Vous n'êtes pas identifié(e).
Vu l'heure tardive, pardonnez-moi de faire court et sans couleurs (Oh l'autre hé...).
La situation est la suivante : nous avons en France deux traductions de Mythopoeia (une dans Tolkien, Faërie et Christianisme chez ad solem et l'autre dans Faërie et autres textes [= FAT] chez Bourgois).
Or, force est de constater que dans les deux traductions on collectionne les omissions (parfois des vers entiers) et des éloignements du texte original si importants qu'on se demande parfois si on a affaire à une traduction.
Evidemment, je comprends combien l'exercice est difficile pour un poème "normal"; or celui-ci est très compliqué et l'imagine que les traducteurs ont dû vraiment souffrir à la tâche.
En tout, je n'y trouves pas mon compte en ce moment et dans le sujet de ce fuseau , alors que je ne m'intéresse pas à la métrique mais seulement au sens véhiculé par le texte.
En particulier les vers qu'on trouve en FAT, p. 306 :
The heart of man is not compound of lies,
but draws some wisdom from the only Wise,
and still recalls him. Though now long estranged, (55)
man is not wholly lost nor wholly changed.
Dis-graced he may be, yet is not dethroned,
and keeps the rags of lordship one he owned,
his world-dominion by creative act:
not his to worship the great Artefact, (60)
man, sub-creator, the refracted light
through whom is splintered from a single White
to many hues, and endlessly combined
in living shapes that move from mind to mind.
Though all the crannies of the world we filled (65)
with elves and goblins, though we dared to build
gods and their houses out of dark and light,
and sow the seed of dragons, 'twas our right
(used or misused). The right has not decayed.
We make still by the law in which were made. (70)
Mes difficultés se trouvent au point central du propos (ceux-là même sur laquelle Flieger s'appuie dans Splintered Light, p. 46-48), en vv. 60-64.
Comment les traduire, ne serait-ce qu'en prose?
Qui est selon vous « le grand Artefact » que l'homme ne doit pas adorer?
Lui-même ou bien (ce qu'il me semble) la création dans son entier ?
Il me semble difficile de ne pas identifier ce "grand artefact" avec "la lumière réfractée" tant le jeu sonore s'y prête.
Pourrait-on traduire (quant au sens) par :
L'homme, subcréateur, ne doit pas adorer le grand Artefact, cette lumière réfractée issue d'un blanc unique qui le (=l'homme) traverse pour se fragmenter en de nombreuses couleurs, sans cesse recomposée en formes vivantes passant de l'esprit à l'esprit.
L'objet de mon interrogation vient d'une recherche en cours et de la lecture de Flieger.
Il me semble qu'il y a un problème dans la lecture qu'elle fait.
Pour Flieger, l'homme est le prisme « throught which the White light passes and is splintered into the hues of the color spectrum » (p. 46).
Ne serait-ce pas un peu plus compliqué que cela?
N'y aurait-il pas confusion entre "réfracter" (= décomposer la lumière blanche en ses couleurs constitutives) et "fragmenter / briser" (splinter) la lumière (blanche ou colorée) en lumièreS (ou plutôt morceaux de lumière) ?
Il me semble qu'il y a bien trois choses et non pas deux :
(1) Le Blanc unique (originel = le créateur)
(2) la lumière réfractée (donc multicolore, véritable arc-en-ciel primitif = la création)
(3) la lumière réfractée fragmentée : lumière ayant traversé l’homme dont l’activité sous-créatrice consiste à fragmenter la lumière réfractée multicolore primitive pour constituer une œuvre personnelle. Cette œuvre personnelle est sous-création en forme de mosaïque colorée, la mosaïque étant l’art de réunir et d’associer les fragments.
Ceci me semble confirmé par un texte de Du conte de fée que Flieger cite juste avant (p. 42) :
When we can take green from grass, blue from heaven, and red from blood, we have already an enchanter’s power — upon one plane (…) Faërie begins ; mans become a sub-creator
Là, nous avons bien le sous-créateur qui se laisse habiter/traverser par des couleurs pures/primitives issues de la contemplation de la création (l’herbe, le ciel, le sang, bref, ce monde physique accessible au pouvoir que possèdent tous les hommes, ce que Mythopoeia appelle notre « acte créateur (…) (used or misused) ») et non pas une révélation du Blanc unique qui n’est pas accessible à la nature humaine (sinon par révélation justement, qui ne dépend pas seulement de l’homme mais aussi du dispensateur du Blanc unique).
Rque : Une pensée en cours...
La lumière réfractée appelle l'image du prisme qui, par réfraction, décompose la lumière blanche en ses couleurs constitutives.
Le prisme est donc "naturellement" l'image de l'homme selon la lecture que Flieger fait de Mythopoeia.
La lumière fragmentée peut être comprise comme une lumière réfractée (cf. la remarque de Gandalf à saruman à propos de la "lumière brisée" de son manteau blanc devenu manteau multicolore)
Mais la lumière fragmentée, c'est peut-être autre chose que seulement de la réfraction.
Fragmentée peut se comprendre comme éparpillée.
Fragmentée au contact de la matière (=l'homme), la lumière s'éparpille dans toutes les directions.
Cela s'appelle de la diffraction.
Si on ajoute la notion de combinaison de lumières (v. 63 : endlessly combined), on obtient la notion d'interférences lumineuses.
(interférences à la surface d'un film de savon)
Or, seules la diffraction et les interférences peuvent produire de la lumière mais aussi l'absence de lumière (v. 66-67 : we dared to build (...) of dark and light)...
La seule réfraction (Un prisme) n'explique ni la combinaison ni la production de ténèbres...
Dans cette "optique" (haha!), l'homme n'est plus seulement un prisme mais aussi un réseau ou mieux, l'aile d'un papillon,
un voile à la broderie régulière... ou des goutellettes d'eau de pluie d'un diamètre suffisamment petit pour qu'au phénomène de réfraction qui génére les arc-en-ciel primaires et secondaires se superpose le phénomène de diffraction qui engendre les arcs surnuméraires.
oulalala, au lit moi
S.
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La lumière fragmentée peut être comprise comme une lumière réfractée (cf. la remarque de Gandalf à saruman à propos de la "lumière brisée" de son manteau blanc devenu manteau multicolore)
Juste une aparté, de bon matin ;o) : la question que tu soulèves, Sosryko, me rapelle dans une certaine mesure l'étymologie de l'arc-en-ciel mythique des Germains du Nord, le Bifröst, "pont" qui permet aux divinités de rejoindre Yggdrasill pour y tenir leur thing (cf. le Grimnísmál, le Fáfnismál et la Gylfaginning).
Si rọst convoie l'idée de "chemin", bif- (ou bil-) suggère l'idée de mouvement ou de changement décevant, de trahison en quelque sorte, voire encore de bariolage, d'abondance de couleurs. Le Bifröst pourrait être le chemin des âmes, d'après J. de Vries, assimilé au Gjallarbrú, le "pont sur le Gjôll", rivière qui sépare le monde des vivants de l'empire des morts. A ce titre, le Bifröst pourrait être assimilé à la voie lactée.
De fait quand tu établis la typologie suivante :
(1) Le Blanc unique (originel = le créateur)
(2) la lumière réfractée (donc multicolore, véritable arc-en-ciel primitif = la création)
(3) la lumière réfractée fragmentée : lumière ayant traversé l’homme dont l’activité sous-créatrice consiste à fragmenter la lumière réfractée multicolore primitive pour constituer une œuvre personnelle. Cette œuvre personnelle est sous-création en forme de mosaïque colorée, la mosaïque étant l’art de réunir et d’associer les fragments.
Ne peut-on opérer une distinction au sein même de la "fragmentation" (i.e. l'activité sous-créatrice) entre les sous-créateurs qui se livrent à l'ordonnancement des couleurs (au sang correspond la couleur rouge, au ciel le bleu, à l'herbe le vert, etc.), pour glorifier la Création, et ceux qui, au contraire, se livrent à un bariolage, à un mélange désordonné des couleurs qui ne respecterait pas la "réfraction primitive" (i.e. la Création), renvoyant à l'idée de "trahison" dont Saruman serait un exemple ?
Cordialement,
Tilkalin.
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Exactement ! puisque Tolkien souligne lui-même cette double possibilité, ce choix, en précisant « (...) though we dared to build (...) 'twas our right / (used or misused) » (v. 66.68-69) :-)
Saruman, effectivement, pervertit l'usage de la sous-création en cherchant son profit personnel (même si le problème est un peu plus complexe, car il s'agit d'un Maia et non d'un homme : sa relation à la lumière est différente, j'y reviendrai).
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Je crains ne pas être d'une grande aide... Ce passage en particulier est très difficile à traduire, je trouve :(
Dis-graced he may be, yet is not dethroned,
and keeps the rags of lordship one he owned,
his world-dominion by creative act:
not his to worship the great Artefact, (60)
man, sub-creator, the refracted light
through whom is splintered from a single White
to many hues, and endlessly combined
in living shapes that move from mind to mind.
Tout disgracié qu'il soit, il n'est pas encore détroné,
et garde les haillons de la royauté qu'il posséda,
sa domination du monde par l'acte créatif:
il n'a pas à [ce n'est pas son lot de] adorer le grand Artefact,
l'homme, le subcréateur, la lumière réfractée
à travers lequel [« whom »] est fragmenté [quoi ?] d'un [« from »] unique Blanc
en de nombreuses nuances, et combinées sans fin
en des formes vivantes qui vont d'esprit à esprit.
(pour mémoire, ta proposition : « L'homme, subcréateur, ne doit pas adorer le grand Artefact, cette lumière réfractée issue d'un blanc unique qui le (=l'homme) traverse pour se fragmenter en de nombreuses couleurs, sans cesse recomposée en formes vivantes passant de l'esprit à l'esprit ».)
J'avoue que je ne comprend pas tout... :( Aussi ce ne sont que des pistes, et si on pouvait avoir un autre esprit, bilingue si possible (Tiiiirnooo :)) pour arbitrer, ce serait bien...
Comme c'est combiné, j'ai du mal à saisir où est le sujet et où est le COD... La traduction littérale que je fais garde le mystère, et ne nous aide pas trop à vrai dire. Son seul avantage est de ne pas faire d'interprétation.
De l'emploi de « whom » [v.62] (et non de « which » qui désignerait un objet), je déduis que c'est à travers l'homme qu'est fragmenté le blanc : l'homme est subcréateur et lumière réfractée, et à travers lui est fragmenté [quelque chose, la lumière sans doute ? Ou l'Artefact ] d'un Blanc en nombreuses nuances... Si c'était seulement la lumière, on aurait The refracted light through which is splintered... (mais pourquoi ne pas avoir mis de virgule après « refracted light », si c'est à considérer de même niveau que « sub-creator » ?).
Par conséquent, dans cette optique, l'Artefact ne serait pas à proprement parler la lumière réfractée. A moins que l'on considère les GN « great Artefact », « man », « sub-creator » et « refracted light » comme désignant la même chose, comme équivalent... C'est embrouilléééé ! :(
Je vais laisser un peu mariner... peut-être qu'une illumination me viendra, mais j'ai l'impression qu'il manque quelque chose, la phrase me paraît bancale (ce qui vient certainement de moi). Qu'est-ce qui est fragmenté d'un Blanc en nuances, dans le texte ???
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Mais j'avais très bien compris le "whom", Stéphanie ;-))
Simplement, je lis les vers
not his to worship the great Artefact, (60)
man, sub-creator, the refracted light
through whom is splintered from a single White
to many hues, and endlessly combined
(...) 'twas our right
(used or misused). The right has not decayed.
Comme suit :
sub-creator through whom
the Great Artefact (not the man's right to worship)
= the light (refracted from a single White to many hues)
is splintered,
and endlessly combined etc...
(...) 'twas our RIGHT
(used or misused). The right has not decayed.
C'est mallarméen... et pourquoi pas?
Non seulement c'est, pour moi, une des seules lectures (la seule? là est la question) qui tiennent poétiquement et "optiquement" tout en faisant sens ;-)
ET en plus n'est-ce pas justement le sujet de cette strophe ?
En effet : "l'homme a le droit de fragmenter et de combiner sans fin la lumière par ses mots (=subcréation)" : et bien pour amener cette lumière à CS Lewis, Tolkien fragmente et combine sans fin (ou presque!) les mots :-)
Rque : Autre argument pour le grand Artefact = création : si l'homme n'a pas le droit de l'adorer (le grand Artefact), il a le droit de remplir le monde d'elfes et de gobelins (v. 60 // v. 65-66, 66-69) :
not his to worship the great Artefact, (60)
man, sub-creator, (...)
(...) All the crannies of the world we filled (65)
with elves and goblins, (...)
(...) 'twas our right
(used or misused). The right has not decayed.
S.
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