Vous n'êtes pas identifié(e).
Pages : 1 bas de page
le Conte de Noël qui m'est venu cette année à l'esprit n'ayant rien à voir avec Tolkien, amis avec l'univers d'un autre écrivain, en occurence Roger Zelazny, je préfère le poster ici plutôt que dans "Votre Nouvelle".
----------------------------------------------------------------------
Chapitre 1. New York 2003
De retour. Après dix-huit ans d'absence, j'étais de retour sur l'Ombre-Terre. Le fils cadet de Bill, Bryan, l'avait invité à passer les fêtes de Noël chez lui, dans sa nouvelle maison de Greenwich Village, et je l'avais accompagné. C'était la première fois que je quittais Ambre depuis ma libération. Encore convalescent, je retrouvais le plaisir des choses de la vie, banales, sans doute, mais précieuses et irremplaçables pour qui en a été privé pendant de longues années. le fumet d'un bon repas. les paroles simples d'un ami. les flocons de neige tombant sur vos épaules.
Je déambulais dans les rues de New York. New York, ma ville dans cette Ombre. Ariane m'accompagnait, silencieuse. C'était son premier séjour dans ce qui fut si longtemps mon pays, et, malheureusement, peut être pas le meilleur moment pour une Française pour le découvrir. La guerre. La guerre avait créé des barrières entre les nations. Une guerre dans laquelle j'aurais sans doute été impliqué si ma vie avait suivi son cours terrestre. J'aurais servi Bush, certainement, comme j'avais autrefois servi Kennedy, Mac Arthur, Napoléon ou Turenne. Mais je n'étais plus maintenant qu'un étranger, et, bizarrement pour un vieux soldat sans scrupules, je m'en félicitais. Je n'aimais pas cette guerre, pour le peu que je connaissais d'elle. Et j'aimais la présence à mes côtés d'Ariane la française.
Nos pas nous menèrent bientôt vers Rockefeller Center. Cet endoit n'avait pas changé. La même patinoire attirait les enfants sous le grand sapin illuminé que vingt, trente, ou quarante ans plus tôt. Les rires parvenaient à nos oreilles. Un cantique de Noêl résonnait dans l'air. Je me fis la réflexion que, cette chanson, c'était moi-même qui avais dû l'écrire. Il y avait si longtemps de celà... J'entraînai Ariane sur la patinoire. Elle était maladroite. Moi aussi. Elle riait. Les flocons de neige auréolaient ses cheveux noirs d'une douceur blanche. Immaculée. Je me pris à lui sourire.
Longtemps, longtemps, nous avons marché dans la ville en fête. La Cinquième Avenue. Central park. Washington Square. Wall Street.
Wall Street sans ses tours jumelles....
La guerre n'était pas qu'ailleurs. Elle était venue ici, et la ville en gardait la cicatrice. Ground Zero.
Je soupirai.
C'est aux cicatrices que l'on reconnaît l'effet du temps qui passe.
Je hélai un taxi, m'y engouffrai avec ma compagne, donnai l'adresse de Bryan. Le chauffeur entama la conversation.
- Vous n'êtes pas d'ici, à ce que je vois.
- J'ai vécu dans la région, répondis-je. Il y a longtemps.
- Avant cà ? demanda-t-il en me désignant Ground Zero.
- Avant çà.
- Quand on voit çà, reprit-il, on se rend compte que tout ce qu'on peut dire, Noël, l'Amour, et tout le reste, c'est du baratin. Juste bon à enrichir les restaurateurs et les marchands de jouets.
Ariane baissa la tête et mis la main dans la mienne.
- Il y a du bon en ce monde, pourtant, tentai-je de répondre.
J'en avais pourtant vu le mauvais côté plus souvent qu'à mon tour. Et j'avais rarement lutté contre lui.
- Du bon ? Dites çà aux parents des boys qui se battent, là bas, dans le désert. Dites-le à ces types qui crèvent de froid, sans un toit sous lequel s'abriter. Dites le à ces gamins qui meurent dans les hôpitaux. Du bon ? Pour les riches, et les puissants, sans doute...
J'étais riche, et j'avais été puissant. Plus puissant que le plus puissant des hommes. Pouvais-je dire à ce chauffeur de Taxi que celà n'apporte pas nécéssairement le bonheur ? Et sûrement pas la paix ?
Je payai la course, sonnai. Bryan vint nous ouvrir.
- Enfin, Carl, me dit-il. Vous en avez mis du temps. mais entrez, entrez. Il fait froid à en mourir.
Et pendant que nous ôtions nos manteaux, il continua.
- Dites, à propos... Je ne veux pas vous forcer, et vous pouvez dire non, si celà vous dérange. Mais j'aimerais que vous me rendiez un service...
Hors ligne
Chapitre 2. L'assistante du Père Noël
- Jouer quoi ?
Je faillis m'étrangler avec mon whisky. Jouer le Père Noël. Moi. Ma silhouette effanquée d'ancien prisonnier devait plus évoquer Don Quichotte ou le Capitaine Crochet que l'ami des enfants. Et puis, bon Dieu, je n'étais qu'un ancien soldat, soudard plus souvent qu'à mon tour. Pas un Papa gâteau.
- Pourquoi pas ? insista Bryan. Vous m'avez bien souvent émerveillé quand j'étais gamin, à raconter des histoires, à réciter des poèmes. Et puis, vous avez le regard pour çà. Un regard d'un autre monde.
Il me fit un clin d'oeil complice.
Je savais qu'il savait que je n'étais pas un être comme les autres. Surnaturel. Immortel et venu d'ailleurs. Même s'il m'avait connu comme un voisin ordinaire. Ce que j'étais, en ce temps-là...
Il voulut insister, mais ce fut une voix d'enfant qui attent mes oreilles.
- C'est ridicule !
La fille d'Ariane se tenait devant nous. Treize ans, et le physique efflanqué d'une adolescente ingrate. Depuis son arrivée à New York, je ne l'avais encore jamais vue sourire.
- Et pourquoi donc, Mélanie ? lui demanda Bryan. Pourquoi Carl ne pourrait-il par représenter correctement le Père Noël ?
Je faillis prendre le parti de la fillette, et avouer au fils de mon ami qu'elle avait entièrement raison, mais elle ne me laissa pas le temps d'intervenir.
- C'est ridicule de faire croire à des enfants malades que le Père Noël existe, qu'il s'intéresse à eux. C'est même plus que çà. C'est un mensonge. Scandaleux.
Peut être ces mots de Mélanie furent-ils ceux qui m'incitèrent à accepter la proposition de Bryan.
- Il n'y a rien de scandaleux à apporter un peu de rêve à des enfants qui souffrent, intervins-je. A apporter un peu de magie dans leur solitude.
Mais elle haussa les épaules, nous gratifiant d'un solennel : "La magie, çà n'existe pas".
Sa mère la réprimenda. Mais elle agita sa tête aux cheveux châtins trop raides et me toisa, me fixant dans les yeux.
- Et ce n'est pas vous, me dit-elle, qui réussirez à me faire croire le contraire.
Le dîner, ce soir-là, fut agréable. Délicieux et sympathique, mis à part le fait que Mélanie continuait à bouder dans son coin. Nous discutions de choses, d'autres. Du passé, beaucoup. De l'avenir. Du mariage prochain de Bryan avec la rougissante Stéphanie, la petite Française, la soeur cadette d'Ariane. De son fère aîné, et de ses enfants. De sa mère trop tôt disparue. Je vis Bill essuyer une larme furtive à l'évucation de son épouse. Ariane glousser de plaisir lorsque je la félicitai pour sa cuisine. Nous étions heureux.
Au moment du dessert, pourtant, Mélanie se leva de table. Brutalement. Elle alluma la télévision sans demander l'avis de quiconque. Publicités. Emission de jeu ridicule. Trailer d'un film tiré d'un roman anglais que j'avais beaucoup aimé autrefois. Mélanie zappa. Image que je voyais pour la quinzième fois au moins de Saddam humilié par ses ennemis. Je me levai, et j'éteignis le poste. Je m'assis à côté d'elle.
- Pourquoi avez vous éteint la télé ?
Elle me lançait des regards furibonds.
- Je n'aime pas ces images, répondis-je. Il est inutile d'humilier un ennemi à terre.
- C'est un salaud.
- Ce n'est pas une raison.
J'eus l'impression de la voir se renfrogner encore plus.
- Qui êtes-vous pour me faire la morale ? me lança-t-elle brusquement. Ce n'est pas parce que ma mère vous fait du rentre-dedans que....
Je lui coupai la parole. Furieux et indigné. Mais ma voix resta de glace.
- Du rentre-dedans ? Tu te rends compte de ce que tu dis ? De quoi tu traîtes ta mère ?
Ses yeux lançaient des éclairs.
- Elle traîne avec vous depuis que nous sommes arrivées ici. J'ai bien vu ses yeux. Elle n'arrête pas de vous regarder. Et vous aussi. Elle trahit mon père.
- Ton père est mort, Mélanie.
J'avais été brutal. Volontairement brutal. Non qu'il y eut ne fût ce que le début d'une liaison entre Ariane et moi. Simplement, la gamine commençait à m'agacer sérieusement.
Elle fut décontenancée, et se mit à pleurer.
- Vous ne comprenez pas, me dit-elle. Vous ne comprenez rien.
Je ne sais pas ce qui me prit. Je ne sais pas pourquoi je me mis à lui parler. De choses intimes, peut-être trop. De mon fils qui me manquait tant. De certains de mes frères, aussi. De musique et de guerre. Et de cette fête de Noël qui était si importante pour les gens de son monde.
- C'est de la foutaise, me répondit-elle. Noël, c'est pour les gens heureux.
J'avais passé, au cours de ma trop longue vie, trop de Noëls solitaires pour pouvoir la contredire. J'essayai, cependant.
- Alors, pourquoi ne pas tenter de donner du bonheur, une petite goutte de bonheur, à certains qui en auraient besoin ?
- Vous parlez de ce truc ridicule de Père Noël, c'est çà ?
J'acquiescai.
- Le Père Noël ne peut pas être seul pour distibuer ses cadeaux. Il lui faudrait une... Une assistante, c'est celà.
- Et vous pensez à ma mère, hein ? dit-elle, à nouveau agressive.
- Je pensais à toi.
Elle fut tellement ébahie qu'elle ne put pas dire "Non"
Il me restait à convaincre Bryan.
Hors ligne
Chapitre 3. La chambre 324
J'avais mal dormi. J'avais beau savoir que Saddam était un monstre, le fait de le voir exposé comme une bête de foire me faisait mal. Peut-être me faisait-il penser au fait que j'avais, moi aussi, été humilié, et exposé comme une bête de foire ? Ou peut-être me rappelait-il à la mémoire que chacun d'entre nous pouvait se comporter comme un être sans noblesse lorsqu'il pouvait humilier son ennemi...
Quoi qu'il en soit, je m'étais levé, et j'avais rejoint les autres. Pour recevoir des mains de Bryan un superbe habit rouge et blanc. Complet. Avec le rembourrage du ventre, la barbe blanche, et le bonnet à pompon. Je ne pus m'empêcher de pebser à la tête des miens, s'il leur venait à m'imaginer accoutré de ce déguisement. Mais j'étais l'invité de Bryan, et j'avais mis Mélanie au défi de m'accompagner. J'étais pris dans une nasse, comme un saumon à la remontée des rivières...
Et nous sommes paris. Manhattan. Hôpital Saint Paul.
Dès l'entrée, les odeurs m'assaillirent, et, avec elles, les souvenirs mêlés de souffrances et d'espoir. Je jetai un coup 'oeil à ma jeune "assistante". Elle triturait un mouchoir en papier, les mains aggrippées à l'ance de son panier rempli de friandises. Je lui sourit, encorageant. Elle baissa la tête, puis la releva, tel un petit soldat partant pour le front. Et nous commençâmes notre visite.
Il y avait des enfants gravement malades. D'autres hospitalisés pour de simples bobos. Certains avaient à leur côté des parents attentifs. D'autres étaient aussi seuls que des prisonniers dans leur oubliette. J'eesayais de m'oublier moi-même, de leur donner un peu de plaisir, un peu de bonheur. Comme pour racheter les méfaits que j'avais pu commettre tout au long de ma longue vie. la plupart savaient que je n'étais pas le Père Noël. Il savaient que je n'étais que l'envoyé d'une oeuvre de charité, chargé de les distraire un instant. Mais il me prenaient tel que j'étais. Comme un leurre, peut-être. Comme un mensonge d'espoir. Mais comme une image qui leur apportait quelques instants d'évasion.
Et Mélanie,sortant de ma hotte une pupée, ou une voiture de collection, le comprenait.
Et puis...
Et puis, il y eut la chambre 324.
J'y entrai comme dans toutes les autres, vêtu de mon déguisement rouge.
Mais l'enfant ne réagit pas. Il ne me sourit pas.
Et quand mélanie me tendit le cadeau, que je le posai sur le rebord du lit, il le repoussa de la main.
Il me dit simplement "Tu n'es pas le Père Noël".
Je lui parlai, longuement. Tentai de lui expliquer. De lui montrer son cadeau. Et, même, de lui en promettre d'autres.
Mais il ne voulait pas de cadeaux.
Il voulait le père Noël.
Il voulait la magie.
Il levait vers moi son visage ravagé d'exzéma, me fixait de ses yeux sombres et tristes.
Il ne disait pas que le Père Noël n'existait pas. Oh non. C'aurait été trop simple.
Il disait que j'étais un imposteur. Et que le vrai Père Noël ne se déplaçait pas pour les enfants comme lui.
Seulement pour les autres.
Il devait avoir six ans...
Mélanie et moi avons continué notre tournée. J'ai raconté des histoires et chanté des chansons. Ringardes, à leurs oreilles, pour la plupart. Mais je les ai fait rire.
Et pourtabt, dans ma tête, restait le regard de l'enfant de la chambre 324.
Hors ligne
Chapitre 4. " C'est bien parce que c'est toi "
Nous sommes rentrés chez Bryan. Mélanie semblait heureuse de s'être rendue quelque peu utile. Elle était moins grognon, moins brouillonne, et je fus récompensé de mon idée par un merveilleux sourire de sa mère.. J'étais triste, pourtant, et tous les sourires d'Ariane n'auraient pu me sortir de ma mélancolie. J'étais poursuivi par les yeux tristes de l'enfant. Celui qui voulait voir le Père Noël. J'aurais voulu l'amener au pied de son lit, mais Mélanie avait raison. Le Père Noël n'existait pas. Quant à la magie...
La magie, elle existait.
Je n'étais pas un sorcier. Juste un être surnaturel sur lequel le temps n'avait pas de prise.
Mais il était une magie que je maîtrisais. Celle de ma famille. Celle des Atouts.
Et une idée commença à prendre forme dans ma tête.
- Qui est cet enfant , Bryan ?
Le fils de Bill poussa un gros soupir. Et il me parla d'Adam.
L'histoire de certains êtres est parfois trop sordide pour paraître réelle. Et lorsque Bryan me conta celle du petit garçon, j'eus l'impression que Dickens lui-même n'aurait pas osé l'écrire.
Il était né d'une mère toxicomane, et de père inconnu. Orphelin à trois ans. Overdose. Mais, avant de mourir elle-même, en lui donnant la vie, la mère d'Adam avait instillé la mort en lui. Il était né séropositif.
Son oncle l'avait recueilli, élevé, aimé. Mais son oncle était un Marine. Et la guerre avait été déclarée. Il était parti pour l'Irak. Peu après, l'enfant tombait malade. Les parents qui en avaient la garde le déposérent à l'hôpital.
Son oncle demanda à être rapatrié.
Son hélicoptère fut abattu, à Bassorah.
Adam n'avait plus personne.
Quest-ce qu'un homme comme moi pouvait trouver en ce petit garçon ? Je n'en sais rien. Peut-être avais-je trop souvent connu la solitude et côtoyer le désespoir pour ne pas les avoir reconnus dans ses yeux ? Peut-être savais-je trop bien ce que représentait la main tendue d'un ami lorqu'on se trouve au coeur de l'enfer ? je ne savais qu'une chose : je voulais ramener l'espoir au ceour de cet enfant. Lu amener la magie. Lui amener Noël. Le Père Noël.
- Vous semblez bien rêveur, Carl ! constata Ariane, posant la main sur mon épaule.
Je fis "oui" sans un mot.
- Qu'avez-vous donc en tête ?
- Que savez-vous de moi ?
Elle balança ses cheveux noirs par-dessus on épaule. Me prit la main.
- Vous êtes un homme étrange. Il y a des secrets dans votre vie. Et peut-être autre chose.
- Autre chose ?
- La Magie. Ou quelque chose d'apparenté. Bryan et Bill ne m'ont rien dit. Mais je le devine, en vous voyant.
- Celà vous fait-il peur ?
- Peur ? Non, Carl. Celà m'intrigue. Mais je n'ai pas peur, avec vous. Je n'ai pas peur de vous.
- Alors, venez. Le Père Noêl ne débarque jamais les mains vides.
- Le Père Noël ? mais, voyons, Carl...
Et nous avons fait les boutiques. Et acheté un balladeur, une série de CD's, et un énorme ours en peluche pour un enfant perdu.
- Tu te fous de moi ?
Mon frère me fixait à travers son Atout. Il était en mer, sur la dunette du navire amiral. Je sentais le vent dans sa barbe et ses cheveux.
- Non, répondis-je calmement.
- Jouer au Père Noël ? Moi ? Avec une houppelande rouge, et tout le reste ? Et pourquoi pas le bonnet à grelots de Droppa, tant que tu y est.
- Je le ferais bien moi-même. Mais l'enfant me connaît. Et nous devons être deux pour...
- C'est ridicule ! m'interropit-il.
Mais Gérard, plus qu'aucun d'entre nous, avait bon coeur. Et finit par se soumettre à mes arguments.
- C'est bon, grommela-t-il. C'est bon. C'est bien parce que c'est toi qui le demande...
Hors ligne
Chapitre 4. Le visiteur d'un autre monde.
Lorsque j'entrai dans sa chambre, l'enfant dormait. Ou plutôt faisait semblant de dormir. J'observai un moment son petit visage meurtri, avant de m'asseoir et, feignant l'indifférence, de sortir un livre de ma poche.
- Tu es venu ici pour lire ? entendis-je après quelques minutes. C'est un drôle d'endroit.
Je me tournai vers Adam qui m'avait empoigné la manche.
- Bonjour, lui dis-je. Je croyais que tu dormais.
Il fit "Non" de la tête.
- Je te regardais. Tu es bizarre, même si tu n'es pas le Père Noël.
- Ainsi, tu m'as reconnu.
Il acquiesça.
- Et je voudrais savoir ce que tu fais ici. Tu ne me connais pas.
- Mais je sais ce que c'est que d'être seul et triste.
- Je ne suis pas triste, répondit-il en se détournant.
Je fis à nouveau mine de me plonger dans la lecture. L'enfant n'attendit que peu de temps avant de me parler à nouveau.
- Tu es qui ? Et tu veux quoi ?
Rare étaient les habitants de cette Ombre qui connaissaient ma véritable identité, ma véritable nature. J'avais d'ailleurs vécu des siècles sans la connaître moi-même. Mais cet enfant voulait de la magie. Et le premier moyen pour moi de lui en apporter n'était-il pas, tout simplement, de lui dire la vérité ?
- On m'appelle Carl. Je suis un ami du docteur Roth. Un ami de son père, en fait. Mais je suis aussi prince. Prince d'un autre monde.
L'enfant écarquilla les yeux, puis secoua la tête.
- C'est impossible. Si tu étais Prince, tu ne serais pas ici. Tu serais dans un palais, avec plein de domestiques, des habits d'or et une couronne.
J'éclatai de rire en voyant sa mine se renfrogner à nouveau.
- Des habits d'or et une couronne, ce n'est pas très pratique pour se promener à New York, lui répondis-je. Mais j'ai bien grandi dans un palais rempli de domestiques. Et mon père était vraiment Roi. Roi d'Ambre.
Il semblait incrédule. J'étais peut-être bizarre à ses yeux, mais pas au point de passer pour un fils de Roi.
J'eus soudain la sensation d'un contact d'Atout.
- Et c'est pour çà, peut-être, continuai-je, que j'ai pu rencontrer le Père Noël. Le vrai. qui attends de venir te voir.
Il se redreessa sur le coude, tout empêtré qu'il fut dans les tuyaux d'oxygène et de perfusions.
- Ce n'est pas vrai, se fâcha-t-il. Tu vas encore faire venir un type déguisé.
Sans répondre, je pris dans la mienne la main sèche de l'enfant, et la tendis en avant, dans la mienne. Je sentis la poigne de Gérard, et mon frère apparut dans la chambre au mileu des arc en ciels.
Il avait revêtu, certes, un habit rouge et blanc. Un pourpoint et des bottes écarlates, des chausses immaculées, et une cape grenat bordée d'hermine. Avec sa barbe noire, il ne ressemblait en rien au vieillard bedonnant qui envahissait les rues et les cartes postales. J'appréhendai la réaction de l'enfant, mais celui-ci paraîssait en extase.
- Tu es le vrai, murmura-t-il. Le vrai Père Noël. Tu n'es pas bêtement déguisé, toi.
Mon frère salua cérémonieusement l'enfant, et sortit les cadeaux de sa hotte. Mais Adam ne regardait pas les cadeaux. Il regardait la magie. Il regardait le rêve. Il était devenu si important que le conte était venu, s'était déplacé jusqu'à lui. Je voulus m'éclipser, mais il me demanda de rester " parce que si tu as su faire venir le Père Noël, tu es vraiment le Prince Charmant".
Je grimaçai. Je pensai à ma longue vie d'intrigues et de guerres, et lui fit remarquer que Prince, je l'étais, mais charmant certainement pas.
Mais il n'écoutait plus il parlait avec mon frère.
Il finit par lui demander pourquoi on le représentait toujours avec la barbe blanche, alors que la sienne était noire.
Pris au dépourvu, Gérard me regarda, interrogatif. Je fis un geste indiquant que c'était à lui de se débrouiller.
- Euh... dit-il, mal à l'aise. C'est ccertainement parce qu'ils se basent encore sur le portraît de mon Père. Le précédent Père Noël.
Je pouffai intérieurement. Son père ! Mon père ! Le terrible, puissant et impitoyable Oberon ! Lui qui n'avait jamais regardé ses propres enfants que du haut de sa gloire ! Père Noêl !
Je me repris. Adam ne devait pas voir moi hilarité cachée.
- Tu as sa photo ?
je n'aurais sans doute jamais eu l'idée qui traversa à ce moment l'esprit de gérard. Il prit son jeu d'Atout, en sortit celui de notre père, et le tendit à Adam.
- Il n'est pas en vêtements de travail, là-dessus, expliqua-t-il. mais c'est mon père, avant sa mort. Tu peux garder l'image.
L'enfant semblait satisfait. Il parla encore à mon frère. De son oncle, surtout. De son oncle qui lui manquait tant.
- Je peux vraiment te demander tout ce que je veux, Père Noël, insista-t-il, curieusement, quand Gérard lui demanda ce qui lui ferait le plus plaisir.
Mon frère hésita.
- Demande toujours. Je verrai si je peux acomplir ton souhait.
- Emmenez-moi. Emmenez-moi dans un autre monde. Emmenez-moi auprès d'Oncle Bob.
Je ne pus m'empêcher d'intervenir.
- Ton oncle, Adam. Tu le sais bien. Il n'est pas dans un autre monde. Il est au Ciel. Il est mort.
- Alors, emmenez-moi au ciel. Emmenez-moi au pays des morts.
Hors ligne
Chapitre 5. L'Atout du Père Noël
Gérard emmena l'enfant dans un autre monde. Notre monde. Pour un moment. Quand il le ramena dans la chambre d'hôîtal, Adam sentait les embruns et le vent salé. Mais ni lui, ni moi n'avions eu le courage d'accomplir son voeu, son véritable voeu. Pouvait-on d'ailleurs désirer vraiment mourir à six ans ?
Je restais assis sur un banc de Central Park, regardant les enfants rire en se lançant des boules de neige, et les amoureux s'embrasser sous la danse des flocons. Je tirai ma pipe, la bourrai, l'allumai. Le tabac me sembla amer. Comme la vie, en ce jour de Noël. J'avais voulu faire le bien, mais je n'étais sans doute pas très doué pour çà. J'avais voulu rendre heureux un petit garçon, mais je n'avais pas compri ce qu'il désirait vraiment.
- Vous allez prendre froid, à rester immobile sous la neige !
Ariane s'assit à côté de moi. Comment m'avait-elle trouvé, je n'en savais rien, et je n'avais d'ailleurs aucune envie de lui poser la question.
- Les gens de maa race sont très résistants, me contentai-je de lui répondre.
Mais je dus reconnaître qu'elle avait raison. J'avais froid, dans mon coeur et dans mon corps.
- Venez, reprit-elle. Marchons un peu.
Je la suivis. Je ne savais pas pourquoi. Simplement, sa présence me réconfortait.
- Je suis un imbécile, Ariane, lui dis-je après un long silence. J'ai voulu... oh, je vais vous paraître idiot. J'ai voulu faire un miracle. J'ai voulu croire un instant que vos légendes, vos croyances concernant Noël, étaient vraies.
- Mais elles le sont, Carl, répondit la jeune femme. Et vous avez accompli un miracle. Au moins un.
Ses paroles me donnaient l'impression qu'elle se moquait de mois, mais son ton le démentait.
- Vous avez peut-être échoué à rendre Adam heureux, continua-t-elle. Mais vous avez transformé Mélanie.
- Mélanie ? demandai-je, surpris.
L'adolescente était complètement sortie de mon esprit.
- Vous lui avez fait confiance, et l'avez mise en valeur. Je n'arrivais plus à rien avec elle. Elle m'échappait. Et aujourd'hui, elle désire s'occuper d'enfants. Il y a une école de devoirs non loin de chez nous, à Tours...
Je n'écoutais plus ce qu'elle me disait. Je me laissais simplement porter par sa voix. Ainsi donc, tout n'avait pas été inutile...
- J'aimerais pouvoir vous rendre visite, à Tours, lui dis-je brutalement.
- J'en serais heureuse, Carl. Seulement... seulement, ne vous méprenez pas. Il est encore trop tôt. Je ne suis pas prête pour... pour avoir une relation suivie avec un homme. Pas encore.
- Je sais, lui répondis-je . J'avais comprris.
Elle me pris par le bras, et nous nouspromenâmes longtemps, sans mot dire, dans le foid de l'hiver.
Le jour suivant, Bryan rentra très tard de l'hôpital.
- - Adam est mort, nous annonça-t-il dès son arrivée.
- Mort ? dis-je, incrédule. Il ne semblait pas...
- Il est mort cette nuit, me coupa-t-il. Il tenait çà entre ses mains.
Il me tendit l'Atout de mon père. J'y jetai un coup d'oeil, me demandant en moi-même comment mon frère avait pu faire passer aux yeux de l'enfant ce vieillard sévère et impérieux pour le bonhomme Père Noël.
- Il est mort d'une façon bizarre...
Il me regardait avec insistance.
- Une infirmière est entrée dans sa chambre. Elle a vu une ombre se pencher sur Adam, et une ombre sortir de lui. Et ces ombres se sont dissoutes parmi les arcs en ciel.....
Je souris.
Je ne comprenais pas ce qui s'était passé, mais je souris.
Ainsi don, le miracle avait eu lieu. le souhait, le seul souhait d'Adam s'était réalisé.
Je regardai encore une fois l'Atout de mon père et,contre toute attente, je le vis me sourire par-delà la mort. Et j'aperçus à ses côtés l'ombre souriante d'un homme noir en treillis, portant un enfant dans les bras.
Et l'ombre de l'enfant me fit un signe en riant aux éclats.
Hors ligne
Pages : 1 haut de page