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#1 01-06-2004 14:50

Moraldandil
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Le lac et le bouleau dans Smith

Un passage m'intrigue dans Smith of Wootton Major et je ne dois pas être le seul dans ce cas. Il s'agit de celui où il se penche sur un lac rempli de créatures de flamme, qu'il contemple longuement avant d'oser tâter la surface et de choir lourdement. A ce moment le climat change brutalement : un grondement retentit et un vent violent se lève; Smith trouve refuge dans les branches d'un bouleau qui le protège de sa ramure, mais en paie chèrement le prix : il perd toutes ses feuilles et en pleure amèrement. Smith le remercie mais le bouleau lui réplique durement : "Va-t'en ! Le Vent est après toi. Tu n'es pas d'ici. Va-t'en et ne reviens jamais plus."

Il y a une rupture de ton très nette, qui jure vraiment avec le reste du conte. Un moment, on se croit transporté dans une autre ambiance hostile, très noire, qui se rapproche de celle de La cloche marine. Verlyn Flieger fait justement ce rapprochement dans A Question of Time.

Au départ, j'ai eu l'impression de retrouver un motif de transgression, courant dans les contes, l'épisode se déclenchant apparemment lorsque Smith ose toucher le lac. Ce qui ne va pas, c'est qu'on ne retrouve pas le thème du châtiment de l'imprudent qui suit habituellement ; c'est plutôt le bouleau qui pâtit. Et son avertissement vis à vis de Smith restera sans suite, puisque celui-ci reviendra encore heureusement de longues années en Faërie.

Je suis perplexe pour le moment vis à vis de ce passage. Il me semble illustrer la double face de la Féérie, son côté dangereux, mystérieux, voire inexplicable, en quelque sorte une illustration de l'introduction de l'essai sur le Conte de Fées : "la Faërie est une territoire dangereux, qui renferme maintes chausse-trapes pour les imprudents et des culs-de-basse-fosse pour les présomptueux".

Mais j'aimerais bien avoir votre avis...

B.

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#2 01-06-2004 10:55

Finrod
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Re : Le lac et le bouleau dans Smith

Bon, n'ayant pas étudié spécialement en détails ce passage particulier, le message brouillon et désordonné qui suit ne représentera que quelques petites impressions à chaud entre deux copies à corriger (une petite pause, quoi ;-p).

D'abord, bien content Bertrand de te retrouver en ces lieux ;-) ! Et c'est une excellente idée aussi que de rapprocher l'histoire de Smith de l'Essai sur les contes de fées (n'est ce pas maître Yyr ? ;-)).

Certes, Faërie est bien le Royaume Périlleux et, en tant que tel, nul mortel, pas même étoilé, ne peut y être complètement à l'abri. Smith est néanmoins relativement bien protégé contre la plupart des maux majeurs et mineurs que l'on peut trouver dans cette étrange contrée. L'étoile lui laisse la possibilité d'aller et venir assez librement mais il n'en est pas moins toujours un étranger. Il est accepté en Faërie mais ce n'est pas et ne sera jamais son propre pays (tout comme Wootton Major n'est pas la vraie demeure d'Alf d'ailleurs). Et l'avertissement du bouleau n'est pas le seul allant dans ce sens. Une des jeunes filles dansantes que Smith rencontre lui rappelle que son étoile n'est pas "a passport to go wherever he whished". Mais l'épisode du bouleau est la première véritable prise de conscience de ce fait, ce qui peut expliquer sans doute la rupture de ton.

Pour le rapprochement avec "La Cloche Marine", c'est vrai qu'au cours de ce passage, elle est flagrante. Mais (et c'est aussi ce que dit Flieger je crois) Smith est tout de même bien différent du personnage de "The Sea Bell" dans le sens où, même s'il retournera bien des fois par la suite en Faërie, il ne cherchera pas à s'y imposer. C'est sans doute là l'essentiel du message de l'arbre : "Comprend que tu n'es pas d'ici ! Ton étoile t'autorise à entrer dans notre monde (et je ne peux t'empêcher d'y pénétrer...) mais tu n'y seras jamais accepté comme un habitant de Faërie".

Et Smith le comprend ! Peut-être pas très bien, peut-être pas tout de suite (chacun de ses longs voyages pourrait en quelque sorte être assimilé à une étape d'une quête, à un voyage initiatique au cours duquel il apprend des choses sur le monde mais aussi sur lui-même, sur ce qu'il cherche, avec en point culminant sa deuxième rencontre avec la Reine... mais ce sera sans doute développé plus tard ;-)), mais il finit par l'accepter comme en témoigne son abandon volontaire de l'étoile à la fin.

Il y aurait beaucoup d'autres choses à dire sur cet épisode du lac, mais je laisse ce soin à d'autres plus à mêmes que moi d'en parler ;-).

Laurent (snif, fin de la pause ;-p)

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#3 01-06-2004 13:37

romaine
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Re : Le lac et le bouleau dans Smith

D'accord avec Finrod: Même muni de l'invitation constituée par l'étoile, Smith doit comprendre qu'il est et restera un étranger en Faërie et le bouleau est la première "personne" à l'en avertir, avant la jeune fille.

En plus, il me semble qu'il comprend aussi que ce n'est pas seulement pour sa propre sécurité qu'il doit être prudent (le lieu est dangereux, il l'a vu avec les marins elfes!) mais aussi pour ne pas, lui, être à l'origine d'un dégât en Faërie même par inadvertance.

Après tout, il est responsable du désagrément subi par le bouleau, en tout cas, il s'en sent coupable et tout malheureux.

Du coup, pour le motif transgression châtiment, on pourrait peut être penser que le chatiment consiste justement pour Smith à avoir le regret cuisant d'avoir entrainé le châtiment d'un autre (le bouleau) à sa place.

Bon, je m'égare peut être sur une fausse piste, mais cela me fait penser que le statut d'invité en Faerie suppose certes de veiller à sa propre sécurité, mais aussi adopter un comportement respectueux et faire attention de ne rien déranger.

Il y a peut être une relation avec la notion du respect demandé aux invités de Faerie décrite à la fin de l'étude sur l'anneau de Barahir dans la feuille de la compagnie 2?.

Romaine (comment ça ça commence à faire long pour une pause? ;o) )

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#4 01-06-2004 15:32

Laegalad
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Re : Le lac et le bouleau dans Smith

Tiens, me rapelle quelque chose ça... arf, gnarf, j'ai justement un petit quelque chose sur le feu à ce sujet, mais... non, je ne peu décemment présenter un brouillon dans cet état... Bon, les quelques pistes que j'ai de claires, alors :

Cet épisode est le troisième d'une série de cinq :
1. La Mer de la Tempête sans Vent
2. L'Arbre-Roi (ou du roi, de mémoire)
3. Le Lac aux rubans de Feu
4. Le Val de l'Eternel Printemps
5. La Reine

on pourrait signaler l'étape 0 (les étapes, plutôt), quand Smith erre en Faërie mais n'en garde pas grand souvenir... à noter qu'il est accompagné dans ces étapes préliminaires.

La caractéristique principale de l'étape 3 est donc d'être charnière. Quelques éléments le soulignent : ce changement de ton, d'abord, et le fait aussi que c'est la première fois que Smith prend vraiment une initiative. En effet, dans l'étape 1, il n'est que spectateur (terrorisé), et dans la 2, spectateur aussi... cependant, l'arbre est tellement beau qu'il cherche à le retrouver, et c'est ce qui nous mène à l'étape 3. Pourquoi est-ce celle où il prend une initiative ? Certes, avant, c'était bien lui qui décidait de se promener en Faërie. Mais il restait spectateur, il ne faisait qu'observer. Là, dans l'étape 3 (qui peut elle même se découper en 6... oui, promis, j'y passerai la soirée et reviendrai dessus :o)), tout se passe bien jusqu'à ce que Smith décide de poser le pied sur le lac (comme tu l'as remarqué)... alors se réveille le Vent, alors il s'accroche au bouleau, alors ce dernier le rejette... A partir de là, rien ne sera pareil, Smith ne sera plus simple spectateur : il s'imice dans la danse, et lors de la dernière étape... et bien, il s'approche et ressent, expérimente le numineux (n'est-ce pas Spazcko ? :o)). Y voir, dans cette étape 3, le motif de la transgression ? Il n'y avait pas d'interdit, du moins, pas explicite. Cependant, l'interdit implicite a été bafoué. Et un autre en paye les frais (là je te rejoins, Romaine).

hrmf... j'arrête mes doigts, je me repenche sur mes papiers, et promis j'essaye d'aller plus vite... Je ne dis pas avoir tout compris, mais quelques éléments peuvent être interessants à souligner... plus tard.

Stéphanie - bon, qu'il se décide à pleuvoir à verses, j'aurais une excuse pour rester dedans :)

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#5 01-06-2004 18:26

Laegalad
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Re : Le lac et le bouleau dans Smith

Il n'a pas plu à verse, mais j'ai fait comme si... En voici un premier résultat, débité en tronçon :)

Bien, ce qui suit n'est évidemment pas définitif, et il y a encore de nombreux points sur lesquels je ne me suis pas penchée. Mais détacher un élément est difficile, et il y a tant de choses à voir ! La géographie, par exemple : la troisième étape se déroule encore dans les Monts Extérieurs : du rivage on s'avance vers le cœur de Faërie. Le rôle de ces créatures de feu se mouvant dans le lac. Pourquoi celui-ci est immobile alors que souffle la brise. Comment percevoir la symbolique du bouleau. Car je préfère « interpréter » symboliquement que psychologiquement... C'est moins catégorique, plus ouvert :

En consultant Les Racines de la Conscience de Jung, je suis tombée sur un passage pour le moins curieux et troublant (les chiffres entre parenthèses sont mes ajouts):

Un théologien protestant faisait souvent le même rêve.(1) Il se tient sur le penchant d'une colline ; au-dessous s'étend une sombre vallée au fond de laquelle se trouve un lac sombre. (2) Il sait en rêve que jusqu'à présent quelque chose l'a toujours retenu de s'approcher du lac. Mais cette fois il se décide à aller jusqu'à l'eau.(3) Comme il s'approche du rivage, tout devient sombre et sinistre et brusquement un coup de vent passe sur la surface de l'eau. (4)Alors une angoisse panique le saisit et il s'éveille.
[RC/41, Livre Premier]

Cela n'est pas sans rappeler l'épisode dont nous parlons :

(1) Au cours de l'un de ses voyages, grimpant dans les Monts Extérieurs, il parvint à une profonde vallée, au fond de laquelle s'étendait un lac, calme et uni malgré la brise qui agitait les arbres environnants. (1') Dans cette vallée, la lumière ressemblait à celle d'un coucher de soleil pourpre, mais elle montait du lac. Il regarda du haut d'un escarpement peu élevé, en surplomb ; il lui sembla voir jusqu'à une profondeur incommensurable ; et il aperçu là d'étranges formes de flammes qui se courbaient, se ramifiaient et flottaient comme de grandes algues dans un creux marin, et des créatures de feu allaient et venaient parmi elles. (2) Empli d'étonnement, il descendit jusqu'au bord de l'eau et la tâta du pied, mais ce n'était pas de l'eau : c'était plus dur que la pierre et plus lisse qu'un miroir. (2') Il fit un pas à la surface et tomba lourdement ; tandis qu'un grondement retentissant roulait au travers du lac et répercutait son écho sur les rives.
(3) Aussitôt, la brise s'enfla jusqu'à devenir un Vent impétueux, rugissant comme une grosse bête ; cette bourrasque le souleva et le jeta sur la rive, puis elle le poussa sur les pentes, tournoyant et tombant comme une feuille morte. (3') Il passa les bras autour du tronc d'un jeune bouleau et s'y agrippa, et le vent lutta furieusement avec eux, essayant de l'arracher de son support ; mais le bouleau, courbé jusqu'à terre par la rafale, l'enserra dans ses branches. Quand le Vent finit par passer son chemin, Smith se releva et vit que le bouleau était dénudé. Il avait perdu toutes ses feuilles ; il pleurait, et les larmes tombaient en pluie de ses branches. Posant la main sur l'écorce blanche, le jeune homme dit : « Béni soit le bouleau ! Que puis-je faire en compensation ou en remerciement ? » Il sentit la réponse de l'arbre monter dans sa main : « Rien, dit l'arbre. Va-t'en ! Le Vent est après toi. Tu n'es pas d'ici. Va-t'en et ne reviens jamais plus ! »
(4)En remontant du fond du vallon, il sentit les larmes du bouleau couler sur son visage, et elles furent amères à ses lèvres. Il avait le cœur tout triste tandis qu'il poursuivait sa longue route, et il ne retourna pas en Faërie de quelque temps. (4') Mais il ne pouvait y renoncer, et, après son retour, son désir de s'enfoncer dans le pays fut encore plus fort.
[F/277]

Pour ce qui suit, a désigne le rêve du théologien, ß l'aventure de Smith. Si ß est beaucoup plus développé, il n'empêche que la structure est la même que celle de a :
1. l'homme est sur un surplomb, observant une vallée, dans laquelle se trouve un lac [pour a, c'est un lac sombre, pour ß un lac flamboyant...].
2. l'homme s'approche du rivage.
3. le vent se met à souffler brusquement (à noter le caractère menaçant à la fois dans a " tout devient sombre et sinistre " et ß " grondement, grosse bête... ")
4. l'homme a peur et se réveille pour a, l'homme est triste et s'en va dans ß.

A l'intérieur de ces quatre étapes, on peut ajouter pour ß :
1' : l'homme regarde à l'intérieur du lac et y voit des créatures de feu/lumière.
2' : l'homme marche sur le lac, tombe, et un grondement se fait entendre (dans a, le vent se réveille tout seul).
3' : l'épisode du bouleau, qui presse Smith de partir, et surtout, de ne jamais revenir.
4' : l'homme reviendra, faisant fi du cri de l'arbre.

Odd, isn't it?

Tolkien connaissait-il ou non ce rêve ? Je l'ignore. Mais l'esprit humain est ainsi fait qu'il peut très bien inventer deux fois la même chose sans s'en apercevoir. Au reste... j'avouerai que cela ne m'importe pas.

Jung explicite le rêve du théologien ainsi :

Ce rêve nous présente le langage naturel des symboles. Le rêveur descend dans sa propre profondeur et le chemin le conduit à l'eau mystérieuse. Et ici se produit le miracle de la piscine de Bethesda [Jean, v, 1-4 – N.d.T.]* : un ange descend et touche l'eau, qui acquiert ainsi une vertu curative. Dans le rêve, c'est le vent, le pneuma qui souffle où il veut. Il faut que l'homme descende jusqu'à l'eau pour provoquer le miracle de la vivification de l'eau. Mais le souffle de l'esprit qui passe sur les eaux sombres est inquiétant, comme tout ce dont on ne connaît pas la cause première. Ainsi se trouve indiqué une présence invisible, un numen, auquel ni une attente humaine ni un calcul arbitraire n'ont prêté vie. Il vit de lui-même, et un frisson saisit l'homme pour qui l'esprit n'a jamais été ce que l'on croit, ce que l'on fait soi-même, ce qu'il y a dans les livres ou ce dont les gens parlent. C'est aussi pourquoi le rêve du théologien dit fort justement qu'il peut vivre au bord de l'eau l'action de l'esprit vivant comme une guérison miraculeuse dans la piscine de Bethesda. La descente dans la profondeur paraît précéder toujours l'ascension.
[RC/41, Livre Premier]

Peut-on calquer l'explication de Jung à Smith ? Peut-on voir dans ce passage de Smith la même chose que Jung a vu dans le rêve du théologien ?

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#6 01-06-2004 18:30

Laegalad
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Re : Le lac et le bouleau dans Smith

Reprenons les éléments :

1. l'homme est sur un surplomb, observant une vallée, dans laquelle se trouve un lac.

Si je reprends Jung :

L'eau est le symbole le plus fréquent de l'inconscient. Le lac dans la vallée est l'inconscient qui se trouve en quelque sorte en-dessous du conscient.
[RC/45]

Le conscient contemple du haut (puisqu'on a toujours tendance à placer le conscient en-dessus de l'inconscient ou subconscient, même dans les schémas) le lac/l'inconscient. On assiste à une (re)connaissance de l'inconscient, à un travail d'intériorisation, un repli sur soi.
Vient ensuite l'étape 1' :

1' : l'homme regarde à l'intérieur du lac et y voit des créatures de feu/lumière.

[...] la lumière ressemblait à celle d'un coucher de soleil pourpre, mais elle montait du lac.

Pourquoi une lumière de coucher de soleil ? Des cinq voyages-clés de Smith qui nous sont décrits, celui-ci – le troisième – semble bien être un tournant. Lors des deux premiers, Smith était passif. Celui-ci marque la fin (le crépuscule) de cette période : désormais, Smith deviendra plus actif dans ses voyages, imposant sa compagnie dans la Vallée du Perpétuel Matin et dialoguant avec la Reine avant de le faire avec le Roi. Maintenant, pourquoi la lumière monte du lac ?
Ici, Smith semble aller plus loin que le théologien : le lac n'est pas sombre, mais flamboyant (d'une lumière de coucher de soleil pourpre) et habité de créatures de feu... Comme toute chose, le feu a deux aspects " bon, mauvais, ou les deux à la fois, comme il en va d'ordinaire " :).
Si je reprend Bachelard, dans La Psychanalyse du Feu (Ch. 1, page 23)

Parmi tous les phénomènes, il est vraiment le seul qui puisse recevoir aussi nettement les deux valorisation contraire : le bien et le mal. Il brûle au Paradis. Il brûle à l'Enfer.

Cependant il est fréquemment lié à la connaissance (cf. Prométhée, Lucifer, ou même le dieu chrétien, qui apparaît souvent sous la forme d'un feu : buisson ardent... Chacun à pour désir d'apporter la connaissance aux hommes... Enfin, pour Lucifer... en fait je n'en sais rien) : on voit bien là que la connaissance est à double tranchant. On peut faire un pas aussi vers la figure du dragon (cracheur de feu), gardien d'un trésor – la sagesse, ou la vie immortelle, ou une princesse dont la blondeur est attribut solaire.
Cependant, on a l'association du feu et de l'eau... l'un et l'autre sont opposés, l'un et l'autre se complètent et se détruisent en même temps. La connaissance est contenue dans l'inconscient. L'inconscient, que Freud a présenté comme formidable dépotoir de toutes les pulsions inavouées/ables**, est chez Smith associé à la lumière, contre-pied du lac opaque du théologien. Qu'est-ce à dire ? Que l'inconscient est source d'émerveillement. Pas seulement réceptacle de vices cachés. Qu'on y trouve des créations qui semblent s'y mouvoir d'elle-même, qui y vivent de leur propre initiative, séparées de l'être qui les accueille – de la conscience – par une glace... mais nous y reviendront.
C'est cette association qui illumine la vallée : la lumière qui perce le lac, c'est la connaissance issue de l'inconscient. C'est cette connaissance, reconnue par Smith qui y plonge son regard, qui le change sonne en même temps la fin de sa période de contemplation passive.

2. l'homme s'approche du rivage.

Il y a là une différence notable entre les deux histoires : si le théologien sait en rêve que jusqu'à présent quelque chose l'a toujours retenu de s'approcher du lac, Smith s'approche sans hésiter, semble-t-il.
Si l'on en crois Jung, il faut que l'homme descende jusqu'à l'eau pour provoquer le miracle de la vivification de l'eau. Il faut que l'homme accepte de se pencher sur son inconscient, d'aller voir de plus près ce qui s'y meut. Il ne suffit pas simplement de dire « Tiens, j'ai un inconscient, et y'a des choses dedans, maintenant allons voir ailleurs », non. Il faut surmonter la peur de cet inconscient et aller le voir de plus près.
Ici cependant nous avons une nuance : pour le théologien, il suffit de descendre vers le lac pour que le vent s'éveille. Pour Smith cela ne suffit pas. Il faut l'étape 2' :

2' : l'homme marche sur le lac, tombe, et un grondement se fait entendre

En fait, le Vent se réveille suite à une succession d’événements ... Il ne s'agit pas simplement de marcher sur le lac, mais de tomber... l'alarme alors est donnée, long grondement qui se répercute et fait transition avec le rugissement éolien. Celui-ci, d'ailleurs, était déjà présent :
il parvint à une profonde vallée, au fond de laquelle s'étendait un lac, calme et uni malgré la brise qui agitait les arbres environnants.
Mais de simple courant d'air, il devient monstre :

3. le vent se met à souffler brusquement.

Smith s'est non seulement approché du lac, mais a aussi voulu poser le pied dessus. S'imposer. Conquérir peut-être. Il a oublié la recommandation que tous les parents font en emmenant leurs enfants à une exposition : « Tu regardes avec les yeux, tu ne touches pas ! » En Faërie, elle devient « Regarde, admire, mais ne t'impose pas ». Smith a touché, et alors le Vent l'emporte. Associer le Vent à la colère du père ? En ce cas, le bouleau serait la mère qui protège l'enfant et détourne la furie sur elle pour l'épargner au petit dans ses jupons ? Et le chagrin de Smith à rapprocher de la honte du petit garçon qui a laissé accuser sa mère plutôt que d'assumer la responsabilité de ses actes ? Je ne sais.
Voici en tout cas ce que Bachelard dit du vent violent, dans L'air et les Songes (Ch.11, p 291) :

Il semble que le vide immense, en trouvant soudain une action, devienne une image particulièrement nette de la colère cosmique. On pourrait dire que le vent furieux est le symbole de la colère pure, de la colère sans objet, sans prétexte

L'objet et le prétexte existent pourtant, mais comment ne pas retrouver la colère violente, acharnée, furieuse,  démentielle dans ce Vent rugissant qui cherche à tous prix à emporter Smith ?
Si l'Etoile protège des maux mineurs et majeurs, elle ne protège pas du Vent. Le Vent est à part. Voix de Faërie, peut-être. Où, si l'on considère le lac aux rubans de feu comme manifestation de l'inconscient, voix de l'inconscient ?

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#7 01-06-2004 18:31

Laegalad
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Re : Le lac et le bouleau dans Smith

3' : l'épisode du bouleau, qui presse Smith de partir, et surtout, de ne jamais revenir.

Smith veut dédommager le bouleau pour la protection qu'il lui a accordé, mais la réponse, terrible, poignante, lui fait comprendre que tous les maux ne peuvent être réparer... Le mal fait au bouleau est irréparable. Il s'est sacrifié dans sa bonté pour sauver le petit homme, se condamnant lui-même.

Quant aux conclusions de ces deux aventures, celle du théologien et celle de Smith, on ne peut dire si elles sont différentes : le théologien s'est réveillé, on ne saura pas la fin du rêve. Mais Smith, une fois remis de ses émotions, reviendra. Cet avertissement ne suffira pas. La menace et la colère, la violence n'impriment pas aussi profond que la douceur... Car Smith pense toujours que l'Etoile « était un passeport pour aller partout où il le voudrait ». Il lui faudra voir la jeune fille aux pieds de laquelle poussent les fleurs pour en prendre conscience...
Que disait Jung ?

Ainsi se trouve indiqué une présence invisible, un numen, auquel ni une attente humaine ni un calcul arbitraire n'ont prêté vie.[...] C'est aussi pourquoi le rêve du théologien dit fort justement qu'il peut vivre au bord de l'eau l'action de l'esprit vivant comme une guérison miraculeuse dans la piscine de Bethesda. La descente dans la profondeur paraît précéder toujours l'ascension.

Je ne me souviens plus de tous les éléments rentrant dans l'expérience du numineux. Cinq, je crois : la terreur, l'admiration, le sentiment d'infériorité... après, je ne sais plus les noms. Je ne peux avancer plus loin de ce côté. Mais pour ce qui est de la descente qui précède l'ascension, on la trouve : plus tard, quand Smith reviendra, il accédera aux Monts Intérieurs, « qui étaient hauts, escarpés et rebutants » [F/277]

Ce qui a précédé était une vision des choses... Il peut bien entendu y avoir d'autres pistes, ni exclues, ni invalidantes... Par exemple, si l'on considère (j'ai pris ça chez Bachelard encore :)) que l'eau est féminine, que l'arbre est féminin, on peut penser que Smith, en marchant sur le lac, a cherché à percer ce fameux « mystère féminin » que l'on retrouve chanté un peu partout, au point que l'expression est devenue d'une banalité effarante. Mais je n'ai pas suivi encore cette piste à laquelle je viens de penser... elle ne me paraît pas absurde non plus, je la laisse simplement mûrir... et si le chemin que j'entrevois ne s'enfonce pas dans les marais, alors... jolie brassée de fleurs :)

____________

* juste pour info, le passage de l'Evangile selon Saint Jean de la piscine de Bethesda :

" Or il existe à Jérusalem, près de la Probatique, une piscine qui s'appelle en hébreu Bethesda, et qui a cinq portiques. Sous ces portiques gisaient une multitude d'infirmes, aveugles, boiteux, impotents, qui attendaient le bouillonement de l'eau. Car l'ange du Seigneur descendait par moment dans la piscine et agitait l'eau : le premier à y entrer, après que l'eau ai été agitée, se trouvait guéri, quel que fut son mal. "

... ça ne cadre ni avec a, ni avec ß, puisque dans ces derniers l'homme est seul face au lac, alors que dans l'Evangile, c'est une multitude qui attend – qui attend, c'est en plus un événement prévu, alors que dans a et ß l'évènement est une surprise, et terrifiante de surcroît...

**cf. C.G. JUNG, Essai d'exploration de l'inconscient :

Les idées de Sigmund Freud ont confirmé la plupart des gens dans le mépris que leur inspire la psyché inconsciente. Avant lui, son existence était ignorée, ou négligée. Désormais elle est devenue un dépôt à ordures morales. Ce point de vue moderne est certainement borné et injuste.
[180-181]

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#8 01-06-2004 18:32

Anardaiel
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Messages : 274

Re : Le lac et le bouleau dans Smith

J'ai relu le passage dont il est question, sans avoir eu toutefois beaucoup le temps d'y penser. Mais il y a une chose qui m'a frappée : quand le vent se lève, il est dit :"cette bourrasque (...) le poussa sur les pentes, tournoyant et tombant comme une feuille morte".
Je comprends que c'est Smith qui est "comme une feuille morte". Vous me direz : 'et alors?'
Et bien, je n'y ai pas beaucoup réfléchi mais bon... l'image de la feuille morte n'est pas innoncente je pense. Smith est comme le bouleau d'une certaine façon. A creuser peut-être?...
Je sais, c'est loin d'être développé, et si ça se trouve, c'est une fausse piste! M'enfin, comme ça, j'aurai participé! ;)

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#9 01-06-2004 18:35

Anardaiel
Lieu : Mulhouse
Inscription : 2003
Messages : 274

Re : Le lac et le bouleau dans Smith

Hum... si j'avais vu que Laegalad avait posté entre temps, je me serais bien gardée de laisser ce malheureux post ;)

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#10 01-06-2004 23:45

romaine
Inscription : 2002
Messages : 628

Re : Le lac et le bouleau dans Smith

C'est fort intéressant, Laegalad! ;o)

Je n'ai aucune connaissance de Jung, aussi, je ne peux pas apporter grand chose à ta réflexion, juste une petite impression:

Dès la première lecture, il m'a semblé que la manière dont les cinq étapes de Smith étaient décrites ressemble fortement à la manière dont on décrit les rèves.

Les cinq à la suite ou quasiment, séparés par des blancs, comme des "flash", le vocabulaire évocateur et concis en même temps ("les marins elfes étaient grands et terribles", ça n'a l'air de rien, mais on les voit ;o) ) enfin voilà quoi :o)

Anardaiel, je ne sais pas si ta piste est fausse ou non, mais elle est poétique en tout cas ;o)

Romaine

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#11 03-06-2004 12:13

Melilot
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Messages : 1 094

Re : Le lac et le bouleau dans Smith

D'accord avec Romaine, Laegalad : très belle étude.

Je ne vais pas me risquer sur ton terrain, ni surtout sur celui de la psychanalyse (Oh misère!). Juste quelques idées et réflexions que ton travail m'inspire.

Ainsi le monde de Faërie ne serait autre que notre propre monde intérieur? Et le voyage en Faërie, une exploration de notre propre psychè, une plongée dans notre inconscient, et non pas une fuite extérieure dans l'imaginaire? Cette idée me séduit, décidemment.

Autre chose, tu évoques, citant Jung, le symbolisme de l'eau : "L'eau est le symbole le plus fréquent de l'inconscient. Le lac dans la vallée est l'inconscient qui se trouve en quelque sorte en-dessous du conscient."

Or, ici, ce n'est pas de l'eau, plus exactement ce n'est pas un "lac d'eau" : "c'était plus dur que la pierre et plus lisse qu'un miroir.".

Comment l'interpréter? En premier lieu, cela répond à l'une des énigmes rencontrées plus haut : pourquoi le lac reste "calme et uni malgré la brise qui agitait les arbres environnants." Logique interne.

La caractéristique de l'eau est de se laisser pénétrer. Le lac non seulement ne se laisse pas explorer, mais en plus fait tomber l'explorateur. Ce rejet répond aux deux autres rejets : celui du vent, hostile, celui du bouleau, protecteur mais accusateur. Peut-on alors l'interpréter ainsi : Smith n'est pas encore prêt à explorer le lac enchanté, de même qu'un homme non préparer ne peut affronter sans risques les profondeurs de son propre inconscient, comme le suggère le rêve du théologien? Il ne s'agirait plus dans ce cas, de violer ou non un univers où il reste étranger, mais d'abord d'en apprendre les codes et de les respecter, avant de pouvoir y accéder.

Autre interprétation possible : ce n'est pas de l'eau, donc ce n'est pas l'inconscient, c'est vraiment un monde autre, différent.

Comment verrais-tu ça?

(Cela dit, c'est peut-être du pur délire. Faut avouer que je ne suis pas à l'aise en terrain symbolique!)

Bisou.

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#12 03-06-2004 22:10

sosryko
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Re : Le lac et le bouleau dans Smith

Très joli parallèle, Laegalad ;-))
(c'est chouette, le bouton prévisualisation hein ;-)) ?)

Je n’apporte rien au débat, seulement quelque remarques marginales voire hors sujet (je sais, je sais ;-) mais j'avais envie de participer et ça me démangeait de préciser/corriger sur certains points).

Jung >>
Et ici se produit le miracle de la piscine de Bethesda [Jean, v, 1-4 – N.d.T.] : un ange descend et touche l'eau, qui acquiert ainsi une vertu curative.

Je n’ai jamais lu Jung, mais, grand psychanalyste ou pas, je suis toujours un peu énervé lorsqu’on fait dire au texte biblique le contraire de ce qu’il dit.
Tout le monde (ou presque ;-)) , et depuis longtemps, reconnaît que le verset 4 (qui concerne l’Ange et le « miracle de la piscine ») est  une glose explicative (du verset 7 qui suit) datant du second siècle,
(a) absente des manuscrits les plus anciens et les plus fiables ;
(b) au vocabulaire inconnu du reste de l’évangile de Jean (7 mots) mais aussi de tout le Nouveau Testament (4 hapax) ;
(c) déjà présentée dès les premiers siècles comme douteuse par la présence d’un astérisque dans plus de 20 manuscripts grecs et
(d) qui n’a gardé longtemps sa place que par sa présence dans le prestigieux codex Alexandrinus.
Aujourd’hui, l’immense majorité des exégètes rejettent ce verset, mais également les traductions bibliques récentes quelque soit leur confession (TOB, BJ, NBS…).

Ainsi, le « miracle de la piscine de Bethesda » n’est pas à chercher dans le (pseudo-)verset 4, ou dans les versets 1-3 qui ne sont qu’introductifs, mais bien dans la suite, les versets 5-9, qui montre Jésus guérissant un paralytique.

Bien entendu, cela n’enlève en rien au fait que si le « verset » 4 existe aujourd’hui, c’est parce qu’il a été écrit très tôt comme explication « populaire » (Brown, Meier) et qu’il relève de schémas ancrés en l’homme (le djinn de la source, la nymphe de la rivière ou la fée du lac).

Ensuite, je suis gêné par l’interprétation que Jung fait de ce verset ou du rêve du théologien :

Il faut que l'homme descende jusqu'à l'eau pour provoquer le miracle de la vivification de l'eau.

En ce qui concerne le rêve du théologien, les eaux ne sont pas devenues sources de vie : seul le vent est apparu, il n’y a pas mention de « bouillonnnement », comme en Jean 5, 4. Et même en Jean 5, ce n’est pas l’homme qui y serait « descendu » qui « provoque le miracle de la vivification de l’eau » : « la foule de malades » (v.3) ne provoque rien du tout ; le miracle est sporadique, laissé au bon vouloir de « l’ange du Seigneur » qui passe par là « à certains moments » (v.4) ; comprendre, presque jamais, car l’homme infirme « est dans cet état depuis longtemps déjà » (v.6), à savoir « depuis 38 ans » (v.5). Dans le texte évangélique, l’eau de la piscine est décidément bien capricieuse, contrairement à l’eau du rêve du théologien dont on devine qu’elle sera toujours sombre et qu’elle sera toujours balayée par un vent violent lorsqu’il s’en approchera (Idem pour Smith).
De plus, la véritable eau vivifiante du texte évangélique est Jésus qui vient vers le malade (qui ne lui demande rien, attaché qu’il est à une eau trompeuse [Jn 5, 7]) ; aussi, il n’est pas innocent que ce texte (Jn 5) arrive juste après la rencontre de Jésus avec la Samaritaine en Jn 4 : « Quiconque boit de cette eau-ci aura encore soif ; mais celui qui boire de l’eau que je lui donnerai n’aura plus jamais soif ; au contraire, l’eau que je lui donnerai deviendra en lui une source jaillissant en vie éternelle. » [Jn 4, 13-14]. L’homme infirme comme la Samaritaine ne provoquent aucun miracle, ils ne peuvent que recevoir le miracle qui vient à eux : dans les deux cas, « la vivification de l’eau » n’est pas dans le cœur de l’homme mais vient d’une rencontre initiée par Jésus qui « descend » vers l’homme et non l’inverse (« Jésus le vit (…) [et] lui dit : ‘veux-tu guérir ?’ » [Jn 5, 6]).

Laegalad >>
Cependant [le feu] est fréquemment lié à la connaissance (cf. Prométhée, Lucifer, ou même le dieu chrétien, qui apparaît souvent sous la forme d'un feu : buisson ardent... Chacun à pour désir d'apporter la connaissance aux hommes... Enfin, pour Lucifer... en fait je n'en sais rien)

Entre remarques de fond et broutilles :

(1) pourquoi citer les noms de Prométhée, Lucifer et de ne pas en faire autant pour le « dieu chrétien » ; il en a un :  Dieu…

(2) inutile alors de passer par une périphrase, surtout pour faire un contre-sens : le buisson ardent est une théophanie de la Torah, donc, à la limite, il aurait fallu parler de « Dieu dans l’Ancien testament », du « d/Dieu d’Israël » ou bien du « dieu judéo-chrétien », mais certainement pas du « dieu chrétien ».

(3) il ne semble pas inutile non plus de préciser que le feu, dans la Bible, n’est pas le symbole de la connaissance ; il ne faut pas confondre feu et lumière.
La lumière, bien plus que le feu, est de l’ordre de Dieu : elle est sa première parole (« Que la lumière soit » [Gn 1, 3]), elle est « son manteau » (104, 2), et toujours elle est liée à la sagesse (Eccl. 2, 13) et à la connaissance (2Co 4, 6).
Le feu, lui, est symbole de jugement et le buisson ardent n'échappe pas à la règle : symbolisant le jugement (les plaies) à venir sur l’Egypte si Pharaon ne libère pas le peuple de YHWH il est aussi miracle ; le miracle du buisson ardent étant dans le fait que le feu ne consume pas le buisson, symbole d'Israël (miracle qui annonce que le jugement ne touchera pas Israël).

(4) Enfin, si on tient à faire le lien entre la connaissance et Lucifer, c’est parce qu’on fait le triple amalgame entre (a) Satan et le serpent d’une part, (b)  la connaissance et « l’arbre de la connaissance du bien et du mal » (ce qui et une grosse bêtise) et (c) Satan et Lucifer, « le tentateur » et « le Père du mensonge » d’une part, et la figure folklorique héritée du Moyen-Âge du Prince des Enfers devenue le nouveau Prométhée purgeant une peine éternelle pour avoir apportée une connaissance interdite aux hommes ; mais là encore, confusion entre feu et lumière puisque Lucifer signifie « porteur de lumière »…

Sosryko
qui n'a rien fait avancer
mais qui est fut très content de découvrir hier ce beau fuseau :-))

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#13 04-06-2004 10:21

Laegalad
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Re : Le lac et le bouleau dans Smith

Stéphanie, apprend à te taire avant de parler... Promis, juré, je ne m'avance plus sur ce que je ne connais pas ! Faut dire d'abord que ce que j'ai mis en haut n'étais pas destiné tout de suite à être exposé... J'aurai préféré en discuter en apparté avant (du genre avec toi :)), parce que moi, les religions monothéistes... La preuve :) Merci en tout cas pour ces éclaircissements (et pour moi, ce ne sont pas des broutilles... au contraire !)...

J'espère ne pas commettre d'impair avec le reste...

Anardaiel> l'idée n'est pas stupide :) Je l'ai dit, mon bout d'étude n'est qu'une piste, qui n'infirme ni n'invalide les autres...

Je ne tenterai pas de définir [la nature de Faërie], ni de la décrire directement. C'est chose impossible. On ne peut attraper Faërie dans un filet de mots ; car c'est une de ses qualités que d'être indescriptible quoique sans être imperceptible. Elle possède maints composants, mais l'analyse ne découvrira pas forcément le secret de tous. [F/62]

Les voyages de Smith forment un tout, et n'en détacher qu'un pour l'étudier est risqué... j'ai pris le risque, mais il importe d'étudier tous les aspects... Et que Smith soit assimilé à l'arbre, ou du moins, associé, est possible. Seulement s'il est comparé à une feuille, il n'est pas l'arbre... Il en est un élément, simplement...

Romaine >
Dès la première lecture, il m'a semblé que la manière dont les cinq étapes de Smith étaient décrites ressemble fortement à la manière dont on décrit les rèves.
Les cinq à la suite ou quasiment, séparés par des blancs, comme des "flash", le vocabulaire évocateur et concis en même temps ("les marins elfes étaient grands et terribles", ça n'a l'air de rien, mais on les voit ;o) ) enfin voilà quoi :o)

Hmm... Attention à ne pas les confondre avec des rêves, ce qu'ils ne sont assurément pas :

[...] J'exclurai ou considérerai comme hors de propos toute histoire qui utilise le procédé du Rêve, le songe de l'authentique sommeil humain, pour expliquer le fait apparent de ses merveilles. Pour le moins, même si le rêve est un conte de fées à d'autres égards, je condamnerais l'ensemble comme gravement défectueux : ainsi qu'un bon tableau dans un cadre qui dépare. [F/66]

Et... je crois qu'une définition s'impose : la différence entre rêve et rêverie. Le rêve se fait en sommeil, quand la conscience est endormie. La rêverie est une vision éveillée des choses, une sorte d'état second... Malheureusement, si rêve à donné rêver, rêverie n'a, je crois, donné que rêvasser (encore que... rêvasser est plutôt lié à révasserie, "pensée vague"), plus péjoratif, alors qu'à mon sens, elle est au-dessus du rêve. C'est assez difficile de coller des mots là-dessus, des mots qui conviennent exactement :)

Mélilot >
Ainsi le monde de Faërie ne serait autre que notre propre monde intérieur? Et le voyage en Faërie, une exploration de notre propre psychè, une plongée dans notre inconscient, et non pas une fuite extérieure dans l'imaginaire? Cette idée me séduit, décidément.

Hmf... Je n'aime pas définir Faërie... elle est toujours plus que ce que l'on peut dire... et pas que cela. Pour en apercevoir une parcelle, il faut accepter de ne pas tout savoir. N'être autre que notre monde intérieur ? Pas seulement... Je l'ai dit ailleurs, mais rien hormis nous-même ne peut nous servir en Faërie. On y vient avec son âme. Mais sans notre âme, Faërie existerait encore. Si nous n'y sommes pas, elle sera tout de même. Seulement, nous la percevons différemment, tous autant que nous sommes. Alors, oui, Faërie est un peu une extrapolation de notre univers personnel, puisqu'on ne peut la voir qu'avec nos yeux, et que notre vision ne peut que nous être propre. Oui, on s'y découvre, comme on peut se découvrir dans chaque épreuve initiatique. Mais non, Faërie n'est pas nous. Elle Est. On l'atteint par des chemins différents, mais toujours grâce à elle qui nous accueille... L'étoile vient de Faërie, ce ne sont (probablement) pas des Hommes qui l'ont forgée. Quand à être une « fuite extérieure dans l'imaginaire »... Je ne comprend pas très bien ce que tu entends par là... chercher refuge dans des billevesées pour s'isoler du monde primaire ? En ce cas, non, certainement pas... Il ne faut pas confondre, comme le dit le Professeur, « l'Evasion du Prisonnier avec la Fuite du Déserteur » [F/124]. De toute manière, on ne peut s'enfuir en Faërie éternellement... I cannot come !I was born Earth-daughter ! crie Firiel dans The Last Ship. On est né Fils ou Fille de la Terre, on ne peut changer d'état. Mais en excursionnant en Faërie, on enrichit notre monde... Toujours en prenant l'exemple de the Last Ship :

Her gown had jewels upon its hem,
as she ran down the river,
and leaned upon a willow-stem,
[20] and watched the water quiver.

Mais les joyaux ne sont là que dans un certain état d'esprit... Il ne sont pas illusion, ni mensonge. Simplement, une fois changé de mode de pensée :

No jewels bright her gown bore,
[90] as she walked back from the meadow
under roof and dark door,
under the house-shadow.

Entrer en Faërie permet d'embellir notre monde, de voir les gouttes de pluie briller comme des étoiles ( :) Yyr), de faire d'une banale brume l'étole d'une déesse oubliée, de voir des dragons dans les nuages ou d'entendre rire les chutes d'eau. On entre en Faërie si l'on est enfayté. C'est une évasion d'un monde qui peut paraître bien lourd, bien noir, négatif et tout ce que l'on veut (pas besoin d'aller chercher bien loin, suffit de tourner le bouton du poste de radio). Faërie nous aide à voir encore la beauté de notre monde... Tiens, toi qui est du pays de la B.-D., tu connais peut-être Broussaille : je ne vois pas de meilleur exemple en images de l'état enfayté que celui du tome 5 (non, je n'ai pas d'actions chez Repérages Dupuis :)). Comme dit le Faune : « Chaque fois que tu te sens agressé par une publicité, tu peux faire un exercice mental qui consiste à retourner ses valeurs. Par exemple, si elle te parle d'une chose matérielle, souviens-toi du spirituel. Si elle te parler d'un désir, souviens-toi de tes satisfactions, etc... En pratiquant, ça peut devenir un réflexe. Ainsi la publicité devient un rappel à l'intériorité. »

Autre chose, tu évoques, citant Jung, le symbolisme de l'eau : "L'eau est le symbole le plus fréquent de l'inconscient. Le lac dans la vallée est l'inconscient qui se trouve en quelque sorte en-dessous du conscient."
Or, ici, ce n'est pas de l'eau, plus exactement ce n'est pas un "lac d'eau" : "c'était plus dur que la pierre et plus lisse qu'un miroir.".
Comment l'interpréter? En premier lieu, cela répond à l'une des énigmes rencontrées plus haut : pourquoi le lac reste "calme et uni malgré la brise qui agitait les arbres environnants." Logique interne.
La caractéristique de l'eau est de se laisser pénétrer. Le lac non seulement ne se laisse pas explorer, mais en plus fait tomber l'explorateur. Ce rejet répond aux deux autres rejets : celui du vent, hostile, celui du bouleau, protecteur mais accusateur. Peut-on alors l'interpréter ainsi : Smith n'est pas encore prêt à explorer le lac enchanté, de même qu'un homme non préparer ne peut affronter sans risques les profondeurs de son propre inconscient, comme le suggère le rêve du théologien? Il ne s'agirait plus dans ce cas, de violer ou non un univers où il reste étranger, mais d'abord d'en apprendre les codes et de les respecter, avant de pouvoir y accéder.

Hey, pas bête :) Il y a autre chose aussi, le problème étant que je ne sais si ça s'applique à beaucoup de gens ou seulement à moi... Disons que ce lac, malgré son apparente cristalinité (« il lui sembla voir jusqu'à une profondeur insondable »), et peut-être à cause de sa qualification de 'miroir', me semble être en fait... opaque. Pas au sens qu'on ne peut pas voir à travers, mais qu'il est impassible. Il n'agit pas : le vent souffle, le bouleau se courbe, mais le lac, lui, reste immobile... Il ne fait même pas tomber Smith, ce n'est pas un soubresaut de la surface qui le fait chuter... C'est un « non » catégorique et net. Comme la vitre protégeant un artefact. Froid, dur, immobile, quand bien même il rayonne.

Autre interprétation possible : ce n'est pas de l'eau, donc ce n'est pas l'inconscient, c'est vraiment un monde autre, différent.

Je n'ai pas dit que Faërie était l'inconscient... :) j'ai dit que c'était une piste, parmi d'autres. D'ailleurs, je ne m'attache ici qu'à un élément du conte de Smith... Mais je pense que si l'on se rencontre soi-même en Faërie, si chacune de nos aventures là-bas peut être un « rappel à l'intériorité », alors, on peut voir ça ainsi... Ce qui n'empêche pas que Faërie ne peut être réduite à notre seul inconscient.

Stéphanie - que le jardin appelle :)

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#14 04-06-2004 13:05

Melilot
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Re : Le lac et le bouleau dans Smith

Mais quel fuseau ... euh ... féérique! :-))))

En effet, difficile de mettre en mot l'évanescence. Et ton âme aérienne me semble s'y mouvoir plus à l'aise que mon esprit "né de la terre".

Bon. Pas essayer de définir Faërie, ni de l'enfermer dans nos catégories et nos concepts rigides. C'est acquis. On peut cependant  l'approcher, on peut l'explorer, ou du moins quelques-uns de ses apsects, si on a une clé (l'étoile, qui pourrait être l'imagination, l'inspiration, la faculté d'émerveillement ou d'observation, la générosité du coeur ou la largesse d'esprit, par exemple...?). L'inconscient humain pourrait être l'une de ces portes, dans ce cas, ta démarche "jungienne" est justifiée (et en tout cas, émerveillante).

Une autre serait la rêverie, au sens où tu l'entends, une autre encore, l'observation - surtout "un certain regard" (par exemple, lors d'une ch'tite promenade matinale dans les rues de Paimpol, qui en deviennent ... disons ... "enfaytées" ;-D). Et la curiosité scientifique pourrait encore être une de ces portes, à condition qu'elle s'accompagne d'émerveillement : puisqu'elle peut nous faire entrevoir la naissance même de la terre, et la structure de la matière, à travers ce que d'autres appelleraient "un stupide  caillou." Chacune ne donnant accès qu'à un aspect, un niveau du monde faërique? Ca se tient-il ou bernique?

Et le rêve? Il me semble - d'après le passage que tu cites (je n'ai pas lu Faërie, pas "encore")  - que ce que Tolkien réfute, c'est l'utilisation du rêve comme "procédé" littéraire ou explicatif, pas comme porte d'entrée. (Envie de déveloper sur le rêve, mais je vais d'abord vérifier si ça n'a pas déjà été fait).

Lac - miroir - opaque. Moui, il donne cette impression. Cela vient peut être des termes utilisés pour le décrire (dur, pierre, lisse, miroir). L'idée du miroir tient avec l'impression que ressent Smith, de "voir jusqu'à une profondeur incommensurable". Un miroir est opaque, la "profondeur incommensurable" que l'on croit y trouver est en fait un reflet.

Le reflet de quoi, ici? Certainement pas du paysage. De l'inconscient de Smith? De ses rêves, de ses désirs ou de ses peurs? De ceux de Tolkien? D'une possibilité non réalisée? D'autre chose, que je ne perçois pas (place à ton imagination!).

Tiens, ça me rappelle... Dans le SdA, il y a un autre "Lac du Miroir, qui lui non plus ne reflète pas le ciel, ni le paysage, mais les étoiles d'un ciel disparu. (Mais celui-là est un "vrai" lac, c'est de la "vraie" eau).

Le miroir n'est donc pas une porte vers un ailleurs, un autre monde. Entrer dans le miroir, passer à travers le miroir - (comme Alice ou surtout Orphée dans les films de Cocteau!) - ce serait donc à nouveau entrer en soi-même?

Est-ce que tout nous ramène à cette idée d'inconscient, ou est-ce moi qui tourne en rond autour d'elle? Vois-tu une sortie à ce cercle, ou bien une entrée vers ... quelque part?

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#15 05-06-2004 02:38

Laegalad
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Re : Le lac et le bouleau dans Smith

Une autre [porte] serait la rêverie, au sens où tu l'entends, une autre encore, l'observation - surtout "un certain regard" (par exemple, lors d'une ch'tite promenade matinale dans les rues de Paimpol, qui en deviennent ... disons ... "enfaytées" ;-D).

:)

Et la curiosité scientifique pourrait encore être une de ces portes, à condition qu'elle s'accompagne d'émerveillement[...] Chacune ne donnant accès qu'à un aspect, un niveau du monde faërique? Ca se tient-il ou bernique?

C'est ça :) L'importance est dans le regard que l'on porte au monde : curiosité, sympathie, amour, empathie... et un sourire :) La curiosité scientifique est sans doute une porte aussi (mais là, d'autres sont sans doutes plus doués que moi pour en parler... Pour moi, la curiosité scientifique s'arrête peu ou prou aux artefacts humains, après c'est trop compliqué pour que je comprenne :|).

Et le rêve? Il me semble - d'après le passage que tu cites (je n'ai pas lu Faërie, pas "encore") - que ce que Tolkien réfute, c'est l'utilisation du rêve comme "procédé" littéraire ou explicatif, pas comme porte d'entrée.

En fait, oui, Tolkien ne critique pas le rêve en lui-même (qui lui peut parfois être 'elfique'). Cependant, je ne crois pas que Tolkien aurait voulu présenter les étapes de Smith comme des rêves... Comme le dit Romaine, il utilise un vocabulaire 'percutant', mais cet effet me semble plus dans l'optique (voulue ou non) de nous faire rentrer, de nous faire apercevoir ce que Smith voit...

Evidemment, pour nous, c'est une expérience 'externe', c'est à dire qui n'a pas été faite par nous. Cependant, elle nous sollicite et c'est ainsi que Romaine peut dire "ça n'a l'air de rien, mais on les voit". Mais je ne pense pas que Tolkien ait voulu retracer une série de rêves... quand bien même on retranscrit un rêve, d'autres choses s'y collent... dans le meilleur des cas, on entre en rêverie, dans une sorte "d'écriture automatique", et là, ce n'est plus vraiment un rêve que l'on transmet. Sinon... il devient trop travaillé et perd de son Enchantement pour devenir un ensemble de rouages voulus et orientés par l'auteur.

Le rêve peut donc être une porte, mais elle est encore plus difficile à retranscrire. Pas tant à expérimenter, mais à faire partager.

Le reflet de quoi, ici? Certainement pas du paysage. De l'inconscient de Smith? De ses rêves, de ses désirs ou de ses peurs? De ceux de Tolkien? D'une possibilité non réalisée? D'autre chose, que je ne perçois pas (place à ton imagination!).

... à vrai dire, j'ai du mal à voir de quoi les flammes sont le reflet. Le feu n'est vraiment pas l'élément avec lequel je rêvasse (d'ailleurs, La psychanalyse du feu de Bachelard m'a laissée plutôt indifférente, alors que L'eau et les rêves m'a littéralement enthousiasmée... ma rêverie semble être plus aquatique qu'aérienne, terrestre ou ignée (dans l'ordre :)), aussi je peine à lui trouver un sens... Ceux que tu donnes sont possibles, en tout cas... mais quoi précisément, je pencherai plutôt pour un panaché :)

Dans le SdA, il y a un autre "Lac du Miroir, qui lui non plus ne reflète pas le ciel, ni le paysage, mais les étoiles d'un ciel disparu. [...] Le miroir n'est donc pas une porte vers un ailleurs, un autre monde. Entrer dans le miroir, passer à travers le miroir [...]ce serait donc à nouveau entrer en soi-même?

:) Et même :

Mais encore les étoiles noyées apparaissent
Dans le sombre Lac du Miroir privé de vent;
Là gît sa couronne dans l'eau profonde,
Jusqu'à ce que Durin du sommeil se réveille... [SdA, LIIC4]

Intriguant...
c'est une autre chose qui me titille : le nombre de miroirs qui renvoient à autre chose qu'à un reflet du paysage : celui de Galadriel, celui des Nains, celui de Smith... le thème du miroir est même parfois tissé avec celui de la femme de l'eau/aquatique qui se rencontre souvent : Galadriel, toujours, la femme-Korrigan du Lai d'Aotrou et Itroun, Nimrodel, Baie d'Or (et, ô surprise, on a le schème Eau + Forêt + Femme, auquel on peut ajouter pour Galadriel et la Korrigan la fiole lumineuse)... Beaucoup de points communs, la fiole lumineuse pouvant se rapprocher du lac lumineux de cette troisième étape (ce qui m'incline à concevoir le bouleau comme un être féminin, maternel car protecteur)...  De quoi tisser allègrement, toutes ces femmes n'étant pas anecdotiques. Je laisse tout ça cogiter dans un coin de ma tête :)

Pour répondre à ta question, entrer dans le miroir n'est pas forcément entrer en soi-même : Sam et Frodo, par exemple, ne font pas un voyage interne... Par contre, cela nous fait entrer 'ailleurs'. Entrer dans le miroir provoque toujours des sensations fortes

- Qu'avez-vous vu ? demanda Pippin à Sam.
Mais celui-ci était trop perdu dans ses pensées pour répondre. [SdA LIIC6]

Fortes, mais uniques, qui peuvent difficilement se partager. Là encore, je perçois le Lac-Miroir de Smith un peu comme celui de Galadriel :

Ce que vous verrez si je laisse au Miroir sa liberté d'action, je ne saurais vous le dire. Car il montre des choses qui furent, des choses qui sont et des choses qui pourront encore être? Mais lesquelles il voit, même le plus sage ne peut toujours le déterminer.

Je ne sais pas s'il est limité uniquement à une dimension temporelle. A partir du moment où Galadriel peut lui ordonner des visions,  il peut nous montrer nous même, il peut nous montrer quelque chose qui nous est cher ou rien du tout, je pense. Mais chacune de ces visions peut nous ramener à nous-même, nous révéler, pour peu que l'on accepte de faire nous-même un travail de... réflexion :)

Est-ce que tout nous ramène à cette idée d'inconscient, ou est-ce moi qui tourne en rond autour d'elle? Vois-tu une sortie à ce cercle, ou bien une entrée vers ... quelque part?

Pas seulement d'inconscient... L'être humain est plus complexe, et même si ce que l'on a nommé 'inconscient' est la plus complexe de ses composantes, elle n'est pas la seule. Je pense plutôt que Faërie peut nous mener à nous connaître nous-même, en entier : c'est quand Smith aura vu la Reine, quand il aura compris que c'était Elle l'objet de tous ses voyages, qu'il pourra retourner dans le monde des Hommes à jamais. Il se connait enfin. D'une certaine manière, il s'est trouvé lui-même (en crayonné léger, avec un point d'interrogation, j'ai noté Reine des Elfes = Anima ?... pour l'instant je ne peux dire... pas assez lu Jung pour savoir ce qu'il appelle anima). Mais attention, encore une fois (je rabâche, mais c'est très important pour moi), même si je finissais par enlever le point d'interrogation, ce ne serait pas une égalité parfaite et absolue, simplement que la Reine pourrait être vue comme l'anima. D'autres y verraient simplement la Vierge Marie, ce qui ne serait pas plus faux :)

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#16 07-06-2004 14:41

sosryko
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Re : Le lac et le bouleau dans Smith

Et... je crois qu'une définition s'impose : la différence entre rêve et rêverie. Le rêve se fait en sommeil, quand la conscience est endormie. La rêverie est une vision éveillée des choses, une sorte d'état second...

héhé, je vois, Stéphanie, que tu es tombée toi aussi dans le monde onirique de ce cher Gaston, parfait scientifique et parfait poète, un peu de Tom en lui.
On pourrait « not[er] d’ailleurs qu’une rêverie, à la différence du rêve, ne se raconte pas. Pour la communiquer, il faut l’écrire, l’écrire avec émotion, avec goût, en la revivant d’autant mieux qu’on la récrit. Nous touchons là au domaine de l’amour écrit. La mode se perd. Mais le bienfait demeure. (…) Pour dire un amour, il faut l’écrire. » [Bachelard, La poétique de la rêverie, p.7]

...mhhh, est-ce que j'y vais...rahhh, chuis pas prêt ;-))
Grrr, je ne peux pas aller trop loin parce que le gros sera dans la suite de l’étude de Tom, mais bon, alleeeer un tout petit peu…
…ça ne peut pas faire de mal
et puis l'image est désormais trouvée
et puis qu'on n'arrête pas d'y tourner,
et puis ça fait du bien, là :-))

Difficile de faire court, impossible même, car la réponse à la question initiale de ce fuseau (rôle de l’épisode du Lac) mais aussi aux commentaires et interrogations qui ont suivie ne souffrent pas qu’on sépare l’épisode en question du conte entier de Smith. Et la compréhension de ce conte est impossible (bon, c’est pas vrai, mais je fais court on a dit ;-)) sans revenir à la triple nature possible d’un (vrai) conte faërique selon Tolkien :

Even fairy-stories as a whole have three faces: the Mystical towards the Supernatural; the Magical towards Nature; and the Mirror of scorn and pity towards Man. The essential face of Faerie is the middle one, the Magical. But the degree in which the others appear (if at all) is variable, and may be decided by the individual story-teller. The Magical, the fairy-story, may be used as a Mirour de L'Omme; and it may (but not so easily) be made a vehicle of Mystery.

=

Même les contes de fées en tant que tout ont trois faces : la Mystique, tournée vers le Surnaturel ; la Magique, tournée vers la Nature, et le Miroir du dédain et de la pitié, tourné vers l’Homme. la face essentielle de la Faërie est celle du milieu, la Magique. Mais le degré auquel les autres apparaissent (si cela arrive) est variable et dépend de la décision du conteur individuel. La face magique, le conte de fées, peut être employée comme Miróur de l’Omme, et l’on peut en faire (mais pas aussi aisément) un véhicule de Mystère.

Faërie/82

Impossible de détailler ces trois faces ici, et je laisse cela à d’autres plus compétents que moi sur ce sujet (Yyr, bien entendu, sans qui je n’aurais pas donné cette référence, merciiiii beaucoup-très-beaucoup Yyr :-)).
Mais retenons que selon « la décision du conteur individuel », un conte dé fée, qui est Magique par essence, peut (« si cela arrive ») avoir pour but le Miroir ou la Mystique, l’Homme ou le Mystère.
Or, chez Tolkien, « cela arrive » toujours ;-))

Sosryko

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#17 07-06-2004 14:51

sosryko
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Re : Le lac et le bouleau dans Smith

Jusqu’à présent, on peut dire que les lectures proposées ont été orientée selon l’Homme. Et on a vu dans le Lac de Smith,… un miroir, symbole de l’inconscient de Smith.

Le problème est que le Lac de Smith n’est jamais comparé à un miroir. Le texte dit seulement que le lac est « plus lisse qu’un miroir » [S/276].
Le texte ne dit même pas que le lac est « lisse comme un miroir » (ce qui serait presque faire de lui un miroir selon la technique narrative de Tolkien) : il dit qu’il est « plus » qu’un miroir...
Rien à voir donc avec le Lac-Miroir ou le Miroir de Galadriel qui ont une fonction radicalement différente, cette fonction commune étant celle de toutes les formes de miroir aquatique dans le conte d’Arda (rivières miroitantes, montagnes miroitantes [à cause de la neige], lacs, étangs, …, impossible de les mentionner ici, la liste est incroyablement longue), à savoir : donner à voir la lumière du ciel, et plus spécifiquement celle des étoiles.
Or, là encore, loin de renvoyer une quelconque lumière d’en haut, le Lac « pourpre » est pourpre parce qu’une lumière « montait » des profondeurs du lac. La lumière émise par le lac est celle « d’étranges formes de flammes » et de « créatures de feu » que l’on peut « voir jusqu’à une profondeur incommensurable » [S/276].

Il y a donc à mon avis un erreur à vouloir faire du lac/miroir la représentation de l'inconscient , si notre objectif est de suivre le but fixé par le conteur
(et dès lors qu'on tient compte de la valeur des mots ainsi que de la cohérence de ses symboles et images dans tous ses écrits faëriques).

Point d’erreur bien entendu si on décide de lire le conte selon la grille de l’Homme; mais nous courons le risque de ne jamais comprendre le rôle de l’épisode une fois replacé dans le conte, ou bien certains détails (comme les créatures de feu, ou l’amertume des larmes du bouleau [« elles furent amères à ses lèvres » : S/277])

Laegalad >> la Reine pourrait être vue comme l'anima. D'autres y verraient simplement la Vierge Marie, ce qui ne serait pas plus faux :) »

Pourtant, avec Smith, on ne peut pas mettre les deux lectures (celle de l’Homme et celle de la Mystique) sur le même pied d’égalité. Toutes les lectures sont autorisées, mais toutes ne se valent pas si notre volonté, je le répète, est de comprendre le sens du conte tel que conté par Tolkien (et c’était la question de Moraldandil, il me semble).

Smith n’est pas un conte sur la connaissance, encore moins sur la connaissance de son moi profond.
Smith est un conte sur la rencontre de l’homme avec le divin qui vient à lui.
Pour beaucoup, il s’agira simplement d’une expérience du « numineux », mais au-delà, il y a une réalité plus profonde, celle d’un cheminement spirituel, chrétien et catholique.
Un cheminement « mystique » initié par (et pour) une rencontre « surnaturelle » si nous reprenons les mots de Tolkien.
Pour cela, Smith (= S) est à lire en parallèle avec Feuille de Niggle (= N).
Car alors que le premier se déroule en partie en Faërie, le second donne l’interprétation de Tolkien de Faërie.

Sosryko

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#18 07-06-2004 03:25

sosryko
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Re : Le lac et le bouleau dans Smith

De même que l’étoile de Smith est étoile faërique (« fay star »), de même Faërie est étoile.
À la naissance, chacun est appelé à chercher l’étoile et « tous paraissent propres à la trouver » [S/298]. Celui à qui elle est prêtée devra apprendre que l’important n’est pas dans l’étoile mais dans la lumière qu’elle délivre et dans le chemin qu’elle propose ; et les mêmes humilité et maîtrise qui l’auront conduit à la recevoir devront l’aider à s’en séparer. Car une étoile n’est utile que pour celui qui est perdu dans la nuit et sans espérance. À celui qui, après avoir beaucoup reçu, garde le « souvenir de Faërie » [S/281] comme une « fleur vivante » [S/280] et sait qu’il « a beaucoup de choses à apprendre [à ses proches]» [S/291], « la lueur » demeure et « ne tarde [jamais] à briller dans ses yeux » [S/299].
Car Faërie n’est qu’avant-goût et prémices.
Faërie est « une introduction aux Montagnes » [N/185], une anticipation de ce qui est de toute éternité mais qui n’est pas encore ici-bas, une portion de « voile » levé [SB] qui permet d’entrevoir le monde à venir.
En Faërie « l’air est si pur que les yeux peuvent voir » [S/278] ce pour quoi ils sont si facilement aveugles dans un monde blessé. Parfois, la vision est fugace comme celle de « l’Arbre du Roi » [S/276] : une vision unique dont le seul but est d’encourager à « s’enfoncer dans le pays » [S/277], jusqu’au « cœur du royaume » [S/275].
Un Arbre du Roi de Faërie comme annonciateur du Royaume à venir.
Car l’entrée du Royaume est comme un « Grand Arbre en pleine floraison » [N/180] : « les oiseaux [viennent y] faire leur nid » [N/176] et « il porte en même temps des feuilles, des fleurs et des fruits innombrables, mais tous différents » [S/276]

18 [Jésus] dit encore:
A quoi le royaume de Dieu est-il semblable,
et à quoi le comparerai-je? 
19  Il est semblable à un grain de moutarde
qu’un homme a pris et jeté dans son jardin;
il pousse, devient un arbre,
et les oiseaux du ciel habitent dans ses branches.

[Luc 13 :18-9]

Faërie, en rendant sensible la beauté au monde, ses « merveilles » et ses « mystères » [S/275] (celui des « Maux » [S/274] comme ceux de « l’amertume » [S/277] ou du « chagrin » [S/281]), est destinée à la « convalescence » [N/185] des cœurs meurtris et au « calme » de l’âme [S/282].
Faërie est affaire de créance.
Car Faërie relève avant tout de la Magique.
Car « si vous ne voulez pas croire », même le Roi de Faërie « ne peut rien pour vous » [S/295].
Pour celui qui « s’accorde de plus en plus de temps pour la promenade [et] la contemplation » en Faërie [N/180], elle « fait [même] merveille dans certains cas » [N/185] — à savoir lorsqu’on la laisse devenir une « introduction » à la foi [N/185].
La convalescence comme la vie ne durant jamais, l’homme, qui n’a pas plus de liberté que le Roi de Faërie, est confronté à un « message » : « Le temps est venu. Qu’il choisisse » [S/283].
Vie et Faërie « ne sont qu’un prêt » [S/285] auquel il faut apprendre à « renoncer » [S/284].
Aussi, au fil des promenades et à force d’explorer Faërie, arrive le jour où il faut « rentrer en paix » [S/289] pour reprendre le chemin ; un chemin commencé à l’Aube et qui va inéluctablement vers le Soir [S/289], un chemin de « privation » [S/282] pour celui qui refuse d’avancer « de plein gré » [288], mais chemin de partage et d’espérance pour celui est capable de « renoncer à l’étoile » [S/292] ou à « la Source au cœur de la forêt » [N/180], pour celui qui répond ‘oui’ à l’appel du « berger » : « Voulez-vous un guide ? Voulez-vous poursuivre votre chemin ? » [‘go on’ N/181]. Le berger s’occupe des « brebis » [‘sheep’ N/182] : il les conduit vers de « hauts pâturages », leur donnant de « contempler un ciel toujours plus étendu et marcher toujours plus loin vers les Montagnes, toujours montant. » [N/182-3].

for thou shalt go before the face of the Lord to prepare his ways ; (…)
79 To give light to them that sit in darkness and in the shadow of death,
to guide our feet into the way of peace.

[Luc 1 : 76.9]
Car vous étiez comme des brebis errantes, mais maintenant,
vous êtes retournés vers le berger et le gardien de vos âmes.

[1P 2 : 25]
« Je suis la porte; si quelqu’un entre par moi, il sera sauvé;
il entrera et sortira et trouvera des pâturages.  (...) je suis le bon berger. »

[Jean 10 : 9.11]

Je sais, je n’ai toujours pas donné la réponse à la question de Bertrand.
Il faudra attendre, il est tard ;-))
Désolé, mais ce n'est pas immédiat et nécessite de replacer l’épisode dans le conte de Smith.
Disons seulement que les justifications de la réponse confirmeront la face « Mystique » de Smith
(pour ceux qui auraient des doutes, je sais qu’il y en a ;-)))

Sosryko
qui reviendra ;-)

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#19 07-06-2004 10:41

Laegalad
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Re : Le lac et le bouleau dans Smith

... oh ! que la jeune fougère a envie de grandir, grandir, jusqu'à devenir un chêne robuste de ta semblance, Sosryko ! Le chemin est long, et hélas, elle est trop occupée en ce moment - dossiers d'inscriptions et préparation d'une longue randonnée - pour pouvoir suivre le sens de tes branches... Je me contente donc, pour le moment, de me complaire à ton ombre : la lumière est belle entre les feuilles, et la source chantonne de contentement :)

Stéphanie - c'est en forgeant qu'on devient Fabre, en se fourvoyant qu'on devient Humain, non ? :)

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#20 07-06-2004 16:25

sosryko
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Re : Le lac et le bouleau dans Smith

Avant de poursuivre, revenons à la fin de la citation de Faërie ci-dessus et donnons sa suite :

La face magique, le conte de fées, peut être employée comme Miróur de l’Omme, et l’on peut en faire (mais pas aussi aisément) un véhicule de Mystère. C’est du moins ce qu’a tenté George MacDonald, qui a réalisé de puissants et beaux contes quand il a réussi, comme dans The Golden Key (qu’il a qualifié de conte de fées), et même quand il a partiellement échoué, comme dans Lilith (qu’il a qualifié de roman).

Faërie/82-3

Or, dans les Lettres (L262) comme dans la Biographie de Carpenter (VII.1, Headington), nous apprenons que Smith a son origine dans une introduction (inachevée) qu’on  avait commandé à Tolkien pour une réédition de… The Golden Key de George MacDonald que Tolkien appréciait en tant que « véhicule de Mystère ». Comment ne pas alors orienter la lecture de Smith vers celle d’un conte faërique où la Mystique domine sur le Miroir ?
Mais la Mystique ne consiste pas pour autant à voir en la Reine la Vierge Marie parce qu’on sait que Tolkien était attaché à la piété mariale. Car une telle lecture est orientée vers l’Homme (l’homme lecteur interprète en fonction de ce qu’il sait de l’homme conteur, indépendamment du conte, en cherchant à ramener le conte à l’histoire du conteur et du lecteur). Le lecteur qui accepte de considérer la face Mystique du conte n’est pas conduit vers des événements humains spécifiques (forcément du domaine du passé) mais vers des principes moraux (à mettre en pratique dans le présent) et des interrogations spirituelles qui projettent le lecteur depuis son passé (son Aube) jusqu’au-delà de son avenir terrestre (son Soir).
Si Tolkien a voulu faire un conte faërique en développant la face du Mystère, il était tout à fait conscient de tout ce qui y relevait de l’Homme par ailleurs. Ainsi, dans la même Biography, voici ce que rapporte Carpenter à propos de Smith :

Smith was unusual (…) it was related closely and even conscously to himself. He called it « an old man’s story, filled with the presage of bereavement », and elsewere he said that it was « written with deep emotion, partly drawn from the experience of the bereavement of ‘retirement’ and of advancing age. » Like Smith, (…), Tolkien had, in his imagination, wandered long while through mysterious lands ; now he felt the approach of the end, and knew that he would soon have to surrender his own star, his imagination. It was indeed the last story he ever wrote.
(…)
Smith of Wootton Major was generally well received by the critics, though none of them perceived its personnal content nor remarked that it was uncharacteristic of its author in containing an element of allegory. Tolkien wrote of this : « There is no allegory in the Faery, which is conceived as having a real extramental existence. There is some trace of allegory in the Human part, which seems to me obvious though no reader or critic has yet averted to it. As usual there is no ‘religion’ in the story ; but plainly enough the Master Cook and the Great Hall, etc., are a (somewhat satirical) allegory of the village-church, and village parson : its functions steadily decaying and losing all touch with the ‘arts’, into mere eating and drinking — the last trace of anything ‘other’ being left in the children. »

Au passage, nous avons là peut-être la solution au problématique rejet de « l’allégorie » par Tolkien. Le problème étant que si Tolkien détestait tellement « l’allégorie », la plupart de nos interprétations seraient à jeter à la poubelle.
Car Tolkien est formel : « il n’y a pas d’allégorie en Faërie ». Pourquoi ? parce que l’allégorie relève de la « face Humaine » par laquelle on peut aborder le conte. Mais cette face n’étant pas « la face magique », la créance est détruite : en revenant dans le Monde primaire par le biais de l’allégorie qui nécessite le rappel du passé d’un homme (histoire de Tolkien : TB était une poupée) ou des hommes (Histoire : Guerre de l’Anneau=WWII), on agit en destructeur de la Nature.
Pour autant, Tolkien ne ferme pas la porte à toute interprétation : il y a celle qui, sans rejeter la Magique, choisit le chemin du Mystère. Elle ne se fait « pas aussi aisément » que sa petite sœur. Il est toujours plus facile de regarder en soi ou en arrière que vers l’Autre et dans un avenir dont notre raison ne sait rien sinon qu’il ne durera pas.
Parfois, la lecture Mystique sera proche de l’allégorie, le symbole étant omniprésent en Faërie ; mais il serait plus juste de parler de lecture typologique, le passé de Faërie n’étant que la « figure » de réalité spirituelles et annonce de ce qui vint et viendra dans le monde et dans les coeurs.
Enfin, si Tolkien qualifiait la « face Humaine » de Miroir, la Mystique est également un Miroir (cf. les « miroirs aquatiques » du conte d’Arda cette fois ;-)). Deux miroirs qui ne sont qu’un en réalité. Car celui qui regarde dans un miroir aquatique peut toujours regarder les détails de son visage ; mais il peut dépasser sa silhouette et contempler les étoiles qui forment « une couronne (…) au-dessus de l’ombre de sa tête » [SdA, II.4].

Ils se penchèrent sur l'eau sombre [du Lac Miroir]. Tout d'abord, ils ne virent rien. Puis, lentement, ils aperçurent, reflétées dans un bleu profond, les formes des montagnes environnantes, dont les cimes paraissaient des panaches de flamme blanche, au-delà, il y avait une étendue de ciel. Là, tels des joyaux plongés dans les profondeurs, brillaient des étoiles étincelantes bien que la lumière du soleil régnât au-dessus dans le ciel. De leur propre forme, nulle ombre ne se voyait.

SdA, II.6

Sosryko
rougissant,
merci Stéphanie ;-)

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#21 07-06-2004 16:27

sosryko
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Re : Le lac et le bouleau dans Smith

Le but faërique de Tolkien était bien le « dévoilement de la vérité et l’encouragement à la bonne moralité dans ce monde réel » (« elucidation of truth, and the encouragement of good morals in this real world” [L153]). Bien entendu, dans sa théorie faërique (le Mystère introduit par le Magique), Tolkien savait qu’il n’était pas à l’abri d’erreurs tout comme il avait conscience qu’il ne possédait pas la Vérité dans sa pureté ; voici ce qu’il concède à propos de Faërie :

But, of course, I may be in error (at some or all points): my truths may not be true, or they may be distorted : and the mirror I have made may be dim and cracked

L 153

Mais Tolkien savait qu’il ne faut pas attendre d’être parfait pour témoigner, consoler et guérir. Tolkien n’a fait que proposer un chemin, assuré qu’il pourrait « faire des merveilles dans certains cas ». Sachant aussi que « seuls ceux qui ont gravi [les Montagnes] peuvent dire comment elles sont dans la réalité et ce qu’il y a au-delà » [N/183].

Aujourd’hui nous voyons au moyen d’un miroir, d’une manière confuse, mais alors, nous verrons face à face; aujourd’hui je connais partiellement,  mais alors, je connaîtrai comme j’ai été connu. [1Co 13:12]
=
And now we see, as by a mirror, in similitude; but then face to face: now I know partially; but then shall I know, just as I am known. [1Co 13:12 ; Murdock, 1851]
=
For we see now through a dim window obscurely, but then face to face; now I know partially, but then I shall know according as I also have been known. [1Co 13 :12, Darby, 1884]

Autre argument qui confirme le lien entre Niggle et Smith : Edith, la femme de Tolkien, fut la première lectrice de Feuille de Niggle et de Smith de Grand Wootton ( Bio, IV.5, Northmoor Road) ; preuve de l’apsect autobiographique des deux textes mais également, en reprenant les mots de Bachelard à propos de la rêverie, preuve d’un « amour écrit » de Tolkien pour Edith.
Pour s’en convaincre, il suffit de penser à Parish qui doit attendre sa femme avant d’espérer rejoindre Niggle ; ou bien de la Reine des Elfes [Fairy Queen] qui attend le Roi de Faërie [King of Faery]). Conséquence importante : comme Tolkien n’était ni entièrement écrivain, ni entièrement professeur, Tolkien n’est pas seulement à chercher dans Smith ou dans Niggle, mais également dans le Roi et dans Parish. Cette remarque non seulement permet de lever en partie l’ambiguïté de la rencontre entre Smith et la Reine, mais surtout elle s’inscrit dans le thème du double, omniprésent dans le conte de Smith. Mais ça, c’est une autre histoire.

Sosryko
qui promet qu’il voulait commencer de répondre aujourd'hui :-(

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#22 07-06-2004 19:25

Melilot
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Re : Le lac et le bouleau dans Smith

Merci, Sosryko, d'avoir pris le temps et la peine (le plaisir plutôt : ton texte est ciselé avec tant de soin que l'on y sent sa trace :-)!) d'éclairer pour nous le motif du miroir.

Mais ce chemin m'est si étranger que j'ai du mal à la suivre. Par exemple, je ne comprends pas ce que Tolkien entend exactement par "le miroir du dédain et de la pitié, tourné vers l'homme", plus particulièrement ici l'emploi des termes "dédain" et "pitié"? Pourquoi? Dans quel contexte? Dans quel sens? Dans quelle optique? Dans quel but? ...

(Je crois que ma prochaine démarche sera, tout bêtement, de lire ce conte, sans aucun a-priori mystique, philosophique ou psychanalytique. Seulement pour le plaisir et l'enchantement. Et d'observer les sentiments qu'il suscitera). ;-)

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#23 07-06-2004 20:05

Finrod
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Re : Le lac et le bouleau dans Smith

Très beau message Sosryko en effet ! :-)

Melilot >Je crois que ma prochaine démarche sera, tout bêtement, de lire ce conte, sans aucun a-priori mystique, philosophique ou psychanalytique. Seulement pour le plaisir et l'enchantement. Et d'observer les sentiments qu'il suscitera
C'est ça, c'est exactement ce qu'il faut faire :-) ! Les études faëriques menées ici sont aussi belles que passionantes. Mais le plaisir et l'enchantement suscités par le conte sont toujours l'essentiel et doivent le rester. Et il est fort plaisant mais extrêmement rare (et pourtant, j'en ai lu des textes sur Smith : Shippey, Flieger, Kocher, etc.) de voir des études de conte qui permettent comme dans ce fuseau par exemple de laisser l'enchantement intact. Mieux, de voyager à nouveau et encourager des réactions comme la tienne ;-). Décidément, cette étoile de Faërie, quel don merveilleux ! ;-)

Laurent, qui n'apporte rien mais vient de passer un très agréable moment de lecture ;-)

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#24 07-06-2004 23:19

sosryko
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Re : Le lac et le bouleau dans Smith

Merci, Sosryko, d'avoir pris le temps et la peine (le plaisir plutôt ...)

Tu n'es pas loin de la réponse, Melilot ;-)) car enlève la peine, et le plaisir disparaît. Non pas que la peine engendre le plaisir (Hola, hola, chuis pas masochiste), mais on ne peut pas monter la Montagne sans aucun effort.

Mais ce chemin m'est si étranger que j'ai du mal à la suivre. Par exemple, je ne comprends pas ce que Tolkien entend exactement par "le miroir du dédain et de la pitié, tourné vers l'homme", plus particulièrement ici l'emploi des termes "dédain" et "pitié"? Pourquoi? Dans quel contexte? Dans quel sens? Dans quelle optique? Dans quel but? ...

Oùsuisjeoùvaisjedansquelleétagère ;-))
Tout le monde se pose ces questions à la lecture de l'essai de Tolkien sur Faërie, et jusqu'à il y a peu, je n'aurai pu donner aucun début de réponse satisfaisante. Mais aujourd'hui, il me semble avoir proposé une réponse, juste au-dessus ;-)
Il y en a d'autres car il y a trois lectures possibles de la troisième "face" d'un conte faërique :

"Mirror of scorn and pity towards man"
= Mirror (of scorn and pity) towards man ? (1)
ou bien
= Mirror of [scorn an (pity towards man)] ? (2)
ou bien
= Mirror of [(scorn and pity) towards man] ? (3)

(1) C'est le choix de la traduction française que nous connaissons.
Le "Miroir du dédain et de la pitié" est "tourné vers l'Homme" : ainsi, il privilégie, comme je l'ai montré, un retour sur soi, sur sa petite histoire comme sur son Histoire (vu que l'Histoire, finalement, personne ne la connaît), ce repli, c'est une forme à la fois d'égoïsme de l'autre (dédain = scorn) mais aussi un besoin de créer la compassion (pitié = pity) : je le conte est fait pour me faire du bien et/ou pour plaindre ma situation; il n'est pas là pour me proposer un chemin, pour m'interpeler, pour m'encourager à aller plus loin, à m'améliorer. Il n'est là que pour mon plaisir et pour calmer ma douleur par son Enchantement. Je prends tout ce que m'apporte Faëry, mais je dédaigne ses avertissements et ses propositions (comme : Faëry n'est pas un amusement, et son rôle principal n'est pas de divertir [ce qu'elle fait!] mais d'apprendre et d'inciter à vivre pleinement dans "le monde vrai" [L153])
(2)
Cette deuxième lecture ("le Miroir du dédain et de la pitié envers les hommes") chevauche la première. Le dédain garde sa part de mystère : dédain-mépris (scorn) de l'aspect Magique de Faëry mais aussi de la face Mystique (voir ci-dessus : il est quasiment impossible de conserver intacte la créance en Faëry lorsqu'on la considère essentiellement comme une création littéraire du XXème siècle.
(3)
"Le miroir du mépris envers l'homme et de la pitié envers l'homme"
Cette lecture est également possible, et, pour tout te dire, je crois bien que c'est une telle idée à laquelle Tolkien pensait en écrivant ces lignes.
Un conte étant souvent le lieu d'un conflit entre deux esprits, deux manières de penser et de considérer l'homme :
(a) celui qui regarde avec mépris son prochain, qui l'utilise pour son profit : généralement la belle-mère, le "marâtre" qui n'est que méchanceté et qui veux abandonner les enfants de son mari en forêt; ou bien la sorcière; ou bien les deux : cf. la reine-sorcière de Blanche-neige !!...mais également Saruman ou Nokes.
(b) et celui qui a compassion de l'infortuné et qui voit au-delà des apparences (une fée, des nains, un prince...mais également Sam ou Alf.
A ce moment là, le conte de fées Humain est un conte de fées qui est axée sur les valeurs morales, "humaines".
En ce cas, la Nature de Faërie est sauve et il n'y a pas de connotations négatives attaché à cette lecture axée de l'Homme vers l'Homme.

Mais Attention à ne pas pratiquer le Miroir (1-2) en pensant que le miroir dans lequel on regarde est celui de (3).
Attention à ne pas pratiquer le désenchantement en pensant que notre lecture éthique et morale laisse intacte les mystères de Faërie.

Sosryko

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#25 08-06-2004 00:45

Yyr
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Re : Le lac et le bouleau dans Smith

Des étoiles brillent dites donc ... :) :) :)

Arrivant tout juste à suivre en lecture, et ne pouvant même répondre à mes mails (promis Cathy je n'ai pas oublié le retour que je dois te faire ;)) parce que durement arraché aux rivages de Faërie depuis de trop longs temps sans cesse et encore (je sers l'informatique et c'est ma joie ;|) voici un tout petit lien par rapport à l'oeuvre à laquelle Tolkien fait visiblement référence : Speculum Meditantis (Mirour de l’Omme). En lien donc avec l'approche de Sosryko : le Conte comme Miroir du dédain et de la pitié quant à l'Homme ie. pour Gower l'affrontement des vices et des vertues (bien qu'employant en l'occurrence une dialectique spirituelle, celle-ci appraît bien morale et non mystique ; pour atteindre le Mystère, il s'agit, pour le Conteur - et ses hôtes - de s'enfoncer plus profondément en Faërie).

Jérôme

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#26 08-06-2004 01:50

Moraldandil
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Re : Le lac et le bouleau dans Smith

Hé bé, si je pensais lancer une telle boule de neige... :-)

Je voudrais repartir, de manière plutôt interne, sur le propos de Finrod qui souligne que la différence entre Smith et le personnage de La cloche marine est que ce dernier cherche à s'imposer. Je crois que c'est une piste intéressante. Laegalad a remarqué que le passage du bouleau et du lac est le premier où Smith intervient directement en Faërie. En fait, je crois qu'il est encore plus singulier, car il me semble que c'est aussi le seul moment où il interfère de sa propre initiative, sans avoir été invité. L'entrée dans la danse dans la Vallée du Perpétuel Matin puis la présentation à la Reine viendront plus tard sur sollicitation des habitants de Faërie. Là non. Bien que beaucoup plus précautionneusement que le personnage de la cloche matine qui se proclame présomptueusement roi du pays, Smith fait violence à la Fäerie en troublant le lac, et elle réagit violemment. Les deux scènes ont des points communs : le temps se gâte brusquement, le personnage est soudain réduit à une dimension misérable et cherche refuge auprès du bouleau dans un cas, d'une forêt pourrissante dans l'autre. Quand il en sort, c'est pour sentir les "larmes amères" du bouleau pour Smith, le goût salé de la pluie mêlée d'embruns et d'odeurs d'algues dans La cloche marine :

when the rain in my face took a salt-taste,
and I smelled the smell of sea-wrack.

Quand l'ondée sur mon visage devint salée,
Et je sentis l'odeur de la laisse marine.

Si Smith s'en sort, c'est probablement parce que son acte n'est pas aussi profanatoire, et que d'autre part il est protégé dans une certaine mesure par son étoile, qui en fait un invité, alors que le personnage de La cloche marine est une forme d'intrus.

(...) But he had business of its own kind in Faery, and he was welcome there; for the star shone bright on his brow, and he was as safe as a mortal can be in that perilous country. The Lesser Evils avoided the star, and from the Greater Evils he was guarded.
For that he was grateful, for he soon became wise and understood that the marvels of Faery cannot be approached without danger, and that many of the Evils cannot be challenged without weapons of power too great for any mortal to wield. He remained a learner and explorer, not a warrior; and though in time he could have forged weapons that in his own world would have had power enough to become the matter of great tales and be worth a king's ransom, he knew that in Faery they would have been of small account.

(...) Mais il avait des affaires de leur genre particulier en Faërie, où il était le bienvenu ; car l'étoile brillait à son front, et il était autant en sécurité en ce pays dangereux qu'aucun mortel pourrait l'être. Les Maux Mineurs évitaient l('étoile et, contre les Maux Majeurs, il était protégé.
Il en éprouvait de la reconnaissance, car il ne tarda pas à acquérir de la sagesse et à comprendre que l'on ne peut approcher les merveilles de Faërie sans danger, que l'on ne saurait défier bon nombre de Maux sans armes trop puissantes pour être maniées par aucun mortel; [passage coupé ! : Il demeura un apprenti et un explorateur, non un guerrier]; et si, avec le temps, il avait pu forger des armes assez puissantes dans son propre monde pour faire l'objet de grands récits et valoir une rançon de roi, il savait qu'en Faërie elles n'auraient guère compté. (...)

Un invité, pas plus, et il apprendra plus tard que l'étoile n'est pas un passeport, mais une faveur - pourrait-on même parler d'une grâce qui lui est accordée ?

She laughed as she spoke to him, saying: "You are becoming bold, Starbrow, are you not? Have you no fear what the Queen might say, if she knew of this? Unless you have her leave." He was abashed, for he became aware of his own thought and knew that she read it: that the star on his forehead was a passport to go wherever he wished; and now he knew that it was not. (...)

Elle rit tout en lui disant : "Vous devenez hardi, Front Étoilé, ne trouvez-vous pas ? Ne craignez-vous point ce que pourrait dire la Reine, si elle avait connaissance de ceci ? À moins que vous n'ayez sa permission." Il fut déconcerté, prenant conscience de sa propre pensée et sachant qu'elle la lisait, à savoir que l'étoile qu'il avait au front était un passeport pour aller partout où il le voudrait ; il sut alors que ce n'était pas le cas. (...)

Lorsque Smith tente, aussi précautionneusement que ce soit, de s'imposer dans la Faërie, il la blesse et gâche son propre enchantement. De fait, il cessera quelque temps de la visiter. Avec en tête le parallèle de La cloche marine, je dirais que le processus commence lorsque le voyageur ne se satisfait  plus de parcourir la Faërie, mais veut en être et agir dedans. Là est la faute - qui dans Smith est décrite au sens propre comme une chute (dans le lac) - et le danger, qui est de se perdre en Faërie sans pouvoir vraiment en revenir - comme dans La cloche marine. Si l'on voit dans ce voyage en Faërie une expérience du divin, comme le propose Sosryko, on retrouve le motif de l'hybris : le mortel qui souhaite échapper à son destin et accéder à l'état divin. On se rapproche insensiblement du thème de la chute des Númenoréens : non contents d'habiter un contrée bénie par la grâce des Valar - Andor, le Pays du Don - ils veulent devenir comme des Elfes, refusant la profonde différence qui les en sépare.

Dans tout cela on retrouve une faute et un désir : la confusion du monde habituel et de la Faërie. Or précisément, dans son essai sur le conte de fée, Tolkien insiste que la conscience de cette différence est indispensable à la fantaisie :

Fantasy is a natural human activity. It certainly does not destroy or even insult Reason; and it does not either blunt the appetite for, nor obscure the perception of, scientific verity. On the contrary. The keener and the clearer is the reason, the better fantasy will it make. If men were ever in a state in which they did not want to know or could not perceive truth (facts or evidence), then Fantasy would languish until they were cured. If they ever get into that state (it would not seem at all impossible), Fantasy will perish, and become Morbid Delusion.

For creative Fantasy is founded upon the hard recognition that things are so in the world as it appears under the sun; on a recognition of fact, but not a slavery to it. So upon logic was founded the nonsense that displays itself in the tales and rhymes of Lewis Carroll. If men really could not distinguish between frogs and men, fairy-stories about frog-kings would not have arisen.

La Fantaisie est une activité humaine naturelle. Elle ne détruit certainement pas la Raison, non plus qu'elle n'y insulte ; et elle n'émousse pas non plus l'appétit, ni l'obscurcit la perception de la vérité scientifique. Au contraire. Plus la raison est aiguë et claire, meilleure sera la fantaisie qu'elle créera. Si les hommes se trouvaient dans un état où ils ne désireraient pas connaître ou ne pourraient pas percevoir la vérité (faits ou évidence), la Fantaisie languirait jusqu'à leur guérison. Si jamais ils tombent dans cet état (ce qui n'aurait rien d'impossible), la Fantaisie périra et deviendra Illusion Malsaine.

Car la Fantaisie créatrice est fondée sur la dure reconnaissance du fait que les choses sont telles dans le mondes qu'elles paraissent sous le soleil ; une reconnaissance du fait, mais non un esclavage à son égard. C'est ainsi sur la logique que se fondait l'extravagance qui se déploie dans les contes et les vers de Lewis Carroll. Si les hommes ne pouvaient réellement pas faire la distinction entre les grenouilles et les hommes, les contes de fées sur les rois des grenouilles n'auraient jamais vu le jour.

Ainsi pâtit et pleure le bouleau de Faërie lorsque Smith tente de s'y imposer comme s'il en était un habitant, confondant par là le monde qui est le sien et celui qu'il visite. Brièvement, par bonheur ; ce qui fait qu'ayant reconnu son erreur, il pourra y revenir après un temps.

Bertrand

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#27 09-06-2004 22:40

Melilot
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Re : Le lac et le bouleau dans Smith

En coup de vent : merci à vous tous. Vais lire tout ça bien à l'aise!

Bisous étoilés  :-****  :-)

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#28 13-07-2004 13:45

sosryko
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Re : Le lac et le bouleau dans Smith

Bertrand, un peu par hasard, je suis tombé sur une réponse possible à ton interrogation.
Ce n'est pas la mienne que je n'ai pas encore rédigée, mais celle de Shippey, dans The Road to Middle-earth, 2003 (Houghton Mifflin). Tu devrais la trouver très intéressante, tout spécialement toi (tu comprendras ;-)) ; pour ma part elle m'a enchanté (même si le propos de Shippey est à la base désenchanteur puisque seulement axé sur Smith comme allégorie de la vie de Tolkien, professeur et écrivain). Pages 273-280 avec pp. 278-280 l'interprétation du Vent et du Bouleau.

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#29 13-07-2004 21:59

Moraldandil
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Re : Le lac et le bouleau dans Smith

S'agit-il d'éléments ajoutés par rapport à l'édition de 1992 ? Car si j'ai bien lu The Road to Middle-Earth, j'ai trouvé la partie sur Smith bien faible. Shippey y fait une lecture allégorique du conte qui, si elle explique peut-être certains éléments formels (comme la fait que l'arbre soit un bouleau, et pas un frêne, un orme...), n'éclaire pas beaucoup sur le sens du conte. Mon insatisafaction est en fait une des raisons qui m'ont fait ouvrir ce fuseau :-)

Les éléments qui sont censés me plaire tout spécialement, sont-ce les Songs for the Philologists ? :-) Effectivement, les deux dernières (Ides Ælfscýne et Ofer wídne Gársecg) méritent l'attention. Shippey a eu raison de les citer, même s'il n'en fait pas tout l'usage qu'il pourrait.

B.

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#30 16-07-2004 15:39

vincent
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Re : Le lac et le bouleau dans Smith

est-ce que dans ce (long) fuseau, quelqu'un a déjà parlé du Miroir de Galadriel, sur lequel se penche Frodo mais qu'il ne doit pas toucher ?
est-ce utile, comme rapprochement ?

Vincent

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#31 16-07-2004 17:04

sosryko
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Re : Le lac et le bouleau dans Smith

Oui, on en a parlé ;-)
Effectivement, le lac et le miroir de galadriel ne doivent pas être touchés, mais le lac n'est qualifié de miroir dans le conte (cf. (07-06-2004 12:51]), ce qu'il donne à voir est ce qui se trouve dans ses profondeurs et non pas ce qu'il reflète, ce qui fait deux énormes différence, il me semble.
Le seul lien qui reste est donc l'interdit du toucher. Certes, avec le Miroir de Galadriel, il s'agit de ne pas faire disparaître la vision en troublant la surface de l'eau ; mais on sait que Tolkien aime jouer sur deux sens à la fois avec des phrases en apparence anodines...

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#32 23-07-2004 18:20

Moraldandil
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Re : Le lac et le bouleau dans Smith

J'ai maintenant revu le chapitre concerné de The Road To Middle Earth et décidément j'en ressors déçu... Shippey pose d'emblée que Smith "n'est pas une pièce difficile" (ah bon ?) et se limite à chercher le sens de chaque élément séparément. Au sujet du passage qui nous concerne, il écrit par exemple : "What is the birch that saves, the wind that threatens ?". La question n'est pas inintéressante mais elle me semble très secondaire pour parvenir à une bonne compréhension de ce passage. Cela a peut-être un sens que Tolkien ait choisi un bouleau plutôt qu'un autre arbre, et Shippey montre bien qu'on en retrouve des échos ailleurs dans l'œuvre (et au-delà), que cet arbre avait peut-être une signification particulière pour lui. Mais cela importe-t-il vraiment pour le lecteur ? Je n'en ai vraiment pas l'impression. Heureusement, car sinon Smith serait inaccessible à la plupart ; en un mot, raté.

Au passage : la comparaison avec Éadig béo þu m'échappe assez, j'ai beaucoup de mal à voir ce qu'il a de commun avec Smith hors la présence du bouleau. La note 2 au chapitre 8 de The Road To Middle Earth oriente vers une toute autre lecture, pour le coup parfaitement allégorique (ce qui explique l'obscurité relative du propos pour le non-initié). Le cœur du poème est la louange du bouleau aux dépens du chêne, en vieil-anglais beorc et ác respectivement, qui sont aussi les noms des runes anglaises pour B et A. Il est très tentant d'y voir un renvoi aux luttes d'influence oxoniennes entre les camps de la 'lit(erature)' et du 'lang(uage)', mi-sérieusement renommés 'A' et 'B' par Tolkien. Cette galéjade ne serait pas déplacée dans le contexte bien peu sérieux des "Songs for the philologists". Mais cela n'a rien à voir avec Smith !

Même sur Ides Ælfscýne et Ofer wídne Gársecg je trouve maintenant que j'ai été rapide. Dans Ides Ælfscýne, il est question d'un jeune homme entraîné par une mystérieuse jeune-fille (une fée probablement) en une navigation qui les mène dans une contrée paradisiaque de l'autre côté de l'océan. Le jeune homme se lasse pourtant de cet exil et prie Dieu ; il retraverse l'océan et retrouve son pays natal ; mais cinquante ans ont passé, il se retrouve vieux et seul et poigné de regret. Dans Ofer wídne Gársecg 'un jeune marin tombe à l'eau et se retrouve au pouvoir du peuple de la mer. Il est séduit par une sirène, et l'épouse en abandonnant son propre peuple, disant à l'équipage de partager ses biens. Le timonier lui répond sévèrement en le promettant à l'Enfer. Les deux parlent bien des dangers de féérie, mais ils évoquent plus The Sea-bell que Smith. Tous contiennent une idée de malédiction que l'on ne saurait vaincre, et montrent des mortels qui se perdent en Féérie ; alors que si Smith manque de le faire, il échappe finalement, et s'il montre de la douleur, il finit par trouver l'apaisement de sa nostalgie dans la compagnie des siens. La nature de la Féérie n'est pas la même dans les deux groupes de textes : dans Ides Ælfscýne, Ofer wídne Gársecg et The Sea-bell, auxquels on peut ajouter The Lay of Aotrou et Itroun pour ce thème, la Féérie est tentatrice et mensongère ; ses représentants sont plus ou moins diaboliques, ils font des promesses fallacieuses, et l'on en retire surtout de la souffrance ; on peut même y perdre son âme. Smith au contraire gagne beaucoup, même si ce n'est pas sans chagrin lorsqu'il lui faut rendre l'Etoile, et que celle ci ne le préserve pas entièrement du danger.

La nature précise des éléments me paraît beaucoup moins importante que le rôle qu'ils remplissent, les actes qui sont accomplis : dans le cas qui nous occupe nous avons la trangression d'une limite, qui entraîne un châtiment dont le protagoniste échappe grâce à une aide, mais non sans dommage et avec un sévère avertissement. La leçon sera retenue.

Une autre interprétation m'est venue, toujours dans l'idée que Smith fait violence à la Féérie, mais pas pour la même raison. Il est fasciné par le lac aux créatures de flamme et c'est pour cela qu'il veut le toucher. Il est clair dans le conte qu'il fait là quelque chose de "mal", mais pourquoi ? Perte de la différence entre Féérie et monde habituel, avais-je suggéré. Mais je me demande si son acte ne peut pas aussi être considéré comme un élément désenchanteur. Smith ne se satisfait pas de l'émerveillement ("wonder") qu'il ressent face à l'étrangeté de ce lac, il veut comprendre ce que c'est et y met le pied. Ce faisant, il brise l'enchantement (quoiqu'il ne soit pas dit qu'il brise la surface du lac : nous ne sommes informés que d'un grondement), et la parole du bouleau lui enjoignant de partir n'est plus que le constat qu'il n'a plus sa place en Féérie.

Tolkien serait-il en train de sous-entendre que le voyageur en Féérie devrait se contenter d'observer, de ressentir sans chercher d'explication ? Que passer à ce stade ci ferait immanquablement sortir de l'enchantement, échouer le conte ? Cela fait écho, d'une certaine manière, aux interrogations d'Yyr sur le magnifique fuseau Etude et créance secondaire.

B.

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#33 24-07-2004 02:01

Laegalad
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Re : Le lac et le bouleau dans Smith

Je crois que tu as raison, Moraldandil... Car depuis que j'ai essayer de dégager une vision "psychologique" de ce passage, impossible de remettre les pieds en Faërie... Je n'y arrive plus. Errer aux Frontières, oui, mais y retourner, c'est autre chose... Savoir si c'est la fatigue, la chaleur ou le fait d'avoir cherché le mécanisme... Gandalf avait avertit, pourtant : "He who breaks something to know what it is has lost the path of wisdom"... :|

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#34 25-07-2004 14:05

sosryko
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Re : Le lac et le bouleau dans Smith

C'est une lecture qui rejoint la mienne et la complète plus que joliment car elle est faërique : nul doute qu'il y a de cela dans l'interdit du lac ; ne pas toucher pour ne pas faire disparaître l'émerveillement. Je dois donc réviser ma réponse faite à Vincent ; il y a dans cet interdit non dit de l'interdit de Galadriel imposé à Frodon. Ce qui me génait était que la fonction du Lac dans Smith n'est pas la fonction du miroir.
Mais ce n'est pas la fonction qui importe, c'est le principe faërique qui la sous-tend. Ce ne serait pas la première fois que Tolkien applique un principe faërique à plusieurs niveaux en Faërie.

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#35 08-09-2004 05:20

Vinyamar
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Re : Le lac et le bouleau dans Smith

Bravo à tous pour une si belle étude.
de vrais discours sur Smith et les contes de Fëarie, cela manquait.

Bravo sosryko, encore un fois, pour un tel travail.

Cependant, au milieu de tous les contes de Tolkien, smith est précisemment l'un de ceux qui m'a semblé le moins allégorique, le plsu poétique, dans la mesure où il semblait n'avoir de sens que pour lui-même, que comme une oeuvre destinée à décrire le monde de la feärie, dans totue sa poésie.
Et le fait que Smith ne soit pas réellement acteur accentue cet effet de simple visite, sans message. (sinon tout de même l'histoire de la transmission de l'étoile, et du voeu au roi).

Le passage du lac est clairement celui qui détonne le plus, mais qui illustre parfaitement les dangers auxquels pourrait être soumis Smith. Je n'y vois guère plus que cette illustration, avec un génie poétique qui a sans doute des sources d'inspirations.

J'ai une interprétation légèrement différente du vent.
Pour moi, quand l'eau se brise soudain sou Smith, j'ai aussitôt été effrayé qu'il ne tombe au fond, prisonnier des algues de feu, des créatures de feu, par une surface increvable. Et jai été soulagé que ce vent survienne soudain et le sorte du piège, avec une violence pleine de colère, certes, mais salvatrice quand même.
Pour moi, le vent est donc plutôt l'élément sauveur, et l'eau, ici plus qu'ailleurs, garde son thème de mort.
A dire vrai, j'ai même cru voir dans cet abysse plein de flammes une vision de l'enfer. C'était beau, certes, ces feux sous marins, mais dangereux instinctivement.
S'il y a allégorie, j'étudierai peut être celle d'un soufle vivifiant préservant Smith d'un royaume de mort. Mais ce souffle est colérique, et il veut punir Smith. Le bouleau n'est pas là par hasard, et je souscrit tout à fait à l'image d'une mère protégeant son fils contre le courroux, pourtant justifié, d'un père.

Je trouve bien difficile de vouloir trouver une vision mystique dans Smith, et sosryko, à mon habitude peut-être, je ne suis pas convaincu d'emblée.
pas plus que pour le parralèlle que tu fais entre Smith et Niggle.
Le parrallèle peut se faire en ce que Smith est le sommet de la Feärie, le soleil peut-être dans le tableau de Niggle, (qui ne voulait faire qu'un arbre), mais c'est un lien mort, il n'y a pas de parallélisme allégorique, je pense.

Cependant, l'image de "l'arbre du Royaume" ne m'avait jamais effleuré en lisant Niggle, alors qu'elle me saute aux yeux à présent.
bravo pour cette trouvaille (et celle du berger, qui elle ne m'avait pas échappé).

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#36 08-09-2004 12:52

sosryko
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Re : Le lac et le bouleau dans Smith

Ahaha, cher Vinyamar, quel plaisir de te retrouver :-))...égal à toi, même, "le fer qui aiguise le fer" ;-)
Tu as bien raison de ne pas donner ta confiance au premier venu (encore que, le suis-je pour toi? ;-)), mais patiente et tu auras de plus en plus de difficulté à être réticent.
Dès à présent, demande-toi comment tu peux à la fois penser qu'il est "difficile de (...) trouver une vision mystique dans Smith" tout en "[ayant toi même] cru voir dans cet abysse plein de flammes une vision de l'enfer" ! ...d'autant plus qu'en ce qui concerne l'aspect infernal du lac et le rôle correcteur du vent, tu as l'intuition d'une partie de mon commentaire et de la démonstration à venir.
Et tu verras que cette réponse n'est que la suite de la première réponse que je te fis, il y a longtemps déjà, réponse à une question posée il y a encore plus longtemps ;-)

S.

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#37 08-09-2004 15:36

Laegalad
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Re : Le lac et le bouleau dans Smith

Enfer ? Damnation ? Mais comment vous faites pour y voir tout ça ? Explication dans un futur féérique ? Soit... j'attendrai :) Mais je commence à deviner où est le problème chez moi : j'ai du mal à concevoir le divin comme extérieur à l'homme. Quand tu dis, Sosryko, que "Smith est un conte sur la rencontre de l’homme avec le divin qui vient à lui", je dirais plutôt "Smith est un conte sur la rencontre de l'homme avec le divin qui est en lui"... Si un Dieu (pardonnez ce "si", et ce "un", mais je n'ai pas de foi bien précise :|) nous a créé, il me semble que nécessairement, une partie de lui est en nous. Alors, la rencontre de l'homme avec le divin passe (pour moi) par cette prise de conscience de la part divine qui est en nous. Et c'est pour ça que je n'arrive pas à partir d'un autre pied que celui de l'Homme :) Il me reste beaucoup de chemin à parcourir... mais j'aime randonner, et avec des guides tels qu'on en rencontre par ici, que de découvertes en perspectives :)

Stéphanie - noisetier grandissant... C'est frèle, un noisetier, au début, mais vous verrez :)

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#38 09-09-2004 00:07

Vinyamar
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Re : Le lac et le bouleau dans Smith

Laegalad,
>>j'ai du mal à concevoir le divin comme extérieur à l'homme (...)nécessairement, une partie de lui est en nous
je crains de tomber dans des travers habituels, mais comme tu l'as dit, une partie de Dieu est en nous, une partie qui n'est pas une personne, mais une trace de Sa présence. On ne communique aps avec une trace, mais avec une personne. Si Dieu est une personne (divine certes, sans corps), et c'est ma foi, je communique donc avec elle comme avec une personne distincte de moi. Le terme "extérieur" n'a pas beaucoup de sens avec Dieu. mais "distincte" en a beaucoup. Je ne suis pas une émanation de Dieu.

Sosryko:
allons bon !!! Quelle question ? Je t'en ai tant posées !! :-)

pour l'enfer, je n'y voyais aucune mystique, je pensais à un enfer païen, un simple lieu infernal, un lieu de mort, pas un lieu lié à un jugement, un lieu où l'on souffre pour ses péchés.
Et pourtant, ces flammes sous marines avaient quelques choses de magnifique, elles ne me parurent dangeureuses que quand j'appris que la surface du lac était ferme.
Il y avait donc une frontière, ces flammes n'étaient pas du même monde, elles n'étaient pas de feärie, alors elles m'ont fait peur.

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#39 02-04-2005 01:29

Thomas Deniau
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Re : Le lac et le bouleau dans Smith

Il semble que JRRT lui même ait donné des indications sur la signification de cette scène dans un essai qui n'a pas encore été publié, portant sur Smith et sur la connexion entre le monde réel et la Faërie (qui, de manière surprenante au moment de l'écriture de Smith, ferait intervenir l'Olórë Mallë !).

Pour plus d'informations, en attendant la publication de cet essai, je vous réfère au message de Steuard Jensen qui en parle sur rec.arts.books.tolkien...


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#40 02-04-2005 10:51

Laegalad
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Re : Le lac et le bouleau dans Smith

Aaaargh... ne pas me tenter avec cet essai non publié ! C'est abominaffreux, de savoir qu'il existe, qu'il est là, et de ne pas pouvoir le consulteeer !!! Du moins était-ce le discours que j'aurai pu tenir il y a quelques mois.
Aujourd'hui... je me demande... ne pouvons-nous pas nous en passer ? Ah ! La belle interrogation ! Ne serai-je pas déçue, si l'on me retirait le plaisir de la recherche, si l'on me privait des délices de la Rêverie, pour m'apporter tout propre sur un papier les réponses aux questions que je me pose -- et je ne suis pas la seule :) -- alors que je peux si bien rêver les trouvailles et les enchantements ? Je ne veux pas savoir ainsi ; non. En même temps, hein, s'il était édité, je le lirai, mais avec méfiance. Car voilà le problème : je me suis trop impliquée maintenant sur les Sentes Périlleuses pour ne pas craindre que le Professeur, qui représente quand même une autorité en la matière, ne soit pas du même avis que moi (ou d'autres Arpenteurs) sur certains points.  Par exemple : que l'arbre soit protecteur et ai une voix féminine, je n'ai pas besoin d'un bouquin pour me dire qui est/représente l'arbre, je préfère chercher moi-même... car la réponse ne peut qu'être à l'intérieur de celui qui peut traverser le Pont Dangereux ; et si le Chemin est long jusqu'à la réponse (je ne l'ai pas encore... juste des pistes), quelles découvertes en chemin ! Faërie ne s'acquiert pas. Faërie... on y entre, si l'on y est appelé. Ne jamais forcer le Passage. C'est le plus sûr moyen de le voir se clôre. Je me demande, aujourd'hui, s'il serait une bonne chose de voir l'essai publié. Car je me demande si j'aurai la force de résister à la tentation de le lire, et en même temps, ce serait me spolier de mes quêtes. Où est le plaisir le plus grand : dans la réponse ? ...ou dans le chemin parcouru pour la découvrir ?

Stéphanie - qui, si elle n'avait eu tant de questions, n'aurait pas découvert Bachelard... Et quelle grande perte ç'aurait été !

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#41 02-04-2005 02:11

sosryko
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Re : Le lac et le bouleau dans Smith

Une tentation comme celle-là, je n'y échapperai pas ;-))

Je me demande, aujourd'hui, s'il serait une bonne chose de voir l'essai publié.

Et tu auras la réponse à ta question très bientôt (pas assez à mon goût, car j'en ai besoin, moi, de cet essai, pour y frotter mes rêveries!) puisqu'il va être édité, par Flieger, dans une nouvelle édition de Smith of Wootton Major, le 5 septembre 2005 (même s'il ne faut pas faire trop confiance aux dates fournies par les éditeurs). Voilà le synopsis fourni par amazon.co.uk :

A new, expanded edition of one of Tolkien's major pieces of short fiction, and his only finished work dating from after publication of The Lord of the Rings; it contains many previously unpublished texts. In 1964 J.R.R. Tolkien was invited to write the preface to a new edition of "The Golden Key" by George MacDonald. Accepting the invitation, Tolkien proposed the preface would explain the meaning of Fairy through a brief story about a cook and a cake. But the story grew, and took on a life of its own, and the preface was abandoned. Tolkien eventually gave it the title, "Smith of Wootton Major", to suggest an early work by P.G. Wodehouse or a story in the Boy's Own paper. It was published in 1967 as a small hardback, complete with charming black and white illustrations by Pauline Baynes. Now, almost 40 years on, a facsimile of this early illustrated edition is being republished, but in addition to this enchanting story the new edition includes:
Tolkien's own account of the genesis of the story
Tolkien's Time-Scheme and Characters
Tolkien's discussion of the shadowy but important figure of "Grandfather Rider"
and a lengthy, 10,000-word essay on the nature of Faery
Early draft versions and alternative endings
Foreword by the editor, containing a brief history of the story's composition and publication, and its connection to Tolkien's other published stories Contained within "Smith of Wootton Major" are many intriguing links to the world of Middle-earth, as well as Tolkien's other tales, and in this 'extended edition' the reader will finally discover the full story behind this major piece of short fiction.

Désolé, impossible de résister pour moi :-) Surtout depuis que j'ai lu un extrait de cet essai dans A question of time, juste un paragraphe, certes, mais assurément parmi les plus belles lignes écrites par Tolkien, la même force de On Fairies Stories alliée à l'émotion de savoir qu'il écrit cela sur le soir de sa vie.

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#42 02-04-2005 16:31

Laegalad
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Re : Le lac et le bouleau dans Smith

:) Bien sûr que je ne pourrai résister, moi non plus, tu dois bien t'en douter ! J'ai lu les même extraits que toi, et le personnage de St... Rider, à chaque fois je me plante, m'intrigue aussi beaucoup. Le côté positif, c'est que, connaissant le caractère du Professeur, il soulèvera bien plus de questions qu'il ne résoudra d'énigmes :). C'est juste... enfin... non, rien :)

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#43 07-08-2005 18:55

kolio
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Re : Le lac et le bouleau dans Smith

bonjour je voudrais savoir si quelqun connais un moyen pour pouvoir entrer dans le monde de faërie! Vous pouvez me rejoindre a mon adresse jeansabi@msn.com

Merci!!!

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#44 07-08-2005 21:21

Laegalad
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Re : Le lac et le bouleau dans Smith

"On n'entre pas en Féerie en sautant la clôture. On n'y accède que par aventure, épreuve, enchantement, enfaytement, par amour."
Pierre DUBOIS, La Grande Encyclopédie des Fées.

Bonne chance, et bon courage surtout...

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#45 09-08-2005 06:46

kolio
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Re : Le lac et le bouleau dans Smith

Je ne comprend pas trés bien ce que vous me dites pouvez vous être plus clair et quand vous dites quon peux y accéder par aventure et ect.. ya til la dedans un bon moyen pour y accéder quand même j'aurais le gout de pouvoir y aller un jour car jy crois (une chance que je le dit a persone parce qu'il me trouverait fou) mais se qui compte pour moi c'est que jy crois même si je n'ai jamais eu la chance de les voir :( !!! ps: vous pouvez menvoyez des message a mon adresse e-mail: jeansabi@msn.com

Merci

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#46 09-08-2005 15:31

Laegalad
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Re : Le lac et le bouleau dans Smith

Ben disons qu'il me semble que tu veuilles entrer en Faerie en sautant la clôture. Donc ça ne marchera pas, jamais, jamais, jamais. Commence par lire, par comprendre le bouquin de Tolkien sur les contes de fées... Ce n'est pas un passeport direct, et c'est justement pour ça qu'il y a de l'aventure, parce que, si tu lis et comprends Smith en parallèle, l'aventure est surtout intérieure ; on ne te demande pas de te ballader arme au clair dans les rues de Paris en trucidant tout le monde, d'aller te casser le cou en escaladant l'Aiguille Rouge ou de faire la traversée de l'Atlantique dans une coquille de noix. Non. Mais toquer à la porte ne suffit pas à la faire s'ouvrir. ça demandera du temps. De comprendre les concepts, non pas en en connaissant la définition par coeur, mais de les comprendre au point qu'ils te semblent évidents. Cela aurait-il été le cas pour toi, tu aurais compris la phrase de Dubois. Ne t'inquiète pas, cela demandera de la maturité. Celle-là, il n'y a guère que le temps pour l'apporter.
Oh, et s'il te plait, prend le temps de rédiger correctement... Avec de la ponctuation, quoi ; tout le monde n'est pas Proust, et les phrases de cinq lignes sans point ni virgule sont assez fatigantes à lire :)

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#47 11-01-2006 21:41

Vinyamar
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Re : Le lac et le bouleau dans Smith

d'autant plus qu'en ce qui concerne l'aspect infernal du lac et le rôle correcteur du vent, tu as l'intuition d'une partie de mon commentaire et de la démonstration à venir.
Et tu verras que cette réponse n'est que la suite de la première réponse que je te fis, il y a longtemps déjà, réponse à une question posée il y a encore plus longtemps ;-)

C'est bon ? Ca fait assez longtemps là ??? :-))))) :-D
Ce serait pas toi aussi, Niggle, en fait ?

Et cet ouvrage de Steuard Jensen, on en a des nouvelles ?

(oui, je relis ces fuseaux de temps en temps)

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#48 12-01-2006 11:27

sosryko
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Re : Le lac et le bouleau dans Smith

Comment tu as deviné ? seul Niggle a conscience qu'il devra un jour lacher prise; tous les autres le font naturellement et bien plus facilement que lui ;-)
Mais Niggle est aussi serviable et t'invite à te le procurer rapidement (ici par exemple où tu peux l'avoir à prix réduit) pour découvrir de superbe nouvelles pages de Tolkien sur Faërie :

Bon, c'est pas tout ça, mais je retourne à ma peinture ;-)

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#49 02-05-2020 17:48

Yyr
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Re : Le lac et le bouleau dans Smith

Un petit lien pour signaler ici le très excellent Arc et le Heaume - Hors-série : Tolkien 1892-2012, au sein duquel Lægalad nous a offert la traduction (entreprise ici) de l'essai en question — encore et encore merci ;).

Quant à moi, je n'ai pas avancé sur la réflexion de ce fuseau, mais je me le garde dans un coin :).

Jérôme

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Bertrand a écrit :

Au passage : la comparaison avec Éadig béo þu m'échappe assez, j'ai beaucoup de mal à voir ce qu'il a de commun avec Smith hors la présence du bouleau. La note 2 au chapitre 8 de The Road To Middle Earth oriente vers une toute autre lecture, pour le coup parfaitement allégorique (ce qui explique l'obscurité relative du propos pour le non-initié). Le cœur du poème est la louange du bouleau aux dépens du chêne, en vieil-anglais beorc et ác respectivement, qui sont aussi les noms des runes anglaises pour B et A. Il est très tentant d'y voir un renvoi aux luttes d'influence oxoniennes entre les camps de la 'lit(erature)' et du 'lang(uage)', mi-sérieusement renommés 'A' et 'B' par Tolkien. Cette galéjade ne serait pas déplacée dans le contexte bien peu sérieux des "Songs for the philologists". Mais cela n'a rien à voir avec Smith !

Depuis, Bertrand a repris la question, cheminant de nouveau dans les sentiers tracés par Stéphanie, dans : Le Saule et le Bouleau - et le Chêne aussi : quelques arbres vieil-anglais.

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#50 04-05-2020 20:15

Yyr
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Re : Le lac et le bouleau dans Smith

Yyr a écrit :

Quant à moi, je n'ai pas avancé sur la réflexion de ce fuseau, mais je me le garde dans un coin :).

Eh bien, la relecture de nos vieux fuseaux, ainsi que celle de l'Essai en sa belle traduction, peuvent nous éclairer, je pense, quant à l'épreuve du Lac, avec ce climat qui change brutalement et devient hostile, rappelant celle de « La cloche marine ».

Ce passage, en particulier :

Il est clairement montré que Faërie est un vaste monde à part entière, dont l'existence ne dépend pas des Hommes, et dont la première, et encore moins la principale occupation n'est pas les Hommes. La relation doit donc être d'amour : le Peuple Elfique, les habitants principaux et dirigeants de Faërie, ont une très grande parenté avec les Hommes et un amour permanent pour eux en général. Bien qu'ils ne soient tenus par aucune obligation morale d'assister les Hommes et qu'ils n'aient pas besoin de leur aide (excepté pour les affaires humaines), ils les aident de temps en temps, éloignant le mal d'eux et entretiennent des relations avec eux, surtout avec certains hommes et femmes qu'ils trouvent adéquats. Ils, le Peuple Elfique, sont ainsi «bienveillants» au regard des Hommes, et ne sont pas complètement étrangers, bien que beaucoup de choses et de créatures en Faërie même soient étrangères aux Hommes et même activement hostiles. Leur bonne volonté se voit principalement dans leur tentatives de conserver ou restaurer les relations entre les deux mondes, puisque les Elfes (et quelques Hommes encore) réalisent que cet amour de Faërie est essentiel pour un développement humain complet et approprié. L'amour de Faërie est l'amour de l'amour : une relation envers toutes choses, animées et inanimées, qui inclut amour et respect, et supprime ou modifie l'esprit de possession et domination. Sans cela même la simple « Utilité » deviendrait en fait moins utile ; ou se tournerait en dureté et ne conduirait qu'au simple pouvoir, au final destructeur(*). La relation d'apprentissage dans ce conte est ainsi intéressante. Les Hommes dans une large part de leurs activité sont, ou devraient être, dans un statut d'apprenti au regard du peuple elfique.

(*) Pour cette raison, le peuple elfique hésite à donner possession à n'importe quel être humain quelque objet qui lui soit propre et qui soit chargé de pouvoir elfique, appelé par les Hommes de nombreuses façons, telle que magie. La plupart des Hommes l'utiliseraient certainement mal comme un simple instrument pour leur propre pouvoir et succès personnel. Tous les hommes en viendraient à s'y accrocher comme à une possession personnelle.

« Essai sur Smith ... », L'Arc & le Heaume HS : Tolkien 1892 - 2012, pp.188-189

Que l'on y rencontre des habitants bienveillants, indifférents ou hostiles, Faërie demeure apprentissage de l'altérité :

Faërie représente, en sa plus faible acception, une échappée (au moins en esprit) du cercle de fer du monde familier, plus encore du cercle adamantin de la croyance selon laquelle il serait connu, possédé, contrôlé et ainsi (au final) serait tout ce qui mérite d'être considéré — une conscience constante d'un monde au-delà de ces cercles. Plus encore, elle représente l'amour : c'est-à-dire un amour et un respect pour toutes les choses, « inanimées » et  « animées », un amour non possessif pour eux comme « autres ». Cet « amour » produira à la fois de la pitié et une grande joie. Les choses vues dans sa lumière seront respectées, et elles apparaîtront comme merveilleuses, magnifiques, extraordinaires et même glorieuses.

Ibid. p.195

La « transgression » (quoique le terme me paraisse un peu fort) de Ferrant se situe à ce niveau, il me semble, à savoir le non respect de l'altérité dans cet épisode (cela rejoint mais précise ce que disait Moraldandil, en y voyant « la confusion du monde habituel et de la Faërie »).

Du coup, il est normal que la question de l'altérité nous ait entraînés, à la suite de Lægalad, à la question de soi-même (et donc à la question de l'inconscient, ce qu'il n'est toutefois pas). En l'occurrence, la tentative de rejoindre le Lac signifie justement de vouloir tout dominer c'est-à-dire tout ramener à soi. Il est aussi normal que nous ayons été amenés, à la suite de Sosryko, à entrevoir la rencontre avec le divin, puisque ce dernier, lorsqu'il est chrétien, est à la fois ce qui est tout autre et ce qui est amour (sur l'altérité, voir le magnifique « Comme un secours et un vis à vis » dans Pour la gloire de ce monde). Notez aussi, à nouveau (et toujours chez Tolkien) le rapport incontournable à la pitié, et l'on renoue tout autant avec notre Miróur de l’Omme évoqué lui aussi plus haut.

Le bouleau (= féminin et elfique), qui donc fait partie des habitants particulièrement « bienveillants » (il protège Ferrant), lui avait expliqué tout cela, quoique de façon un peu concise ;) :

« Va-t'en ! Le Vent est après toi. Tu n'es pas d'ici. »

Faërie, p.277

Yyr

[édit : Finrod avait déjà perçu tout ça ;).]

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