Vous n'êtes pas identifié(e).
Pour en dire quelques mots, je cite simplement l'introduction : "The change in name from Noldorin to Sindarin did not coincide with a change in structure or vocabulary. We will therefore call this language Sindarin."
:-(
J'étais d'accord avec ce postlat en 1985, mais certaiment pas en 2004. Si la masse de travail est considérable, les présuposées théoriques sont plus que contestables et franchement pas plus valables que ceux de Helge et son "Mature Sindarin".
Le plan du livre est complet mais on dirait plutôt un livre de philologie de 1912-15.
C'est une grande déception pour moi de découvrir que le travail de David que j'avais lu il y a plusieurs années, et critiqué, lors de ma viste chez lui, n'a pas bougé.
Edouard Kloczko
PS Je serai sur Paris à la fin de janvier, une réunion ? Je ne sais pas si vous êtes prêts à dépenser la petite fortune pour l'obtenir. :-)
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Ho mais, des précisions ? Combien en *cenaith et *miriain ? :-) Ce serait une occasion de discuter la syntaxe des numéraux.. euh, bon, d'accord, j'arrête là !
Je viendrai volontiers, si mon emploi du temps me le permet (à ce moment là, c'est la transition entre deux semestres, donc techniquement le b***). Est-ce qu'il y a un jour précis en vue ?
Et si ça se fait, serait-il possible de voir le bouquin ? Je me pose moultes questions sur l'opportunité d'acquérir la chose...
B.
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>Ho mais, des précisions ? Combien en *cenaith et *miriain ? :-) Ce serait une occasion de discuter la syntaxe des numéraux.. euh, bon, d'accord, j'arrête là !
Le prix est de 50 $ (sans le port).
Le chapitre sur les numéraux est un des plus decevant du livre. :(
>Je viendrai volontiers, si mon emploi du temps me le permet (à ce moment là, c'est la transition entre deux semestres, donc techniquement le b***). Est-ce qu'il y a un jour précis en vue ?
Non, pas encore.
>Et si ça se fait, serait-il possible de voir le bouquin ? Je me pose moultes questions sur l'opportunité d'acquérir la chose...
Oui bien sûr, je viendrai avec le livre.
E. Kloczko
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tiens au fait Edouard , quand est-ce que ton dictionnaire sera disponible?
Beaucoup de personnes l'attendent avec impatience!
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Je viendrais avec la nouvelle édition du 50e aussi. Qui mérite une disseration à elle toute seule.
En deux mots, une défiguration du texte. Ainsi la magnifique inscription de l'Anneau par Tolkien a été remplacé par un gribouillage infame de couleur rouge.
E. Kloczko
PS. Chère Mlle, que je ne connais, merci de ne pas être hors sujet et de lire bien les sujets anciens.
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A Gateway to Sindarin : a grammar of an Elvish language from J.R.R. Tolkien's Lord of the Rings / David Salo. - Salt Lake City : The University of Utah Press, 2004. - 24 cm : couv. ill., xvi-438 p.
Bibliogr. p. 416-435. - ISBN 0-87480-800-6
J'ai hésité un bon moment avant de faire l'acquisition de l'ouvrage annoncé depuis fort longtemps de David Salo sur le sindarin, ses contributions discutables à l'adaptation commerciale et accessoirement cinématographique que l'on sait m'ayant instillé un doute certain sur l'intérêt de l'objet. Mais j'ai fini par me laisser tenter, et le livre est arrivé au début de cette semaine. Si je n'ai évidemment pas encore fini de l'éplucher, je l'ai bien assez parcouru pour en poster une analyse, en espérant qu'elle sera utile à ceux qui se poseraient les mêmes questions que moi avant mon achat.
Comme il rôde des gens avertis et exigeants sur ce forum;-) je m'étendrai assez sur des points qui nécessitent quelque connaissance préalable du sindarin. Qui n'y voit goutte n'aura qu'à sauter ces passages.
1. Présentation de l'ouvrage
C'est une belle édition sur papier alcalin, avec une reliure argentée, illustrée d'une arche inspirée de celle des portes de la Moria, portant une inscription en tengwar dans le mode de Beleriand, laquelle se lit Annon na Edhellen, soit (plus ou moins) A Gateway to Sindarin en sindarin.
L'ouvrage suit un plan très classique pour une monographie linguistique. Après une brève histoire (interne) de la langue vient une description des sons et des systèmes d'écritures employés pour les représenter, une phonologie historique retraçant l'évolution phonétique du sindarin depuis l'elfique primitif, un aperçu des mutations, une présentation des différentes parties du discours (noms, adjectifs, pronoms, verbes, adverbes / préfixes / prépositions, conjonctions, articles, interjections) et de leur flexion, une étude détaillée des procédés de création lexicale par dérivation, composition et emprunt aux autres langues, puis enfin une syntaxe. Suivent plusieurs appendices : une analyse du corpus des textes connus en sindarin, un double glossaire accompagné d'une présentation des mots par racines (attestées et déduites), un index des noms propres sindarins, une présentation des noms sindarins des Valar, Valier et Maiar, une étude des numéraux, et les noms des mois et des jours. Enfin, un glossaire de termes linguistiques, une bibliographie abondamment commentée, et un addendum postérieur à la publication de la deuxième partie des Addenda and Corrigenda to the Etymologies dans VT46 en juillet dernier.
2. Choix, traitement et présentation des faits
Une préface sert à annoncer et justifier les options dans la présentation des faits. David Salo a choisi de traiter ensemble le noldorin des Etym. et tout ce qui le suit, ce qui inclut la totalité du sindarin ultérieur : l'auteur choisit de faire commencer en 1939 la période de développement externe étudiée. C'est là qu'il y affirme que "the change in name from Sindarin to Noldorin did not coincide with a change in structure or vocabulary". C'est très discutable, et même factuellement faux. Il existe certaines différences de grammaire (application de la lénition, modèles de pluriel, existence d'un infinitif en noldorin qui n'est pas attesté en sindarin); enfin, la comparaison des lexiques est malaisée mais nous connaissons quelques cas de glissement de sens, comme iant qui de "joug" dans les Etym est devenu "pont" en sindarin, ou cû qui d' "arche, croissant" est devenu "arc". Toutefois, il est vrai que l'essentiel de la divergence se ramène à une série de différences phonétiques bien établies entre la majeure partie du noldorin des Etym et le sindarin du SdA et du Silm, avec une régularité suffisante pour permettre le passage de l'un à l'autre, et notamment la "mise à jour" du vocabulaire noldorin en sindarin telle qu'elle est mise en œuvre dans le dictionnaire sindarin présenté sur Hiswelókë. La phrase de David Salo devient plus acceptable si l'on comprend qu'il n'y a pas eu de révolution entre le noldorin et le sindarin, de sorte qu'il y a une continuité entre les deux. Il est vraisemblable que c'est dans cet esprit qu'elle a été écrite, l'auteur connaissant trop bien la question pour s'y tromper. Mais elle peut fourvoyer des nouveaux-venus.
Cette idée de continuité explique en fait le traitement du noldorin dans le livre. David Salo a choisi une optique très interniste, en voyant dans le noldorin un dialecte spécifique du sindarin, qui pourrait être attribué à la population de Gondolin au Premier Âge. Cela lui permet de réconcilier des faits contradictoires : les différences du noldorin sont simplement traitées comme des dialectalismes. Considérant que les Gondolindrim étaient coupés des autres habitants de Beleriand, donc exposés à développer des particularités linguistiques propres, et que dans l'histoire de Tuor dans les CLI il est effectivement fait mention de la vague étrangeté de leur sindarin, ce n'est pas une hypothèse de travail absurde. Elle n'est pas vraiment neuve d'ailleurs, puisque mentionnée depuis longtemps dans l'article de Fauskanger sur le sindarin. Et il est tout à fait exact que les différences entre noldorin et sindarin, au moins sur un plan phonétique, sont suffisamment limitées pour qu'on puisse les considérer comme intercompréhensibles (les différences phonétiques entre l'anglais britannique et américain ne sont pas moins importantes pour autant que je sache).
Mais il y a un grand désavantage à cette approche : c'est qu'elle aboutit à tout envisager sous le prisme d'une interprétation, très particulière avec cela, que les textes ne soutiennent pas explicitement. David Salo considère que le sindarin peut être traité comme n'importe quelle autre langue ancienne ayant réellement existé. Malheureusement, ce faisant, il en évacue un aspect essentiel et spécifique des langues de Tolkien : leur dimension personnelle, le fait qu'elles aient un auteur et en portent la marque. De manière plus générale, on peut dire que tout l'aspect externiste se trouve écrasé. Le livre ne donne donc du sindarin qu'une représentation tronquée.
Et il faut bien dire qu'ainsi l'auteur se prive des moyens d'expliquer certains faits, qui ne s'éclairent que lorsqu'on veut bien les voir comme des états différents de développement externe. On ne peut s'empêcher de penser que parfois, David Salo veut trop expliquer et force les faits pour qu'ils rentrent dans un cadre théorique qui se mue en lit de Procuste. Cela aboutit parfois à des pratiques franchement limites dans le cadre d'une étude raisonnée : ainsi, ne pouvant expliquer l'absence de mutation à l'initiale dans la locution bo Ceven "sur la terre" dans la traduction sindarin du Notre Père, il affirme hardiment dans l'analyse de ce texte que c'est une erreur de transcription pour * bo Geven, du fait de la difficulté de l'écriture manuscrite de Tolkien. L'explication est un peu hâtive et n'est pas corroborée par la source, VT44 en l'occurrence. Mais ce qui est pire, c'est que c'est cette forme "corrigée" * bo Geven qu'il cite partout ailleurs dans le livre ! En étant sévère, on n'échappe pas à l'idée que si les faits ne correspondant pas à la théorie, ce sont les faits qui ont tort(1).
De même, souhaitant manifestement traiter le sindarin comme objet d'étude à part entière, et indépendant, il critique sans ménagement les tentatives de rapprochement avec les langues ayant servi de modèle, ainsi du gallois dans An Introduction to Elvish. Il a certainement raison d'insister sur le fait que les langues de Tolkien ont leur existence propre et ne sauraient être confondues avec des déformations de langues existantes, mais il va trop loin en refusant de considérer les inspirations indiquées par Tolkien lui-même. Je pense qu'il manque ainsi quelque chose. Ainsi du bo Ceven évoqué plus haut : dans certains registres du gallois, les noms propres sont susceptibles de résister à la mutation. Pourquoi ne serait-ce pas le cas ici ? Ce d'autant plus que Ceven a une majuscule et pas d'article, caractères laissant penser qu'il est bien traité comme nom propre. C'est une simple hypothèse, mais une que David Salo s'est interdit de considérer de par son approche trop purement interniste.
On y ajoutera un certain manque de rigueur dans la présentation. Il est ainsi assez difficile de se rendre compte au premier regard de ce qui est véritablement attesté et de ce qui est déduit. Certes, l'astérisque est dûment employé pour les reconstructions de stades anciens (dans une perspective diachronique interniste); d'autres signes pour les formes déduites ou altérées du noldorin à l'intérieur des appendices. Malheureusement, elles ne sont pas employées dans le plein texte, ce qui impose de devoir rechercher constamment si telle ou telle forme est vraiment attestée. C'est faisable, mais long et ennuyeux. Et même dans les appendices, toutes les déductions ne sont pas clairement indiquées. Par exemple, on voit sans précision particulière des racines ÑIL et ÑAL liées à la lumière. À ma connaissance, elles ne sont pas sans fondement dans les écrits tardifs de Tolkien, mais il n'en reste pas moins que dans les Etym, ces racines ont la forme GIL et GAL. On les cherchera en vain, et leur altération (qui peut avoir, par ailleurs, une justification théorique), n'est pas mentionnée. Ce défaut est vraiment très préjudiciable à la facilité d'emploi et la fiabilité de l'ouvrage. On peut assurément comprendre que David Salo n'ait pas voulu surcharger son texte d'astérisques, la part des reconstructions étant nécessairement grande, mais dans ce cas, pourquoi n'a-t-il pas choisi un signe pour signaler les forme authentiques ? Un simple gras aurait suffi ! L'absence d'index vient renforcer cette impression de manque d'ergonomie ; il est vrai que c'est un outil long et pénible à mettre au point, mais il a l'immense avantage de rassembler les informations sur des point précis, quand bien même elle est traitée à plusieurs endroits, et de faciliter la navigation dans un ouvrage qui n'est pas destiné à être lu de façon linéaire. Quoique claire et détaillée, la table des matières ne suffit pas à cela.
Enfin, on peut signaler parfois un manque de prudence dans les conclusions. Le ton général donne du sindarin une image beaucoup plus nette de ce que nous savons qu'il est vraiment. Quelques précautions oratoires sont prises aux endroits les plus douteux, mais clairement pas assez. On voit la trop fameuse mutation liquide apparaître avec juste une mention précisant qu'elle est "unattested outside of words with prefixes ending in -r". Sur l'énigmatique aen nous n'aurons qu'une seule hypothèse, assortie d'un simple "perhaps". Les infinitifs en -o et -i du noldorin sont importés sans précaution en sindarin, alors qu'on sait qu'il n'y sont pas explicitement attestés, et qu'il n'est pas impossible qu'il y aient été supplantés par les gérondifs.
Bref, nous avons un ouvrage tout à fait dans la logique que nous avons déjà pu voir chez David Salo : très préoccupé de cohérence, très reconstructionniste, très explicativiste, et assez peu soucieux du rôle de Tolkien en tant que créateur.
Bertrand Bellet
(1) Le lecteur intéressé trouvera plus de détails sur ces questions de méthode dans les messages n° 760 et 765 de Lambengolmor, écrits respectivement par Carl Hostetter et Patrick Wynne. On tiendra compte toutefois de l'antipathie, pour le moins, que se portent l'ELF et David Salo, qui ne peut manquer de colorer leur vision de ces deux parties (c'est d'ailleurs visible à la lecture). Il n'en reste pas moins que les problèmes évoqués sont réels.
A suivre...
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Tout d'abord, un GRAND merci Bertrand, pour avoir pris la peine de taper une critique aussi conséquente du livre de David Salo. (Et de manière plus prosaïque, je suis sûr que certains porte-feuilles te rendront la pareille :)
* Au vu des dires d'Edouard et de Bertrand, la manière dont l'intégration du Noldorin dans le livre est justifiée semble en effet assez malhonnête. D'autant plus que la continuité observée entre les deux langues se fonde essentiellement sur des constatations et des déductions faites sur les Etymologies, qui de part sa forme, évacue automatiquement des pans entiers de la grammaire (conjuguaison - nuançable, mais je n'entre pas dans le détail -, syntaxe...), et si je ne me trompe pas nous n'avons pas de textes correspondant à l'époque Noldorin des Etymologies (sauf peut être la Chanson de Lúthien dans le lai de Laethian). Combler les incertitudes par la solution de l'amalgame par défaut ne semble clairement pas rigoureux... après c'est une question de point de vue, c'est à dire ce que l'auteur du bouquin veut vraiment : une langue fonctionelle (et rapiécée), ou bien une image exacte de l'oeuvre de l'artiste, JRR (et rigoureuse) - mais je garde cette problématique pour une future question, tjrs en plan, pour la FAQ des langues.
* L'intégration du Pater Noster publié dans VT44 est, elle aussi discutable, comme Bertrand le souligne en mettant l'accent sur certains détails grammaticaux... après tout, on ne sait même pas quelle était la motivation de l'écriture d'un tel texte. Essai d'une grammaire un peu changée et exotique par Tolkien ? Variante dialectale ou circonstancielle (cela pourrait être une variante de la langue dédiée aux prières), etc, etc...
Moraldandil > Bref, nous avons un ouvrage tout à fait dans la logique que nous avons déjà pu voir chez David Salo : très préoccupé de cohérence, très reconstructionniste, très explicativiste, et assez peu soucieux du rôle de Tolkien en tant que créateur.
Tout à fait d'acord... si l'on prend l'image d'une langue Tolkiénienne comme d'un film qui évolue tout au long de sa vie, alors une photo extraite nous donnera un bon aperçu de la langue à un moment donné; mais superposer deux ou plusieurs images, surtout si elles n'appartiennent pas à la même séquence, nous donnera nécessairement quelquechose de flou... bon, ce n'est qu'une métaphore, avec ses qualités et ses défauts.
En tout cas, merci encore, Bertrand pour cette précieuse critique.
Ben
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3. Intérêt du contenu
Sur l’histoire interne, pas grand chose de particulier à dire, David Salo reprend des éléments largement connus. Les textes essentiels étant publiés, nous n’avons pas à nous attendre à beaucoup de changements en ce domaine. Je dirai juste que, dans la ligne générale de l’ouvrage, c’est une reconstruction d’histoire tentant d’en raccommoder les fragments, plus qu’une présentation raisonnée des différentes possibilités envisagées par Tolkien. Elle se base sur le scénario final, où le sindarin est la langue indigène de Beleriand. Les conceptions anciennes liées au nom de noldorin ne sont pas évoquées.
La partie sur la phonétique et l’écriture ne présentent pas non plus de surprises, et donnent simplement sans s’étendre l’état de nos connaissances actuelles. La description des sons utilise l’Alphabet Phonétique International de manière tout à fait bienvenue.
La phonétique historique est certainement l’un des points forts de l’ouvrage. Le besoin d’une présentation globale de l’évolution phonétique de l’elfique primitif au sindarin est quelque chose dont nous avons grand besoin, et les quarante pages de ce chapitre le satisfont largement. La présentation, en gros chronologique, en est assez synthétique, et fait grand usage de la notion des traits distinctifs des phonèmes. Cette présentation, sans ambiguïté mais opaque à qui n’est pas familier du concept, est heureusement complétée systématiquement par une paraphrase, et d’exemples reconstruits. Il faut noter tout de suite que Davis Salo présente là sa vision globale, conformément à l’optique générale de l’ouvrage ; il ne s’agit pas d’un panorama des idées de Tolkien en la matière. La présentation est bien exposée en introduction, avec une discussion intéressante des avantages et des limites de la présentation chronologique choisie. Pour avoir travaillé depuis un certain temps sur le sujet, je trouve ce travail solide et utile (certains points sont naturellement discutables, mais c’est tout à fait normal). On le comparera utilement aux reconstructions étymologiques du dictionnaire sindarin de Hiswelókë.
Suit un chapitre de morphophonologie (alternances phonétiques régulières apparaissant dans la morphologie de la langue) rendant compte des mutations consonantiques d’une part, des métaphonies d’autre part (appelées ici « vowel affection » ou « vowel mutation » suivant la terminologique des celtisants en langue anglaise). La présentation des mutations n’apporte rien de neuf, c’est essentiellement ce qu’on a sur Ardalambion Nous avons de tables de mutations fort complètes, qui ne précisent guère ce qui est attesté et ce qui ne l’est pas. Nous y voyons apparaître la fameuse « mutation liquide » sans trop de précautions... Le plus que l’on peut y trouver réside dans l’explication des mutations : les phénomènes de phonétique historique à leur origine sont détaillés dans chaque cas. La présentation des divers types de métaphonie est plus intéressante, elle traite à la fois leur développement historique et leur utilisation morphologique en synchronie. Ce chapitre se termine sur une partie originale sur l’apophonie (« ablaut »), à savoir la variation en série des voyelles dans les racines comme procédé morphologique. David Salo insiste sur l’importance du phénomène en eldarin commun et en montre l’héritage en sindarin.
L’étude des différentes parties du discours est également proche de ce qu’on peut lire sur Ardalambion, tout en étant dans l’ensemble plus fouillée et plus claire. Certaines parties comme les pronoms comportent un nombre conséquent de suppositions (dûment marquées comme telles dans ce cas) ce qui n’a rien d’étonnant vu nos incertitudes en ce domaine. Le système verbal présenté est essentiellement la reconstruction présentée sur Ardalambion. Il n’est vraiment pas assez dit qu’elle ne repose que sur un très petit nombre d’attestations. David Salo n’a guère révisé son modèle : il tient compte des nouvelles données des Addenda and Corrigenda to the Etymologies (la 1re partie publiée dans VT45 du moins ; la 2e dans VT46 est visiblement arrivée alors que le livre était déjà prêt, et est rejeté pour cette raison en addendum), les présente, mais tend à évacuer les formes surprenantes dans le cadre de son ancienne théorie en les considérant comme des survivances en voie d’élimination, ce qui est vraiment un peu rapide.
L’étude détaillée des procédés de formation des mots constitue un deuxième point fort du livre. Tous les aspects en sont abordés : l’héritage des procédés anciens devenus non productifs, la suffixation, la préfixation, les différents types de compositions et leurs conséquences phonologiques, présentées dans toute leur complexité. C’est un chapitre vraiment intéressant, sur un thème qui n’a jamais encore été traité avec cette ampleur, et qui sera très utile dans l’analyse des noms (et la création lexicale pour ceux qui souhaitent s’essayer à la composition). Cette partie est complétée par un bref rapport sur les influences lexicales des autres langues sur le sindarin, essentiellement du quenya.
La syntaxe est peu importante par rapport au poids total de l’ouvrage (vingt-cinq pages), ce qui tient en partie à la faire quantité de données disponibles. Même ainsi, c’est une partie assez décevante, qui n’apporte rien de bien neuf, et dont l’approche date quelque peu, comme l’a souligné Edouard Kloczko plus haut dans ce fuseau. Certains points ne sont pas traités alors que nos connaissances, toutes rudimentaires qu’elle soient, le permettraient. Dans la syntaxe du groupe nominal notamment : l’emploi des articles, des différents types de possessifs, l’agencement des possessifs et des adjectifs, les mutations suivant les numéraux. Il n’en est que peu question. Est ce que parce que c’est jugé trop simple ? Pourtant, nous pouvons observer que la syntaxe nominale est dépaysante par rapport à celle de l’anglais, notamment depuis la publication du Notre Père en sindarin, ce qui justifierait d’en prendre note. De même, il n’est pas question du passif, et des diverses possibilités sur la nature d’’aen nous n’en voyons qu’une de citée. Les parallèles possibles avec le quenya ne sont pas exploités. Peut-être est-ce parce qu’il s’agit là de parties très spéculatives de l’étude du sindarin ? Mais de façon générale, la syntaxe souffre d’être « éclatée », sous-traitée en partie dans l’étude des parties du discours. Il est vrai que Tolkien lui-même s’est visiblement plus intéressé à la morphologie qu’à la syntaxe, suivant en cela l’approche néo-grammairienne dominante à son époque (on note cependant un infléchissement vers plus d’attention à la syntaxe dans ses écrits tardifs, notamment Quendi & Eldar). Nous avons déjà pu observer que la syntaxe n’a pas l’air d’être l’intérêt majeur de David Salo non plus : que l’on se souvienne de constructions comme **Hannon le ou **Havo dad, étroitement calquées sur l’anglais de manière probablement erronée...
La partie grammaire proprement dite s’arrête là, mais elle est suivie d’appendices substantiels. Nous avons d’abord une analyse du corpus qui reprend et analyse les textes sindarins, en y incluant de manière originale des essais d’elfique tirés des brouillons du SdA (sans pouvoir cependant vraiment les éclairer). On y trouvera en particulier une explication du chant de Lúthien dans LB:354, intéressante (quoique des points m’en paraissent contestables, comme l’analyse de ir comme forme d’article devant une initiale en i-, idée à laquelle le Notre Père a apporté un contre-exemple). Nous avons ensuite un long glossaire sindarin-anglais, suivi d’une répartitions des mots par racines et d’un rétroglossaire simplifié anglais-sindarin. C’était un passage obligé dans ce type d’ouvrage, mais je dois dire que la réalisation est loin de valoir DragonFlame – et ce n’est pas par simple courtoisie vis à vis de Ben et Didier que je le dis ;-) Ce qui est beaucoup plus intéressant, c’est la liste de noms propres sindarins qui vient après. Elle a l’ambition de répertorier tous les noms du SdA et des écrits postérieurs, avec leur source et une interprétation. Je ne peux évidemment pas encore me prononcer sur son exhaustivité, mais c’est un outil dont la nécessité se fait sentir depuis longtemps (la liste publiée sur The Noble Tongue est utile mais incomplète et loin d’être aussi détaillée), et qui devrait faire de l’usage. Des autres compléments, je retiendrai aussi la bibliographie annotée qui fait une liste des principales sources primaires et, point intéressant, en résume l’intérêt linguistique. Cela devrait se révéler utile pour retrouver des informations que l’on se souvient d’avoir lu mais sans pouvoir s’en rappeler la source. Elle cite aussi deux publications secondaires connues, An Introduction to Elvish de Jim Allan et The Languages of Tolkien’s Middle-earth de Ruth Noel. Tous deux font l’objet de critiques justifiées mais sans aménité particulière, spécialement pour le premier, eu égard à sa date ancienne de publication.
4. Conclusion : quel public ?
Nous avons donc un ouvrage indéniablement complet, qui dénote un travail approfondi et de longue haleine sur le sindarin. L’essentiel y est traité, d’une manière qui devrait faire date et clarifier l’état des connaissances actuelles. Là où j’aurai des réserves, comme on l’aura compris, ce sera surtout sur la façon de présenter les faits. L’ouvrage n’est pas conçu pour faciliter l’étude du travail de l’auteur d’un point de vue externe ; il se consacre avant tout à donner du sindarin une image aussi complète et cohérente que possible, avec tous les risques et déformations que cette démarche comporte. Sur ce plan , il est assez tentant de qualifier cet ouvrage d’Ardalambion amélioré. Il pâtit d’ailleurs d’un problème similaire : la définition du public visé. S’agit-il, comme Ben l’a remarqué, de présenter une version rationalisée et utilisable de la langue, ou de l’étudier vraiment dans toute sa complexité ? On peut apprécier les deux, mais il me semble qu’intellectuellement il est important de savoir ce que l’on fait et d’éviter de mélanger les deux approches. David Salo ne le fait pas assez, et en fait il est clair qu’il cherche à jouer sur les deux tableaux... au risque de ne bien correspondre à aucun des deux. Il termine d’ailleurs sa préface ainsi : “I hope it will furnish the necessary groundwork for future investigation into Sindarin. For those who wish to learn Sindarin, such errors as there may be should not affect their ability to read Sindarin texts or to construct their own.”
A l’image d’Ardalambion sur la Toile, A Gateway to Sindarin présente une vision personnelle d’une reconstruction du travail de Tolkien ; il témoigne d’un long travail, présente une masse d’informations considérable, mais est nettement marqué par le point de vue de son auteur et doit s’utiliser avec discernement. Disons-le d’ailleurs honnêtement : David Salo ne prétend nullement faire œuvre certaine ou définitive, sa préface est très claire là-dessus. C’est aussi au lecteur de faire sa part de travail et de garder son sens critique.
A cette condition, ce livre atteindra-t-il son objectif de devenir une référence ? Il en a le potentiel ; il ne fait pas de doute qu’il servira, et il mérite tout à fait de figurer dans la bibliothèque d’un lambendil.
Bertrand Bellet
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J'ai écrit :
> Par exemple, on voit sans précision particulière des racines ÑIL et ÑAL liées à la lumière. À ma connaissance, elles ne sont pas sans fondement dans les écrits tardifs de Tolkien, mais il n'en reste pas moins que dans les Etym, ces racines ont la forme GIL et GAL.
Précision : une racine ÑAL "shine by reflection" est clairement citée dans PM:347, et MR:388 donne une racine ngil dont la graphie est ambiguë entre ÑIL et ÑGIL.
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