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Comme promis, voici le "petit" compte-rendu du dernier chapitre de "L'Anneau de Tolkien" de David Day (Editions Christian Bourgeois). En fait mon résumé est presque aussi conséquent que le texte lui-même, car j'ai préféré garder la plupart des citations de Tolkien in-extenso, celles-ci étant vraiment très intéressantes.
« L’Anneau de Tolkien » est un livre qui traite principalement du symbole de l’Anneau et de la tradition de sa quête au cours des millénaire. L’auteur nous montre comment Tolkien a puisé dans le mythe, l’histoire et la littérature d’une douzaine de cultures différentes pour écrire sa propre mythologie.
Tolkien a radicalement transformé la quête de l’Anneau, sans toutefois en rejeter l’héritage, pour en donner une version moderne, adaptée à notre époque, à laquelle des circonstances particulières et des « accidents de l’histoire » survenus au XXe siècle ont donné un caractère significatif et, jusqu’à un certain degré, prophétique.
Cependant, Tolkien a toujours rejeté la vision selon laquelle le SdA serait une allégorie pour notre temps, estimant cette conception trop restrictive. Il détestait particulièrement les questions du style « les Orques sont-ils des nazis ou des communistes ? », car son but était plus spécifique, et plus universel en même temps. Il n’empêche que, l’essentiel du SdA ayant été écrit en pleine Seconde Guerre mondiale, certains aspects réels du conflit ont été inévitablement comparés à sa « guerre de l’Anneau ».
Les correspondances de Tolkien avec son fils Christopher, alors en service avec les troupes britanniques en Afrique du Sud, sont très intéressantes. Il lui envoyait des chapitres du SdA au fil de l’écriture, sous forme de feuilleton, qui accompagnaient ses lettres personnelles où les personnes et événements du conflit réel étaient souvent évoqué sous forme métaphorique (par des allusions aux Hobbits, aux Orques ou à l’Anneau) : « Eh bien ! Te voici en plein dedans, Hobbit au milieu des Uruk Hai. Garde ton hobbitisme au cœur, et dis-toi que toutes les aventures donnent cette impression quand on y est plongé. »
Mais, contrairement à la Seconde Guerre mondiale, la guerre de l’Anneau avait trait à des idéaux et non à des réalités politiques. Elle était cependant centrée autour d’une crise morale de l’humanité, que Tolkien voyait dans la vrai guerre, mais pas seulement chez l’ennemi : « Nous tentons actuellement de conquérir Sauron avec l’Anneau […]. La punition est celle-ci, comme tu l’apprendras : nourrir de nouveaux Sauron et transformer lentement en Orques les Hommes et les Elfes. Dans la vie vraie, les choses ne sont pas aussi tranchées que dans une histoire, et quand nous avons commencé, il y avait de notre bord un grand paquet d’Orques. »
Le regard de Tolkien sur ce conflit n’était pas neutre. En 1941, dans une lettre à un autre de ses fils, Michaël, il écrit : « Depuis l’époque où j’avais ton âge, j’ai passé une grande partie de ma vie à étudier les questions germaniques, au sens large qui inclut l’Angleterre et la Scandinavie. L’idéal germanique contient bien plus de sens que ne l’imaginent les gens ignorants. Quoi qu’il en soit, dans cette guerre j’éprouve une rancœur personnelle, brûlante - qui sans doute ferait de moi, à quarante-neuf ans, un meilleur soldat que je n’étais à vingt-deux – à l’égard de ce fichu petit ignorant d’Adolf Hitler. Il détruit tout, pervertit tout, rendant à jamais détestable ce noble esprit nordique, élément essentiel de l’Europe que j’ai toujours vénéré et cherché à présenter dans sa véritable lumière. »
On peut ainsi comprendre pourquoi Tolkien n’appréciait pas le Ring de Wagner, qui, ayant reconnu que le thème de la quête de l’Anneau se trouvait au cœur même de l’ensemble des mythologies européennes, en avait fait le symbole de l’identité germanique. Au XXe siècle, la musique du Ring de Wagner fut si intimement liée au parti nazi et à l’ascension du IIIe Reich que l’assimilation s’est faite dans l’esprit populaire. En ce sens, le SdA est certainement une tentative de Tolkien de revendiquer l’Anneau comme symbole de « ce noble esprit nordique », qui fut détourné et pervertit par les nazis. Mais Tolkien avait d’autres raisons de blâmer Wagner et ses héritiers (le génie de Wagner n’est pas en cause, mais ses idées politiques répugnantes). La famille, les héritiers du musicien n’ont pas été des dupes innocents du parti nazi, et Wagner avait dédié ses œuvres complètes à Arthur de Gobineau, père de la théorie raciale aryenne (que Tolkien rejetait comme intellectuellement absurde et idéologiquement répugnante).
Tolkien a vu dès le début la nature de l’obsession nazie liée au cycle wagnérien du Ring : l’idéalisation de la poursuite du pouvoir pour le pouvoir. Ayant déjà vécu une guerre et vu le désastre propagé dans le monde par la mentalité de l’âge de fer, il était à même de comprendre la malédiction de « l’Anneau du Pouvoir » (la quête de pouvoir est un mal en soi qui corrompt l’âme et l’esprit, même de l’honnête homme). C’est pourquoi il a redonné à la quête de l’Anneau sa forme originelle, mais il l’a retournée : le héros ne s’empare pas de l’Anneau de Pouvoir mais le détruit.
C’est en 1937 que Tolkien imagine son « Anneau Unique », en tant que symbole du pouvoir absolu qui corrompt moralement et physiquement ceux qui s’en emparent, sans se douter que des scientifiques allaient créer quelques années après une chose tout aussi puissante et dangereuse que l’Anneau Unique de Sauron, donnant à son récit une dimension presque prophétique.
Le roman n’étant pas publié avant 1954, bien des gens furent persuadés que l’Anneau ne pouvait être qu’une représentation de la bombe atomique. Tolkien était très opposé à celle-ci. Le 9 août 1945, il écrivit à Christopher : « L’information d’aujourd’hui, relative aux bombes atomiques, est si terrifiante qu’on se sent assommé. C’est une extravagance absolue qui a conduit ces physiciens déments à consentir un tel travail pour des buts de guerre. Il préparent calmement- la destruction du monde. » Cependant, il eut bien du mal à faire admettre que l’Anneau Unique fut imaginé bien avant qu’il eût connaissance des recherches sur la bombe atomique (« Mon récit n’est évidemment pas une allégorie de la puissance atomique, mais du Pouvoir exercé dans un but de domination. » « dans ce but (militaire) il est possible d’utiliser la physique. Mais on ne doit pas le faire. En aucun cas. Si on trouve dans mon histoire la moindre référence contemporaine, elle vise ce qui me semble l’idée la plus répandue à notre époque : si on peut faire quelque chose, on doit la faire. Voilà qui me semble complètement erroné. Les plus glorieux exemples de l’action de l’esprit comme de la raison consistent en des renoncements. […] Il est clair, il est certain qu’il faudra renoncer à s’en servir ; il faudra refuser, délibérément d’accomplir certaines choses qu’il est possible de faire. Ou alors rien ne subsistera. »)
Mais comment un vieux professeur d’anglo-saxon, décrivant un monde et une mythologie sortie de son imagination, a pu devenir un auteur-culte sur les campus américains vers le milieu des années 60, si radicales et engagées politiquement ? En fait le SdA s’est révélé le livre idéal de contre-culture estudiantine, bourré d’action et d’aventure mais aussi porteur d’un message pacifique et dirigé contre l’establishment. Frodon, l’anti-héros par excellence, qui repousse la tentation du pouvoir représentait bien les valeurs défendus par les mouvements pacifistes ou les hippies, qui n’ont pas manqué de remarquer le parallèle entre l’Anneau Unique et la bombe atomique.
D’ailleurs, il suffit de lire « Chroniques de Greenpeace » de Robert Hunter, qui relate les débuts de cette organisation, pour constater que cette contre-culture collait bien au monde de Tolkien. En 1969, Greenpeace, qui tentait d’éviter une expérience nucléaire américaine sur une île en Alaska, loua son premier bateau pour essayer d’empêcher la mise à feu de la bombe en navigant dans la zone d’essai. Hunter raconte : « Nous étions là, huit plaisanciers vêtus de vert, entreprenant d’affronter le feu le plus meurtrier de l’histoire, tels des Hobbits portant l’anneau sur le chemin du volcan de Mordor. »
Albert Einstein a donné au monde un avertissement : « Le pouvoir sans limite de l’atome a tout changé, sauf notre façon de penser. […] Si nous voulons que survive l’espèce humaine, il nous faut la modifier radicalement. » Ce nouveau mode de pensée se trouve dans le renversement de la quête de l’Anneau par Tolkien. Mais il ne s’est pas contenté de renverser la quête, il a aussi retourné les caractères qu’on s’attend à trouver chez celui qui entreprend cette quête : « Bien sûr les Hobbits doivent être considérés comme appartenant spécifiquement à la race des Hommes – ils ne sont ni Elfes ni Nains – et comme entièrement dépourvus de pouvoirs non humains. Ils n’en sont pas moins d’avantage au contact de « la nature », d’avantage libérés du désir, voire de l’avidité, de s’enrichir, ce qui est anormal chez des humains. Si on leur attribue une petite taille c’est, en partie, pour mettre en relief l’insignifiance de l’homme et de son horizon limité à son clocher […] ; et c’est essentiellement pour faire ressortir, chez ces créatures à la force physique réduite, l’héroïsme stupéfiant, inattendu, d’hommes ordinaires qui se poussent à la limite de leurs capacités. »
En fin de compte, la plus grande force des Hobbits est leur gentillesse fondamentale, leur humanité. Ils ont l’âme simple et pure et c’est ce qui leur permet d’être vainqueurs au stade ultime. De plus, Frodon, contrairement aux héros classiques, échoue au moment final, puisque sa volonté faiblit et qu’il refuse de détruire l’Anneau. Mais l’œuvre s’accomplit tout de même, grâce à la miséricorde de Frodon qui a épargné Gollum, sachant que celui-ci allait quand même le trahir. Si l’Anneau est détruit, c’est précisément parce que Frodon a eu pitié de son ennemi et que Gollum a pu vivre assez longtemps pour le trahir une fois encore.
Le SdA nous enseigne que le but de la quête n’est plus de conquérir l’Anneau. La rédemption ne vient plus de l’instinct humain, ni de la sagesse de son esprit, ni de la force de son corps. Ce qui permet de vaincre le Mal, c’est la prédisposition de l’être humain à la pitié.
Voila, et qu'on ne me parle plus de racisme dans l'oeuvre de Tolkien !
Toko (qui va enfin aller se coucher)
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J'oubliais...
Je ne saurais trop vous recommander la lecture de cet ouvrage vraiment intéressant, bien que la traduction soit vraiment pitoyable, mais ce point est racheté par de superbes dessins d'Alan Lee (inédits).
L'ouvrage est abordable et révèle les sources d'inspiration du maître, faisant des parallèles entre différentes mythologies existantes et celle inventée par Tolkien. C'est vraiment très pertinent, même si certains points pourraient être développés plus avant, et cela donne envie d'en savoir plus...
Smmaire :
I - L'esprit de Tolkien
II - Guerres de l'Anneau
III - Mythologie scandinave
IV - Le Dieu de l'Anneau
V - La Saga Völsunga
VI - Légendes arthuriennes
VII - Légendes carolingiennes
VIII - Mythes celtes et saxons
IX - Poésie germanique
X - Le Nibelungenlied
XI - Mythes grecs et romains
XII - Légendes bibliques
XIII - Mythes d'Orient
XIV - L'Anneau de l'alchimiste
XV - L'Anneau de Wagner
XVI - L'Anneau de Tolkien
Non, je n'ai pas d'actions chez Christian Bourgeois, mais je pense que tous ceux qui veulent en savoir plus sur les sources d'inspiration de Tolkien (il doit y en avoir bcp sur le forum) devraient se procurer cet ouvrage.
@tchao
Toko
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Waouw...!!!
Chapeau, toko. Ca donne envie d'aller y voir de plus près!
Et en attendant, ca donne deja d'importantes informations.
Merci à toi...et a David Day.
Varda
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C 'est vrai, passionnant, Toko !
Les citations de Tolkien, je les connaissais, mais replacées dans un contexte analytique centré sur la symbolique de l'anneau, c'est bien plus éclairant.
Je sais ce qu'il me reste à faire !
Mais une question : E. Kloczko in "Tolkien en France" dans le chapitre intitulé "Tolkien et la critique française : une bibliographie" dit de l'ouvrage de David Day que c'est " un ouvrage pour le grand public, texte bien inepte mais avec de belles illustrations d'Alan Lee".
Pourtant,ce que tu écris,Toko, ne me semble pas spécialement inepte !!
Notre pur et dur E. Kloczko pourrait-il nous en dire plus ?
A+
Cathy
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A part la traduction (qui est tout particulièrement médiocre), je n'ai pas trouvé cet ouvrage "inepte". "Grand public", par contre, convient bien puisque les thèmes abordés ne sont pas particulièrement appronfondis et qu'un spécialiste en mythologies pourra découvrir des erreurs, omissions et/ou simplifications, mais le sujet des influences de Tolkien est tellement vaste (il faudrait, au moins un bouquin de 500 pages pour aborder sérieusement ce thème).
Personnellement j'ai trouvé ce livre intéressant car, n'étant pas du tout versé dans les mythes scandinaves ou germaniques, j'ai appris des choses à leur sujet et l'ouvrage m'a donné envie d'en savoir plus... C'est un livre de vulgarisation.
Par contre, je le répète, la traduction est vraiment, vraiment énervante (heureusement que les illustrations d'Alan Lee sont là pour faire remonter le niveau) : on a vraiment l'impression que le traducteur n'a lu ni le SdA, ni le Silm...
Toko
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Toko >on a vraiment l'impression que le traducteur n'a lu ni le SdA, ni le Silm...<
Encore un autre (Lol)
Cathy
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moi la question que je me pose, c'est comment un tel article t'il pu etre publié dans un journal!
où sont les argumentations, les vrais examples détaillés, la réflexion qui a mené à cette conclusion?
Il nous balance sa diatribe à la figue sans donner d'expliquations comme si toutes les betises qu'il dit etaient une evidence....
Je suis navrée pour le pauvre Tolkien, c'est vrai, mais l'article est si pitoyable que je ne crois pas une seconde qu'il puisse vraiment lui aire du tort, tellement il manque de professionnalimse et de jugement.
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argggggg!! je sais pas comment j'ai fait, la distr
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argggggg!! je sais pas comment j'ai fait, la distraction sans doute, mais je me suis trompée de sujet, je voulais parler de l'article que voulait voir Morgoth.
Excusez moi
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Quel travail, Toko !!
Mais une remarque, tout de même
1) L’Anneau de Tolkien » est un livre qui traite principalement du symbole de l’Anneau et de la tradition de sa quête au cours des millénaire. L’auteur nous montre comment Tolkien a puisé dans le mythe, l’histoire et la littérature d’une douzaine de cultures différentes pour écrire sa propre mythologie. […]
2) L'ouvrage est abordable et révèle les sources d'inspiration du maître, faisant des parallèles entre différentes mythologies existantes et celle inventée par Tolkien.
C’est très différent : D Day propose beaucoup de comparaisons entre l’œuvre de Tolkien et certaines traditions. Mais le fait qu’il y ait des ressemblances ne signifie pas que l’un s’est inspiré de l’autre… cette différence est très importante.
Parfois, Day tombe dans les travers d’autres critiques qui estiment que puisque le chiffre 3 est important chez Tolkien et se trouve dans un livre d’A. lfredduschmole, c’est la preuve que Tolkien s’est inspiré de ce monsieur.
lol
En revanche, D Day choisit bien ses citations ;-) la correspondance de Tolkien est vraiment une mine
>Les correspondances de Tolkien avec son fils Christopher, … où les personnes et événements du conflit réel étaient souvent évoqué sous forme métaphorique (par des allusions aux Hobbits, aux Orques ou à l’Anneau) : « Eh bien ! Te voici en plein dedans, Hobbit au milieu des Uruk Hai. Garde ton hobbitisme au cœur, et dis-toi que toutes les aventures donnent cette impression quand on y est plongé. »
bon exemple de « l’appplicabilité » : chaque lecteur peut faire les rapprochements qu’il veut, et Tolkien se comporte ici comme l’un d’entre eux.
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> C’est très différent : D Day propose beaucoup de comparaisons entre l’œuvre de Tolkien et certaines traditions. Mais le fait qu’il y ait des ressemblances ne signifie pas que l’un s’est inspiré de l’autre… cette différence est très importante.
Ok. Je voulais juste résumer rapidement le thème du livre. C'est vrai que celui-ci est particulièrement centré sur la thématique de l'Anneau (avec un titre pareil, qui l'eut cru :-) ).
Toko
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ma remarque était vraiment une remarque dans l'absolu, pas sur ton compte rendu ! ;-))
V
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