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Je viens de terminer les deux tomes du Livre des Contes Perdus (LCP), il y a des passages absolument magnifiques. Je suis sincère, j'engage ceux qui ne l'auraient déjà fait à les lire ;-)
Il y a quantité de choses que l'on pourrait dire, je commencerais donc par une première question.
Dans le chapitre où est contée l'histoire de Túrin Turambar, une chose en particulier m'a marqué : la pensée que Túrin puisse vouloir se suicider et le suicide effectif de sa soeur Nienor. La famille de Húrin est frappée de la malédiction de Melkor et Glaurung et leur
destin est funeste, d'où la tragique issue de leur Vie.
Je m'interroge sur le devenir des Esprits des Hommes et des Elfes qui se seraient suicidés.
Advient-il ce que l'on peut lire dans LCP, Tome II ?
Page 114 :
Mais Turambar était empli de honte et de colère et peut-être se serait-il lui-même tué, si grande était sa folie, bien qu'ainsi il ne pût espérer que son esprit fût jamais libéré des tristes pénombres de Mandos ou vagabondit jamais parmi les doux chemins de Valinor
Cette conception du suicide et la punition qu'elle implique (car l'errance de l'Esprit est à mon sens une punition) relève d'une tradition catholique (et d'autre(s) religion(s) ?). Est-ce que Tolkien a gardé ce principe ?
Dans ce cas, qu'advient-il à l'Esprit de Túrin et Nienor ? Doivent-il faire "pénitence" et patienter avant de rejoindre les Esprits des Hommes déjà décédés ?
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Le suicide étant un des plus graves péché dans le catholicisme, Tolkien ne pouvait qu'en tenir compte dans son oeuvre. Cf les paroles de Gandalf à Denethor sur son bûcher.
Dans les premiers stades de la mythologie, Turin suicidé est retenu par Mandos jusqu'à la fin du monde, où son esprit revient des Cavernes de l'Attente pour combattre et achever Morgoth (Cf QS 1937 in HoME5). La version révisée de la Seconde Prophétie de Mandos (vers 1958) remplace "revenu de Mandos" par "revenu du Destin des Hommes", ce qui semble montrer que la conception de Tolkien concernant ce suicidé-là (au moins) a changé : Dieu gouverne directement son destin post-mortem.
Dans les Lost Tales, les esprits de Turin et Nienor se Virent refuser l'accès des Cavernes par les dieux des Morts, mais sur la prière de leur parents, ils furent plongés dans le bain de feu Fôs 'Almir et, purifiés, résident parmi les Valar.
Petite question : "vagabondit" sic? ;-)
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Cher Cédric,
A) La question du RAPPORT de Tolkien à la PENSEE CHRETIENNE, et plus particulièrement catholique romaine est loin d'être éclaircie. Les articles consacrés à la question ne sont pas légion. A ma connaissance, voici ceux dignes d'attention :
- Per M. AADNENES, "L'art de la fiction et le pays de l'aventure : Le Seigneur des Anneaux de Tolkien comme écho de l'Evangile chrétien", in Edda, vol. 77, 1977, p. 227-235.
- Willis B. GLOVER, "Les caractéristiques chrétiennes du monde inventé de Tolkien", Criticism, vol. 13, 1971, p. 39-53.
- Clyde S. KILBY, "Les éléments mythiques et chrétiens chez Tolkien", in Myth, allegory and gospel, Minneapolis, 1974, p. 119-143.
- "Le début de l'histoire biblique et le Silmarillion", in René van Rossenberg (éd.), Proceedings of Unquendor's Third Lustum Conference, held in Delft (May 1996), Lembas-extra 1998.
- Les deux volumes "de" Pearce (dont les références sont dans ce Forum, Divers) de façon générale.
Tous ces articles sont en anglais. J'en signalerai un dernier du
- P. Ricardo IRIGARAY, The theological style of J.R.R. Tolkien (que signale et dont s'inspire Pearce).
B) Pour la question du SUICIDE en particulier, il faut distinguer plusieurs points me semble-t-il :
1°/ Ce que dit Tolkien en FrHome II, 114. Il faut a) d'abord insister dans le texte que tu cites sur que le suicide n'interdit pas tant la libération de Mandos ou l'accès à Valinor qu'il ôte tout espoir. Quel est le rapport entre l'espoir et la mort ? Seule la "bonne" mort est synonyme d'espoir chez Tolkien (cf. l'histoire Aragorn dans les Appendices du SdA). Suicide et remise du don sont deux figures on ne peut plus antithétiques de la mort, même s'il s'agit dans les deux cas d'une mort volontaire.
b) Cela se vérifie de ce qu'après la mort de Tuurin et Nienoorin, Mavwin et Uurin ne les trouvent pas en Mandos. Autrement dit, la question n'est pas qu'ils sortent ou non de Mandos, mais qu'il y accèdent. Ils n'y rentrent même pas comme l'a dit Philippe en pensant à FrHome II, 147. On ne sait donc pas où ils sont puisque leurs parents ne les ont pas trouvés en terre du milieu.
2°/ Tu évoques, Cédric, l'idée d'une pénitence et d'une attente. Est-ce à dire que tu les vois au purgatoire ? Et Mandos est-il même le purgatoire ? Si l'on s'en tient au Livre des Contes Perdus, il faut tenir que ce ne peut être le cas. Mandos est le lieu de transit avant d'aller qui en Angamandi (enfers), qui en Valinor (paradis), qui de connaître l'état psychologique de "manimuine" - comme l'explique Christopher (FrHome I, 126-127). Ce dernier terme qenya est convoqué à partir de la Qenyaqetsa (Parma Eldalamberon, vol. 12, p. 58 b) et traduit justement purgatoire. Tolkien abandonnera ce vocabulaire et cette reprise stricte de la théologie chrétienne après les Contes Perdus.
3°/ Est-ce contradictoire que finalement Tuurin finisse avec les Valar bien qu'étant suicidé ? On voit qu'il ne devient Orion (dans les versions ultérieure du Quenta Silmarillion) qu'en passant par le feu. Autant dire qu'il n'atteint pas le Paradis comme les autres mort le feront, en passant par Mandos. L'on pourra rapprocher cela de ce que dit le Catéchisme catholique (n°2283) : "On ne doit pas désespérer du salut éternel des personnes qui se sont donné la mort. Dieu peut leur ménager, par les voies que Lui seul connaît, l'occasion d'une salutaire repentance". Dieu ne prédestine personne à l'enfer (voir sur ce débat assez technique les beaux travaux du théologien catholique Hans Urs von Balthasar, L'enfer, une question ; Espérer pour tous, tr. fr. aux éd. DDB). Qu'Eru s'occupe personnellement du destin de Tuurin est donc dans la pleine lignée de ce que pensaient et les Contes perdus et l'orthodoxie catholique.
NB : j'ai utilisé le dernier cathéchisme (de 1992), alors que Tolkien obéissait à celui du concile de Trente bien sûr. Je ne l'ai pas sous la main, mais je ne pense pas que sur cette question l'Eglise ait bougé d'un iota (l'art. 2281 est une reprise pure et simple, bien que la référence ne soit pas donnée, de saint Thomas d'Aquin, Summa Theologiae, IIa-IIae pars, question 64, article 5, réponse.
4°/ A mon tour, je poserai une question à Philippe : peux-tu donner la référence au texte révisé de c. 1958 ? J'ai bien cherché en Home X, 76, mais je suis renvoyé à Home IV, 165 (appel de note 7 pour une variante intéressante, mais qui n'est pas celle que tu mentionnes). Merci.
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