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Hello,
Voici mon petit compte-rendu de la première conférence à la bibliothèque de Versailles, ce samedi 30 novembre à 15h00.
Le cadre est idéal. La conférence a lieu dans la salle dite « des Puissances de Midy », située dans l’axe des cinq salles en enfilade d’une des ailes de cet ancien ministère des affaires étrangères de Louis XV. Sur le tympan au dessus de l’ébrasement où s’affichait des images d’attente diffusées depuis un vidéo-projecteur, une magnifique vue cavalière de la Cité de la Sublime porte au XVIIIème siècle, clin d’œil indirect à notre camarade Silmo
Sur les côtés, entre les rayonnages impressionnants (15 étages de très vieux ouvrages), des peintures allégoriques de Jean-Jacques Bachelier.
Une soixante de personnes s’installe. Tous les âges sont représentés, mais il y a tout de même une majorité de quadras, quinquas et seniors. On sent au premier coup d'oeil que le public n'est pas vraiment celui de Cidre & Dragon. Les auditeurs sont accueillis par Caroline Vannier, de la direction des affaires culturelles de la Ville de Versailles, qui est à l’initiative des deux conférences, dont celle-ci est le premier volet.
Gillian Bardinet fait son entrée. Elégante septuagénaire, elle a enseigné pendant 15 ans l’Histoire au lycée international de Saint-Germain-en-Laye, puis a intégré Sciences-po en tant que Maître de conférence spécialisé dans la civilisation britannique. Née en Angleterre, Gillian Bardinet est « une véritable anglaise, mais Française par le cœur ». Un léger accent des West Midlands ajoute à la conférencière un style tout à fait Miss Marple des plus charmant.
Cette première conférence, qui est donc intitulée « Tolkien l’Anglais », est consacrée au contexte socio-culturel de l’Angleterre dans lequel l’enfant Tolkien grandit et rentre dans sa vie d’adulte, de professeur et d’écrivain.
Gillian Bardinet fait un ainsi un récit biographique et chronologique, illustré par d’agréables intermèdes musicaux, des peintures (elle nous a fait découvrir quelques artistes que je ne connaissais pas et dont je n’ai malheureusement pas bien noté les noms…), de vieilles photographies, diffusées via un diaporama.
Les sujets abordés sont très intéressants et éclairants, ponctués d’anecdotes efficaces et amusantes. Le rythme est celui de la discussion, mais Gillian Bardinet enchaîne son propos sans temps morts. L’exercice de la conférence est plutôt bien rodé, mais quoi de plus normal pour une ancienne de Sciences-po ?
L’auditeur commence par découvrir (même si beaucoup dans la salle semblaient déjà connaître tout ça sur le bout des doigts) le foisonnement de l’intérêt pour le folklore anglais à la fin du XIXème siècle, par opposition à l’essor industriel qui défigure les campagnes à proximité des grandes villes (l’exemple des environs de Birmingham). Une mouvance culturelle assez nostalgique s’impose notamment avec des compositeurs comme Edward Elgar, ou les peintres préraphaélites (Rossetti, Hunt…), dont William Morris, une des influences de Tolkien, était un proche.
L’exposé est donc de haute volée, mais il reste fluide et donc tout à fait accessible. Gillian Bardinet entraîne l’auditeur sur des thèmes variés en partant de détails qui font sourire. Tolkien, peu timide et bon vivant, et c’est un détour par l’intérêt de celui-ci pour le théâtre (et hop, une évocation de Shakespeare), ou pour la consommation de la bière entre amis (et hop, une évocation des Inklings et de la fréquentation du pub Eagle and child à Oxford, et on parle de C.S. Lewis et de religion)… De la présentation des terroirs emprunts de magie (mégalithes mystérieux, avec les forges de Wayland, et sculptures de craies dans les collines, avec les chevaux d’Uffington et de Westbury), on passe par d’habiles transitions à la présence des femmes auprès de Tolkien. Celle-ci est abordée par l'évocation de Galadriel puis par sa relation avec Edith, et on glisse efficacement vers des aspects sociétaux très intéressants : la condition de l’épouse anglaise dans la première partie du XXème siècle, et plus précisément l’épouse de professeur d’Oxford, avec l’éclairage ironique apporté par la romancière Nancy Mitford, (contemporaine de Tolkien).
Enfin, Gillian Bardinet termine sur l’émergence après-guerre du « little-man », cet homme du commun qui revient au centre de la société anglaise, et qui, las des sacrifices et aspirant à un monde plus harmonieux, renonce à Churchill pour lui préférer les travaillistes. Ce « little-man », secoué par les horreurs de la guerre, semble prêt à se laisser porter par l’essor des univers fictionnels et de la littérature d'évasion.
Avec un foisonnement d’informations, d’images et de musique, Gillian Bardinet a su garder son fil conducteur : décrire une Angleterre de toujours et une Angleterre du quotidien, et démontrer comment elles ont forgé J.R.R. Tolkien.
Au final, une conférence très agréable, dont le seul défaut est sans doute d’être passée trop vite.
La seconde partie, qui aura lieu le 14 décembre au même endroit, s’intitulera « Tolkien et nous » et prendra la forme plus interactive d’une table ronde. Un questionnaire a été distribué aux auditeurs pour préparer les échanges. C'est une très bonne idée, à mon avis.
Il est encore un peu tôt pour que je puisse confirmer ma présence, mais ma place est semble-t-il déjà réservée (un grand merci à Caroline Vannier). Et la qualité de cette première conférence me pousse à m’arranger en amont pour pouvoir être parfaitement disponible pour la seconde
I.
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Merci pour ce compte-rendu.
Une mouvance culturelle assez nostalgique s’impose notamment avec des compositeurs comme Edward Elgar, ou les peintres préraphaélites (Rossetti, Hunt…), dont William Morris, une des influences de Tolkien, était un proche.
William Morris fut ami avec Dante Gabriel Rossetti (qui, selon Sprague de Camp, aurait été l'amant de sa femme, Jane Morris...) et aussi très proche du peintre Edward Burne-Jones. Je me demande quelles peintures ont été présentées hier, mais la confrérie des préraphaélites a en tout cas été très productive.
De la présentation des terroirs emprunts de magie (mégalithes mystérieux, avec les forges de Wayland, et sculptures de craies dans les collines, avec les chevaux d’Uffington et de Westbury), on passe par d’habiles transitions à la présence des femmes auprès de Tolkien. Celle-ci est abordée par l'évocation de Galadriel puis par sa relation avec Edith, et on glisse efficacement vers des aspects sociétaux très intéressants : la condition de l’épouse anglaise dans la première partie du XXème siècle, et plus précisément l’épouse de professeur d’Oxford, avec l’éclairage ironique apporté par la romancière Nancy Mitford, (contemporaine de Tolkien).
Et quelle était donc cette condition d'épouse de professeur d’Oxford, selon Gillian Bardinet ? Là, tu en dis trop ou pas assez ! ;-)
Amicalement,
Hyarion.
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Merci aussi. L'étude du contexte socio-culturel d'une oeuvre est un des thèmes qui m'intéressent le plus.
En outre ton message m'a rappelé que je m'étais promis il y a quelques années (c'était pendant ma période auteurs "humoristiques" anglais genre Sharpe, Benson, ...) de lire au moins un des bouquins de Nancy Mitford (décédée - troublante coïncidence - à Versailles en 1973) et l'aînée des six soeurs Mitford, toutes plus folles les unes que les autres (dixit leur propre pére !).
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Merci Isengar. Tout ce que tu nous dit nous fait regretter notre absence.
Tu nous fais la surprise d'avoir été présent et tu nous en donnes le compte-rendu, nickel
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Et quelle était donc cette condition d'épouse de professeur d’Oxford, selon Gillian Bardinet ? Là, tu en dis trop ou pas assez ! ;-)
Une épouse attentionnée, dédiée à l'éducation des enfants et au bon ordonnancement du foyer. Peu libre d'avoir une vie sociale qui sorte du cercle des autres épouses de professeurs (tandis que l'Homme va au pub, en club et en randonnée quand il le veut)... etc.
Ça rejoint ce qu'en disait Humphrey Carpenter dans sa bibliographie.
Nancy Mitford semble avoir été plus crue et plus "corrosive" dans ses descriptions, si on en croit Gillian Bardinet
I.
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Merci Isengar pour ce passionnant compte rendu (et pour le clin d'oeil ;-)
Silmo
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De rien, cher camarade
Ça rejoint ce qu'en disait Humphrey Carpenter dans sa bibliographie.
Oups... il fallait lire biographie (et la biographie de Tolkien, bien entendu pas celle de Carpenter )...
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La seconde conférence versaillaise de Gillian Bardinet a bien eu lieu ce weekend, comme prévu.
Malheureusement, je n'ai pas pu y assister.
Mais Caroline Vannier, qui est à l'initiative de ces conférences, a eu la gentillesse de me faire parvenir un compte-rendu, que voici (en bleu, et mes compléments en noir et entre []):
"Nous voilà partis pour la 2e conférence consacrée à Tolkien à la bibliothèque de Versailles ce samedi à 15h. La conférence se déroule, comme la première, dans la salle des Puissances du Midy, qui a la particularité de contenir les livres aux reliures luxueuses de maroquin rouge pour la plupart frappées aux armes de la famille royale.Une cinquantaine de personnes s’installe et est invitée à se servir un thé, préparé à leur usage.
Cette seconde conférence, intitulée "Tolkien et nous", se veut bien plus interactive que la première. L’idée est de partager les opinions de chacun autour de sujets tels que les lieux imaginés par Tolkien, les personnages de l’histoire de la Terre du milieu, la présence du Religieux, la signification de la Quête. Des questionnaires avaient été distribués à la 1ère conférence, sachant qu’une majorité de personnes s’était inscrite pour les 2, de même qu’ils avaient diffusés sur des sites spécialisés.
[Le questionnaire :
Comment avez-vous connu l’œuvre de Tolkien ? Livres ? Films ? jeux ? (préciser lesquels)
Dans quelle région de la Terre du Milieu aimeriez-vous vivre ? (développer)
Quelle catégorie de personnages, issus des Peuples libres, aimeriez-vous être ?
Quel personnage féminin préférez-vous dans l’œuvre de Tolkien ? (développer)
Quel est votre personnage préféré ? (développer)
Pensez-vous que les adaptations cinématographiques de Peter Jackson exacerbent l’imaginaire individuel insufflé par les livres
ou qu’au contraire elles le limitent ? (développer)
En quoi, d’après-vous, peut-on qualifier Tolkien de philosophe ?
Pensez-vous qu’à travers son œuvre, Tolkien préconise un type de gouvernement ?
Dans l’œuvre, le thème du libre arbitre reflète-t-il, d’après-vous, le catholicisme de l’auteur ? (développer)
Selon vous, en quoi peut-on qualifier Tolkien d’écologiste ?
D’après vous, quelle est la signification de la Quête dans l’œuvre de Tolkien ?]
Gillian Bardinet accueille donc son public en lui proposant un tutorat à l’anglaise, une relation similaire d’un professeur à son élève. Nous n’avions certes pas les Chesterfield et la pipe, mais nous avions le thé et une passionnante conteuse. Pour ne mettre mal à l’aise personne, Mme Bardinet propose de récupérer tous les questionnaires, puis de les redistribuer de sorte qu’aucune des personnes n’aient à lire ses propres réponses. Elle en garde quelques uns sous la main, pour mener le débat, et ouvre chaque sujet avec une des réponses des questionnaires qu’elle a gardé par devers elle.
Pour commencer, notre professeur évoque le style de Tolkien, ses rythmes bibliques, ses assonances et son lyrisme : son langage simple mais poétique. S’ensuivent alors les avis de chacun et les réflexions qu’ils soulèvent : de la quiétude de la Comté aux vastes étendues du Rohan, en passant par la luxuriante Lothlorien. Qui [parmi les auditeurs] se voit Hobbit pour bombance et bibine (merci Jeff) [sic ! ]? qui Radagast ? Tom Bombadil ? Boromir ? ce dernier, selon certains, est représentatif de la teinte humaine de l’œuvre – le plus shakespearien des personnages, ou encore Aragorn, celui qui se développe le plus.
Sont évoqués ensuite la question du libre arbitre, l’appel de l’errance associé à la quête, le pessimisme ou non de Tolkien, l’Anneau lui-même, symbole de lien ou initiateur de la perversion de son porteur, l’association à Wagner et son Der Ring des Nibelungen, le rappel des influences scandinaves et germaniques de Tolkien.Enfin, le thème de la dualité – et Gollum en tête d’affiche. Sam en opposé, autiste [indifférent] à l’anneau.
L’heure et demie est déjà passée, et si tous sembleraient apprécier la poursuite de cette grande discussion, il nous faut libérer la salle en regrettant de ne pas savoir le moment où l’on reverra Mme Bardinet".
Caroline m'a précisé qu'à l'issue de la conférence, les auditeurs étaient invités à se rendre au Pôle Musique et Cinéma où avait été mis en place une sélection de Fantasy, afin d'inviter les visiteurs à la découverte de ce genre littéraire.
La Bibliothèque de Versailles est par ailleurs en train de se constituer un fond Tolkien francophone, avec les ouvrages les plus récents de (et sur) Tolkien.
C'est une très bonne chose.
Merci encore à Caroline pour son initiative et ce compte-rendu de la deuxième conférence.
I.
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Encore merci Isengar, ainsi qu'à Mme Vannier, pour ce beau compte-rendu.
Et un merci tout particulier à cette dernière de participer ainsi à la connaissance de l'oeuvre de JRRT.
Cédric.
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La Bibliothèque de Versailles est par ailleurs en train de se constituer un fond Tolkien francophone, avec les ouvrages les plus récents de (et sur) Tolkien.
C'est une très bonne chose.
Oui, une belle initiative qui résonne tout particulièrement à mes oreilles...
Et merci pour les compte-rendus Maître Took-Touque-Touc !
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