi seul sais cela, créature monstrueuse."
Le roi écume de rage suite à cette dernière (fausse) énigme. il sort son épée et tente de frapper Gestumblindi. Mais Gestumblindi se transforme en faucon, sauvant ainsi sa vie. Le faucon tente de s'échapper par les puits de jour, mais l'épée du roi tranche le bout de sa queue, écourtant ses plumes. C'est ainsi que le faucon a depuis une courte queue. [24]
Heidrekr ayant frappé sans faire attention, son épée atteint un homme de l'assemblée, le tuant sur le coup.
Ódhinn, avant de s'envoler au loin, dit : "parce que toi, Roi Heidrekr, tu as sorti ton épée et a voulu me tuer, brisant ainsi la trêve que tu avais instituée entre nous, tes marchands d'esclaves seront les plus pitoyables des esclaves."
On le verra, ce texte important est certainement celui qui a le plus inspiré, avec le suivant, le chapitre V de Bilbo le Hobbit. Ce n'est certainement pas une coïncidence s'il figure à plusieurs reprises parmi les premières études littéraires de Christopher Tolkien [25].
[20] La saga de Hervör et du roi Heidrekr traduite par Régis Boyer,Berg international,1988. [21] The Viking Age: The Early History, Manners, and Customs of the Ancestors of the English-Speaking Nations, Paul B. Du Chaillu, 1889, John Murray, London. Texte en ligne ici. [22] Ainsi 'a powerful hersir[?] in Reidgotaland' et 'a man of the hird[?]' que je transpose respectivement en 'un puissant seigneur de Reidgotland' et 'un homme de l'assemblée'. [23] On trouve, en français, mais avec des erreurs de frappe, et les solutions à part, les énigmes de Gestumblindi sur internet. . En ce qui nous concerne, nous reviendrons sur quelques unes de ces énigmes pour éclairer celles employées dans la joute entre Bilbo et Gollum. [24] Ce n'est pas essentiel pour notre propos, mais il se pourrait que cette traduction (ou ce résumé?) ne soit pas forcément la bonne (voilà ce que c'est que de travailler avec de la littérature secondaire...). Un autre article en ligne évoque Ódhinn qui se métamorphose en corbeau et non en faucon, ce qui semble plus plausible de la part du dieu nordique qualifié de 'Dieu des corbeaux' en Gylfaginning 38 (cf. Huginn et Muninn, ses deux corbeaux espions). L'article précise que Heidrek a attaqué Ódhinn avec l'aide d'un certain Tyrfing : [25] Sur le site de la Tolkien Society on trouve une sélection des publications de Christopher Tolkien, dont, parmi les premières :
Bibliographie et notes :
[19] Ces 'sagas des temps anciens' ( fornaldarsögur) rapportent des évènements d'avant 850 av.J.-C. Elles nous ramènent donc à un passé fort lointain et souvent mythique tout en mettant en scène des rois ou des héros légendaires non attestés historiquement.[13, p.17]
'Its of the same extraction as the tale of why the raven has a short tail (king Heidrek cut it off with Tyrfing when Ódhinn, alias Gestumblindi, flew away as a raven after asking hinm the impossible riddle of what he had whispered into Baldr's ear on the pyre)(...)'
Tolkien Hervarar Saga ok Heidreks Konungs. C.J.R. Tolkien (Oxford University, Trinity College). 1953/4. [année incertaine]
Hervarar Saga ok Heidreks. Ed. [E.O.] G. Turville-Petre. London: University College London, pour la Viking Society for Northern Research, 1956; introduction de Christopher Tolkien.
The Saga of King Heidrek the Wise. Ed. et trad. Christopher Tolkien. London: Thomas Nelson & Sons (Icelandic Texts), 1960. [30 Juin 60]
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à part le lien du site de la Tolkien Society, tout est bon et...'joli'.
yesss! l'honneur est sauf :-)
Sosryko
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Good ;-))Non mais sans blague, j'aime bien le gras, la couleur et l'italique ... et le reste :-)
Cathy
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Sosryko,
Encore bravo pour cette "suite", très bien documentée, comme toujours;
bon, malgré tout, j'aurais bien une toute petite, une minuscule observation à faire, sur le mot "ollam" que tu traduis par "docteur", si j'ai bien compris: d'après le Dictionary of Celtic mythology des OUP, "dans l'ancienne littérature irlandaise, un ollam est habituellement un poète estimé, le plus haut grade dans la hiérarchie des fili [ou "bardes", bien que ce terme soit réducteur], qui en comprend sept", et Dáel Duiled est justement l'ollam du Leinster, "qui engagea et perdit un duel d'énigmes avec l'ermite Marbán".
J'aurais également une hypothèse pour le problème que tu évoques dans ta note [22]; pour moi, le mot qui pourrait faire le lien entre les deux pourrait être "herd", traduit librement, d'après le Merriam-Webster online dictionary (www.m-w.com- désolé pour le lien direct, mais je préfère faire de l'HTML à petites doses), par: "un groupe de personnes qui ont habituellement un lien commun", ce qui fonctionnerait bien avec le deuxième mot, "hird", qui serait alors une simple erreur de frappe; pour "her[d]sir", je pencherais pour un autre sens de "herd", cette fois-ci comme "troupeau d'animaux de la même espèce et gardés sous surveillance humaine", ce qui pourrait donner "grand propriétaire" ou quelque chose comme ça- à moins que je ne sois dans l'erreur la plus totale et qu'il ne s'agisse de mots empruntés à l'islandais...
Voilà, c'est tout pour l'instant...
Iarwain
PS: j'allais oublier un petit problème "technique": je ne trouve pas les Dits de Fjölsvinnr dans mon édition (anglaise) de l'Edda poétique, mais apparemment, ils sont disponibles en français (dans quelle édition?)
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pas le temps sauf pour rappeler :
les Dits de Fjölsvinnr (les Fjölsvinnsmal) sont édités en français en [15,p.504-516] (Edda Poétique, Régis Boyer)
Sosryko
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Merci pour la référence, mais le problème, c'est que je n'arrive pas à trouver le livre lui-même dans les librairies; j'espère seulement qu'il n'est pas indisponible (mais je vais aller me renseigner de ce pas).
Iarwain
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rassure-toi, il est toujours disponible; ici par exemple (pub pour une librairie en ligne qui n'en a pas besoin)
Sosryko
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voilà Iarwain, encore un peu de mythologie scandinave; voilà Cathy, pour que tes longues nuits soient bien remplies; et bonjour à tous les autres!
Je suis étonné d'être arrivé si loin, et de voir qu'il reste encore du chemin; il reste, je pense quelques surprises à venir; j'espère que vous me suivrez ou me direz si je m'égare ;-)
V-5) Les Dits de Vafthrúdhnir
5.1) Présentation
Les Énigmes de Gestumblindi, que nous venons de rencontrer, sont en fait la version profane d'un poème de l'Edda Poétique d'une qualité littéraire exceptionnelle (enfin, je trouve ;-)): les Dits de Vafthrúdhnir (Vafþrúðnismál) [15, p.516-29] [26].
Ce long poème (55 strophes) est constitué de trois grandes parties :
(a) Les Dits de Vafthrúdhnir commencent par une scène domestique entre Ódhinn, le père des armées et des générations [27], et sa femme Frigg. Ódhinn lui demande conseil car il veut rendre visite au sage Vafthrúdhnir (Fort-à-l'Embrouille...). Il a visiblement un projet bien précis en tête [Vaf. 1] :
Conseille-moi à présent Frigg,
Car je brûle d'aller rendre visite à Vafthrúdhnir;
Très curieux
Je suis de l'ancien savoir
Que possède ce très sage géant.
Frigg le met en garde, car ce géant est plus fort que les autres. Cependant, Ódhinn se met en route, avec un refrain qui reviendra dans la dernière partie du poème ('à la fin de l'envoi...') [Vaf. 3, 44, 46, 48, 50, 52, 54] :
Maints voyage j'ai faits,
Maintes choses j'ai tentées,
Maintes puissances j'ai éprouvées
Il arrive chez le géant sous le pseudonyme de Gagnádhr (Bon Conseilleur) et le provoque [Vaf. 6-7] :
Ódhinn dit :
Salut, Vafthrúdhnir!
Me voici dedans la halle entré
Pour te voir en personne;
Mais je veux d'abord savoir
Si tu es savant
Et très sage, géant.Vafthrúdnhnir dit :
Qu'est-ce que cet homme
Qui dedans ma salle
M'adresse la parole?
Point ne sortira
De notre halle
Si tu n'es pas le plus savant.
Le concours est mortel et conserve une forme que nous avons déjà vue avec la Fascination de Gylfi, normal, celle-ci s'inspire de celui-là! Dans les deux textes, une joute oratoire est provoquée par un visiteur venu chercher la connaissance de son hôte (le Prix) en mettant sa vie en jeu (Enjeu vital).
Les premières strophes de la joute oratoire sont consacrées aux quatres questions que Vafthrúdnir pose à Ódhinn pour savoir :
1) qui fait se mouvoir le jour [11-12] et 2) la nuit [13-14]
3) comment s'appelle la rivière qui constitue la frontière entre les dieux et les géants [15-16]
4) comment s'appelle le champ de bataille où (lors des ragnarök) Surtr affrontera les dieux [17-18]
Ódhinn- Gagnádhr répond à ces questions et éveille la curiosité du Géant qui (par goût du risque?) propose de renverser les rôles [Vaf. 19]!
Dans les strophes restantes, c'est Ódhinn qui interroge le géant à propos :
5) de la genèse du ciel et de la terre [20-21]
6) du soleil et de la lune [22-23]
7) du jour et de la nuit [24-25]
8) de l'hiver et de l'été [26-27]
9-13) des géants [28-37]
14) de Njördhr, l'otage des Ases [38-39]
15) des guerriers morts au combat, les einherjar [40-41]
Ódhinn, qui, jusqu'à présent, a interrogé le géant sur le passé ou le présent, déplace ses questions vers le futur, révélant au lecteur la raison de sa visite : il veut connaître l'étendue des connaissances du géant sur l'avenir du monde. Par avenir, il faut comprendre la fin des temps qui, chez les scandinaves, voit les dieux mourir dans un dernier affrontement avec leurs ennemis (les géants) et provoque l'embrasement du monde. Impatient, il a déjà fait une allusion à sa véritable motivation en Vaf. 38 alors qu'il ne demandait que l'origine (et non le destin) de Njördr :
Dis ceci […]
Puisque tu sais,
Vafthrúdnir, de tous les dieux le destin
Cette impatience peut également être considérée comme une manœuvre habile pour préparer le terrain de ses dernières questions ; il renouvelle alors cette technique de la flatterie qui endort la conscience du géant en Vaf. 42 :
Dis ceci en douzième lieu,
Puisque tu sais,
Vafthrúdnir, de tous les dieux le destin
Des runes des géants
Et de tous les dieux,
Diras-tu la vérité,
Ô très sage géant?
(c) Suivent des questions de la plus haute importance concernant le destin du monde après les ragnarök, en particulier :
16) le sort des hommes [44-45]
17) le nouveau soleil [46-47]
18) 'les sages, les puissantes vierges'(?)[48-49]
19) les Ases qui survivront [50-51]
20) la cause de la mort d'Ódhinn [52-53]
Vafthrúdhnir comprend trop tard qu'il s'est fait berner par Ódhinn lui-même, dans un jeu perdu d'avance; il accepte le destin du perdant de la joute oratoire selon les règles fixées, c'est-à-dire la mort [Vaf. 55] :
Nul homme de sait
Ce qu'autrefois
Tu dis à l'oreille de ton fils;
D'une bouche vouée à la mort,
J'ai dit mon antique savoir
Vafthrúdhnir s'est fait prendre au jeu, ne voyant pas le déplacement des questions, ne relevant pas l'intérêt de son visiteur pour les destinées divines et surtout sa nature, malgré Valf. 42, 41 et 52 qui pointaient vers Ódhinn. Finalement, Vafthrúdnir, Fort-à-l'Embrouille, le 'rusé' [Vaf. 10], ne l'était pas tant que ça ; en tout cas, pas suffisamment pour Ódhinn [Vaf. 55]:
Voici qu'avec Ódhinn j'ai fait assaut
De ma sagesse en paroles.
Tu es et tu seras toujours le plus sage des hommes.
5.2) Le prix de la connaissance
Sur la forme, ce poème rappelle celui des Dits d'Alvíss : il s'agit d'une joute de connaissance (connaissance du vocabulaire pour l'un, connaissance des faits mythiques pour l'autre). D'autant plus que ce sont les deux seuls textes que nous avons rencontrés qui se terminent explicitement par la mort d'un des deux participants (le visiteur Alvíss et l'hôte Vafthrúdhnir).
Mais, il demeure une différence narrative essentielle! Avec les Dits de Vafthrúdnir, pour la première et dernière fois, nous rencontrons-là une joute oratoire où les risques sont vraiment partagés, chaque participant étant soit le testeur, soit le testé, les deux risquant la mort; thème que j'ai déjà appellé thème de la réciprocité. Cette réciprocité apparaît non seulement dans les faits (réciprocité dans le questionnement et dans l'enjeu vital) mais également dans les mots que le poête utilise ou fait dire à ses personnages; d'un côté il écrit [Vaf. 5] :
Alla alors Ódhinn
Éprouver la sagesse des paroles
Du très savant géant
De l'autre, il fait dire au géant [Vaf. 11, 13, 15, 17] :
Dis ceci, Gagnrádhr,
Puisque tu veux du bas bout de la halle
Éprouver ton renom
Réciprocité donc dans l'épreuve des personnages. Ce que l'on ne retrouve nulle part sauf chez Tolkien, dans l'échange d'énigmes comme, finalement , dans l'enjeu vital (Cf.VIII à venir).
[27] C'est ainsi que Frigg appelle son époux en [Vaf. 2,3] : Herjafödr (Père des Armées) et Aldafödr (Père des Générations) [15, p.517]
Bibliographie et notes :
[26] une traduction anglaise en ligne des Dits de Vafthrúdhnir se trouve, par exemple, ici.
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bon, malgré tout, j'aurais bien une toute petite, une minuscule observation à faire, sur le mot "ollam" que tu traduis par "docteur", si j'ai bien compris: d'après le Dictionary of Celtic mythology des OUP, "dans l'ancienne littérature irlandaise, un ollam est habituellement un poète estimé, le plus haut grade dans la hiérarchie desfili
la traduction n'est pas de moi mais des bien plus fiables Guyonvarc'h et Le Roux en [5, p.411] :
'ollam (...) nom du filedu plus haut rang ou "docteur"'.
MacKillop confirme dans le suite de la notice de l'ouvrage que tu cites : "le ollam pouvait combiner les fonctions de poète, de conteur et d'historien, ce qui incluait la récitation exacte des généalogies " Bref, un maître, un 'docteur' en connaissance à tout les niveaux littéraires voire ésotériques (cf. l'absorption des noix de connaissance).
Quant à mes traductions de 'hersir' et 'hi(/e)rd', je les trouve aseez bien inspirées finalement ;-)...merci pour la recherche!
Sosryko
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la traduction n'est pas de moi mais des bien plus fiables >Guyonvarc'h et Le Roux en [5, p.411] :
>'ollam (...) nom du filedu plus haut rang ou "docteur"'.
Moi, pour ce que j'en disais...c'est seulement que le mot me paraît un peu anachronique dans ce contexte, mais bon, je ne suis pas assez compétent dans ces matières pour rivaliser avec de si éminents spécialistes.
Quant à mes traductions de 'hersir' et 'hi(/e)rd', je les trouve aseez bien inspirées finalement ;-)...merci pour la recherche!
Ce n'est pas que je critiquais tes traductions, mais je cherchais simplement à imaginer une solution tant soit peu convaincante à ce problème.
Iarwain
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oh non non non! ne prends pas ce ton vexé, Iarwain!
Je n'ai jamais cherché cela. Toi, que j'apprécie de plus en plus, qui m'impressionne par ton activité (j'ai vu que tu es même sur Langues Inventées et que tu traduis!), par tes messages à propos, par tes connaissances également des oeuvres mêmes qui sont supérieures au miennes, sans fausse modestie aucune (je connais assez bien mes limites),
toi donc, seul à maintenir un dialogue constructif et moteur sur ce fuseau, qui m'a déjà tant aidé par ses interventions et ses recherches (et je sais le temps que ça demande, crois moi!),
tu crois que je voudrais en découdre avec toi?
bien sûr que non!
au contraire, tes remarques et points de vue me font grand plaisir!
(et il va falloir que j'arrête de mettre des points d'exclamation partout, ça devient ridicule, mais je ne cherche qu'à te prouver ma sincérité)
mon dernier message, un peu lapidaire j'en conviens (parce que rédigé très tard et de tête suite à l'effacement involontaire d'une réponse plus détaillée et amicale), n'avait pour seul but que
a) de te donner mes sources pour "docteur" et
b) de me féliciter (j'aurais pas du ;-)) que nous soyons arrivés à une signification finalement commune du texte , surtout pour 'assemblée'
(Toko, dans un fuseau, rappellant que 'herr' est un mot du vieux norrois signifiant 'armée, guerrier' [hersir pourrait alors fort bien se traduire 'seigneur (de guerre)'])
Je n'ai aucune qualification de traducteur et n'est pas traducteur qui veut; je le veux bien, je n'en suis pas un pour autant ;-)
Alors toute remarque (comme la tienne ou celle de Cathy dans un autre fuseau) pour mieux traduire un passage, je l'accueille avec joie; et si je ne changerai pas forcément d'avis (je n'ai pas toujours forcément tort;-)) la réflexion que le dialogue produit est des plus salutaire! nul n'est plus seul et digne de pitié que celui qui croit avoir tout compris et n'avoir pas besoin du conseil des autres.
Ce message est bien trop long déjà, mais je suis triste de t'avoir involontairement froissé.
amicales salutions
porte toi bien
Sosryko
tout penaud
tout contrit d'avoir vexé Iarwain
n'a jamais voulu lui faire de la peine :-(
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Je t'en prie, Sosryko, cesse de me couvrir de fleurs (que je pourrais d'ailleurs aisément te retourner), je sens que je vais rougir...
Pour le reste: meuh non, je ne suis pas vexé (quelle idée!), même si j'admets que le caractère lapidaire de mon intervention pouvait prêter à confusion; en tout cas, je n'avais pas l'intention (ni l'impression) de passer pour un "vieux grognon" qui se met en colère à la moindre contradiction.
Voilà: j'espère que ce petit malentendu est levé.
Iarwain
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C'est passionant, et je voulais juste te rasurer, vous n'êtes pas que deux :-)
Je me pose néanmoins une question: un peu comme le fait Samson dans la bible, comment peut-on appeler "énigme" une chose que personne d'autre que son auteur ne peut savoir (la ruche dans le lion, l'anneau dans la poche de Bilbon, etc...
Comment peut-on vraiment définir ce qui est énigme et ce qui est savoir connu d'un seul ! (ex, à quoi pensé-je ?)
Deuxième intervention: la Bible recèle d'autres énigmes que celle, ponctuelle dans sa forme classique, de Samson. Ce sont d'abord les songes, des images donc, pourtant compréhensibles, et il y a les paroles des prophètes, ou leurs mimes (est-ce Jérémie ou Elie ?) qui laissent leur observateur sans comprendre, jusqu'à ce qu'on leur révèle. Il s'agit bien d'énigme, mais il n'y a pas de duel, et je ne sais pas si cette forme d'énigme est intéressante ici. Pourtant, il y a un enjeu: le salut (la vie sauve parfois tout simplement).
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C'est passionant, et je voulais juste te rasurer, vous n'êtes pas que deux :-)
Je sais que tu lis ;-), je suis encore plus heureux que tu interviennes :-)
Je me pose néanmoins une question: un peu comme le fait Samson dans la bible, comment peut-on appeler "énigme" une chose que personne d'autre que son auteur ne peut savoir (la ruche dans le lion, l'anneau dans la poche de Bilbon, etc... Comment peut-on vraiment définir ce qui est énigme et ce qui est savoir connu d'un seul !
Mais tu as tout à fait raison, ce n’est pas une énigme ! ! seulement je ne voulais pas (pour l’instant ;-)) m’y attarder car il est question d’y revenir. Mais tu relèves là un point qui me paraît essentiel, sauf que ton ‘etc…’ est intéressant : on ne peut pas y mettre beaucoup d’exemples !
Et je ne suis pas entièrement d’accord pour traiter l’énigme de Samson comme une énigme impossible à résoudre (donc, une fausse énigme).
On trouve des exemples qui s’y rapprochent en mythologie nordique (énigmes de Gestumblindi) :
« Quelle est cette boisson
Que je bus hier ?
Ce n’était ni eau ni vin,
Bière pas davantage,
Non plus qu’aucune espèce de nourriture,
Et je suis parti désaltéré.
Roi Heidrekr,
Réfléchis à l’énigme.– Ton énigme est bonne, Gestumblindi. Elle est devinée. Tu t’es étendu à l’ombre, quand la rosée tombait sur l’herbe, et elle a rafraîchi tes lèvres, et ta soif en a été étanchée. » [Ges. 3]
Ou encore plus proche de l’énigme de Samson [Ges. 22] :
« Autrefois la cane tachetée,
Presque adulte,
En mal d’enfant,
Assembla des poutres pour sa maison.
La protégeaient
Les dents du bœuf
Cependant que la dominait
Le mugissant rocher de la boisson.– La cane avait préparé son nid au milieu des mâchoires d’un crâne de bœuf, lequel l(a) dominait. »
Leur point commun : énigme tordue (il est vrai !) qui repose sur quelque chose de visible ou qui fait partie de l’expérience commune que n’importe quel bon observateur peut voir ou expérimenter, avant et/ou après que la question ait été posée.
Ainsi Gestumblindi semble poser une question dont lui seul connaît la réponse (Qu’est-ce que j’ai bu hier ?) mais Heidrekr a déjà vécu la venue de la rosée en soirée.
Ainsi les Philistins, pendant les sept jours qui leur avaient été impartis pour découvrir la réponse à l’énigme, étaient libres de chercher des indices dans et autour de Timma, leur ville. Or le cadavre du jeune lion se trouvait ‘aux vignes de Timma’ (Juges 14 :5), donc visible par tous.
Alors que la question finale de Bilbo est de nature différente : elle repose sur une connaissance inaccessible à la vue et à la réflexion, avant comme après que la question ait été posée ; on pourrait généraliser, comme tu le fais, en remarquant que la réponse est une chose que personne d'autre que son auteur ne peut savoir ….à moins d’être télépathe !
Deuxième intervention: la Bible recèle d'autres énigmes que celle, ponctuelle dans sa forme classique, de Samson. Ce sont d'abord les songes, des images donc, pourtant compréhensibles, et il y a les paroles des prophètes,
Il y a une grande différence entre les énigmes de Samson aux Philistins ou de la Reine de Saba à Salomon et toutes les autres rencontrées dans la Bible : songes, visions, paraboles ou comportement étranges des prophètes viennent
1) de Dieu qui cherche l’attention d’un homme ou de son peuple. Pour le sauver assurément, mais
2) son destinataire n’est généralement pas du tout conscient de cet enjeu vital car il s’est éloigné de Dieu, donc ne l’écoute pas/plus, d’où ce moyen de communication employé par Dieu. Et puis
3) Dieu n’attend pas de réponse du destinataire, car
4) il donne lui même la réponse !
(Cf. le très beau et terrible chapitre 17 d'Ezekiel où, au verset 2, énigme est associé à parabole, suit vv.3-10 une longue parabole à laquelle Dieu par son prophète donne l’interprétation vv.12-24).
Il y a donc, si on veut étendre la notion d’énigmes (mais je ne suis pas vraiment partant), de nombreuses énigmes dans la Bible mais leur ponctualité, l’absence de jeu/concours sur lequel repose l’enjeu, leur fonctionnalité même les éloigne fortement de la forme que prend le dialogue entre Bilbo et Gollum.
Voilà pourquoi je n’ai pas cherché à en faire un inventaire qui nous aurait certes intéressés tous deux mais n’aurait pas été dans l’esprit de ce forum car nous éloignant du propos (chercher une source possible pour Énigmes dans l’Obscurité).
ou leurs mimes (est-ce Jérémie ou Elie ?)
Je crois que tu penses ( que pensé-je ?… ;-)) à Jérémie qui mime l’action de Dieu en allant chez le potier acheter une cruche et la casse à la porte des Tessons (devant témoins sinon c’est inutile !) (Jérémie 19, 1-2). Là encore, je ne pense pas qu’on puisse vraiment parler d’énigme car l’interprétation du geste énigmatique est directement donnée (v.3) (d’autant plus que la terrible menace était compréhensible sans interprétation car les cruches cassées par Dieu étaient déjà annoncées en Jérémie 13, 12-14).
Jérémie est mimait déjà en Jer 13, 1-11. Episode de la ceinture de lin. Mais là encore, peut-on parler d’énigme lorsque le prophète se contente de suivre les directives (étranges) de Dieu qui le rassure en lui donnant directement l’interprétation sans même poser de question ?
Dans la série des mimes on pourrait rajouter le mariage d’Osée (Os 1) où le mime va très très loin…
Il ne s’agit pas d’énigmes véritables (au sens de question pour laquelle on réclame une réponse au destinataire, réponse qui nécessitera réflexion et interprétation de la question). Ici il s’agit d’un propos ou d’un comportement ‘parabolique’, c’est à dire une interpellation divine en deux temps, qui doit rendre le destinataire perplexe (1er temps, interpellation visible par un mime, une vision), afin qu’il soit attentif et réceptif au message profond (2d temps, interpellation verbale, spirituelle).
Il me semble donc que nous sommes au niveau du symbole, par de l’énigme.
À bientôt Vinyamar ;-)
J’espère que tu liras le reste bientôt
(je cale, faute de temps, sur le Kalevala III qu’il me reste à rédiger, grâce aux notes d’Iarwain et au livre lui-même que je devrais recevoir cette semaine [vive la vente par correspondance !])
Sosryko
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j'allais oublier!
Vinyamar, je suis rassuré de voir que la mythologie scandinave (entre autre) te 'passionne'. Une de tes interventions dans le fuseau Eärendil m'avait fait croire le contraire...;-)
S.
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nan, nan, sosryko,
j'aime beaucoup la mythologie scandinave, mais c'est vrai que j'en connaîs moins que je voudrais (mes sources principales étant "Les chevaliers du Zodiaque " dans le cycle d'Hasgard (mixage général, mais fait avec émotion, ce fut mon cycle préféré à l'âge où j'appréciais ce truc), Thorgal (qui mixe aussi avec pas mal d'autres choses du propre cru de l'auteur), et quelques vraies lectures (ouf) sur le sujet, mais trop succintes).
A la limite, ce sujet étant en plein dans le thème tolkiennien, je me demande si les experts ne pourraient pas créer un fuseau résumant l'ensemble de la mythologie scandinave: les dieux, les créatures fantastiques, les histoire capables d'avoir des résonnances avec les oeuvres futures qui inspirèrent Tolkien.
Pour ce qui est des énigmes de la Bible, je trouve que ton exposé est très suffisant, sur un sujet que je reconnais annexe.
Mais je trouvais intéressant de remarquer qu'après tout, les énigmes n'existent pas qu'en duel, ni en école de sagesse (dans un vieux DA "le sourire du Dragon" par exemple, où le vieux sage parlait toujours par énigme dans le but de faire progresser ses protégés... mais ça les aidait pas, tout ça)
Pour les "fausses" énigmes, je pensais en effet à celle de Bilbo, que Tolkien a l'avantage d'innocenter, en disant que c'est Gollum qui a accepté le défi alors qu'il aurait dû le refuser.
J'avais oublié que Samson laissait une semaine pour trouver la réponse, ce qui permettait en effet de découvrir la vérité.
Reste ton propre exemple :
Alors Gestumblindi dit :
"Dis -moi cela pour finir,
Si tu es le plus savant des rois :
Que dit Ódhinn
À l'oreille de Baldr
Avant qu'il fût placé
Sur le bûcher funéraire?"
Le roi Heidrekr dit : "Toi seul sais cela, créature monstrueuse."
Pas honnête ça !
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Mon Dieu, Quel fuseau d'exception, enfin des messages longs et lisibles (quoique je n'aie pas encore eu le temps de tout lire) et d'un qualite exceptionnelle.
Moi qui me plaignait de ne plus passer par le legendaire a cause d'une chute de qualite.
messieurs et mesdames, sosryko en particulier:
Naanye anvoronda nurdolya. Hantale. A laitamme le
Greg
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quelques vraies lectures (ouf) sur le sujet, mais trop succinctes
Ouf effectivement! ;-)
Mais pour ta défense et pour le plus grand malheur de la Connaissance, les sources des mythologies scandinaves sont effectivement succinctes. On en aura jamais assez me diras-tu, mais le volume, ridicule, des sources de mythologie scandinave est sans commune mesure avec le nombre de sources grecques (ces grecs qui avaient eu l'intelligence de se servir assez tôt de l'écriture eux, au moins; c'est bien gentil, les runes, mais Homère ou Eschyle auraient bien été embêtés s'ils n'avaient eu que ça…;-))
créer un fuseau résumant l'ensemble de la mythologie scandinave: les dieux, les créatures fantastiques, les histoire capables d'avoir des résonances avec les œuvres futures qui inspirèrent Tolkien.
Ça a déjà été abordé ponctuellement en divers endroits. Mais comme toi, je pense qu'il faudra réfléchir à en faire une synthèse.
Dans l'esprit des sources scandinaves utilisées par Tolkien, il existe sur le site un texte de George Bernage paru dans le magazine Heimdal 30 qui donne (rapidement) de nombreux points de contacts.
Reste ton propre exemple : […]
Justement, puisqu'il n'en reste qu'un, ne serait-ce pas là la source de Tolkien que nous cherchions?? hmm?…
Bien sûr que oui! Je pense même qu'il y a d'autres points de contacts qui le confirmeront. Cette confrontation des textes avec le duel Bilbo/Gollum sera l'objet d'un prochain post. Auparavant il faudra évoquer le Kalevala III et la genèse du chapitre V de Bilbo le Hobbit pour que la comparaison soit efficace.
Moi qui me plaignais de ne plus passer par le légendaire a cause d'une chute de qualité.
Il faut croire qu'il faut persévérer et garder espoir :-). Surtout dis-le à ces chers membres qui ont fait la légende de ce forum, qu'on ne voit plus ici, et qui pourtant auraient tant à apporter encore! On a besoin de vous, nous, les jeunes arrivants, et pas que sur le forum Langues Inventées!
Naanye anvoronda nurdolya. Hantale. A laitamme le
Oui, bon, on aura toujours besoin de vous aussi en langues inventées ;-) !!
Je ne connais l'univers de Tolkien que depuis quelques mois et ne sais pas lire l'Elfique…(aïe, je chute dans ton estime je le sens), alors je ne comprends pas le sens de ces trois phrases1. Au vu de ce qui précède, j'imagine un compliment/encouragement. On va faire comme si c'en était un…;-)
Alors là Tirno, comment te remercier pour tous ces compliments ? au nom de tous les participants, nous sommes émus ;-) et regonflés à bloc! Pour ma part, comment vais-je dormir maintenant!
Mais c'est vrai que ce fuseau est agréable, surtout qu'il reprend un petit peu de poil de la bête avec des interventions variées. Je suis certain qu'il y a encore à dire. Alors, vous qui nous lisez, n'hésitez pas à apporter votre pierre.
Oulala, fichtrement tard, encore une fois,
Bonne nuit à tous!
Sosryko
PS (qui a failli être plus long que le message…) : Je ne voudrais pas me faire de la pub, ...mais après tout, comme le disait tout à l'heure Samsagace dans Divers 'ça devient sacrément dur (voire impossible) de suivre l'intégralité des discussions en cours'; alors, faisons-le quand même (!) : Si ce que tu as lu, Tirno, t’a intéressé, peut être le seras tu autant par le fuseau sur La famille de Sam 2 ou par le fuseau < a href="http://www.jrrvf.com/forum/noncgi/Forum1/HTML/000039.html" target="_new"> Réincarnations/Transformations de Sauron où RR s'interroge sur le qualificatif de 'The Sorcerer' donné par Tolkien à Sauron.
1. ce que j'ai cru comprendre : Naanye = Soyez (?); an(?)voronda=?fermes; hantale=(en vous) remerciant. Le reste?
2. Lire ce fuseau jusqu'au 24/03/02. Tu peux oublier les messages polémiques (que je regrette) ou personnels entre le 25/03/02 et le 29/03/02 et terminer par le dernier message, celui de Cemendilme.
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Je regrette que personne (à commencer par Tirno), n'ai pu revenir sur ce fuseau pour traduire l'Elfique. A croire que les parents de cette maisonnée ne quittent jamais leur chambre...;-)
En ce qui nous concerne, voilà enfin (!!) la suite. La prochaine fois, on recentre un peu le sujet en revenant sur l'histoire rédactionnelle de Enigmes dans l'Obscurité.
VI - Excursus : Kalevala III
Nous pourrions arrêter là notre recherche car nous n'avons pas trouvé de textes plus proches du texte de Tolkien que ceux qui précèdent. Nous y reviendrons (cf. VIII).
Mais notre inventaire des joutes oratoire entre deux personnages antagonistes serait incomplet si nous ne relevions pas la lutte entre ‘le vieux’ Väinämöinen et Joukahainen le ‘jeunot, beau marmot’ dans le Chant III de la longue épopée finnoise qu'est le Kalevala. Elle mérité qu’on s’y arrête ne serait-ce que pour l'affection qu'avait Tolkien pour cette épopée et l'influence qu'elle a eu sur son œuvre. [28]
Quelques extraits du Kalevala III étant donnés par Iarwain plus haut dans une traduction déjà ancienne [29], je les complèterai ou les reprendrai avec une traduction plus récente, plus ‘rugueuse’, au ton plus familier [30] qui aurait certainement été du goût de Tolkien.
Pour comprendre la lutte entre Väinämöinen et Joukahainen, il faut comprendre que sa forme est la parole (joute oratoire) mais que son objet est égalemlent la parole (le chant des runes). La parole chantée, le chant magique, le chant qui est connaissance et pouvoir :
La poésie populaire finnoise distingue […] un genre particulier, la " naissance " (synty), poème narratif relatant la création in illo tempore d’un être, d’un animal, d’un élément, d’une matière, etc. La connaissance des conditions dans lesquelles fut créé le prototype donne à l’homme pouvoir sur les représentants du genre. Dans le Kalevala, Väinämöinen, le ‘connaisseur éternel’, récite la ‘naissance’ du fer afin d’arrêter le sang coulant de blessures que le fer a causées. [31, p.428a]
Le vieux Väinämöinen chante (v.1-14), son chant emplit l’espace et arrive aux oreilles d’un jeune maître de la parole magique, Joukahainen (v.14-30).
Le drôle en pique un mauvais sang,
Jour et nuit, l’envie le taraude,
Car Väinö le vieux chanteur
Le surpasse au talent des mots.[v.31-34]
Joukahainen décide de ‘partir à Väinölä en joute contre Väinämöinen’, et ce malgré les avertissements de ses parents; il s'en va donc à traîneau et arrive, au bout de trois jour de voyage, aux landes du Kalevala. (v.25-85). Comme le destin fait bien les choses, Joukahainen rencontre Väinämöinen sur le chemin et lui coupe la route, les coursiers tirant leurs traîneaux entrant en collision (v.86-100)
Or les voici, pieds dans la neige,
Debout, songeurs, se dévisagent…
(On dirait un duel de Sergio Leone ; en plus froid…)
Joukahainen se présente et provoque Väinämöinen (v.101-134) :
" Si l’un tient la pleine sagesse
Et la mémoire plus robuste,
Qu’il garde plein pied sur la route
Et l’autre se gare à l’écart.
Si tu te nommes Väinö,
Barbe vieille et barde sans âge,
Entonnons céans les grands chants,
Amorçons les enchanteries,
Bonhomme doit tâter de l’homme
Et l’un gagner joute sur l’autre ! "[v.125-134]
Väinämöinen relève le défi (v.135-142), mais c’est à Joukahainen de faire étal de son savoir (v.143-146) :
" Or mais envers et malgré tant
Parle, que mon oreille entende :
Quelle est la perle de ton art
Et ton haut savoir sans pareil ? "
Et Joukahainen d’affirmer sa connaissance :
1) de l’art du tirage et du feu de cheminée,
2) du brochet, de la perche
3) du labour
4) des pins, des eaux de montagnes (v.147-182).
Väinö raille, le vieux sage :
" Mots de marmot, savoir de femme,
et non d’homme à bouche barbue,
d’un gaillard à gueuser les femmes !
Dis plutôt les causes profondes,
Les racines de toutes choses. "[v.183-188]
Alors Joukahainen affirme sa connaissance (v.189-210):
1) de la mésange, de la vipère, de la grémille,
2) des propriétés du fer, de la terre noire, de l’eau brûlante qui fait souffrir, du feu, de l’eau qui calme,
3) de Jumala ‘aïeul des mages’, du Seigneur,
4) de l’origine de l’eau, du feu, du fer, du bronze
5) des premiers matériaux : terre (tourbe), arbre (saule), abri (soc d’un pin), marmite (rocher creux).
Le vieux Väinämöinen,
Barbe sage se gausse encore :
" Auras-tu d’autres souvenirs
où te tais-tu déjà, bavard ? " [v.211-214]
Acculé, Joukahainen, au lieu d’énumérer son savoir, fait preuve d’un soupçon de mégalomanie (v.216-234) :
" Je me souviens d’âges lointains,
jadis au labour de la mer,
j’ai bêché les trouées de mer,
j’ai creusé profond les viviers,
fouillé bas les fosses de l’eau,
ouvert les étangs par ma force,
j’ai chamboulé buttes, collines
et charrié la rocaille en tertres.J’étais l’homme sixième aussi,
Le septième gaillard de force
Pour donner le jour à la terre,
J’ai pétri l’air, j’ai fait le monde,
J’ai fiché le pilier du monde,
Et j’ai hissé l’arche du ciel,
Haut portée, j’ai mené la lune
Et guidé la courre du soleil,
Puis j’ai dirigé la Grande Ourse
Et j’ai criblé le ciel d’étoiles. "
Rien que ça ! Väinämöinen, qui était présent lors l’ensemencement du monde (Chant II) n’est pas dupe (v.235-254) :
" Piteux chanteur, fieffé menteur ! "[v.236]
Jouka le jeune prend rage,
Il lance les mots du défi :
" Si je ne suis guère affûté,
mon épée saura bien trancher.
Or ça ! Väinö, barbe grise,
Mauvais chanteur et grand gousier !
Viens-t’en qu’on mesure le fer,
Branc sur branc, qu’on joute des lames ! "[v.255-262]
Väinämöinen, répondant injure pour injure, refuse avec mépris cette joute (v.263-270). Joukahainen, oubliant à qui il a affaire, décide d’ensorceler par son chant Väinämöinen (v.271-282), lequel est désormais sur son terrain :
Mais Väinö se fâche dur,
Outré de rage et de colère.
Or donc il entonne les chants,
Il ouvre ses tours d’enchanteur.(v.283-286).
Väinämöinen, par le seul pouvoir de son chant, transforme les objets inanimés de l’attelage de Joukahainen en végétation, son cheval et son chien en pierre ; les pennes de ses flèches redeviennent ‘faucon nerveux’, la garde de son épée est transformée en éclair, son écharpe en traînée d’étoiles…(v.287-326) Quant à Joukahainen, il se retrouve s’enfonçant inexorablement dans la lande boueuse d’un marécage. Joukahainen, de plus en plus désespéré, propose, ‘en gage contre [sa] vie sauve / pour [sa] tête’, divers objets et richesses (v.327-449) :
1) deux grands arcs ;
2) deux barques ;
3) deux chevaux ;
4) un casque plein de pièces d’or, ‘rançon levée par [son] père ;
5) tous ses champs.
Et, à chaque fois, Väinämöinen refuse et alourdit son emprise :
Il chante Jouka le jeune
Plus bas en terre, il l’enracine.
[v.374-5, 389-90, 405-6, 423-4, 441-2]
La situation est devenue critique : Joukahainen ‘vient à souffrir de pire mal / il a le menton dans la vase’ ; aussi, il ‘craque’ et donne en gage à Väinämöinen ‘le vieux barde sage’ la main de sa sœur Aino (v.450-466) :
" je te donne Aino, ma sœur,
l’enfant de ma mère en rançon
pour te balayer ta cabane,
lessiver mains nues le plancher,
rincer mains blanches les tinettes,
essanger mains froides les châles,
tisser mains fines les foulards,
entourner la miche de miel. "
Le vieux Väinämöinen, arrivé à ses fins, ‘jubile de joie sans fin / car il a reçu la fillette’ et ‘efface les mots sacrés’, libérant le jeune Joukahainen, son cheval et son traîneau. La victoire, sadique, perverse, est totale ; on prendrait presque en pitié ce Joukahainen humilié (467-492) :
Il se hisse dans le traîneau,
Il se niche au fond de la luge ;
Puis il s’éloigne, triste mine,
Cœur gros, cœur sombre, il s’en retourne
Auprès de sa mère, la tendre,
Au bon logis de ses parents. [v.483-488]
Tandis que son père le gronde, sa mère le soigne et le rassure : elle a toujours voulu ‘que Väinö nous soit bon gendre / et parent d’alliance, le mage’ (v.493-536). La pauvre Aino, ‘cœur piétiné, pleure ses larmes’ pendant deux jours ; ce qui n’est pas du goût de sa mère qui trouve son sort enviable (‘vivre assise à la fenêtre / sur le banc pour tenir causette’…c’est un point de vue…) (v.537-580).
Voilà un ‘résumé’ excessivement détaillé pour notre propos ! Mais j’ai jugé utile de présenter ce Chant III du Kalevala car il s’agit d’une mythologie peu connue du public, qui mérite pourtant qu’on s’y arrête, non seulement pour son charme intrinsèque mais aussi pour qu’on prenne un peu mieux conscience d’un texte qui avait su toucher la sensibilité littéraire de Tolkien.
Enfin, bien que l'origine de ce chant ne soit pas l'objet de notre propos, revenons sur le fait qu'il existe une relation entre le Kalevala III et les textes scandinaves précités, relation de dépendance du premier vis-à-vis des seconds. Aussi Régis Boyer relève les points de contact suivants [32]:
[…] c'est là un trait caractéristique du Nord: la magie est la science qui rend supérieur celui qui la possède. Väinämöinen n'est jamais autrement nommé que ‘l'éternel sage’ ou ‘le voyant vieux comme le temps’: par quoi il ressemble curieusement à Odhinn […].
[…] telle joute oratoire, comme celle de Väinämöinen et de Joukahainen (Kalevala III), rappelle curieusement le Vafþrudnísmál: même sujet, un concours de savoir ésotérique, même enjeu, le perdant y laissera la vie, même triomphe du plus instruit et du plus rusé. Le sampo évoque le moulin Grótti du Gróttasongr, etc. Il appert donc que sur un fonds ancien, d'importants apports scandinaves sont venus se greffer: d'autant plus importants que cette "déteinte" a coïncidé, vraisemblablement, avec la grande période d'élaboration des chants du Kalevala (XIe siècle et suivants).
Bibliographie et notes :
[28] Cf. l’entrée Kalevala de l’index de [1], renvoyant aux pp. 7, 87, 144, 150, 214-5, 345.
[29] Traduction de Jean-Louis Perret parue chez Stock, posts de Iarwain du 26-03-2002. Merci Iarwain ;-)!
[30] Le Kalevala, Épopée des Finnois I, par Elias Lönnrot, trad. Gabriel Rebourcet, 1991 Gallimard (L'aube des peuples).
[31] Dictionnaire des Mythologies, Yves Bonnefoy et al., 1981 Flammarion.
[32] Article ‘Kalevala’ de l'Encyclopédie Universalis, Régis Boyer, accessible ici-même. Toujours sur JRRVF, vous pouvez consulter le contenu du Kalevala.
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Encore bravo pour ce résumé que je trouve (vraiment) plus clair que le mien, et plus complet...
En plus, cette nouvelle traduction me semble très vivante, par contraste avec celle plus compassée de Perret (qui date de 1929, j'avais oublié de le préciser).
>Je regrette que personne (à commencer par Tirno), n'ai pu revenir >sur ce fuseau pour traduire l'Elfique
Naanye anvoronda nurdolya. Hantale. A laitamme le
Allez, je me lance, à l'aide du Dictionnaire d'Edouard (tout récemment acquis, youpi!):
Naanye: je suis
anvoronda: loyal envers
nurdolya: votre ?
Hantale: "thanksgiving"? Mais je crois que tu es plus proche du sens
A laitamme le: Louons vous? ou, plus français: nous vous louons...
Bon, maintenant, j'attends l'avis des (vrais) connaisseurs...
Iarwain
PS: Pour embrayer (tardivement) sur ce que disait Vinyamar ici et surtout dans un autre fuseau (dans la section: Tolkien dans la littérature, si je ne m'abuse): c'est dommage que Tolkien ne se soit pas inspiré de la mythologie grecque, étant donné que c'est celle que je connais (et apprécie) le mieux...
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Iarwain, moi aussi je connais mieux la mythologie grecque (comme tous les français, je suppose), mais entre nous je truve quand même la mythologie scandinave plus complxe, les personnages m'ont l'air plus torturés entre le bien et le mal.
J'aime bien les symboles de la mythologie grecque, et c'est à peu près tout (ah non, il y a Troie et Ulysse quand même), car pour le reste, les deiux sont trop humains pour être intéressant, et elle manque beaucoup de sagesse.
Les rapport de sosryko me prouvent que les scandinaves savaient faire plus réfléchi (même si je ne nie pas que les éléments mythologique de l'Odyssée par exempel soient révélateurs de beaucoup de réalités crues à l'époque sur l'homme et la mer.
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Je ne trouve pas que la mythologie scandinave soit plus complexe que la mythologie grecque : ce serait trop rapidement oublier l'apport non seulement d'Homère mais de tout le théâtre greco-romain; à mon avis, pas grand chose en mythologie ne surpasse en profondeur psychologique un Prométhée Enchainé d'Eschyle ou bien le théâtre de Sénèque. Mais nous avons un telle familiarité avec ce monde divin (encore que...) que la mythologie scandinave lorsqu'on la découvre, à la fois si proche (structure indo-européenne oblige) et à la fois si différente et brutale, nous semble une véritable bouffée d'air frais.
Sosryko
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M'en allant demain...heu...tout à l'heure... en vacances sur Toulouse, je n'aurais pas autant d'occasions de participer au forum.
Mais je ne voulais pas partir sans poster l'avant dernière partie de ette recherche sur le chapitre 5 de Bilbo le Hobbit, essentiellement parce qu'elle nous ramène au sujet même.
Si je ne peux pas emporter mes livres, je pourrai passer, alors n'hésitez pas à me faire part de vos remarques ;-)
à très bientôt.
Sosryko
VII - Genèse d'un chapitre : Bilbo et Gollum (2)
1) La version primitive d'Énigmes dans l'Obscurité (1937 : Bilbo le Hobbit I)
Nous avons vu que la chapitre V de Bilbo le Hobbit original a dû faire place, suite à un exercice de ‘ré-écriture’, à une seconde et différente version qui est finalement devenue la version définitive.
Les textes que nous venons de présenter et de résumer, qui étaient, tous ou dans leur majorité, connus de Tolkien, ont bien dû l'inspirer le professeur dès sa rédaction première de Énigmes dans l'Obscurité. Cette première version ne nous est pas accessible, malheureusement, mis à part l'extrait publié dans la note pré-citée de Letters et quelques textes des volumes de History of Middle Earth (HoME). Mais ce sera bien suffisant.
Dans HoME VI [33] nous découvrons une version primitive du début du Seigneur des Anneaux (= SdA); il s'agit d'une conversation entre Gandalf et Bingo qui deviendra, en fin de compte, celle entre Gandalf et Frodo dans L'Ombre du Passé, second chapitre du premier livre du SdA. Gandalf décrit à Frodo le personnage complexe de Gollum, son origine, l'influence qu'il subit de la part de l'Anneau et, sentiment qui n'apparaît pas dans la version finale, son désir de s'en séparer en le donnant à une autre personne [VI, p.79-80] :
" Bien entendu, c'est une longue mais misérable vie que l'Anneau procure, une vie plutôt étriquée qu'une croissance continue - de celle qui s'amenuise et s'amenuise encore. Affreusement fatigante, Bingo, pour tout dire, qui finit par devenir une torture. Il avait même décidé de s'en débarrasser. Mais il était trop plein de malice. Si tu veux savoir, je crois qu'il avait envisagé un plan mais qu'il n'avait plus le courage de l'exécuter. Il n'y avait rien de nouveau à découvrir; rien que les ténèbres, rien à faire que de manger froid et se souvenir avec regrets. Il voulait s'en aller et laisser ces montagnes, sentir le plein air quand bien même cela l'eut-il tué - et il pensait que ce serait probablement le cas. Mais cela aurait signifié laisser l'Anneau. Et ce n'est pas chose facile à faire. Plus tu possèdes un [anneau] depuis longtemps et plus il t'est difficile [de t'en séparer]. Et la difficulté était particulièrement importante pour Gollum, puisqu'il possédait l'Anneau depuis des siècles, cela le blessait et il détestait ça, et il voulait, alors qu'il ne pouvait plus supporter de le garder, le transmettre à quelqu'un d'autre pour qui l'Anneau deviendrait un fardeau […] C'est en fait la meilleure manière de se débarrasser de son pouvoir. "
Avant de donner naissance à L'Ombre du Passé, ce texte a été retravaillé pour devenir II : Histoire Antique. Gandalf de préciser alors [VI, p.262]:
" J'imagine qu'il [Gollum] utilisait le Jeu d'Énigmes (auquel même Gollum osait à peine tricher, tant ce jeu est sacré et remonte à la plus haute antiquité) comme une sorte de pile ou face pour décider à sa place. "
Bien sûr, cette description donnée par Gandalf est une relecture de la part de Tolkien de la première version d'Énigmes dans l'Obscurité destinée à établir une succession logique aux événements qui sont censés commencer dans Bilbo le Hobbit et se poursuivre dans le Seigneur des Anneaux. Nous sommes en juillet 1947 et Tolkien reconnaît, dans une lettre destinée à Stanley Unwin, son éditeur, qu'il exécute une véritable gymnastique pour créer ce lien entre les deux œuvres (L109 [1, p.121]) :
Rayner [fils d'Unwin, premier lecteur de Tolkien depuis Bilbo le Hobbit, qui avait envoyé à Tolkien des commentaires suite à la lecture des premiers chapitres du SdA] a, bien évidemment, mis en évidence une faiblesse (inévitable) : le lien [entre Bilbo et le SdA]. Je suis heureux qu'il trouve que ce lien a dans l'ensemble été convenablement justifié. C'est ce qui pouvait être espéré de mieux. J'ai fait du mieux que j'ai pu, puisque je devais conserver les hobbits (que j'aime), et je dois encore conserver une trace de Bilbo par égard pour le bon vieux temps. Mais je ne me sens pas inquiet par la découverte que l'anneau était plus important qu'il ne le paraissait; c'est juste la [meilleure] solution parmi toutes les solutions de facilité. De même ce ne sont pas les actions de Bilbo, je pense, qui réclament des explications. La faiblesse, c'est Gollum, et son geste lorsqu'il offre l'anneau en tant que cadeau.
[…] Un moyen approprié de contourner la difficulté serait de légèrement remodeler l'histoire primitive au niveau du chapitre V. Ce n'est pas une idée réaliste […]
Et de rajouter en post scriptum [1, p.123] :
Concernant la révision et la correction de Bilbo le Hobbit. Toute modification de quelque manière radicale que ce soit est, bien entendu, impossible, et inutile.
L'envoi de cette lettre ayant été retardé, Tolkien l'enverra avec une autre destinée au même Stanley Unwin, le 21 septembre 1947 (L111 [1, p.124] ):
Avec elle [L109] je renvoie les commentaires de Rayner; également quelques notes sur Bilbo le Hobbit; et (pour votre éventuel amusement et celui de Rayner) un exemple de ré-écriture du Chapitre V de cette œuvre qui simplifierait, bien que sans nécessairement l'améliorer, ma tâche actuelle.
Nous avons là la preuve que la notion de prix matériel (l'Anneau) donné au visiteur (Bilbo) par l'hôte (Gollum) s'il gagnait le concours d'énigmes était une notion de base que Tolkien a longtemps voulu conserver et utiliser. Cette première version du Hobbit, Christopher Tolkien nous en donne un extrait pour commenter le texte que nous venons de rencontrer [VI, p.86] (c'est moi qui souligne):
Il est important de comprendre que lorsque mon père écrit cela, il travaillait à partir des contraintes de l'histoire telle qu'elle était à l'origine racontée dans
Bilbo Le Hobbit. Lorsque Bilbo le Hobbit parut pour la première fois, et jusqu'en 1951, l'histoire montrait Gollum, rencontrant Bilbo au bord d'un lac souterrain, qui proposait le jeu d'énigmes sous les conditions suivantes :" Ssi le trésor demande, et que ça ne répond pas, nous le mangeons, mon trésor. Si ça nous demande, et que nous ne répondons pas, nous donnons un cadeau, gollum! "
Une fois que Bilbo eut gagné le concours, Gollum tint sa promesse, revint, dans son bateau, à son île au milieu du lac pour trouver son trésor, l'anneau qui devait être la récompense de Bilbo. Il ne put le trouver, puisque Bilbo l'avait dans sa poche, et, revenant vers Bilbo, lui demanda pardon à de nombreuses reprises:
‘Il n'arrêtait pas de dire : " Nous sssommes désolés ; nous ne voulions pas tricher, nous voulions le donner notre sseul cadeau, ss'il gagnait le tournoi. "’
[[1, 442] précise : Il proposa même d'attraper pour Bilbo un bon gros poisson juteux à manger en guise de consolation]
‘ " Ce n'est pas grave " dit [Bilbo]. " L'anneau aurait été à moi maintenant, si vous l'aviez trouvé; donc vous l'auriez perdu de toutes façons. Aussi vous laisserai-je à une condition. " " Oui, laquelle est-cce? Qu'est-ce que cela désire que nous fasssions, mon trésor? " " Aidez -moi à sortir de ces lieux ", dit Bilbo.’Et Gollum de faire ainsi.
2) La seconde version d'Énigmes dans l'Obscurité (1947 : Bilbo le Hobbit II)
Il s'agit de l’‘exemple de ré-écriture’ proposé en septembre 1947 mais auquel les éditeurs n'avait pas donné suite jusqu'en …août 1950. Tolkien a alors la (désagréable) surprise de découvrir que cette version alternative est celle qui a été choisie pour l'édition revue et corrigée (L128 [1, p.141]):
Bilbo le Hobbit : je retourne ci-joint les épreuves. Elles ne réclamaient pas de grandes corrections, mais nécessitaient une grande attention. L'objet m'a grandement surpris. Cela fait longtemps maintenant que j'envoyai une proposition de modification du Chapitre V, et suggérai le léger remaniement du premier Bilbo le Hobbit. J'étais alors encore occupé à essayer de mettre en place la suite, tâche qui aurait été plus simple avec la modification, évitant par ailleurs la plus grande partie d'un chapitre dans ce déjà trop long travail [34]. Pourtant, je n'en ai jamais plus entendu parler depuis lors ; et je supposai que la modification du livre original avait été rejetée. La suite actuellement dépend de la première version ; et si l'édition révisée est vraiment publiée, il devra s'ensuivre un considérable travail de ré-écriture de la suite.
Je dois dire que j'aurais aimé avoir été prévenu que (…) ces changements pouvaient être faits avant qu'ils ne me surprennent dans les pages des épreuves. Toutefois, j'ai maintenant décidé d'accepter le changement et ses conséquences. La chose est désormais assez vielle pour que je puisse prendre une décision plutôt impartiale, et il me semble que la version révisée est meilleure, dans son mobile et sa narration - et assurément elle rendrait la suite (si jamais elle est publiée) bien plus naturelle.
Je ne voulais pas que la version [alternative] proposée soit publiée ; mais ça semble s'être plutôt bien arrangé.
Cette version est donc très importante pour le personnage ‘canonique’ de Gollum et les fondements de l'action du Seigneur des Anneaux en général. Elle n'en est pas moins intéressante pour nous, car si elle abandonne un point caractérisant les joutes par énigmes mythologiques (le prix matériel), elle en introduit un autre!
Le prix matériel (l'Anneau) est définitivement remplacé par le prix 'intellectuel' (la connaissance du chemin menant à la sortie). Ce lot de ‘consolation’ de la première version devient la seule récompense que propose Gollum à Bilbo s'il gagne le concours d'énigmes.
La grande différence vient du comportement de Gollum après sa défaite : alors que dans la version primitive il reconnaît sa défaite et mène Bilbo vers la sortie sans problèmes; dans la version définitive, Gollum refuse de s'avouer vaincu par plus astucieux que lui et surtout de voir s'envoler un si bon repas; il envisage donc sans grande difficulté de tuer Bilbo…en utilisant l'Anneau. C'est ce qu'écrit Christopher Tolkien dans HoME VII, p.39 [35] :
Dans la version définitive d’‘Énigmes dans l'Obscurité’ de Bilbo le Hobbit, il n'était pas question que Gollum donne l'Anneau, bien entendu : le prix de Bilbo s'il gagnait la compétition était de se voir indiquer le chemin de la sortie, et Gollum ne revint à son île pour prendre l'Anneau que pour pouvoir attaquer Bilbo en étant invisible.
Bibliographie et notes :
[33] The History of Middle Earth, VI, The Return of the Shadow, Christopher Tolkien, 1994 HarperCollins Publishers.
[34] Tolkien fait référence à L'Ombre du Passé; L131 [1, p.161] (14.09.1950) : "Une légère révision (maintenant réalisée) d'un point capital dans Bilbo le Hobbit, clarifiant le caractère de Gollum et sa relation à l'Anneau, me permettra de réduire Livre I Chapitre II ‘L'Ombre du Passé’, de le simplifier, et de l'accélérer - et également de simplifier un peu l'ouverture critiquable du Livre II."
[35] The History of Middle Earth, VII, The Treason of Isengard, Christopher Tolkien, 1993 HarperCollins Publishers.
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Comme tu t'en doutes, j'aurais bien quelques observations à faire sur la traduction que tu propose des extraits des Letters et de HoME (enfin, surtout le premier extrait), mais elles portent davantage sur des détails que sur la compréhension globale du texte anglais, que tu rends dans l'ensemble avec les nuances nécessaires (zut alors, j'ai l'impression de parler comme ma prof d'anglais, là...mais on n'est pas en cours de version, quand même); considère cela davantage comme des suggestions que comme des corrections... (d'ailleurs, je ne critique nullement le fonds de ton exposé)
>Mais il était trop plein de malice
L'anglais "malice" a un sens plus fort que le mot français; dans cette situation, je verrais bien "malignité"...
>Plus tu possèdes un [anneau] depuis longtemps et plus il t'est difficile [de t'en séparer].
je pense qu'ici le pronom "you" a une valeur générale et qu'il vaut mieux le traduire par "on".
>cela le blessait et il détestait ça
je pense que "it" désigne ici l'Anneau, comme dans la suite du texte.
>II : Histoire Antique
A mon avis, il vaudrait mieux traduire "ancient" par "ancien", tout simplement (il ne s'est pas écoulé tellement de temps entre la découverte de l'Anneau par Bilbo et la situation actuelle...)
>enfin, je trouve le tutoiement de Bingo par Gandalf un peu bizarre...(mais c'est peut-être l'influence de la traduction de Ledoux)
Pour le reste j'ai peu de choses à remarquer qui soient de l'ordre de la compréhension des textes (il s'agit plutôt de traductions 'parallèles' ou de variantes de ma part)
Encore une fois, j'ai bien sûr conscience du fait que la critique est plus aisée de mon point de vue extérieur (et d'ailleurs, mes propres traductions, quand je les propose, sont également loin d'être parfaites...); mais je constate avec plaisir que tu as pris du temps pour peaufiner des détails qui apparaissent à la lecture du texte original.
Iarwain
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Je vois que tu prends des pincettes pour ne point me vexer ;-)
mais je suis d'accord avec tes propositions! et en tiendrai compte pour la version définitive.
on a beau vouloir traduire avec fidélité, il manque toujours un peu de recul (mais aussi de pratique et de qualification!), aussi les avis exterieurs sont essentiels pour améliorer le tout. Ce forum est idéal pour cela, véritable lieu de travail vivant et intéractif.
Pour le dernier point de vocabulaire, j'hésite encore, car ce qui m'a initialement fait choisir c'est que ce chapitre ne se contente pas de raconter la rencontre de Bilbo et de Gollum : en réalité son objet est de raconté l'histoire de l'anneau depuis sa création, relevant ensuite sur les 500 ans de solitude de Gollum avant sa rencontre avec Bilbo...tu conviendras qu'on passe alors de l''ancien' à l'antique' dans ce cas ;-)
Quant au tutoiement, je l'ai choisi volontairement pour trancher avec le ton poli de Gandalf version Ledoux que je ne trouve pas en accord avec sa personnalité de grand Sage au tempérament parfois sanguin (cf. p.ex. son énervement devant la porte de la Moria). Je l'imagine tutoyer les autres en qualité de Maître et, par déférence, être vouvoyé par ceux-ci. Après tout Bingo est censé être le fils/cousin de Bilbo, deux hobbits qu'il connaît si bien; le ton ne devrait pas choquer.
Iarwain, à nouveau merci!
Sosryko
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Je met mon grain de sel :-))
Je trouve que le vouvoiement est l'attitude la plus probable chez tous les personnages de Tolkien sauf les hobbits. Cela se sent dans leur langage, et leur classe, leur dignité. Les professeurs qui vouvoient leurs élèves m'ont toujorus parus plus respectables que les autres.
Mais quand on sait la place du respect et du châtiement de la langue chez Tolkien, je trouve vraiment que le vouvoyement s'impose, même entre un sage et un bête hobbit. Là dessus, bon point pour Ledoux.
(maintenant, Gandalf étant un ange, on pourrait accepter qu'il tutoie tout le monde, et les appelle par leur prénom. Mais...) :-)
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Sosryko>Pour le dernier point de vocabulaire, j'hésite encore, car ce qui m'a initialement fait choisir c'est que ce chapitre ne se contente pas de raconter la rencontre de Bilbo et de Gollum : en réalité son objet est de raconté l'histoire de l'anneau depuis sa création, relevant ensuite sur les 500 ans de solitude de Gollum avant sa rencontre avec Bilbo...tu conviendras qu'on passe alors de l''ancien' à l'antique' dans ce cas ;-)
D'un autre côté, l'histoire ancienne est bien, au moins dans l'université française, l'histoire de l'Antiquité (mais j'admets que les deux peuvent se dire).
Pour la question du vouvoiement/tutoiement, je suis plutôt de l'avis de Vinyamar.
Iarwain
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Cette première version ne nous est pas accessible, malheureusement
Allons, allons, il ne faut pas désespérer: la preuve, c'est que j'ai bel et bien pu consulter The Annotated Hobbit à la B.N. ce matin...
En ce qui concerne les différences entre la première édition et les suivantes, en fait, elles sont plutôt minimes jusqu'à la fin du duel d'énigmes entre Bilbo et Gollum; Douglas Anderson présente d'ailleurs l'intégralité des variantes en Appendice, ce qui permet de constater, entre autres, que les premiers chapitres ont fait l'objet d'un sérieux "toilettage" en 1966...Pour en revenir à nos moutons, voici (en exclusivité pour jrrvf!) les premières lignes de la version de 1937 du chapitre V, là où elle commence à s'écarter du texte ultérieur (comme le texte est assez long, et que tu en as déjà donné un bon aperçu, je mle contenterai de celà) :
[and held out his little sword.] But funnily enough he need not have been alarmed. For one thing Gollum had learned long long ago was never, never to cheat at the riddle-game, which is a sacred one and of immense antiquity. Also there was the sword. He simply sat and whispered.
[et tendit devant lui sa petite épée.] Mais assez bizarrement, il n'y avait pas lieu pour lui de s'inquiéter. Car s'il y avait bien une chose que Gollum avait apprise il y a très très longtemps, c'était à ne jamais, au grand jamais tricher au jeu des énigmes, qui est sacré et remonte à la plus haute antiquité. Et puis, il y avait aussi l'épée. Tout ce qu'il fit fut s'asseoir et se mettre à murmurer.
“What about the present?” asked Bilbo, not that he cared very much, still he felt that he had won it, pretty fairly, and in very difficult circumstances too.
« Eh bien, et mon cadeau ? » demanda Bilbo, non pas qu'il s'en souciât beaucoup, mais tout de même, il sentait qu'il l'avait gagné sans tellement tricher, compte tenu de circonstances particulièrement difficiles.
“Must we give the thing, precious? Yess, we must! We must fetch it, precious, and give it the present we promised.”
« Est-ce qu'on doit lui donner la chose, mon trésssor? Oh oui, il le faut! On doit aller le chercher, mon trésor, et lui donner le cadeau qu'on a promis. »
Par ailleurs (last but not least...), Anderson donne aussi en note l'origine précise de certaines des énigmes de Bilbo et de Gollum (que je vais m'empresser de mettre en ligne dès que j'aurai fini de les traduire -si ça intéresse quelqu'un, évidemment...mais je suis sûr que c'est le cas)
Iarwain
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Iarwain, tu n'es pas obligé de te fatiguer autant, Cédric m'a transmis les notes d'Anderson!
...enfin, si tu veux les traduire, je reste entièrement preneur (n'ayant que la VO) !! ;-))) (car je n'avais pas l'intention de les traduire)
mais pourras-tu attendre un tout petit peu avant de les mettre en ligne?
(histoire de ne pas enlever trop de saveur à ce qu'il me reste à mettre en ligne de mon côté, à savoir, le VIII : mise en parallèle des textes)
Sosryko
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Pas de problème, Sosryko, je ne voulais pas te brûler la politesse si tu avais l'intention d'en parler prochainement (quant à la traduction, je me tiens à ta disposition...)
Juste une note, un peu hors-sujet mais que je trouve amusante: "Constance B. Hieatt a noté que le vieux norrois gull/goll, dont une forme infléchie serait gollum, signifie 'or, trésor, quelque chose de précieux' et peut aussi signifier 'anneau'; un élément auquel Tolkien a pu réfléchir." (The Annotated Hobbit, p.83).
Iarwain
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Où l’on complète le VII-2) avec un texte de Tolkien obtenu de manière non orthodoxe et où on propose un système de référence des énigmes (e/E) et des réponses (r/R) entre Bilbo (B) et Gollum (G) qui devrait être utile par la suite.
(Craignant de faire des bêtises en l’absence de Cédric, j’ai abandonné le joli tableau de mon document de travail et vous présente ces énigmes dans le corps du texte ; ça prend plus de place, mais c’est plus sûr…)
Du coup, Iarwain, si tu veux toujours traduire, je suis toujours preneur ;-)
Je préfèrerais que tu m'envoies les traductions par mail pour que je les intègre à mon article aux endroits prévus, mais si tu préfères les poster, ce que je comprends, il me semble que maintenant tu peux les intégrer au fuseau sans problème.
Sinon, vivement que la prochaine édition de Annotated Hobbit sorte car ça a l'air d'être une mine! (très très belle découverte que l'étymologie probable de Gollum!!!)
Tolkien, dans son désir de créer un monde cohérent, eut l’idée géniale d’un univers accessible grâce à des sources multiples dont les contradictions trouvaient leur explication dans le fait qu’elles étaient originaires de rédacteurs différents, traduisant donc des points de vue différents, chargés de subjectivité mais également plus ou moins honnêtes. Grâce à cet artifice, la version primitive de Bilbo le Hobbit n’est pas devenue obsolète : l’édition de 1937 correspondait à la version de Bilbo, un Bilbo corrompu par l’Anneau, alors que celle de 1951 rétablissait la vérité à partir des aveux de Bilbo, un Bilbo repentant (cf. le Conseil d’Elrond). C’est ainsi que Tolkien présente la modification radicale dans la préface à l’édition révisée de Bilbo le Hobbit en 1951 [36]:
Dans cette ré-édition, plusieurs erreurs mineures, pour la plupart relevées par des lecteurs, ont été corrigées. Par exemple, le texte des pages 32 e 62 correspond désormais exactement aux runes de la carte de Thror. Plus important est la cas du cinquième chapitre. La véritable histoire de la fin du Jeu d’Énigmes, comme elle fut en fin de compte révélée (sous la pression) par Bilbo à Gandalf, s’y trouve présentée d’après le Livre Rouge, à la place de la version que Bilbo donna tout d’abord à ses amis et qu’il fixa en fait par écrit dans son journal. Cet entorse à la vérité de la part d’un hobbit des plus honnêtes fut un avertissement de grande importance. Toutefois, ceci ne concerne pas le présent récit, aussi, ceux qui, par cette édition, découvrent pour la première fois le mensonge du hobbit n’ont pas besoin d’autres détails. Son explication se trouve dans l’histoire de l’Anneau telle qu’elle fut fixée dans les chroniques du Livre Rouge de la Marche de l’Ouest, et telle qu’elle est désormais rapportée dans Le Seigneur des Anneaux. [37]
3) Tableau des énigmes entre Bilbo et Gollum
E1 (eG1)
What has roots as nobody sees,
Is taller than trees,
Up, up it goes,
And yet never grows?
Qu’est-ce qui a des racines que personne ne voit,
Qui est plus grand que les arbres,
Qui monte, qui monte,
Et pourtant ne pousse jamais.
R1 (rB1) Mountain, I suppose
(Une montagne)
E2 (eB1)
Thirty white horses on a red hill,
First they champ,
Then they stamp,
Then they stand still.
Trente chevaux sur une colline rouge ;
D’abord ils mâchonnent,
Puis ils frappent leur marque,
Ensuite ils restent immobiles.
R2 (rG1) Teeth! teeth!
(Les dents ! les dents !)
E3 (eG2)
Voiceless it cries,
Wingless flutters,
Toothless bites,
Mouthless mutters.
Sans voix, il crie ;
Sans ailes, il voltige ;
Sans dents, il mord ;
Sans bouche, il murmure.
R3 (rB2) Wind, wind of course
(Le vent, le vent, naturellement)
E4 (eB2)
An eye in a blue face
Saw an eye in a green face.
"That eye is like to this eye"
Said the first eye,
"But in low place,
Not in high place."
Un œil dans un visage bleu
Vit un œil dans un visage vert.
" Cet œil-là ressemble à cet œil-ci,
dit le premier œil,
mais en un lieu bas,
non pas en un lieu haut. "
R4 (rG2) Sun on the daisies
(Le soleil sur les marguerites)
E5 (eG3)
It cannot be seen, cannot be felt, Cannot be heard, cannot be smelt.
It lies behind stars and under hills,
And empty holes it fills.
It comes first and follows after,
Ends life, kills laughter.
On ne peut la voir, on ne peut la sentir,
On ne peut l’entendre, on ne peut la respirer.
Elle s’étend derrière les étoiles et sous les collines.
Elle remplit les trous vides.
Elle vient d’abord et suit après.
Elle termine la vie, tue le rire.
R5 (rB3) Dark! (L’obscurité !)
E6 (eB3)
A box without hinges, key, or lid,
Yet golden treasure inside is hid
Une boîte sans charnière, sans clef, sans couvercle :
Pourtant à l’intérieur est caché un trésor doré
R6 (rG3) "Eggses!" he hissed. "Eggses it is!"
(" Des œufs ! siffla-t-il. Des œufs, que c’est ! ")
E7 (eG4)
A live without breath,
As cold as death;
Never thirsty, ever drinking,
All in mail never clinking.
Vivant sans souffle,
Froid comme la mort,
Jamais assoiffé, toujours buvant,
En cotte de maille, jamais cliquettant.
R7 (rB4) "Fish! Fish!" he cried. "It is fish!"
(Un poisson ! un poisson ! cria-t-il. C’est un poisson !)
E8 (eB4)
No-legs lay on one-leg, two-legs sat near on three-legs, four-legs got some.
Sans-jambes repose sur une-jambe, deux-jambes s’assirent sur trois-jambes, quatre-jambes en eut un peu.
R8 (rG4) Fish on a little table, man at table sitting on a stool, the cat has the bones.
(Du poisson sur un guéridon, un homme à côté assis sur un tabouret, le chat reçoit les arêtes.)
E9 (eG5)
This thing all things devours:
Birds, beasts, trees, flowers;
Gnaws iron, bites steel;
Grinds hard stones to meal;
Slays king, ruins town,
And beats high mountain down.
Cette chose toutes choses dévore :
Oiseaux, bêtes, arbres, fleurs ;
Elle ronge le fer, mord l’acier ;
Réduit les dures pierres en poudres ;
Met à mort les rois, détruit les villes
Et rabat les hautes montagnes.
R9 (rB5) [squeal] Time! Time!
([cri perçant] Le temps ! le temps !)
E10 (eB5)
(a) What have I got in my pocket?
(b) what it's got in its nassty little pocketses?
(c) What have I got in my pocket?
(a) Qu’ai-je dans ma poche ?
(b) ce que ç-ça a dans ses s-sales petites poches ?
(c) Qu’ai-je dans ma poche ?
R10 (rG5)
(a) Handses! (des mains !)
(b) Knife! (un couteau !)
(c1-2) String, or nothing! (une ficelle, ou rien !)
Bibliographie et notes :
[36] ‘In this reprint several minor inaccuracies, most of them noted by readers, have been corrected. For example, the text on pages 32 and 62 now corresponds exactly with the runes on Thror's Map. More important is the matter of Chapter Five. There the true story of the ending of the Riddle Game, as it was eventually revealed (under pressure) by Bilbo to Gandalf, is now given according to the Red Book, in place of the version Bilbo first gave to his friends, and actually set down in his diary. This departure from truth on the part of a most honest hobbit was a portent of great significance. It does not, however, concern the present story, and those who in this edition make their first acquaintance with hobbit-lore <u>need not troupe about it</u>. Its explanation lies in the history of the Ring, as it was set out in the chronicles of the Red Book of Westmarch, and is now told in The Lord of the Rings’
J’ai trouve cette préface en téléchargeant le texte anglais de Bilbo le Hobbit trouvé en ligne (…je sais, je sais…). Je n’ai donc aucune preuve ‘matérielle’ certaine qu’il s’agit de la préface de l’édition de 1951. Toutefois,
1) il est certain que ce texte est de Tolkien : il suffit de remarquer pour cela le ton sobre, le vocabulaire (‘hobbit-lore’), les tournures, ou mieux, les parenthèses caractéristiques de l’auteur;
2) ‘this reprint’ semble faire référence à la toute première ré-édition ; on attendrait ‘revised’ pour une seconde ré-édition révisée (comme celle de 1966) ; de plus le ton justificatif de Tolkien dans ce passage correspond très bien avec celui dont il use en 1950 dans L128 citée en VII-2) (‘Je ne voulais pas que la version [alternative] proposée soit publiée ; mais ça semble s'être plutôt bien arrangé’).
Je profite aussi de cette note pour préciser que j’ai traduit ‘au feeling’ la partie soulignée (je n’ai pas de dictionnaire, ici…); il faudra donc certainement la revoir…Iarwain stp? ;-)
Toujours pour les problèmes de traduction, je ne me souviens plus si ‘Westmarch’ se traduit ‘Marche de l’Ouest’ (je n’ai pas mon SdA, ici…je voyage décidément léger ;-))
[37] Il est bien regrettable que cette préface ait été abandonnée dans les éditions ultérieures pour être remplacée dans les plus récentes (cf. HarperCollins : 1995 pour le hardcover et 1999 pour le payperback) par la note de Douglas A. Anderson datée de 07.12.94 suivante :
‘Bilbo le Hobbit fut publié pour la première fois en septembre 1937. En 1951, sa seconde édition (et sa cinquième réimpression) contient une importante portion révisée du chapitre V, Énigmes dans l’Obscurité, révision effectuée pour rendre l’action de Bilbo le Hobbit plus cohérente avec celle de sa suite, Le Seigneur des Anneaux, alors à l’ébauche. Tolkien fit quelques révisions supplémentaires pour l’édition américaine publiée par Ballantine Books en février 1966, ainsi que pour l’édition anglaise brochée publiée par George Allen & Unwin plus tard dans la même année.’
Je ne vois pas en quoi ces remarques ‘externalistes’ sont plus intéressantes pour le lecteur désireux d’imaginaire qui découvre Bilbo le Hobbit que la préface résolument ‘internaliste’ de Tolkien, Tolkien qui justifiait ainsi, dans l’univers qu’il s’était créé, la présence de deux comptes-rendus distincts de quelques détails, mais de quelle importance ! :-(
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grrr...
voilà la partie qui aurait dû être soulignée dans la note [36] et que je ne sais pas comment traduire : (...)make their first acquaintance with hobbit-lore need not troupe about it
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Sosryko,
Pour le passage souligné, je crois qu'il s'agit d'une faute de frappe ou quelque chose dans le même genre, car la phrase n'a pas grand sens; pour ma part, je suggérerais la correction par trouble qui a le mérite d'être assez proche du mot qu'il remplace, tout en ayant un sens plus satisfaisant: "[les gens] n'ont pas besoin de s'en soucier." (par exemple)
Mais je reviens sur ta traduction de hobbit-lore (qui est effectivement, comme tu le fais remarquer, un terme typiquement tolkiennien); il m'apparaît plus approprié de le traduire par: "les traditions hobbites"...
Iarwain
PS: par ailleurs, je crois qu'il serait préférable (par souci de cohérence) que je t'envoie ma traduction pour tu la places en regard du texte original (en fait, dès que j'aurai réglé mes problèmes d'e-mail)
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(Suite du post du 18/04/2002 03:29)
Quelques remarques sur la traduction de Ledoux :
Ledoux a oublié l'adjectif 'blancs' caractérisant les chevaux ; vu qu'ils sont l'image des dents, c'est un peu gênant...
Il néglige le pluriel de 'charnières' en E6 - ce qui peut se comprendre puisqu'elles sont absentes de la 'boite', le respecte au début de E9 ('Oiseaux, bêtes, arbres, fleurs', 'pierres') mais l'impose à la fin ('les rois', 'les villes', 'les hautes montagnes') - par souci d'unifier la strophe (?) mais c'est au détriment du style de l'original.
Enfin, il néglige la répétition des 'trois essais' dans rG5.
Complément pour (R10) : entre (a) et (b), Gollum envisage les réponses suivantes sans les présenter à Bilbo :
Des arêtes, des dents de gobelins, des coquillages humides, un bout d'aile de chauve-souris, une pierre aiguë pour aiguiser ses crocs, et autres vilaines choses.
[Bilbo le Hobbit, p.86]
Remarquons les 'dents de gobelins' sur lesquelles nous reviendrons pas la suite (cf. IX).
VIII - Mise en parallèle des textes
1) Tableaux comparatifs entre Bilbo le Hobbit et les joutes oratoires nordiques
J'ai dû adapter (simplifier) le tableau pour le poster ; entre autre utiliser des abréviations dont voici la liste :
Bilbo I =première version d'Énigmes dans l'Obscurité (1937)
Bilbo II = version révisée d'Énigmes dans l'Obscurité (1947-51)
Gylf. = Dits de Gylfi
Fjölsv. = Dits de Fjölsvinnr / Fjölsvinnr
Vafth = Dits de Vafthrúdhnir / Vafthrúdhnir
Alv. = Dits d'Alvíss
Heid = Énigmes de Gestumblindi
KIII = Kalevala III
Q/R = Questions-réponses de connaissance
Énigm = Énigmes
Récp = Réciprocité, 'symétrie' dans la joute
Visit = Visiteur
Enjeu = Mise en jeu apportée par l'arrivant (Enjeu vital)
Prix = Prix possédé par l'hôte (Enjeu non vital)
Ruse = Ruse finale du visiteur pour la possession du prix. Il s'agit d'une question 'impossible' (cf. suite) à l'exception des Fjöl (où la ruse est la révélation de l'identité véritable du visiteur).
Pseud = Ruse initiale : pseudonymie du visiteur.
Traîtr. = Traîtrise de l'hôte qui refuse de perdre.
Bilbo I | Bilbo II | Gylf. | Fjölsv. | Alv. | Vafth. | Heid | KIII. | |
Q/R | - | - | X | X | X | X | - | X |
Énigm | X | X | - | - | - | - | X | - |
Récp | X | X | - | - | - | X | - | - |
Visit | Bilbo | Bilbo | Gylfi | Svipdagr | Alvíss | Odin | Odin | Jouk. |
Enjeu | Vie | Vie | Vie | ? | Vie (perdue) | Vie | Vie | Vie (lutte) |
Prix | Anneau | Sortie | Savoir | Fiancée | Fiancée | Savoir | Paix | Renom |
Hôte | Gollum | Gollum | 3 Ases | Fjöls. | Thórr | Vafth. | Heidrek | Väino |
Ruse | X | X | - | X | - | X | X | - |
Pseud | - | - | Gangleri | Vindkaldr | - | Gagnradr | Gest | - |
Traîtr | - | tentative meurtre | - | - | Aube meutrière | - | tentative meurtre | - |
Le tableau précédant contient neuf entrées (les entrées Visiteur/Hôte n'en constituant qu'une seule). Avec ces seules entrées, on peut comptabiliser les points communs suivants entre les deux versions d'Énigmes dans l'Obscurité :
Bilbo I | 3 | Dits de Gylfi | 3 | Bilbo II |
3 | Dits de Fjölsvinnr | 3 | ||
3 | Dits d'Alvíss | 4 | ||
5 | Dits de Vafthrúdhnir | 4 | ||
4 | Énigmes de Gestumblindi | 6 | ||
3 | Kalevala III | 3 |
Ces tableaux parlent d'eux-mêmes serais-je tenté de dire, tant il me semble en avoir déjà trop dit. Leur nombre de points de contact - points qui ne se retrouvent pas pour la majorité dans les autres textes recensés, établit avec force que les textes nordiques ainsi que le texte de Tolkien reposent sur un ou deux schémas narratifs communs.
Mais je voudrais par la suite tout de même développer plusieurs remarques ou explications à la lecture de ce tableau comparatif, revenant sur ces points de contact et apportant des arguments secondaires, certains plus dignes de crédit que d'autres.
Sosryko
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Bilbo le Hobbit étant cité plusieurs fois dans ce qui suit, je voudrais préciser que les références correspondent à l'édition du Livre de Poche n°6615.
De plus, les citations de La Saga d'Heidrekr le Sage correspondent non pas à celles que j'ai utilisées précédemment dans ce fuseau, mais à l'édition de Régis Boyer que j'ai pu consulter (du coup, j'ai révisé la partie concernée, comme vous pourrez le constater si cette recherche qui n'en finit pas se retrouve un jour sous forme d'article)
VIII-2) Étymologies :
(a) Liens supplémentaires entre les textes scandinaves :
Gestumblindi est un nom qu'on fait dériver de Gestr-inn-blindi signifiant "l'Hôte Aveugle" [14.I, p.135]. D'où le nom de Gest l'Aveugle dans le tableau. Il s'agit bien entendu d'une allusion à l'œil unique d'Ódhinn. Le pseudonyme est bien choisi puisque Gestumblindi se révèle être Ódhinn!
L'autre pseudonyme d'Ódhinn, Gagnrádhr signifie 'Celui qui conseille utilement'; mais dans une thula (liste mnémotechnique de noms), ce nom est rendu par Gangrádhr qui signifie à peu près 'Celui qui connaît le chemin' [14.I, p.127] ou encore 'Vagabond' [15, p.516], ce qui correspond très bien à Ódhinn.
Il se trouve que si Gangleri est le pseudonyme pris par Gylfi, il est également un nom d'Ódhinn pouvant signifier 'Celui qui est fatigué de marcher/voyager' [14.I, p.128].
Svipdagr, dans les Dits de Fjölsvinnr, use aussi d'un pseudonyme : Vindkaldr signifiant 'Vent glacé' ou (plutôt) 'Glacé par le vent' [15, p.506]. On comprend la raison de ce choix à la fin du poème lorsque Menglöd, sa promise, l'interroge (Fjöl. 46-47 [15, p.515]) :
" D'où reviens-tu, D'où fis-tu voyage, Comment t'appellent les gens ?[...] "
" Svipdagr, je m'appelle,[...] Je fus chassé par les chemins battus des vents glacés "
(b) Tolkien rejette l'utilisation de la pseudonymie ("Je suis M. Bilbo Baggins", Bilbo le Hobbit, p.80) autant que le motif du personnage qui se déguise pour ne pas être reconnu. Pourtant, c'est un motif classique du conte.
Il se trouve que cet abandon lui sera des plus utiles, a posteriori, pour justifier la découverte de l'Anneau par les sbires du Noir Seigneur au début du Seigneur des Anneaux :
Quant au nom, Bilbo le lui [Gollum] avait stupidement dit lui-même; et après cela, il n'était plus difficile de découvrir son pays, une fois Gollum sorti.
[Gandalf, SdA, I.I.2 L'Ombre du Passé, p.74.]
(c) Mais ça ne veut pas dire qu'il n'ait pas utilisé ces pseudonymes pour les transformer en éléments narratifs :
Il poursuivit ainsi son chemin, descendant toujours ; mais il n'entendait aucun son de quoi que ce fût, hormis de temps à autre le bruissement d'une chauve-souris passant près de ses oreilles, ce qui le fit sursauter au début, mais qui devint trop fréquent par la suite pour qu'il s'en préoccupât. Je ne sais combien de temps il continua ainsi, détestant avancer, mais n'osant s'arrêter ; il continua, continua jusqu'à ce que sa fatigue devînt presque de l'épuisement. Il avait l'impression d'avoir marché jusqu'au lendemain et, par-delà le lendemain, jusqu'aux jours suivants.
[Bilbo le Hobbit, p.77 (Éd. Pocket p.85)]
Autant de termes rappelant Gangrádhr (= celui qui connaît le chemin/Vagabond ), Gangleri (= Celui qui est fatigué de marcher/voyager) ou bien Vindkaldr, le 'vagabond' (cf. Fjöl. 3 [15, p.505]).
Et puis, n'oublions pas que si Gangrádhr signifie "Celui qui connaît le chemin", ce nom pourrait tout à fait être le pseudonyme de Gollum qui est celui qui peut indiquer à Bilbo le chemin de la sortie!
VIII-3) Thème de la réciprocité
(d) L'importance des Dits de Vafthrúdhnir apparaît évidente dans ce tableau non seulement pour la présence de la question 'impossible' mais aussi pour la notion de réciprocité dans le questionnement.
Le parallèle est d'autant plus fort que, dans Bilbo le Hobbit, Gollum ne propose le concours d'énigmes qu'après en avoir posé une première à Bilbo et avoir constaté sa valeur :
Ça devine facilement? Ça doit faire un concours avec nous, mon trésor! Si le trésor demande et que ça ne répond pas, on le mange, mon trésor. Si ça nous demande et qu'on ne réponde pas, alors on fait ce que ça veut, hein? On lui montre comment sortir, oui!
[Bilbo, p.81]
Or, dans les Dits de Vafthrúdhnir, le géant a la même réaction que Gollum : il teste d'abord l'arrivant avant d'officialiser la joute (Vaf. 19 [15, p.19]) :
Savant tu es, hôte, Viens-t'en sur le banc du géant, Et parlons assis ensemble; Nous allons dans la halle Mettre notre tête en gage, Hôte, sur notre sagesse.
Et cette officialisation de la joute s'accompagne de notion de réciprocité : il n'y a qu'à relever le vocabulaire de la première personne du pluriel ('ensemble', 'nous', 'notre tête', 'notre sagesse'). On pourrait dire qu'à la différence de Bilbo, la réciprocité est non seulement dans le questionnement ('notre sagesse') mais également dans l'enjeu vital ('notre tête'). Ce serait oublier que si Bilbo met sa vie en gage au cours de ce Jeu des Énigmes, Gollum risque également la sienne : à plusieurs reprises il est fait mention de l'épée avec laquelle Bilbo tient Gollum à distance :
- Qu'est-ce qu'il a dans ses mains ? dit Gollum, les yeux fixés sur l'épée, qu'il n'aimait pas trop.
- Une épée, une lame qui vient de Gondolin !
[Bilbo le Hobbit, p.80]
Sur quoi, il se mit vivement debout, s'adossa à la paroi la plus proche et tendit devant lui sa petite épée.(...) En tout cas, Gollum ne l'attaqua pas immédiatement. Il voyait l'épée dans la main de Bilbo.
[Bilbo le Hobbit, p.87]
(e) Mais il faut reconnaître que la symétrie n'est pas parfaite entre les Dits de Vafthrúdhnir et le dialogue entre Bilbo et Gollum : dans le premier texte, Ódhinn est d'abord testé, puis c'est le tour de Vafthrúdhnir, avec une nombre de questions bien plus important (16 contre 4) ; alors que Bilbo et Gollum, dans une joute plus équitable, se posent des questions par alternance.
Il y a donc réciprocité parfaite, on pourrait parler de symétrie.
De plus, cette réciprocité/symétrie ne se retrouve pas que dans le questionnement, mais dans la ruse (ou sa tentative) [cf. (l)] et dans le désir de meurtre [cf. (h)].
(f) Alors ? Tolkien qui s'éloigne de ce qui semble être sa source fait-il preuve d'originalité ? Il semble que non, l'imaginaire de l'homme ne faisant bien souvent que se répéter ('il n'y a rien de nouveau sous le soleil' dit le sage et pessimiste Ecclésiaste).
Pour s'en assurer, il nous faut à nouveau remonter le temps pour revenir aux source de l'occident, en Babylonie et en Égypte, vers la fin d'un IVème siècle légendaire avant notre ère.
Légendaire car rapporté par Planudes, un moine byzantin du quatorzième siècle (1260-1330). Il décrit, dans sa Vie d'Esope, la guerre des énigmes entre Nectanebo, roi d'Égypte, et Lycerus, roi de Babylonie. Le roi de Babylone étant toujours vainqueur car le fabuliste Esope faisait partie de sa cour.
Ainsi, un jour, Nectanebo pensa pouvoir surclasser le roi babylonien en lui posant l'énigme suivante :
" Il y a un grand temple soutenu par une seule colonne, et cette colonne est encerclée par douze villes ; chaque ville possède [contre ses murs] trente arc-boutants, et à côté de chacun de ces trente arc-boutants se trouvent deux femmes, l'une blanche et l'autre noire, qui tournent autour à tour de rôle. Dis[-moi] le nom de ce temple. "
La réponse de Lycurus (grâce à Esope !) fut la suivante :
"les temple est le monde, la colonne est l'année, les douze villes sont les mois, les trente arc-boutants sont les jours, les deux femmes sont le jour et la nuit. " [38]
C'est cette tradition que l'on retrouve dans La vie d'Esope le Phrygien rédigée par La Fontaine :
Enfin il se mit en grand crédit près de Lycerus, roi de Babylone. Les rois d'alors s'envoyoient les uns aux autres des problèmes à soudre sur toutes sortes de matières, à condition de se payer une espèce de tribut ou d'amende, selon qu'ils répondroient bien ou mal aux questions proposées: en quoi Lycerus, assisté d'Esope, avoit toujours l'avantage, et se rendoit illustre parmi les autres, soit à résoudre, soit à proposer. [39]
(g) En fait, cette légende d'Ésope est certainement liée à la notice des Antiquités Judaïques (8.5.3) de Flavius Josèphe qui rapporte une joute similaire entre Salomon, roi d'Israël, et Hiram, roi de Tyr, ville côtière phénicienne :
Une fois que Salomon eut accompli tout ceci en l'espace de vingt ans - grâce à Hiram roi de Tyr qui avait fourni énormément d'or et encore plus d'argent pour ces bâtiments, mais également du bois de cèdre et du bois de pin, il récompensa également Hiram par de riches présents; du maïs qu'il lui envoya chaque année, du vin et de l'huile, les principales choses qui lui étaient nécessaires parce qu'il habitait une île, comme nous avons déjà dit. Et en plus de tous ces dons, il lui accorda certaines villes de Galilée (au nombre de vingt) qui s'étendent à proximité de Tyr; villes qu'Hiram alla visiter, mais une fois qu'il les eut vues, il n'aima pas le cadeau, et envoya un mot à Salomon disant qu'il ne voulait pas ces villes dans l'état où elles étaient; et depuis lors ces villes furent appelées la terre de Cabul ; ce nom, interprété dans la langue des Phéniciens, signifie 'ce que ne satisfait pas'. De plus, le roi de Tyr envoya des sophismes et des énoncés énigmatiques à Salomon, et demanda qu'il en donne la solution, et les libère de l'ambiguïté qu'ils contenaient. Il se trouve que Salomon était si plein de sagesse et de discernement qu'aucun de ces problèmes se révéla trop difficile pour lui ; mais il les solutionna tous par ses raisonnements, et découvrit leur signification cachée, et mit tout en évidence.
Menander, parmi ceux qui traduisirent les archives Tyriennes du dialecte des Phéniciens en langue grecque, mentionne également ces deux rois, écrivant ceci : " À la mort d'Abibalus, son fils Hiram reçut son royaume; il avait vécu cinquante trois ans et régné trente quatre. Il éleva une terrasse sur une vaste étendue, et consacra le pilier d'or qui est dans le temple de Jupiter. Il décida également d'abattre des arbres issus de la montagne appelée Liban, pour le toit des temples; et quand il eut détruit les anciens temples, il construisit le temple d'Hercule ainsi que celui d'Astarté; et il inaugura le temple de Hercule au mois de Peritius; il conduisit également une expédition contre les Euchii, ou Titii, qui n'avaient pas payé leur tribut, et une fois qu'il les eut soumis il rentra. Sous [le règne de] ce roi il y avait Abdémon, homme d'un très jeune âge, qui trouvait toutes les solutions des problèmes difficiles que Salomon, roi de Jérusalem, lui demandait [à Hiram] d'expliquer ".
Dius fait également mention de [ce jeune homme], disant la chose suivante : " À la mort d'Abibalus, son fils Hiram régna. Il éleva les parties orientales de la ville encore plus haut, et agrandit la ville elle-même. Il relia également le temple de Jupiter (qui était auparavant isolé) à la ville, en établissant au milieu une terrasse entre eux ; et il la décora avec des offrandes en or. De plus, il alla au Mont Liban, et fit abattre des arbres pour la construction des temples. " Il dit également que Salomon, qui était alors roi de Jérusalem, envoya des énigmes à Hiram, qu'il voulut en recevoir de semblables de sa part, mais que celui qui ne pourrait pas les résoudre devrait payer de l'argent à celui qui les résoudrait, et qu'Hiram accepta les conditions; et comme il ne pouvait pas résoudre les énigmes proposées par Salomon, il paya beaucoup d'argent en gage; mais [Dius dit] qu'ensuite il trouva la solution des énigmes proposées grâce à Abdémon, un homme de Tyr; et qu'Hiram proposa d'autres énigmes, ce qui, lorsque Salomon ne trouvait pas de solution, le [conduisit] à payer en retour beaucoup d'argent à Hiram. Voilà ce que Dius a écrit.[40]
Pour ce qui nous concerne, il peut paraître intéressant que le texte de Josèphe précise qu'Hiram habite une île... tout comme Gollum :
En fait, Gollum vivait sur un îlot de rocher gluant au milieu du lac.(...)
Tout proche se trouvait son île (...)
(...) à présent, il le [l'anneau] dissimulait généralement dans un trou du rocher sur son île, et il retournait constamment le contempler.(...)
Il était sur son île et jouait des pieds et des mains, cherchant et fouillant en vain.
[Bilbo le Hobbit, p.79, 88, 89]
Mais, en réalité, l'important n'est pas tant le thème de l'île que celui du 'centre' allié celui de la 'profondeur', ce qu'on pourrait appeler le 'cœur' des ténèbres.
Il faut se souvenir que Bilbo se trouve sous une montagne, un Bilbo qui suivit un 'tunnel qui continuait à descendre de façon assez constante', qui 'poursuivit ainsi son chemin, descendant toujours' (p.77), avant d'arriver à un lac 'noir et profond' 'au cœur des montagnes', découvrant Gollum 'au plus profond de ces lieux' (p.78), vivant 'tapis là en bas, au centre même de la montagne', 'au milieu du lac' (p.69).
On a donc une description de cercles concentriques qui s'enfoncent vers les profondeurs : la (base de la) montagne, le lac, l'île, le rocher, le creux du rocher, l'anneau.
Et l'anneau, tel un trou noir de qui rien ne peut s'échapper, attire Gollum qui 'retourn[e] constamment le contempler'.
Je doute que ce thème des cercles infernaux ait été inspiré de la seule mention du roi Hiram sur son île...
Aussi, si je suis certain de l'influence des textes nordiques, je suis moins sûr de l'influence de Josèphe, Planudes ou de La Fontaine sur Tolkien. Et quoiqu'il faille reconnaître qu'une partie importante de la structure du dialogue entre Bilbo et Gollum s'y retrouve (réciprocité/symétrie, amende/enjeu), toutes les autres caractéristiques (visiteur/hôte, enjeu vital/prix non vital, question 'impossible') en sont absentes.
Une fusion des sources de la part de Tolkien est toujours possible, mais je pencherais pour une redécouverte d'une trame littéraire parfaitement adaptée à celle d'un conte. [41]
(h) les Dits de Valfthrúdnir sont très importants (seule occurrence de la réciprocité du questionnement dans les textes scandinaves) mais les les Énigmes de Gestumblindi le sont tout autant car c'est le seul texte scandinave mettant en jeu un point essentiel dans Bilbo II : le désir de meurtre et la réciprocité dans ce désir.
Rappelons qu'à la suite de la 'fausse' énigme d'Ódhinn (cf. §VIII.4 suivant) Heidrekr, très mauvais perdant et surtout fou de rage, tente de tuer Ódhinn.. Après la tentative de meurtre d'Ódhinn par Heidrekr avec son épée Tyrfingr, on lit la malédiction pleine de vengeance d'Ódhinn :
Ódhinn dit alors : " Parce que toi, roi Heidrekr, tu m'as attaqué et voulais me tuer, alors que j'étais innocent, les plus vils esclaves te mettront à mort. "
Dans Énigmes dans l'Obscurité, la volonté de Gollum de tuer Bilbo est évidente dès le départ, volonté qui devient obsession lorsqu'il comprend qu'il a été dupé :
Il lui restait encore un ou deux os à ronger, mais il voulait quelque chose de plus moelleux.
" C'est tout à fait sûr, oui, se murmura-t-il. Ça ne nous verra pas, n'est-ce pas, mon trésor ? Non. Ça ne nous verra pas, et sa sale petite épée ne lui servira de rien, oui, parfaitement. "
(...)
On devine, trésor, on devine seulement. On peut pas savoir jusqu'à ce qu'on trouve la s-sale créature et qu'on l'écrase.
[Bilbo le Hobbit, p.89, 92]
Et Bilbo, tout comme Ódhinn, est tenté de se venger :
Il devait se battre. Il devait transpercer cet être répugnant, éteindre ses yeux, le tuer. L'autre voulait le tuer, lui. Non, le combat n'était pas loyal. Il était invisible, à présent. Gollum n'avait pas d'épée. Gollum n'avait pas positivement menacé de le tuer, ni encore tenté de le faire. Et il était misérable, seul, perdu. Une compréhension soudaine, une pitié mêlée d'horreur s'élevèrent dans le cœur de Bilbo (...)
[Bilbo le Hobbit, p.94]
Bilbo est bien naîf (il refuse de croire que Gollum a l'intention de le tuer !) et sensible...Aussi, à la différence d'Ódhinn, il n'use pas de son pouvoir sur son adversaire, ne répond pas à la tentative de meurtre par le meurtre, préférant pardonner Gollum, ou plutôt parvenant à surmonter sa peur.
Un autre point important de contact entre Bilbo II et les Énigmes de Gestumblindi : dans les deux textes c'est l'arrivant, celui qui risque sa vie, celui qui remporte la joute, qui devrait donc avoir la vie sauve que l'on tente de tuer.
Plus accessoirement, nous avons tous également noté la présence et l'importance dans ces deux textes de l'épée possédée par un seul des deux protagonistes, chaque épée possédant un nom qui la personnalise : Tyrfingr pour l'épée du roi Heidrekr et Dard pour l'épée de Gollum (même si cette personnalisation ne deviendra effective qu'à partir du chapitre VIII Mouches et araignées).
Mais ce détail prend son importance lorsqu'on se rend compte qu'il s'ajoute à un autre, toujours commun à Bilbo II et aux Énigmes de Gestumblindi : l'arrivant (Bilbo /Ódhinn) échappe à la tentative de meurtre en volant par-dessus (ou au loin de) l'hôte ; ainsi, dans la Saga de Heidrekr [20, p.59] :
Ódhinn se métamorphosa en faucon et s'envola. et le roi donna un coup dans sa direction, et lui enleva les plumes de la queue.
Et dans Bilbo II [Bilbo le Hobbit, p.95] :
Il sauta tout droit par-dessus la tête de Gollum (...) Gollum se rejeta en arrière et tendit les bras comme le hobbit volait (flew) par-dessus lui, mais trop tard : ses mains se refermèrent sur le vide (...)
Bibliographie et notes :
[38] Enciclopedia Universal Ilustrada, tome 19, 1966 Madrid. Référence anglaise en ligne, ici.
[39] Texte trouvé sur internet.
[40] Traduit de l'anglais d'après la version en ligne accessible ici.
[41] Il existe toutefois un argument mettrait en évidence l'importance du texte de Josèphe par rapport à celui de la légende d'Ésope : Guillaume de Tyre, chroniqueur de la terre sainte (1130-1184), dans son Historia rerum in partibus transmarinis gestarum, au livre XIII, chapitre I, cite ce passage de Flavius Josèphe où Hiram demande à Abdimus de l'aider à résoudre les énigmes de Salomon ; il ajoute 'c'est peut-être celui que les récits populaires appellent Marcolfus.' Or Marcolfus (Marculfus, Markolf) se retrouve dans le Poème II de Salomon et Saturne (v.11 : 'le pays de Marculf'). De nombreux commentateurs allant même jusqu'à assimilé Marcolfus avec Saturne, il est tout à fait probable que Tolkien, en étudiant Salomon et Saturne, aura eu à l'esprit la légende entre Salomon et Hiram lorsqu'il a utilisé le poème en Vieil-Anglais pour rédiger Énigmes dans l'Obscurité (cf. E9) . [2, p.25-26]
Sosryko
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mouais...j'ai un peu faibli, vers la fin...
alors, sans vouloir être masochiste au point de relever les fôtes, corrigeons tout de même un lien : [38] Enciclopedia Universal Ilustrada, tome 19, 1966 Madrid. Référence anglaise en ligne, ici.
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aarRRGgll!!!c'est pas vrai!
grrr...
promis, planté ou pas planté, je ne touche plus rien aujourd'hui; à bientôt à tous.
Il faut croire que j'ai la tête ailleurs; depuis quelques temps, j'aimerais déjà être à dimanche prochain pour être rassuré...
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VIII-4) 'À la fin de l'envoi...' ou la fausse énigme
(i) La question 'impossible' est une fausse énigme ; 'fausse' énigme car sans réponse possible, la réponse étant inconnue de tout être pensant de l'univers hormis la personne qui questionne. Cet artifice est essentiel dans notre quête d'une source ayant inspirée Tolkien : il n'est commun qu'à trois texte dont celui qui nous intéresse. Il met Bilbo en parallèle avec Ódhinn qui utilise l'artifice en deux occasions, contre Vafthrúdhnír et contre Heidrekr. Il s'agit d'une véritable tricherie. Pour s'en assurer, il suffit de relever la réaction du roi Heidrekr à la question 'impossible' d'Ódhinn :
Toi seul sais cela, créature monstrueuse[15, p.112]
comme celle de Gollum se remémorant la question 'impossible' de Bilbo :
" Qu'avait-il dans ses poches? " disait [Gollum] " Je ne pouvais le dire, pas de trésor. Petite tricherie. Question pas honnête. Ça a triché d'abord, ça a. Ça a enfreint les règles. On aurait dû l'étouffer, oui, mon trésor. Et on le fera, mon trésor! "[SdA I.I.2, p74]
et déjà, à l'époque, dans un vocabulaire plus concis car sous le coup de la surprise :
" Pas de jeu ! pas de jeu ! s'écria-t-il de sa voix sifflante. C'est pas de jeu, mon trésor, s-si ? de demander ce que ç-ça a dans ses s-sales petites poches ? "
[Bilbo le Hobbit, p.86]
(j) Bien entendu, Tolkien dédouane Bilbo en faisant venir la question 'impossible' de manière non consciente sur ses lèvres :
" Qu'ai-je dans ma poche ? " dit-il tout haut.
Il se parlait à lui-même, mais Gollum crut que c'était une devinette, et il fut terriblement démonté.
" Pas de jeu ! pas de jeu ! s'écria-t-il [...]
Bilbo, voyant ce qui s'était passé et n'ayant rien de mieux à proposer, s'en tint à sa question : " Qu'ai-je dans ma poche ? demanda-t-il d'un ton plus affirmé.
[Bilbo le Hobbit, p.86]
Voilà une circonstance qui éloigne Bilbo, héros d'un conte pour enfants - donc forcément sans malveillance, du personnage d'Ódhinn, dieu pervers qui aime à se déguiser pour surprendre, de manière préméditée, après avoir joué avec eux, ses adversaires savants par une question sans réponse.
Tolkien minimise (un tantinet) cette différence lorsqu'il révise le chapitre. Ainsi, le ton de la phrase de 1937 :
mais tout de même, il sentait qu'il l'avait gagné [son cadeau] sans tellement tricher, compte tenu de circonstances particulièrement difficiles. [cf. VII-1) post du (15-04-02 02:53)]
devient un peu plus critique quant au comportement de Bilbo en 1951 :
N'importe quelle excuse pourrait lui être bonne pour se défiler. Et après tout, cette dernière question n'était pas une énigme authentique selon les anciennes règles.
[Bilbo le Hobbit, p.87]
(k) De plus, le parallèle avec les deux textes scandinaves est renforcé si on remarque que dans le cas d'Ódhinn comme dans celui de Bilbo, la réponse à la question n'est pas donnée au perdant qui ne semble pas avoir le droit de la réclamer.
" Voici qu'avec Ódhinn j'ai fait assaut
De ma sagesse en paroles.
Tu es et tu seras toujours le plus sage des hommes. "
[Vaf. 55 ; 15, p.529]
Les réponses doivent être devinées, non données, dit [Bilbo].
[Bilbo le Hobbit, p.90]
(l) Le tableau en VII.3 [post du (18-04-02 03:29)] nous a montré que cette question est posée trois fois avant qu'une tentative de réponse soit donnée. Et en fait, Gollum arrive à fournir, avec l'autorisation de Bilbo, non pas une mais trois réponses. Voilà une remarque qui vient enrichir le thème de la réciprocité/symétrie : 3 énoncés de la question / 3 réponses permises.
Thème encore et toujours renforcé en constatant que si la question 'impossible' est une tricherie de la part de Bilbo, la réponse (rG5c) est également une tentative de tricher, de la part de Gollum cette fois. Et le narrateur de faire remarquer au lecteur l'une comme l'autre :
- Une ficelle, ou rien ! cria Gollum - ce qui n'était pas tout à fait correct, puisqu'il donnait deux réponses à la fois.(...)
Et après tout, cette dernière question n'était pas une énigme authentique selon les anciennes règles.
[Bilbo le Hobbit, p.87]
Voilà qui est totalement original de la part de Tolkien : dans tous les autres textes, la ruse, la tricherie ne sont utilisées que par un seul des deux protagonistes.
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HELP! Question à tous les lecteurs qui possèdent une édition anglaise de Bilbo le Hobbit
Le moteur de recherche pour Bilbo le Hobbit donne le passage suivant pour l'édition Pocket : Chap. V. Enigmes dans l'obscurité, Page 102:
" Ça l'a dit, oui ; mais c'est malin. Ça ne dit pas ce que ça pense. Ça sait. Ça connaît un chemin pour entrer ; ça doit en connaître un pour sortir, oui. C'est parti vers la porte de derrière, oui.
Le passage à l'identique se retrouve dans l'édition du Livre de Poche (p.92)
Dans les deux cas il s'agit de la traduction de Ledoux qui repose, d'après le copyright, sur l'édition de Allen & Unwin de 1978 (© (...) 1937, 1951, 1966, 1978).
Mais je voudrais savoir si ce passage a été convenablement traduit de l'édition originale révisée après celle de 1951. Car l'édition qu'on trouve sur Internet qui semble être l'édition de 1951 qui donne :
"It said so, yes; but it's tricksy. It doesn't say what it means. It won't say what it's got in its pocketses. It knows. It knows a way in, it must know a way out, yes. It's off to the back-door. To the back-door, that's it."
J'aurais besoin de savoir si cette phrase supplémentaire (ci-dessus en gras) :
Merci pour votre aide ;-)
Sosryko
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Un petit sujet annexe.
A-t-on beaucoup d'autres exemple de magiciens oeuvrant par le chant dans ces mythologies (je pense à Väinämöinen). Parce que ça me fait furieusement penser à Tom Bombadil, et ça me donne pas mal d'idées.
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Bonjour Sosryko,
Je suis vraiment désolée pour toi mais cette phrase est présente dans l'édition actuelle.
J'en profite pour te féliciter pour ton admirable travail.
Nat
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Merci beaucoup (malgré tout!!) Eva/Nat.
ça fait chaud au coeur de savoir que tu suis ce fuseau; j'espère que d'autres oseront sortir de l'anonymat et donner leur avis.
En tout cas, merci pour les félicitations ;-)
Vinyamar,
si par 'ces mythologies' tu veux parler des du Kalevala et des mythologies scandinaves, la réponse est oui : le chant magique est omniprésent dans le Kalevala, et très fréquent chez les scandinaves.
Si tu as des idées, ça mériterait d'ouvrir un fuseau, ne crois-tu pas?
Je n'ai pas le temps de te fournir les textes aujourd'hui, mais peux te donner quelques références (certainement pas exhaustives) que j'ai trouvé en feuilletant l'Edda Poétique de Régis Boyer :
[15] Les Dits du Très-Haut pp. 189 ('incanter'), 196 ('neuf chants'/'runes'), 198 ('Ces charmes' : au nombres de 18=9x2, catalogue de charmes qu'Odhinn se vante de pouvoir réaliser)
[15] p.579-583 La Conjuration de Busla ('sur-le-champ [elle] sera chantée'; on est au niveau de la magie noire, pour 'ensorceler' l'ennemi; la strophes 6 fait référence au sort de Vaino qui embrouille les rênes de Jouka.)
[15] p.584-587 le Grogaldr (les Incantations de Groa, tu sais, la mère ressuscitée de Svipdagr qui 'incante' neufs chants pour protéger son fils qui va rechercher sa Menglod par monts et par vaux).
[15] p.590-599 Le Chant de Hervor : là encore, on a évoqué le récit dans lequel il se trouve puisqu'il s'agit de 'La saga de Hervor et de Heidrekr' où se trouvent les Enigmes de Gestumblindi. Le motif est similaire au précédent : Un fils (ou une fille), par des invocations magiques chantées, force son père (ou sa mère) à sortir de son tertre mortuaire pour lui remettre une arme ou lui donner/demander conseil. L'incantatrice Hervor a le contrôle : elle force Angantyr (qui chante aussi; dialogue chanté) à lui remettre l'épée Tyrfingr (épée à la soif meurtrière).
Sosryko
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Ah! Quel plaisir de retrouver ce fuseau; je sais qu'il en sera de même pour Silmo, Vinyamar, Iarwain, Eva et quelques autres...et, je l'espère, qu'il y aura occasion pour certains de le redécouvrir, et de participer...
Pour tout le monde, il serait bon, pour apprécier (est-ce possible? :-() ce qui va suivre et les prochains posts, de bien avoir à l'esprit les dix énigmes étudiées (cf. le post 18-04-2002 03:29 qui les présente et les nomenclature).
Et Yyr, rassure-toi, si jusqu'à présent, l'étude externaliste a dominé sur l'étude internaliste, un certain équilibre va s'établir, voire la tendance va se renverser dans la suite.
S'il y a trop de coquilles, il faudra les mettre sur le compte de la fièvre (j'ai une angine...c'est quoi ce fichu mois de juin!); mais j'avais trop attendu jusqu'alors et tenais à poster avant le début de la semaine.
IX) Neuf énigmes dans l'obscurité...plus une
1) Origine des neuf énigmes
Toutes les remarques précédentes encouragent à penser que Tolkien quant à la forme, à la structure du dialogue entre Bilbo et Gollum s'est inspiré du schéma scandinave et en particulier des Énigmes de Gestumblindi. Mais qu'en est-il du contenu de ces énigmes (cf. VII.3)?
On va le voir, la recherche des sources qui ont pu inspirer Tolkien pour quelques-unes de ses énigmes (pour tout ou partie de leur contenu) confirme l'importance des Énigmes de Gestumblindi mais également les sources anglo-saxonnes comme Salomon et Saturne et l'Exeter Book.
Puisque je n'oublie pas que Tolkien, pour certaines, a fait preuve de totale création, selon son témoignage cité au début de cet article (L110), cette partie se limitera aux sources déjà mises à jour par Anderson dans son Annotated Hobbit [42] - lesquelles justifient de manière indépendante ma proposition, et à de petits compléments qui sont apparus au cours de la recherche.
1.1) Énigme (E1)
Avec cette énigme, Tolkien introduit la métaphore consistant à assimiler une montagne à un arbre et sa base à des racines qui la soutiendraient.
Il est remarquable qu'avant même que l'énigme eût été posée, Tolkien avait déjà donné la réponse au lecteur !
They very seldom did, for they had a feeling that something unpleasant was lurking down there, down at the very roots of the mountain.
[Bilbo le Hobbit, V. Énigmes dans l'Obscurité, p.79]
Ceci vient du fait que Tolkien affectionne tout particulièrement cette métaphore ; il va la réutiliser à trois reprises par la suite :
Devant s'étend la grande cave la plus profonde, le cul-de-basse-fosse des anciens nains, au cœur même de la Montagne.
Before him lies the great bottommost cellar or dungeon-hall of the ancient dwarves right at the Mountain's root.
[Bilbo le Hobbit, XII. Information Secrète, p.222]
Il vomit son feu, la salle fuma, il secoua le cœur de la Montagne.
His fire belched forth, the hall smoked, he shook the mountain-roots.
[Bilbo le Hobbit, XII. Information Secrète, p.225]
mais ce qu'il y avait de plus beau, c'était la grande pierre blanche que les nains avaient trouvés sous la base de la Montagne, l'Arkenstone de Thraïn.
But fairest of all was the great white gem, which the dwarves had found beneath the roots of the Mountain, the Heart of the Mountain, the Arkenstone of Thrain.
[Bilbo le Hobbit, XII. Information Secrète, p.239]
Francis Ledoux, traducteur de Bilbo le Hobbit, passe à côté de ce trait littéraire ; il se rattrape en 1972 et 1973 lorsqu'il traduit le Seigneur des Anneaux qui reprend de manière récurrente et fréquente (10 occurrences !) l'image de la montagne enracinée (est-ce dû à une traduction plus 'mécanique' ou bien à la prise de conscience de l'importance de l'image pour Tolkien ?):
Bilbon descendit dans le tréfonds de la montagne (...)
Bilbo went on down to the roots of the mountains (...)
[SdA, Prologue, IV De la Découverte de l'Anneau , p.23]
Les racines de ces montagnes doivent être de vraies racines.
The roots of those mountains must be roots indeed.
[SdA, I.2 L'Ombre du Passé, p.71]
Gandalf se tut, contemplant l'est du porche aux lointaines cimes des Monts Brumeux, aux grandes racines desquels le péril du monde était demeuré si longtemps caché.
Gandalf fell silent, gazing eastward from the porch to the far peaks of the Misty Mountains, at whose great roots the peril of the world had so long lain hidden.
[SdA, II.2 Le Conseil d'Elrond, p.278]
Il leur semblait avoir déjà cheminé interminablement jusqu'aux racines de la montagne.
Already they seemed to have been tramping on, on, endlessly to the mountains' roots.
[SdA, II.4 Voyage dans l'Obscurité, p.342]
En tout cas, nous nous trouvons près des racines de la Dernière Montagne.
Anyhow we are near the roots of the Last Mountain.
[SdA, III.4 Sylvebarbe, p.509] (C'est l'Ent Sylvebarbe qui parle)
Car il est venu il y a deux jours, et il les a emportés chez lui au loin, près des racines des montagnes.
For he came here two days ago and bore them away to his dwelling far off by the roots of the mountains.
[SdA, III.5 Le Cavalier Blanc, p.540]
(...) qui s'éloignait alors des racines noires des collines (...)
The mountains still loomed up ominously on their left, but near at hand they could see the southward road, now bearing away from the black roots of the hills and slanting westwards.
[SdA, IV.4 Herbes et Ragoût de Lapin, p.697]
(...) ils trouvèrent un creux ouvert à la racine de la montagne (...)
There under the gloom of black trees that not even Legolas could long endure they found a hollow place opening at the mountain's root, (...)
[SdA, V.2 Le Passage de la Compagnie Grise , p.842]
(...) un dernier lambeau des grandes racines du Starkhorn (...)
(...) but in front on the far side of the vale Merry saw a frowning wall, a last outlier of the great roots of the Starkhorn, cloven by the river in ages past.
[SdA, V.3 Le Rassemblement de Rohan , p.850] (le Starkhorn est une montagne au milieu de l'Ered Nimrais = Montagnes Blanches entre le Gondor et le Rohan, près de Dunharrow)
Serait-il enterré sous les racines mêmes du Mindolluin (...)
Were it buried beneath the roots of Mindolluin, still it would burn your mind away, as the darkness grows, and the yet worse things follow that soon shall come upon us.
[SdA, V.4 Le Siège de Gondor , p.870] (le Mindolluin est une montagne à l'extrémité Est de l'Ered Nimrais près de Minas Tirith)
Tout ceci tend à prouver que l'énigme (E1) est visiblement une pure (et belle !) création de Tolkien issue d'une image qui lui tenait à cœur. C'est certainement pour cette raison que Tolkien, à une certaine période, a envisagé de la réutiliser dans une première version du chapitre L'Ombre du Passé (appelé alors Ancient History ; cf. VII.1)) du Seigneur des Anneaux [43]:
(Bingo) - (...) Mais comment avez-vous appris ou deviné tout cela au sujet de Gollum ?
'La grande partie de ce que j'ai deviné, ou bien des déduit de proche en proche, n'a pas été bien difficile' dit Gandalf. 'L'inscription de feu a prouvé que l'Anneau que vous avez eu de Bilbo, et que Bilbo a eu de Gollum, est l'Anneau Unique. Et l'histoire de Gilgalad et d'Isildor est connue des Sages. Compléter alors l'histoire de Gollum et la faire cadrer avec le reste ne présente pas de difficulté particulière ; du moins pour celui qui connaît en profondeur et l'histoire et les esprits et les manières des créatures de la Terre-du-milieu ce dont Gollum ne disait rien. Quelle fut la première énigme posée par Gollum ? vous en souvenez-vous ?'
'Oui',répondit Bingo, réfléchissant.
What has roots that nobody sees,
Is higher than trees,
Up, up it goes,
And Yet never grows ?
'Plus ou moins juste !' commenta Gandalf. 'Des racines et des montagnes ! mais tout compte fait, je n'ai pas eu à cogiter longtemps sur des indices de ce genre. Je sais. Je sais parce que j'ai découvert Gollum.'
'Vous avez découvert Gollum !' dit Bingo stupéfait.
[HoME VI, XV Ancient History, p.262-3]
Gandalf est sévère lorsqu'il relève l'erreur dans la retranscription de l'énigme (Bingo a remplacé 'taller' = plus grand par 'higher' = plus haut). Et il devient, à son tour, des plus énigmatiques lorsqu'il affirme que cette énigme lui a permis de retrouver Gollum !
C'est peut être à ces évidences pour les Maïar qui sont incompréhensibles pour les hommes que l'on saisi tout ce qui sépare l'intelligence des hommes de celle des anges...Par contre, retenons, pour ce qui va suivre (cf. IX.2), cette affirmation implicite de Gandalf : les énigmes posées par Gollum contiennent des informations précieuses sur sa personne.
Bibliographie et Notes :
[42] Un grand, un énorme merci à Cédric (qui m'a transmis le texte) et à Iarwain (qui a eu la gentillesse de m'éviter une traduction), The Annotated Hobbit étant épuisé; il est sur le point d'être réédité sous peu (cf. toute librairie en ligne).
[43] Ce passage était initialement entre deux questions de Frodo qui ont été conservées dans la version finale : " Mais comment avez-vous appris tout cela au sujet de l'Anneau, et au sujet de Gollum ? " (SdA, p.73) et " Est-ce là que vous l'avez trouvé ? " (SdA, p.74).
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Toujours un plaisir de te lire Sosryko.
Rien à rajouter, ton dernier post est limpide et il vient enrichir ce qui constitueras bientôt, je l'éspère pour toi, une publication dans une revue spécialisée (suivez mon regard...:-).
Silmo
PS: prompt rétablisssement
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Bon sang, un mois déjà!! oulalalala...
Il est plus que temps de terminer ce fuseau intimiste. J'espère que les fidèles sont encore là (Eva, Silmo,...) sinon, c'est pas grave, ils auront beaucoup de lecture au retour de vacances ;-)
à tous, bonjour!
zou, c'est parti
EXCURSUS : La racine des Montagnes
Si Tolkien a inventé de toutes pièce l'enigme (E1), est-il pour autant à l'origine de l'expression Mountain's root / roots of the Mountain ('Racine(s) de la montagne') ?
Il faut remarquer que Tolkien l'utilisait avant la rédaction de Bilbo Le Hobbit puisqu'elle apparaît déjà en 1936 dans un poème consacré à Tom Bombadil [44, p.357] :
As well set your boot to the mountain's root,
For the seat of a troll don't feel it.
=
Autant donner des coups de pied dans un roc
Car l'arrière-train d'un Troll ne sent pas le choc.
[Stone Troll = Le Troll de Pierre, Les Aventures de Tom Bombadil, Pocket p.84-5]
Cette expression a en fait une origine biblique. On la trouve une seule fois dans le texte hébreu et les traductions anglaises (King James) ou française (BJ, Bible du rabbinat, Segond) ; c'est en Job 28 :9 :
Man putteth forth his hand upon the rock; he overturneth the mountains by the roots;
= ad silicem extendit manum suam subvertit a radicibus montes
= L'homme porte sa main sur le roc, Il renverse les montagnes depuis la racine;
Peut-être ce passage a-t-il suffit...
Par contre la Vulgate (la Vulgate étant la traduction latine 'officielle' de l'Église Catholique ; on parle de 'textus receptus') use systématiquement du terme 'ad radices montis' (= at the mountain's roots) en lieu et place de l'expression littérale 'au pied de la montagne' (en français, BJ donne 'au bas de la montagne'), et ce pour les 8 occurrences [Ex 19 :17, 24 :4, 32 :19 ; Dt 3 :17, 4 :11, 4 :49 ; Jos 11 :3 ; 1S 25 :20].
Or nous savons combien Tolkien aimait le latin ('j'ai (...) un amour particulier pour la langue latine', L294 [1,p.376]) et la liturgie latine (il priait en latin, L54[1, p.66] ;). N'aurait-on pas là une preuve d'une grande connaissance du texte reçu qu'est la Vulgate ?
1.2) Énigme (E2)
Thirty white horses on a red hill,
First they champ,
Then they stamp,
Then they stand still.
Anderson [Annotated Hobbit, p.85 Note 6] écrit :
" Tolkien a ici retouché une énigme très commune, la n° 229 dans l'Oxford Dictionary of Nursery Rhymes de Iona et Peter Opie :
Thirty white horses
Upon a red hill,
Now they tramp,
Now they champ,
Now they stand still.
=
Trente chevaux blancs
Sur une colline rouge,
Tantôt ils piétinent,
Tantôt ils mâchonnent,
Tantôt ils restent immobiles. "
1.3) Énigme (E3)
Voilà ce qu'écrit Anderson [p.85, Note 8] : " Je n'ai pas trouvé d'énigme isolée comparable à celle-ci. Néanmoins, les énigmes traditionnelles sur le vent contiennent souvent des variantes sur les éléments " volant sans ailes " et " parlant sans bouche " "
Quelles sont ces énigmes traditionnelles ?
Je n'ai trouvé de parallèles stricts qu'à propos du quatrième membre de l'énigme ('Sans bouche, il murmure' = Mouthless mutters) ; il s'agit des énigmes 37 et 65 de l'Exeter Book :
(...) It has no hands or feet
To touch the ground, no mouth to speak
With men or mind to know the books
Which claim it is the least of creatures
Shaped by nature. It has no soul, no life,
Yet it moves everywhere in the wide world.
It has no blood or bone, yet carries comfort
(...)
It has no limbs, yet it lives!
=
Il n'a ni main ni pied
Pour toucher le sol, aucune bouche pour parler
Avec les hommes et aucun esprit pour connaître les livres
Qui affirment qu'il s'agit de la dernière des créatures
Façonnées par la nature. Il n'a pas d'âme, pas de vie,
Pourtant il se déplace dans le monde entier.
Il n'a ni sang ni d'os, pourtant il apporte la consolation
Aux enfants des hommes sur la Terre-du-Milieu.
To the children of men on middle-earth.
Il n'a pas de membres, pourtant il vit !
[EB37]
Cette énigme n'a pas de solution fixée, les commentateurs hésitant entre la parole, un rêve, la mort, le temps, la lune, un nuage, le jour...et, si on se limitait à la partie présentée, on pourrait très bien y trouver le vent.
In the hall of the High King I heard
That a voiceless creature spoke charmed
Words (...)
It speaks without mouth, moves without feet
=
Dans la halle du Haut Roi j'ai appris
Qu'une creature sans voix disait des mots
Enchantés (...)
Elle parlait sans bouche, se déplaçait sans pieds
[EB65]
Avec cette dernière énigme (qui concerne un livre) on a en plus une référence au premier membre de (E3) ('Sans voix, il crie' = Voiceless il cries)
Il n'est pas étonnant que Tolkien ait eu à l'esprit (inconsciemment ou pas) les énigmes de l'Exeter Book car celles-ci ont des liens avec les Énigmes de Gestumblindi qui, elles, étaient assurément présentent à son esprit de manière consciente. En effet la septième énigme (EG7) du chapitre X de La saga du roi Heidrekr a pour sujet un oignon tout comme EB23 et EB63. De plus EG23 concerne l'ancre d'un navire, tout comme EB14.
1.4) Énigme (E4)
Un œil dans un visage bleu
Vit un œil dans un visage vert.
" Cet œil-là ressemble à cet œil-ci,
dit le premier œil,
mais en un lieu bas,
non pas en un lieu haut. " Rép : le soleil sur les marguerites.
Anderson [p.85, Note 9] : " Cette énigme exprime l'étymologie du mot " marguerite " [daisy] sous forme énigmatique. Le nom de cette fleur vient de l'anglo-saxon daeges éage ("l'œil du jour" [day's eye]), ce qui fait allusion à l'ouverture de ses pétales le matin (révélant ainsi la partie centrale jaune) et à leur fermeture le soir. C'est de là que vient l'expression "l'œil du jour"- la moderne marguerite. "
Je me sens forcé de remarquer que 'le Soleil sur les Marguerites' n'est pas en vers (pas plus que 'Sans-jambes') n'étant que l'étymologie du mot 'marguerite[daisy]' présenté sous la forme d'une devinette.
[L110 / 1, p.123]
Il se pourrait aussi que certaines des associations soleil/œil du ciel, soleil/marguerite, visage [face] bleu / ciel, visage vert [green face] /prairie correspondent à des réminiscences de deux sonnets de Shakespeare séparés par un seul autre dans le recueil :
Full many a glorious morning have I seen
Flatter the mountain-tops with sovereign eye,
Kissing with golden face the meadows green,
Gilding pale streams with heavenly alchemy;
Anon permit the basest clouds to ride
With ugly rack on his celestial face,
(...)
J'ai vu plus d'un matin lever sa tête altière
Et d'un œil souverain flatter le haut des monts,
Baiser de lèvres d'or les verdoyants gazons,
En or transmuer la pâleur des rivières,
Puis aux nuages vils permettre d'apporter
Leur essaim de laideur sur sa divine face
(...)
[Sonnets, XXXIII]
Great princes' favourites their fair leaves spread
But as the marigold at the sun's eye,
(...)
Les favoris des grands ouvrent à la lumière
Leur fleur, comme soucis sous un soleil ardent ;
(...)
[Sonnets, XXXIII, trad. Jean Malaplate,
Le Livre de Poche, Bibliothèque classique, n°0715]
Shakespeare fait bien le lien entre un visage 'céleste' (même s'il s'agit toujours du soleil : 'celestial face'= 'golden face') et les 'prairies vertes' puisque le premier embrasse le second : la métaphore amoureuse du sonnet concernant deux êtres de rangs différents mais de même nature, on a là, sous-entendu, le 'visage céleste' associé à un autre 'visage', 'vert' celui-ci. De même lorsqu'il associe le soleil et la fleur, c'est avec la symbolique de l'œil et non plus du visage, symbolique appliquée, toujours par symétrie, au soleil et à la fleur : les 'grands' attirent les 'favoris' parce que l'œil attire l'œil ; en évoquant l''œil du soleil', Shakespeare évoque également l'œil de la fleur.
Certes Shakespeare parle de 'soucis' (marigold) et non de 'marguerite' (daisy) ; mais les deux fleurs sont des fleurs solaires au cœur orangé.
Anecdote : il existe une variété de soucis, la Dimorphotheca Sinuata, appelée, en anglais, Cape-Marigold mais aussi African-Daisy ou Orange-Daisy ; 'African' parce qu'elle provient d'Afrique du Sud ; Tolkien, originaire de ce pays, le savait-il ?
Finalement, il me semble que c'est dans ce remplacement du 'soucis' par la 'marguerite' que réside l'apport entièrement original de Tolkien ; un apport original et des plus précieux car renforçant la symétrie entre le soleil et la fleur par ce jeu sur l'étymologie anglo-saxonne de la marguerite.
1.5) Énigme (E5)
Cette énigme pourrait être entièrement originale ; Anderson ne propose aucune référence, et, après moult recherches, je ne peux faire mieux.
Tolkien a dû choisir cette énigme centrale (Cf. les structures) avec un soin particulier. Sa rédaction, à la fois riche et équilibrée, le prouve.
1.6) Énigme (E6)
Anderson [p.86, Note 10] : " Tolkien qualifiait cette énigme de "réduction à un distique (le mien) d'une énigme littéraire plus longue qui apparaît dans un recueil de comptines" <L110 [1, p.123]>. L'énigme littéraire en question est sans aucun doute celle-ci :
In marble halls as white as milk,
Lined with a skin as soft as silk,
Within a fountain crystal-clear,
A golden apple doth appear.
No doors there are to this stronghold,
Yet thieves break in and steal the gold.
=
Dans un palais de marbre de la blancheur du lait,
Revêtue d'une peau de la douceur de la soie,
Dedans une fontaine de la clarté du cristal,
Une pomme d'or fait son apparition.
Point de portes d'entrée dans cette forteresse,
Et pourtant des voleurs s'y introduisent et dérobent l'or.
Tolkien publia une traduction anglo-saxonne de cette énigme en 1923.[...] "
1.7) Énigme (E7)
Nous rejoignons Anderson [p.87, note 11] : " On trouve une énigme un peu analogue à celle-ci dans la vieille saga norroise, la Saga du Sage Roi Heidrekr , (...) :
" Qui habite dans les hautes montagnes ?
Qui tombe dans le val profond ?
Qui vit sans respirer ?
Qui jamais ne se tait ?
Roi Heidrekr,
Réfléchis à cette énigme. "
Heidrekr répondit : " Ton énigme est bonne, Gestumblindi. Elle est devinée. Le corbeau habite toujours dans les hautes montagnes, la rosée tombe toujours dans le val profond, le poisson vit sans respirer, et la cascade tumultueuse ne se tait jamais. " "
[EG10] [45]
1.8) Énigme (E8)
Anderson [p.88, note 12] : " Les énigmes concernant les jambes sont traditionnelles, à commencer par l'énigme posée par le Sphinx à Œdipe (Quel animal marche sur quatre pattes le matin, deux à midi et trois le soir ?) La réponse, telle que donnée par Œdipe, est l'homme [...]) L'Oxford Dictionary of Nursery Rhymes contient une énigme très commune, similaire à celle de Tolkien :
Deux jambes s'assied sur trois jambes
Avec une jambe sur ses genoux ;
Arrive quatre jambes
Qui s'enfuit avec une jambe ;
Deux jambes saute " sur ses pieds ",
Ramasse trois jambes
Qu'il lance sur quatre jambes,
Ce qui lui fait rapporter une jambe. (n° 302) [46]
La solution est un homme assis sur un tabouret, avec un gigot de mouton sur ses genoux. Un chien arrive et vole le mouton ; l'homme ramasse le tabouret, le lance sur le chien, ce qui lui fait rapporter le mouton.
1.9) Énigme (E9)
Anderson [Note 13, p.88] avait déjà relevé qu'" il existe une énigme analogue à celle-ci dans le poème en vieil anglais, " Second dialogue de Salomon et Saturne " ". Voici la traduction française la plus récente [ 2, p.42-3] :
Saturne dit :
Quelle est cette chose étrange qui traverse le monde,
Qui va inexorablement, qui ébranle les fondations,
Qui fait jaillir des larmes de détresse, sans relâche ?
Ni l'étoile, ni rocher, ni la brillante pierre précieuse,
ni l'eau, ni l'animal sauvage ne peut lui échapper,
tout tombe entre ses mains, le dur et le mou,
le grand et le petit ; il engloutit, chaque année,
de ceux qui habitent sur la terre,
de ceux qui volent dans l'air, et nagent dans la mer,
trois fois treize mille.
Salomon dit :
Le temps qui passe a pouvoir sur tout sur terre :
De ses affreuses chaînes d'esclavage,
De ses immenses entraves, il ses saisit de tout,
De ses longues cordes, il s'empare de tout à volonté
Il détruit les arbres et brise les branches,
déracine le tronc dressé sur son chemin,
l'abat à terre et puis le dévore, il est plus fort
que l'oiseau sauvage, plus endurant que le loup,
plus résistant que la roche ; l'acier, le fer, il le ronge,
de rouille. De nous il fait de même.
Les points de contact en effet sont nombreux ; nous reviendrons sur ce passage (cf. X.5)
Bibliographie et notes :
[44] JRR. Tolkien a Biography, Humphrey Carpenter, HarperCollins 2002
[45] Comme le précise Anderson, dans La traversée des marais, chapitre 2 du livre IV du Seigneur des Anneaux, Gollum donne une variante plus longue de cette énigme sous forme d'une contine avec la réponse en finale :
Alive without breath; / as cold as death; / never thirsting, ever drinking; /clad in mail, never clinking. / Drowns on dry lang, / thinks an island / is a mountain; / thinks a fountain / is a puff of air. / So sleek, so fair ! / What a joy to meet ! / We only wish / to catch a fish, / so juicy-sweet!
=
Vivant sans souffle ;
froid comme la mort
jamais assoiffé, toujours buvant ;
en cotte de mailles, jamais cliquetant,
se noie sur la terre sèche ;
Prend une île pour une montagne ;
Prend une source pour un souffle d'air ;
Si lisse, si beau !
Quelle joie de le rencontrer !
On souhaiterait seulement
attraper un poisson,
si bon, si juteux ! [SdA, p.668]
[46] Voici le texte original :
Two legs sat upon three legs / With one leg in his lap; / In comes four legs / And runs away with one leg; / Up jumps two legs, / Catches up three legs, / Throws it after four legs, / And makes him bring back one leg.
Je ne résiste pas non plus à présenter l'énigme de Gestumblindi suivante qui, comme la comptine ci-dessus, peut se classer dans le genre 'énigme-domino' [EG14]:
" Je vis venir
Un, qui hante la terre,
Un cadavre assis sur un cadavre,
L'aveugle chevauchait l'aveugle
Jusqu'à la mer.
Mais le coursier était sans souffle.
Roi Heidrekr,
Réfléchis à l'énigme.
- Ton énigme est bonne , Gestumblindi. Elle est devinée. Tu as trouvé un cheval mort sur un glaçon flottant, et un serpent mort sur ce cheval, et tout cela dérivait ensemble le long de la rivière. "
Sosryko
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Oui, oui! il ya des fidèles qui te lisent avec un émerveillement toujours grandissant!
Bravo!
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Superbe travail. Cela valait le coup d'attendre 1 mois.
Nat, toujours aussi admirative
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Merci Cirdan!
il y avait longtemps là aussi, que je n'avais eu plaisir voir nos routes se croiser de nouveau. So, keep on tune! car ce qui arrive (et il y en a) devrait te plaire ;-)
aà bientôt, cher ami
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Un grand merci à toi Sosryko. Ton argumentation est à la fois détaillée, très claire et, ce qui n'est pas la moindre des qualités, d'évidence justifiée. Nous apprenons beaucoup grâce à toi, merci ! ;-)
Je suis assez abasourdi par le nombre de textes que tu mets ici en jeu pour expliquer ce que nous avons baptisé les Enigmes et caractères chez Tolkien. Cela montre une nouvelle fois le savoir et l'érudition de Tolkien dans ces domaines. Ce qui me surprend et me laisse admiratif, c'est le travail qu'a du fournir Tolkien pour les seules pages de Bilbo le Hobbit qui mettent en jeu ces énigmes...
Je vois aussi qu'en dépit de son inimitié pour Shakespeare, qu'il "déteste cordialement" (cf. lettre 163) et les quelques griefs dont il le taxe (cf. la lettre 151 où Tolkien parle du tort dont est responsable Shakespeare à propos de la perception qu'il a donné des Elfes), il ne l'a pas entièrement renié et a su tout de même s'en inspirer.
Cédric.
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Merci Cédric pour tes remarques ;-)).
sans trop en dévoiler, oui, Cédric, le réseau intertextuel qui sous-tend Enigmes dans l'Obscurité est impressionnant...et même si nous avons-vu l'essentiel des sources, ce n'est pas fini et surtout ce n'est pas l'essentiel du texte!
Car ce qui pouvait passer comme une simple et dramatique dissection de ma part (pardonne-moi Yyr/encore que ça aurait pu et je ne m'en serais pas plaint) et (pire, par contre) un banal 'copier-coller' de la part de Tolkien va se révéler, dans l'ensemble, réfléchi et utile, très utile à la narration, au message du texte.
à commencer (en prenant un détail) par ce qu'on aurait pu penser inimaginable: l'utilisation de Shakespeare.
J'y reviendrai (et Shakespeare reviendra avec des arguments supplémentaires hew hew ;-)), Tolkien avait des relations passionnelles avec l'auteur élizabéthain, entre l'amour et la haine qui naissent dans l'intimité de deux personnalités trempées.
Un peu comme mon amour pour le dessinateur Giraud/Moebius [c'est le meilleur dessinateur français de BD vivant, rien n'y changera] et ma 'haine' pour le type [il gache son talent dans des inepties ou bacle ses travaux que ça en devient rageant et insupportable]. Puis je dois reconnaître que mon ressentiment dois beaucoup à la jalousie, avec, inconsciemment, l'idée lancinante "ahh (soupir), Que ne pourrais-je réaliser si j'avais sa technique et son talent..."; finalement, ce que je lui reproche c'est de ne pas mettre son talent à la contribution de mon imagination et de ma vision de la BD! Etr puis, c'est toujours rageant de passer après un autre et de constater qu'il vous a 'piqué' l'idée que vous avez nourri pendant des années dans votre imaginaire...et, bien, entendu, il est impossible que son traitement corresponde à vos longues et profondes attentes.
D'où la déception de Tolkien lorsqu'il lit Macbeth et voit que Shakespeare bacle en une ligne récurrente le mythe Celte des arbres qui se mettent en marche pour faire la guerre; c'est inadmissible! avec son talent! il n'avait pas le droit de ne pas honorer le mythe en n'y faisant allusion qu'en une seule phrase! Idem pour les Elfes...
Il n'empêche que je lis quasiment tout ce que fait Giraud/Moebius; il n'empêche que Tolkien avait lu certainement tout Shakespeare et qu'il connaissait des références par coeur (cf le vers du bois de Birnam en marche pour la colline de Dunsinan cité en L163 [1,p.212], et l'allusion à une réplique assassine de Puck en L219 [1,p.300]...nous y reviendrons ;-))
à très bientôt
S.
PS : Je voudrais t'encourager, cher Tolkiendil qui découvre ce fuseau, à lire le fuseau précédent pour apprécier ce qui va suivre (encore que méthodologiquement parlant, l'orientation va prendre un tour différent, plus 'internaliste').
Je ne reprendrai pas les quelques [46] références bibliographiques ou notes du fuseau précédent, alors, s'il y a des renvois du genre [x, p.xx] avec (x compris entre 1 et 46), que les curieux veuillent bien se référer à la note [x] de bas de post du fuseau précédent.
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