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… Je me permets d’ouvrir ce fuseau afin de pouvoir discuter plus à l’aise, d’un sujet évoqué au plein milieu des commentaires concernant … les Oscars 2003…
Alors… d’abord une petite compilation pour situer la question et pouvoir reprendre la discussion à l’endroit où elle a été abandonnée…
Je partage complètement l'idée (très scorsesienne et très tolkienienne à la fois - cela dit, je suis très conscient de leurs différences radicales) qu'il n'y a pas de salut dans l'histoire.
Tu sais que tu as failli me faire sortir de mon sommeil (forcé) ;-)) !
Sosryko > Pas de malentendu, j'espère! :-)
Quand je dis pas de salut dans l'Histoire, cela ne veut pas dire que je ne prend pas en compte l'Incarnation et la Résurrection pour la promesses d'un salut chez notre auteur (Tolkien le souligne dans "On fairy-Stories") mais c'est un salut par-delà l'Histoire, laquelle n'est que l'expression de la Chute - malgré du "far-off gleam or echo of the Evangelium" qui surgit de temps à autre. Il me semble clair que Tolkien ne croit pas en l'Histoire, le Progrès et toutes ces superstitions "humanistes"...
Juste en passant, Cirdan (hello :) ), les philosophies de l'Histoire et du devenir (hegelianisme et marxisme) ou du progrès (positivisme ou autre) ne sont pas, à ma connaissance, des philosophies humanistes. L'humanisme moderne, tel que je le comprend, est au contraire lucide et se défie de la tentation du Bien, tout comme Tolkien.
Cirdan a écrit :Tolkien ne croit pas en l'Histoire (...)
Semprini a écrit :L'humanisme moderne (...) se défie de la tentation du Bien
Il me plairait vraiment d’avoir quelques éclaircissements sur ces sentences bien catégoriques…
Ylem, il me semble que mon "tel que je le comprend" suffit à me laver du soupçon d'une "sentence catégorique". :)
J'entendais par "humanisme moderne" une croyance en l'homme, mais qui vient après un scepticisme nécessaire et un constat amer que tout n'est pas rose, bref, une croyance 'malgré tout', qui sait que le bien idéal est inatteignable et donc parfois dangereux à considérer. Camus et d'autres souscrivent à cette idée. Mais c'est une définition qui peut ne pas être partagée par d'autres. Pardon pour le hors-sujet.
Sur ta remarque, Cirdan, je ne crois pas non plus que l'on puisse dire que "Tolkien ne croit pas à l'Histoire". Il me semble que Tolkien croit à une fin de l'Histoire, ce qui se rapproche d'une philosophie de l'Histoire, laquelle ne croit en un progrés que dans la mesure où l'on se rapproche du salut. Les philosophies de l'Histoire et le christianisme ont à cet égard de nombreux points communs
Salut Semprini,
En fait, je pensais, entre autres, à ce passage d'une lettre de Tolkien qui me semble clair sur sa conception de l'Histoire:
" Actually I am a Christian, and indeed a Roman Catholic, so that I do not expect 'history' to be anything but a 'long defeat' – though it contains (and in a legend may contain more clearly and movingly) some samples or glimpses of final victory." (lettre 195)
Et même si de prime abord il semble valable de mettre en parallèle la conception marxiste (avec le succès socialisme, à long terme) de l'histoire avec la conception chrétienne, j'ai du mal a concevoir la "victoire finale" selon Tolkien comme un fait historique. Si l'apocalypse marque la fin de l'Histoire, je suppose que la "victoire finale" correspond à la resurrection des morts après le jugement dernier (pour les heureux élus cela va de soit...). Donc à quelquechose qui ne s'inscrit plus dans la temporalité qu'impliquait la Chute par le biais de la mort.
Mais peut-être que je me trompe... Enfin quelque chose me dit qu'on rejoint un sujet déjà débattu par certains...:-)
Cirdan (très heureux de te retrouver sur le forum)
ps: Je n'utilisais pas le terme "humaniste" dans le sens visant à définir un homme de lettre d'une période donnée ayant fait ses "humanités" (Grec, Latin, hébreu...). La définiton moderne du terme pourrait,je crois, être débattu mais ce fuseau ne semble pas le bon endroit.
pps: Pour Ylem > j'espère que je me suis bien exprimé. Si tu a autant "tiqué" sur ma phrase :-) que Semprini et Sosryko peut-être pourrais-tu développer à ton tour ?
Justement Cirdan, la lettre que tu cites montre précisément, si je ne m'abuse, que Tolkien croit en un devenir, et donc en l'Histoire linéaire, celle des chrétiens. :)
Sinon, la conception marxiste et chrétienne de l'Histoire sont toutes deux messianiques avec une fin de l'histoire au final. Elles abolissent toutes deux, au bout de la route, le temps et le fait historique, puisque dans chaque cas, une félicité éternelle règnera pour les élus.
...
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Ensuite, ma tentative réponse…
… à Cirdan :
« Tolkien ne croit pas en l’Histoire », disais-tu. Mon sourcil critique se lève en un réflexe pavlovien ;-) (mais peut-être n’est-ce que pour une question de formulation…) En quoi peut-on ne pas croire en l’Histoire ? Il n’y a pas à croire ou à ne pas croire. L’Histoire existe dans la conscience humaine. Que l’homme la conçoive de manière linéaire, cyclique ou autre, que cette conscience se manifeste via la mythologie ou simplement un culte des ancêtres, sa perception ne fait-elle pas partie de la nature même de l’être humain, et est liée à la conscience du temps qui passe ?
Maintenant, tu t’es effectivement expliqué ensuite de manière très claire sur ce que tu voulais dire, et que tu développes d’ailleurs aussi dans ton étude sur « l’imaginaire médiéval et mythologique dans l’œuvre de Tolkien » - à savoir (tu me corrigeras, je suppose, si mon interprétation est inexacte ou lacunaire), que, pour Tolkien, le cours de l’Histoire suit une courbe descendante, une sorte de « syndrome chinois », dans lequel le devenir de l’humanité s’enfonce en se dégradant progressivement. D’où ton idée que, pour Tolkien, « il n’y a pas de salut dans l’histoire », puisque son déroulement s’éloigne progressivement de l’Age d’or des origines.
Toutefois, sur ce point aussi, il ne me semble pas que ce soit aussi « catégorique », disons plutôt, aussi absolu, aussi fermé… Car, dans ce cas, quelle place ferait Tolkien à l’avènement du Christ ? Je ne sais pas s’il en parle ailleurs, mais, il me semble, dans la religion chrétienne (à laquelle Tolkien était, on le sait, très attaché), le Christ amène bien le Salut aux hommes… Et il s’agit d’un événement avant tout historique – Dieu envoyant son Fils à un moment donné de l’histoire des hommes. Celui-ci s’incarnant, devenant un homme de chair et d’os, pour apporter le Salut aux hommes tant dans leur vie terrestre que dans l’au-delà. (aux forumistes férus de théologie à me contredire si je dis des bêtises !)
Je comprends mal comment Tolkien pourrait faire l’impasse sur ça et penser qu’il n’y a de Salut qu’en dehors de l’Histoire.
J’ai du mal à imaginer que pour Tolkien, l’Incarnation et la Résurrection ne seraient, comme tu l’écris, Cirdan, que des promesses de Salut par delà l’Histoire.
Comme le dit Semprini, la religion chrétienne amène une conception linéaire de l’Histoire, soit avec un début, une évolution et une fin. J’ajoute (et merci à l’appui de mes vieilles notes universitaires !) que le christianisme est avant tout une religion historique car elle s’appuie, non pas sur un système de concepts, de symboles ou de mythes qui se situeraient en dehors du temps, mais trouve ses références dans des faits fondateurs et des événements qui se produisent dans l’Histoire, où Dieu intervient, comme une sorte de guide ou de partenaire de l’homme, dans sa vie terrestre. Cette conception chrétienne linéaire de l’Histoire qui est celle d’un monde en devenir, s’imposera à la vision cyclique, héritée de l’Antiquité, pour laquelle le changement, le multiple est synonyme d’imperfection, d’inintelligibilité et donc de dégradation.
Surtout dans l’Ancien Testament mais aussi dans le Nouveau Testament, les interventions de Dieu dans la vie des hommes se succèdent – preuve, pour les chrétiens, de son intégration dans l’Histoire et donc de son souci direct du devenir des hommes. On a démontré à plusieurs reprises sur ce forum que Tolkien sous-entendait volontairement et à plusieurs reprises, l’intervention (discrète) de la divine Providence. Pourquoi interviendrait-elle, si ce n’est pour assurer le Salut des hommes ?
Voilà qui m’amène aussi à la question du Progrès. L’idée de progrès n’est pas absente de l’œuvre de Tolkien. C’est très clair en ce qui concerne les personnages du Sda. Ceux-ci doivent progresser, faire grandir leur potentiel, l’enrichir par l’expérience et les relations pour appréhender leur monde avec une vision plus mûre, plus responsable, du rôle qu’il ont à y jouer. Cette vison acquise au bout du récit est meilleure que celle du départ – Il y a bien un progrès, une évolution vers un mieux. Que Tolkien s’insurgeait contre l’idée que le Progrès technologique amènerait l’humanité vers un Idéal à atteindre, ça me semble incontestable. Peut-on l’étendre à la notion de Progrès défendue par certaines philosophies ou celle qui a présidé au développement de la révolution industrielle (Tolkien se trouvait bien au milieu de ces bouleversements) ? Je n’en sais trop rien (il me faudrait pour me faire une opinion, me replonger attentivement dans celles-là et aussi approfondir ma connaissance de Tolkien !) Mais en tout cas, je ne pense pas que l’on puisse dire que Tolkien était contre le concept de progrès au sens usuel (amélioration des connaissances, capacités, amélioration d’une situation,…).
Voilà pour tenter d’exprimer (ainsi que tu me le demandais, Cirdan) pourquoi ça me paraissait un peu catégorique d’affirmer sans nuances ou précisions que Tolkien « ne croit pas en l’Histoire, au Progrès et toutes ces superstitions « humanistes ».
Il reste encore la dernière partie de ta phrase, « et toutes ces superstitions « humanistes » ». Ca m’intéresserait que tu puisses préciser ce que tu entends pas là.
Sur le même thème :
… à Semprini : je ne comprends pas bien ce que tu veux dire par ‘l’humanisme moderne (…) se défie de la tentation du Bien ». Tu précises ce que tu entends par ‘humanisme moderne’, mais qu’est-ce que pour toi « le Bien », la « tentation du Bien », et en quoi l’humanisme tel que tu le définis, s’en défie-t-il ? Je ne parviens pas à saisir…
(Il y a sans doute aussi beaucoup à dire sur la définition de l’humanisme. Alors pourquoi pas ici aussi…)
Enfin, la parole est à vous, si, d'aventure, vous sentez inspirés par le thème ;-)
Ylem.
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Cher Ylem,
Merci de consacrer un fuseau pour me répondre. Je crois en effet que le sujet mérite un fuseau, même si pour l’instant je vais rester assez loin du légendaire.
« Tolkien ne croit pas en l’Histoire », disais-tu. Mon sourcil critique se lève en un réflexe pavlovien ;-) (mais peut-être n’est-ce que pour une question de formulation…) En quoi peut-on ne pas croire en l’Histoire ? Il n’y a pas à croire ou à ne pas croire. L’Histoire existe dans la conscience humaine. Que l’homme la conçoive de manière linéaire, cyclique ou autre, que cette conscience se manifeste via la mythologie ou simplement un culte des ancêtres, sa perception ne fait-elle pas partie de la nature même de l’être humain, et est liée à la conscience du temps qui passe ?
L’expression « ne pas croire en l’Histoire » me semble assez claire. On peut bien dire « je ne crois pas en l’homme » sans remettre en cause l’existence de celui-ci, non ? Il s’agit simplement d’une utilisation du verbe croire comme synonyme d’espérer. Y a-t-il un espoir à retirer des leçons du passé ? (Je suis presque sûr, à la lecture des œuvres et des lettres que Tolkien qu’il eut répondu non) Je ne voulais pas dire que l’Histoire n’est pas consubstantielle à la perception du monde.
sa perception ne fait-elle pas partie de la nature même de l’être humain, et est liée à la conscience du temps qui passe ?
Quitte à passer pour celui qui se contredit ou qui joue l'avocat du diable, je dirais « Après tout, qui sait ? » Je ne suis pas assez calé sur ce sujet pour affirmer quoi que ce soit, mais après tout es-tu bien certain qu’il n’y ait, par exemple, nulle part en ce bas monde quelque courant spirituel niant la mort, même en tant que porte ? (auquel cas il me semble possible de considérer la vie en dehors de toute temporalité, et donc de la notion d’histoire) ou niant l’idée d’existence de l’homme (en pensant par exemple la vie et le monde comme un rêve). Je laisse ce point, car cela nous écarterait trop de notre sujet, déjà bien large…
Maintenant, tu t’es effectivement expliqué ensuite de manière très claire sur ce que tu voulais dire, et que tu développes d’ailleurs aussi dans ton étude sur « l’imaginaire médiéval et mythologique dans l’œuvre de Tolkien » - à savoir (tu me corrigeras, je suppose, si mon interprétation est inexacte ou lacunaire), que, pour Tolkien, le cours de l’Histoire suit une courbe descendante, une sorte de « syndrome chinois », dans lequel le devenir de l’humanité s’enfonce en se dégradant progressivement. D’où ton idée que, pour Tolkien, « il n’y a pas de salut dans l’histoire », puisque son déroulement s’éloigne progressivement de l’Age d’or des origines. Toutefois, sur ce point aussi, il ne me semble pas que ce soit aussi «catégorique », disons plutôt, aussi absolu, aussi fermé… Car, dans ce cas, quelle place ferait Tolkien à l’avènement du Christ ? Je ne sais pas s’il en parle ailleurs, mais, il me semble, dans la religion chrétienne (à laquelle Tolkien était, on le sait, très attaché), le Christ amène bien le Salut aux hommes… Et il s’agit d’un événement avant tout historique – Dieu envoyant son Fils à un moment donné de l’histoire des hommes. Celui-ci s’incarnant, devenant un homme de chair et d’os, pour apporter le Salut aux hommes tant dans leur vie terrestre que dans l’au-delà. (aux forumistes férus de théologie à me contredire si je dis des bêtises !)
Je comprends mal comment Tolkien pourrait faire l’impasse sur ça et penser qu’il n’y a de Salut qu’en dehors de l’Histoire.
Je vois bien ce que tu veux dire, mais le salut terrestre, si je ne me trompe pas, c’est, par le biais de l’Incarnation et de la Résurrection, la connaissance de la vie éternelle. Aussi, ce salut ne peut être qu’individuel ; sa réalité est personnelle, elle existe dans le rapport d’un chrétien à sa foi. Petite parenthèse qui n’est pas sans rapport avec cette idée, je suis en train de lire Pierre Teilhard de Chardin (Ecrits du temps de la guerre, Hymne de l’Univers), et l’admirable énergie positive, cet amour de la vie terrestre chez un homme qui écrit ses pensées entre deux voyages dans les tranchées, voilà bien pour moi l’archétype du salut terrestre, qui ne peut naître sans une grande ferveur dans la foi. Mais ce salut là, sauf propos hérétique de ma part (les théologiens du forum pourront me corriger...:-)), ne peut être considéré comme un salut dans l’Histoire. Ce n’est pas parce qu’un homme a atteint un tel degré de plénitude salvatrice dans son rapport au monde, qu’il en va de même de tous les autres chrétiens et plus encore de la société des hommes dans son ensemble. Voilà pourquoi je crois que Tolkien refuserait cette idée d’un salut historique après la venue du Christ.
J’ai du mal à imaginer que pour Tolkien, l’Incarnation et la Résurrection ne seraient, comme tu l’écris, Cirdan, que des promesses de Salut par delà l’Histoire.
Donc, pour récapituler, je pense qu’un salut individuel existe déjà dans l’Histoire chez certains chrétiens très réceptifs au bonheur de la foi dans leur rapport au monde mais, de là à voir un salut dans l’Histoire de la société en tant que telle (c’est-à-dire l’histoire politique), non – le message chrétien, devient alors la promesse d’une société meilleure mais par-delà l’histoire du monde, et seulement pour ceux qui seront repêchés. Je persiste à penser que Tolkien ne croit pas, n’espère aucune amélioration de la société des hommes à long terme.
Comme le dit Semprini, la religion chrétienne amène une conception linéaire de l’Histoire, soit avec un début, une évolution et une fin. J’ajoute (et merci à l’appui de mes vieilles notes universitaires !) que le christianisme est avant tout une religion historique car elle s’appuie, non pas sur un système de concepts, de symboles ou de mythes qui se situeraient en dehors du temps, mais trouve ses références dans des faits fondateurs et des événements qui se produisent dans l’Histoire, où Dieu intervient, comme une sorte de guide ou de partenaire de l’homme, dans sa vie terrestre. Cette conception chrétienne linéaire de l’Histoire qui est celle d’un monde en devenir, s’imposera à la vision cyclique, héritée de l’Antiquité, pour laquelle le changement, le multiple est synonyme d’imperfection, d’inintelligibilité et donc de dégradation.
Nous sommes d’accord. :-)
[…] Voilà qui m’amène aussi à la question du Progrès. L’idée de progrès n’est pas absente de l’œuvre de Tolkien. C’est très clair en ce qui concerne les personnages du Sda. Ceux-ci doivent progresser, faire grandir leur potentiel, l’enrichir par l’expérience et les relations pour appréhender leur monde avec une vision plus mûre, plus responsable, du rôle qu’il ont à y jouer. Cette vision acquise au bout du récit est meilleure que celle du départ – Il y a bien un progrès, une évolution vers un mieux. Que Tolkien s’insurgeait contre l’idée que le Progrès technologique amènerait l’humanité vers un Idéal à atteindre, ça me semble incontestable. Peut-on l’étendre à la notion de Progrès défendue par certaines philosophies ou celle qui a présidé au développement de la révolution industrielle (Tolkien se trouvait bien au milieu de ces bouleversements) ?
Certes, je ne parle pas du Progrès comme concept philosophique. Je suis trop ignorant pour me risquer à prendre en compte une idée qui doit différer d’un philosophe à l’autre alors même que je n’en ai guère lu plus de trois ou quatre ! :-) Mais ici je n’évoquais pas simplement technologique pour autant. Il est évident que Tolkien ne partageait pas la conception hugolienne du Progrès. La révolution industrielle faisait assez horreur à Tolkien qui abandonna tôt la voiture, n’eut jamais de machine à laver ni de télévision. Voici un extrait de lettre de 1944,déjà citée par Cathy il y a peu, mais qui est très intéressant pour ce sujet :
The bigger things get the smaller and duller or flatter the globe gets. It is getting to be all one blasted little provincial suburb. When they have introduced American sanitation, morale-pep, feminism, and mass production throughout the Near East, Middle East, Far East, U.S.S.R., the Pampas, el Gran Chaco, the Danubian Basin, Equatorial Africa, Hither Further and Inner Mumbo-land, Gondhwanaland, Lhasa, and the villages of darkest Berkshire, how happy we shall be. At any rate it ought to cut down travel. There will be nowhere to go. So people will (I opine) go all the faster. Col. Knox says ⅛ of the world's population speaks 'English', and that is the biggest language group. If true, damn shame – say I. May the curse of Babel strike all their tongues till they can only say 'baa baa'. It would mean much the same. I think I shall have to refuse to speak anything but Old Mercian.
But seriously: I do find this Americo-cosmopolitanism very terrifying. Quâ mind and spirit, and neglecting the piddling fears of timid flesh which does not want to be shot or chopped by brutal and licentious soldiery (German or other), I am not really sure that its victory is going to be so much the better for the world as a whole and in the long run than the victory of ——
C'est assez clair. Des propos sceptiques quant au futur. On imagine mal Tolkien pensant,à la libération que la fin de cette maudite guerre allait ouvrir les portes à un avenir radieux ou les hommes tireraient enfin les leçons de l'Histoire...
Il reste encore la dernière partie de ta phrase, « et toutes ces superstitions « humanistes » ». Ca m’intéresserait que tu puisses préciser ce que tu entends pas là.
En fait ce que j’entends par là, c’est bien l’impérialisme « humaniste », celui qui veut imposer au monde la voie de ce qu’il nomme Progrès (en fait, une morale confuse et décadente) tout en ne doutant pas lui-même que sa conception de la démocratie, de la fameuse liberté de la presse, de la religion, de la sexualité, de la nutrition… ne soit peut-être pas si merveilleuses que cela, en dépit de leur modernité. N’a-t-on pas entendu il y a peu que des bombardements seront effectués avec un maximum d’ « humanité » ? Les « superstitions humanistes », même si je dois avouer que l’expression est malheureuse, c’est bien la foi dans le "Progrès" au sens ou on nous le propose, que ce soit celui de l’« american sanitation, morale-pep, feminism and mass production » ou celui d’un prolétariat universel, heureux jusqu’à la fin du monde.
Cirdan (qui espère avoir à peu près répondu aux questions...)
PS : Il n’est pas impossible de rattacher ce sujet au Légendaire - puisqu’on est dans cette rubrique, j’aimerais autant la respecter, aussi, j’essaierais de organiser différents exemples tirés du légendaire, pour illustrer ces propos. Cela risque malheureusement de prendre un certain temps avant de pouvoir poster ce prochain message, tant j’ai peu de temps, ces temps-ci… :-)
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L'Histoire a-t-elle un sens ... vaste sujet et vaste problème. Je suis très heureuse, bien que je me sente toute petite par rapport à certains d'entre vous, que l'on reparte sur des sujets aussi profonds.
Alrrs, l'Histoire a-t-elle un sens ( dans le sens de direction, ) ou à-t-elle un sens ( dans le sens de signification )
J'ai difficile ) voir chez Tolkien un "sens" linéaire à l'Histoire. Du début du Silmarillon jusqu'à la fin du troisième âge, je n'y vois que la répétition de chutes successives. Chutes qui, à la fin de chaque âge, sont brutalement stoppées par une défaite - provisoire - du Mal, à un renouveau, à une renaissance, passant le plus souvent par un homme ( au sens général du terme ) providentiel ( ce qui est loin de vouloir dire parfait ). Earendil et ses fils, Elendil et ses fils. Frodon, Aragorn et leurs compagnons. Mais, à chaque fois, la chute recommence, le mal revient, sous une forme ou une autre. Sera-ce également le cas après la fin de la guerre de l'anneau ? Probablement, car même si gandalf affirme à Prosper Poirredebeurré ququ'ils vont "à des temps meilleurs", Tolkien avait bien commencé une "suite" qui parlait, si je ne me trompe, d'un "retour de l'Ombre".
Peut-on dans l'Histoire réelle, et non plus légendaire, parler d'un "sens de l'Histoire", d'un progrès en quelque sorte ? Je parle d'un progrès terrestre, pas d'un salut de l'Ame . On peut au travers de l'Histoire concevoir qu'il y a en effet "progrès" sur certains points ( abolition de l'esclavage notemment ). Mais le fait de considérer ce progrès, soit comme inéluctable, soit comme but à atteidre par tous les moyens, finit par dévoyer ce sens même de progrès, par aboutir à cette "tentation du Bien" qui aboutit régulièrement au mal ( j'allais dire absolu ).
Par contre, lorsque l'on observe les civilisations humaines, en se plaçant du point de vue de la "civilisation" elle-meme, on remarque que toutes - sans exception - finissent par succomber. Souvent en s'étiolant d'ailleurs, comme les malheureux Royaumes Numénoréens en Terre du Milieu.
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Petite précision avant de poursuivre : il n’est pas de mon intention de nier la courbe descendante que Tolkien fait prendre à l’histoire de la Terre du Milieu, ni les aspects cycliques de cette conception ou de la structure de ses récits. Mais, dès qu’il nous semble avoir trouvé un fil indiscutable pour retisser son univers, on peut compter sur Tolkien pour en griser les contours et nous montrer que tout ne s’emboîte pas exactement comme on le pensait.
D’autre part, je déteste autant l’expression « croire en l’Histoire » que « croire en l’Homme », qui de mon point de vue strictement personnel, font partie de ces paroles fourre-tout que chacun comprend à sa manière, ou ne comprend pas d’ailleurs, mais dont tout le monde use en se persuadant qu’elle contient une vérité universelle. Ces expressions véhiculent un présupposé culturel et idéologique qui ne l’est pas. Les mots « humanisme » ou « démocratie », par exemple, font, pour moi, partie de ce même paquet ainsi que nombre de concepts qu’on l’un utilise pour se donner bonne conscience, et finissent par ne plus être que des paroles creuses que l’on utilise à tort et à travers. Ils ont d’ailleurs actuellement une fâcheuse tendance à se multiplier dans les médias. (Si je lis bien entre tes lignes, Cirdan, je pense qu’on devrait être sur la même longueur d’ondes à ce sujet ?) .
Mettons de côté ce « différend sémantique ». Il est clair que Tolkien ne pense pas que la marche de l’Histoire conduise automatiquement le monde vers un idéal. Mais je dirais plutôt que Tolkien n’a aucune confiance en la capacité de l’Homme à tirer parti du passé. (Formulé comme ça, je pense que nous sommes d’accord !). Ca me semble, pour ma part, assez clair dans l’histoire de Turin. L’Histoire elle-même n’est pas fautive : en « repassant les plats », elle offre à chaque fois à Turin une occasion de se sortir de son mode de fonctionnement. Or, Turin ne retient rien du passé ; à chaque fois il reproduit les mêmes erreurs, tant il est aveuglé par son orgueil et/ou sa colère. Les mêmes causes produisant les mêmes effets, ça mène à la catastrophe. Ainsi, pour moi, la célèbre Malédiction n’en est pas vraiment une, sinon celle de l’Homme, incapable ou refusant de retenir les leçons du passé pour modifier sa manière d’agir et de penser.
Dans le SDA, il y a quelqu’un qui y parvient pourtant : Frodo : il retient les propos de Gandalf et utilise les leçons de ses expériences successives. C’est ce qui ouvre la voie du Salut de la Terre du Milieu. Mais c’est aussi ce qui provoque l’incompréhension de son entourage et l’isole du reste du monde, au point qu’il lui refuse, en quelque sorte, une place (Enfin, ça, c’est évidemment une façon parmi d’autres, de voir les choses).
Je pense que, pour Tolkien, l’Histoire offre des ouvertures, des espaces, à l’Homme pour opérer ses choix, pour exercer sa liberté. Mais ce sont les décisions les plus « improbables » qui conduisent au Salut ou au « mieux ».
(Ainsi, dans le SDA, le choix de Gandalf de laisser le sort de la Terre du Milieu dans les mains de hobbits – le choix d’Aragorn d’emprunter le Chemin des Morts - le choix de Sam d’offrir à Frodo un dévouement sans faille, alors même qu’il ne le comprend pas bien et qu’il semble plus « logique » qu’il pense d’abord à lui-même - la décision de Frodo de se charger de l’(anti)- Quête, d’accorder sa compassion à Gollum, ou de continuer à avancer malgré tout, alors qu’il n’a plus aucun espoir dans la réussite de sa mission et qu’il serait sans doute plus « raisonnable » de laisser tomber, etc.).
Ce sont les décisions apparemment non raisonnables qui permettent le Salut (cf la « Voie étroite » des Evangiles). Le déroulement de l’Histoire donne la possibilité aux Hommes de faire ces choix.
En conclusion (et en renonçant à ma susceptibilité de forme !), je ne dirais donc pas que Tolkien ne croit pas en l’Histoire, puisque l’Histoire contient les potentialités nécessaires pour évoluer vers un mieux, mais plutôt qu’il ne croit pas en l’Homme ou plus précisément, qu’il ne fait pas confiance à l’Homme
- dans sa capacité ou sa volonté de tirer les leçons du passé,
- et d’utiliser les espaces de liberté qui lui sont donnés pour rendre le monde effectivement meilleur, pour, si je peux dire, progresser dans une «hominisation » chère à Teilhard de Chardin.
Mais voilà, Tolkien dans son habitude de nous dire « c’est comme ça, mais, dans le fond, si on n’y regarde bien, ce n’est peut-être pas tout à fait comme ça », laisse aussi des portes ouvertes à l’espoir d’un monde meilleur (c’est ce que tu avais repéré, Lambertine, non ?). L’Espérance n’est-elle pas un fondement de la religion catholique… Alors, démonstration par l’absurde : si Tolkien se tenait de manière absolue, « intégriste » à l’idée de la Chute de l’Histoire ou de l’Homme,
- Pourrait-il sincèrement se dire catholique ?
- Aurait-il vraiment prévu le sauvetage final de la Terre du Milieu dans le SDA (même s’il prévoyait une suite au 4e âge, le SDA est quand même son œuvre majeure et la plus aboutie) ?
- Pourrait-il vraiment mettre ces paroles dans la bouche de Gandalf, s’adressant à Prosper Poiredebeuré à la fin du SDA :
« Des temps meilleurs approchent toutefois. Peut-être meilleurs qu’aucun dont vous puissiez vous souvenir. (…) Il y a de nouveau un roi, Prosper. Il tournera bientôt son attention de ce côté-ci. Alors le Chemin Vert sera rouvert, ses messagers viendront dans le Nord, il y aura des allées et venues, et les mauvaises choses seront chassées des terres incultes, et il y aura des gens et de champs dans ce qui fut le désert »
Livre VI chap. VII
Moi, je pense que non !
Ylem.
NB1 : il est clair que je me ferai un plaisir de développer une argumentation en sens inverse à tout qui défendrait une vue exclusivement « heureuse » ou « progressiste » de l’œuvre de Tolkien !
NB2 : la notion de « Salut » ne me semble pas encore très claire… peut-être une suite pour plus tard, s’il me semble avoir l’une ou l’autre idée digne d’intérêt à ce sujet.
Une réflexion néanmoins : il me semble que l’idée comme quoi l’Homme ne peut pas gagner son Salut sur Terre (donc dans l’Histoire), était l’un des arguments les plus importants utilisés par le Protestantisme, pour lutter contre la pratique catholique des indulgences. Or, Tolkien était bien catholique, en terre protestante.
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Je n'ai hélas pas le temps de me consacrer à ce fuseau comme il le mérite, Ylem, mais j'aimerais relever juste à la fin :
Une réflexion néanmoins : il me semble que l’idée comme quoi l’Homme ne peut pas gagner son Salut sur Terre (donc dans l’Histoire), était l’un des arguments les plus importants utilisés par le Protestantisme, pour lutter contre la pratique catholique des indulgences. Or, Tolkien était bien catholique, en terre protestante.
Je pense qu'il y a confusion : Au sujet du Salut, le Protestantisme a défendu et défend l'idée selon laquelle l'homme est sauvé par sa Foi et elle seule, tandis que le Catholicisme dit que le Salut dépend de la Foi et des oeuvres par lesquelles elle s'exprime, mais, pas moins pour le Protestantisme que le Catholicisme, le Salut se gagne sur la Terre ! A la rigueur, c'est peut-être même le Protestantisme qui est le plus strict à ce niveau, car le Catholicisme parle de purification après la mort (dans le purgatoire, qui, sauf erreur de ma part, n'est pas accepté par les protestants).
Merci à ceux qui corrigeront éventuellement mes erreurs ;)
Je ne comprends pas, non plus, Or, Tolkien était bien catholique, en terre protestante.
Yyr
PS : Dans ces éléments taillés à coup de serpe, il faut faire exception des Calvinistes, sans doute, qui au sein des Protestants, parlent de prédestinations, donc de l'homme sauvé (ou non) par avance ... j'ignore ce que cela implique pour eux pour le Salut par rapport à la vie sur Terre.
En ligne
… je crois qu’on ne s’est pas bien compris, Yyr. Je ne voulais pas dire que, pour la vision catholique, la vie terrestre peut être elle-même un aboutissement. Mais plutôt que, toujours du point de vue catholique, il y a un lien très fort entre l’Histoire des hommes et le Salut. Ou autrement dit que, comme tu l’écris, c’est par la Foi, mais aussi par les oeuvres – cad par les actes posés au cours de la vie terrestre – que l’Homme peut gagner son Salut dans l’Au-delà.
Ceci était dit pour répondre à Cirdan, lorsqu’il écrivait que, pour Tolkien, il n’y a de Salut qu’en dehors de l’Histoire. Mais bon. Peut-être ais-je mal compris ce qu’il souhaitait exprimer. C’est possible aussi.
Je continue pour expliciter mon raisonnement ! Sorry d’avance si c’est un peu schématique… Si le Salut est accessible aux hommes par la Foi, mais aussi par les œuvres, il est promis ou en tout cas favorable, à celui qui se comporte « bien » dans sa vie terrestre. Le temps passant, cette idée s’est précisée, structurée, au point qu’il s’est agit de définir ce qu’était le péché et les bonnes actions, les différentes degrés de péché (mineurs, capitaux, ceux qui sont une raison d’excommunication, etc), puis leur degré de conséquence sur la vie après la mort. Un peu comme s’il s’agissait de faire une comptabilité précise, afin de savoir si, compte tenu de ce qu’on avait fait ou non, on serait sauvé. Le raisonnement a fini par être conduit jusqu’à l’absurde, quand on a même pensé que l’on pouvait acheter, parfois moyennant monnaie sonnante et trébuchante, des « remises » de fautes ou des années de moins au « Purgatoire ». C’est la fameuse pratique des indulgences.
A la Renaissance, la Réforme s’est violemment insurgée contre ça. L’un de ses arguments les plus importants était alors de dire que ce que l’on pouvait faire sur Terre n’amenait pas d’office le Salut, puisque Dieu est tout puissant. C’est Lui qui décide qui sera Sauvé ou non, en quelque sorte selon des critères qui lui sont propres et que l’Homme ne peut connaître. Le Salut par la Foi, oui – mais pas par les œuvres. En tout cas pas automatiquement. Cette idée rompt, en quelque sorte, le lien entre l’Histoire et le Salut.
(Je sais, c’est sans doute très schématique – il y de nombreuses nuances que je suis bien incapable de faire, n’étant pas du tout spécialiste de la théologie catholique ou protestante. Il n’empêche que je n’invente rien non plus – c’est le type d’infos que l’on peut trouver dans la plupart des encyclopédies et des ouvrages généraux historiques).
J’en termine donc : mon raisonnement était le suivant : il me paraît un peu étrange qu’un catholique convaincu comme l’était Tolkien (et qui devait d’autant plus argumenter qu’il vivait en pays protestant), pourrait penser qu’il n’y a de Salut qu’en dehors de l’Histoire – alors cette idée serait essentiellement protestante (*).
Ceci dit, même si cette idée pourrait être contestable, le lien que fait le catholicisme entre l’Histoire des hommes et le Salut l’est, à mon avis, beaucoup moins.
Voilà. J’espère avoir répondu de manière suffisamment claire à ton interrogation :-)
Ylem.
(*) A moins de considérer, qu’en effet, Tolkien, tout catholique qu’il était, comptait d’importantes influences protestantes. Mais bon, je ne continue pas sur ce thème. On en avait déjà discuté sur un autre fuseau où, si je me souviens bien, mon idée dans ce sens avait été amplement rejetée.
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Juste un message pour vous dire à vous, Ylem, Yyr, Lambertine et Cirdan, que ce fuseau est passionnant ! Bravo à vous et merci :)
Amicalement
Arwen
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… je crois qu’on ne s’est pas bien compris, Yyr. Je ne voulais pas dire que, pour la vision catholique, la vie terrestre peut être elle-même un aboutissement. Mais plutôt que, toujours du point de vue catholique, il y a un lien très fort entre l’Histoire des hommes et le Salut. Ou autrement dit que, comme tu l’écris, c’est par la Foi, mais aussi par les oeuvres – cad par les actes posés au cours de la vie terrestre – que l’Homme peut gagner son Salut dans l’Au-delà.
Je vois, en effet :)
En fait il s'agissait juste (à nouveau ;)) d'un problème de forme : Je comprends maintenant ce que tu voulais dire mais ta formulation l’idée comme quoi l’Homme ne peut pas gagner son Salut sur Terre (donc dans l’Histoire) était malheureuse, si tu me permets :) car, et c'est ce qui m'a fait réagir, le Salut est gagné sur Terre quelle que soit la confession :)
La question n'est donc pas le découplage Salut/Vie Terrestre mais Salut/Histoire. OK, j'ai raccorché les wagons :)
Quoi qu'il en soit, je ne pense pas que le Protestantisme rompe plus que le Catholicisme le lien Salut/Histoire (s'il existe), du moins au travers des éléments qui ont été exposés ici. Ceux qui ont été amenés en faveur d'un lien : l'Incarnation et les révélations successives, valent autant pour une confession que pour l'autre. De même, les éléments qui ont été donnés ici et qui tendent à considérer le Salut uniquement sous l'angle de l'histoire personnelle de chacun valent, m'est avis, autant pour les protestants que pour les catholiques.
J'ai mis "(s'il existe)" car j'ai du mal à trancher entre Laurent et toi ... je réfléchis ; mais c'est sûr que les lumières de Vinyamar et Sosryko seraient les bienvenues ... ;)
En passant, la distinction qui pourrait être faite entre les deux confessions en lien avec le sujet, est peut-être celle, de la Communion des Saints et de l'Intercession des Saints (qui intègrent le crédo des catholiques mais pas celui des protestants) : Les deux sous-tendent une participation et une édification communes vers le Salut, mais la question reste entière de savoir si cela implique éventuellement un lien Salut/Histoire ...
Yyr
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quelques ébauches de précisions ...
Les protestants dans leur ensemble partent du principe, depuis Luther, Calvin accentuant encore cette idée, que l'homme, marqué par le péché de manière catégorique, ne saurait en aucune manière incliner au Bien, qui découle de la grâce de Dieu. Celle-ci est seule à donner le salut - individuel et collectif -, l'homme n'y peut mais. le Bien commis par l'homme résulte de la grâce que lui accorde Dieu, il est une manière de rendre grâce de cette grâce (pfff, trois fois dans une phrase, quelle élégance ...). Les calvinistes ont mis l'accent sur la notion de prédestination, mais les luthériens affirmaient déjà que l'homme n'oeuvre pas pour son salut (l'historien Marc Lienhard écrit que pour Luther "l'homme est radicalement incapable de réaliser son salut devant Dieu, ce qui est une manière existentielle d'exprimer l'impuissance de l'homme et sa dépendance totale à l'égard de la grâce de Dieu"; Luther s'oppose ici à Erasme notamment), contrairement à l'idée catholique de la même époque (Renaissance, en gros) que celui qui fait le bien "mérite" le royaume des cieux plus que celui qui fait le mal, ce dernier ayant cependant toujours possibilité de se repentir et de se confier à l'amour tout-puissant de Dieu, qui dépasse tout le mal que peut commettre l'homme. Une récente déclaration commune entre protestants et catholiques a cependant été dans le sens d'une définition du salut plus proche des principes protestants initiaux que de la "religion des oeuvres" catholique, mettant l'accent sur la gratuité du salut, donné par le sacrifice christique, et sur les oeuvres comme effet du salut ainsi offert et non comme moyen de se sauver en tant qu'individu.
la communion des saints soulève un autre problème, celui de la solidarité de l'humanité dans le péché comme dans le salut. en gros, pour les catholiques, tout le monde oeuvre au salut de chacun et vice-versa. les mérites des uns profitent aux autres, et le trésor des mérites, alimenté depuis la Passion du Christ par les bienfaits des saints au sens canonique, concerne toute l'humanité, pécheresse mais appélée au salut et à la contemplation de Dieu. les protestants, qui refusent le culte des saints, ne s'écartent pas, il me semble, de cette notion de communion des saints au sens d'un salut collectif. La sainteté est liée à l'histoire, inscrivant la grâce de Dieu dans l'histoire des hommes.
L'Histoire chrétienne, comme il a été dit, a un sens : de la Création au Jugement et à l'avènement du Christ en gloire. L'inconvénient étant que le salut, par définition, se situe en dehors du temps (notion terrestre, Dieu étant seul éternel, sa contemplation ne rentre pas dans ce cadre temporel) - et donc de l'histoire, qui n'existe que dans le temps (cf Antoine Prost, Douze leçons sur l'histoire, entre autres).
il me semble pour ma part que la question du salut au sens chrétien n'a donc que peu à voir avec le SDA, qui ne se soucie que du devenir de l'histoire terrestre. Gandalf annonçant à Prosper des temps meilleurs ne songe pas à un Salut post Terre du Milieu. or, le Salut au sens chrétien, au contraire, se situe hors Terre créée pour atteindre l'incréé. est-ce que cette notion apparaît chez Tolkien ? pour ma part, je n'arrive pas à la voir dans le SDA en tout cas.
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il me semble pour ma part que la question du salut au sens chrétien n'a donc que peu à voir avec le SDA, qui ne se soucie que du devenir de l'histoire terrestre. Gandalf annonçant à Prosper des temps meilleurs ne songe pas à un Salut post Terre du Milieu. or, le Salut au sens chrétien, au contraire, se situe hors Terre créée pour atteindre l'incréé. est-ce que cette notion apparaît chez Tolkien ? pour ma part, je n'arrive pas à la voir dans le SDA en tout cas.
D'abord un grand merci pour cette synthèse, Lothiriel, bien faite et très lisible ! C'est un plaisir (un seul détail : je ne suis pas sûr que les protestants et les catholiques s'accordent sur la Communion des Saints et toute idée, d'ailleurs, de salut "collectif", mais j'avoue n'en avoir qu'une impression ; aucune connaissance définitive ...).
Il y a bien en Arda un thème qui répond au salut dont tu parles, celui de la Guérison d'Arda. Arda a été créée Alahasta, c'est-à-dire Arda Saine, pure de toute souillure et de tout mal, mais Melkor l'a corrompue et elle devenue Hastaina, Arda Blessée, par le mal et la souffrance. Les traditions des Eldar comme des Edain parlent, dans ce contexte, de la Guérison d'Arda, accomplie par Eru, et Ses filles et Ses fils (c-à-d. Ses Enfants qui font Sa volonté), qui devra l'amener à un nouvel état Envinyanta, Arda Guérie, régénérée, pure de tout mal, mais plus grande qu'Alahasta à cause du chemin parcouru depuis lors. Cet état ultime sera atteint à la Fin (Arda Envinyanta est sans doute associée à la Seconde Musique ... à ce niveau j'ai égaré mes références ...). [HOME X]
Arda Guérie se situe bien en dehors du Temps, éternelle et indestructible, dans la plupart des évocations (somme toute assez limitées ) qui en sont faites.
Question de lecture ou de relecture j'imagine, cette notion de guérison / salut m'apparaît personnellement très bien dans le SdA : le coeur et les actions investis par les hérauts des Peuples Libres sont autant d'actes de don de soi, d'espérance, de réconciliation ... et donc de guérison, qui préfigurent ou participent à la Guérison d'Arda (dont Eru seul peut provoquer l'avènement, bien sûr)
Yyr
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(un seul détail : je ne suis pas sûr que les protestants et les catholiques s'accordent sur la Communion des Saints et toute idée, d'ailleurs, de salut "collectif", mais j'avoue n'en avoir qu'une impression ; aucune connaissance définitive ...).
j'ai un doute aussi, j'ai farfouillé avant de poster sans trouver de certitude.
merci pour les précisions sur la guérison d'Arda, je ne connaissais pas cette idée (je n'ai pas lu HoME, je sais, c'est pô bien).
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Ayant été absent quelques temps, je me dois, pour intervenir, de remonter à l’origine de ce fuseau (et pardon si j’enfonce des portes qui, depuis, ont été ouvertes)…
Laurent dit qu’ « il n’y a pas de salut dans l'Histoire », au sens où le Salut de Dieu pour les hommes serait un « salut par-delà l'Histoire, laquelle n'est que l'expression de la Chute. »
Bien que je ne pense pas avoir l’ombre d’une quelconque ascendance normande je répondrai… oui et non ;-))
À l’origine de cette hésitation de trouve la nature de ce dont on parle : quel « Salut » et quelle « Histoire » ?
A) Une définition faible du salut et de l’histoire : la Machine
Si on se limite à la définition ‘faible’ de « salut », au sens de ‘recouvrer un état heureux’, et si par « Histoire » on comprend le Progrès Technique, alors, définitivement, Laurent a raison de dire que Tolkien « ne croit pas en l’Histoire » car ce dernier opposait radicalement les deux notions.
A.1) Quel « progrès » ?
Tolkien ne pouvait espérer en une société occidentale qui n’avait su éviter la Seconde Guerre Mondiale, qui l’avait achevé dans l’horreur, sans compassion ni respects pour les vaincus, à l’instar d’une armée d’Orcs, une société qui ne se rendait pas compte que cette guerre laissait tout le monde plus pauvre et qu’il n’y avait aucun vainqueur si ce n’est les Machines qui allaient désormais imposer leur loi à leurs « serviteurs » humains :
I have just heard the news..... Russians 60 miles from Berlin. It does look as if something decisive might happen soon. The appalling destruction and misery of this war mount hourly : destruction of what should be (indeed is) the common wealth of Europe, and the world, if mankind were not so besotted, wealth the loss of which will affect us all, victors or not. Yet people gloat to hear of the endless lines, 40 miles long, of miserable refugees, women and children pouring West, dying on the way. There seem no bowels of mercy or compassion, no imagination, left in this dark diabolic hour. By which I do not mean that it may not all, in the present situation, mainly (not solely) created by Germany, be necessary and inevitable. But why gloat! We were supposed to have reached a stage of civilization in which it might still be necessary to execute a criminal, but not to gloat, or to hang his wife and child by him while the orc-crowd hooted. The destruction of Germany, be it 100 times merited, is one of the most appalling world-catastrophes. […] Well the first War of the Machines seems to be drawing to its final inconclusive chapter – leaving, alas, everyone the poorer, many bereaved or maimed and millions dead, and only one thing triumphant: the Machines. As the servants of the Machines are becoming a privileged class, the Machines are going to be enormously more powerful. What's their next move?
L96, 1945
Il est évident que Tolkien considérait qu’à la suite de la Seconde Guerre Mondiale (la première Guerre des Machines), le monde était entré dans un « âge sombre » et « diabolique » :
[The failure of Frodo] arose naturally from my 'plot' conceived in main outline in 1936. I did not foresee that before the tale was published we should enter a dark age in which the technique of torture and disruption of personality would rival that of Mordor and the Ring and present us with the practical problem of honest men of good will broken down into apostates and traitors.
L181, 1956
in this evil time when daily people of good will are tortured, 'brainwashed', and broken
L192, 1956
Suite à ce changement d’époque, l’enseignement même est devenu source de corruption des esprits :
those of (apparently at any rate) higher intelligence that have been corrupted and disintegrated by school, and the 'climate' of our present days.
L314, 1969
Ces jours sombres deviennent des jours tristes, en territoire ennemi et corrompu, lorsque Tolkien se retrouve seul, sans la femme aimée à ses côtés :
In 1904 we (H[ilary] & I) had the sudden miraculous experience of Fr Francis' love and care and humour – and only 5 years later (the equiv. of 20 years experience in later life) I met the Lúthien Tinúviel of my own personal 'romance' with her long dark hair, fair face and starry eyes, and beautiful voice. And in 1934 she was still with me, and her beautiful children. But now she has gone before Beren, leaving him indeed one-handed, but he has no power to move the inexorable Mandos, and there is no Dor Gyrth i chuinar, the Land of the Dead that Live, in this Fallen Kingdom of Arda, where the servants of Morgoth are worshipped ...
L332, 1972
Où donc avait eu lieu le mauvais choix ? Quelle avait-été l’erreur fatale de toute une civilisation ?
La réponse de Tolkien était la course à la puissance qui s’était engagé entre les deux armées mondiales :
You can make the Ring into an allegory of our own time, if you like: an allegory of the inevitable fate that waits for all attempts to defeat evil power by power.
L109, 1947
Cette course s’est poursuivie après la guerre, elle s’est traduite par « mécanisation » qui flatte l’égo des nations, qui ne repose pourtant sur aucune réflexion honnête, qui corrompt les esprits et les mène à l’« esclavage » :
I am not a 'democrat' only because 'humility' and equality are spiritual principles corrupted by the attempt to mechanize and formalize them, with the result that we get not universal smallness and humility, but universal greatness and pride, till some Orc gets hold of a ring of power – and then we get and are getting slavery.
L186, 1956
Il n’est pas étonnant qu’on retrouve ces thèmes dans la mythologie tolkienienne tant le monde contemporain de Tolkien ressemble dans sa barbare course au Pouvoir à celui de Morgoth :
But in the next year, ere the winter was come, Morgoth sent great strength over Hithlum and Nevrast, and they came down the rivers Brithon and Nenning and ravaged all the Falas, and besieged the walls of Brithombar and Eglarest. Smiths and miners and makers of fire they brought with them, and they set up great engines; and valiantly though they were resisted they broke the walls at last. Then the Havens were laid in ruin, and the tower of Barad Nimras cast down; and the most part of Círdan's people were slain or enslaved.
Silm, p.196/QS.20
Au point que le monde Primaire est décrit avec les termes de la Terre-du-Milieu ; là où il y a décadence de la création secondaire à la création originale, c’est qu’en ce « Royaume Déchu d’Arda » on ne trouve aucun Elfes, mais seulement des « serviteurs du Mordor », des « anneaux de pouvoir » et des « Orcs » auxquels ressemblent de plus en plus les hommes d’aujourd’hui :
[…] the Orcs – who are fundamentally a race of 'rational incarnate' creatures, though horribly corrupted, if no more so than many Men to be met today.
L153, 1954
Tolkien n’est pas dupe de l’époque dans laquelle il vit ; malgré le progrès technique, elle demeure soumise à de véritables Orcs, aux « tyrants » séducteurs et « Seigneurs du mensonge » ; ainsi est-il a moitié amusé a moitié dévasté de découvrir « ce vieux meurtrier assoiffé de sang de Joseph Staline inviter toutes les nations à former une heureuse familles d’amis dévoués à l’abolition de la tyrannie et de l’intolérance ! » [L53, 1943]
Au cours de la Guerre des Machines Tolkien anticipait non seulement la corruption par les machines mais également la « mondialisation », comprendre l’américanisation des esprits ; comme Laurent le relevait en citant une autre lettre que la suivante, cette homogénéisation des cultures et des langues l’insupportait au possible :
But I suppose the one certain result of it all [la Seconde Guerre Mondiale gagnée par les Alliés menés par les « Big Folk », [les Américains] is a further growth in the great standardised amalgamations with their mass-produced notions and emotions.
(…)
However it's always been going on in different terms, and you and I belong to the ever-defeated never altogether subdued side. I should have hated the Roman Empire in its day (as I do), and remained a patriotic Roman citizen, while preferring a free Gaul and seeing good in Carthaginians. Delenda est Carthago. We hear rather a lot of that nowadays. I was actually taught at school that that was a fine saying; and I 'reacted' (as they say, in this case with less than the usual misapplication) at once.
L77, 1944
Bien entendu, Tolkien, à la suite de ce paragraphe pouvait écrire : « There still lies some hope that, at least in our beloved land of England, propaganda defeats itself, and event produces the opposite effect. » Mais cet espoir, on le sait désormais, n’était qu’un vœu pieu qui n’aura pas été exaucé.
A.2) Tolkien et la Machine
En 1951, Tolkien expliquait que l’objet principal de son œuvre de fiction était une réflexion sur « la Chute, la Mort et la Machine » (« Anyway all this stuff is mainly concerned with Fall, Mortality, and the Machine. »). Il interprétait tout de suite pour le dernier terme de la sorte :
the Machine (or Magic). By the last I intend all use of external plans or devices (apparatus) instead of development of the inherent inner powers or talents — or even the use of these talents with the corrupted motive of dominating: bulldozing the real world, or coercing other wills.
L131, 1951
7 ans années auparavant, effectivement, une autre lettre traduisait cette interrogation devant le besoin, le « désir » de « pouvoir/puissance » de l’homme sur le Monde :
There is the tragedy and despair of all machinery laid bare. Unlike art which is content to create a new secondary world in the mind, it attempts to actualize desire, and so to create power in this World; and that cannot really be done with any real satisfaction. Labour-saving machinery only creates endless and worse labour. And in addition to this fundamental disability of a creature, is added the Fall, which makes our devices not only fail of their desire but turn to new and horrible evil. So we come inevitably from Daedalus and Icarus to the Giant Bomber. It is not an advance in wisdom! This terrible truth, glimpsed long ago by Sam Butler, sticks out so plainly and is so horrifyingly exhibited in our time, with its even worse menace for the future, that it seems almost a world wide mental disease that only a tiny minority perceive it. Even if people have ever heard the legends (which is getting rarer) they have no inkling of their portent. How could a maker of motorbikes name his product Ixion cycles! Ixion, who was bound for ever in hell on a perpetually revolving wheel! Well, I have got over 2 thousand words onto this little flimsy airletter; and I will forgive the Mordor-gadgets some of their sins, if they will bring it quickly to you ...
L75, 1944
Ce « désir » débridé (par la « Chute ») d’imposer sa domination sur le Monde (= « monde réel » et « esprits ») ne peut conduire qu’à un « enfer » sur terre, l’humanité étant petit à petit touchée dans son esprit (« mental disease ») et donc son Salut (« sins ») par ces « gadgets du Mordor » qui créent un besoin perpetuel (« endless », « bound for ever […] on a perpetually revolving wheel ») de nouveauté, de surenchère de puissance (« actualize[d] desire »).
Et la force de la Machine est d’avoir convaincu le Monde de ne vivre que dans l’insatisfaction du présent et l’attente de nouveautés, lui faisant oublier les leçons du passé et des mythes, étouffant son esprit critique (« Pourquoi un vélo s’appelant Ixion ? »), l’invitant à la seule consommation (« Il me faut ce vélo Ixion !»), lui donnant l’illusion de puissance (« je possède le dernier vélo Ixion »).
A.3) La Machine et la Technique
Il est très intéressant de remarquer combien la pensée de Tolkien sur son siècle et son jugement du Progrès coïncide avec la vision tout aussi prophétique qu’en avait Jacques Ellul (homme de droit, philosophe, théologien, …).
En effet, comme l’écrit Patrick Troude-Chastenet [Professeur de science politique à l'Université de Poitiers ; ici] :
la proposition selon laquelle « en définitive Hitler a bien gagné la guerre » figure déjà chez Ellul en 1945, et elle n'a rien d'une affirmation de circonstances puisqu'elle sera réitérée tout au long de son œuvre. « Le modèle nazi s'est répandu dans le monde entier ». Qu'est-ce à dire sinon que le vaincu a littéralement corrompu le vainqueur ? Que pour vaincre le régime hitlérien, les démocraties se sont moralement condamnées en voulant combattre le mal par le mal, autrement dit en s'engageant sans réserve dans le culte de la puissance technicienne.
Et l'on aborde ici l'essentiel de sa pensée : la technique, c'est à dire la recherche du moyen absolument le plus efficace dans tous les domaines, constitue la clé de notre modernité. En substance, l'homme croit se servir de la Technique et c'est lui qui la sert. L'homme moderne est devenu l'instrument de ses instruments, pour parler comme Bernanos. Le moyen s'est transformé en fin, la nécessité s'est érigée en vertu, la culture technicienne ne tolère aucune extériorité.
D’autres propos (trouvés dans une traduction anglaise ; Ellul est plus respecté aux Etats-Unis qu’en France, « nul n’est prophète en son pays ») méritent d’être relevés :
[apparamment tirés de The Technological Society, trans. John Wilkinson (New York: Knopf, 1967) = La technique ou l'enjeu du siècle, Paris: Armand Colin, 1954. Paris: Économica, 1990 ; ici ]
The term technique, as I use it, does not mean machines, technology, or this or that procedure for attaining an end. In our technological society, technique is the totality of methods rationally arrived at and having absolute efficiency (for a given stage of development) in every field of human activity.
(…)
It is said (and everyone agrees) that the machine has created an inhuman atmosphere. The machine, so characteristic of the nineteenth century, made an abrupt entrance into a society which, from the political, institutional, and human points of view, was not made to receive it; and man has had to put up with it as best he can. Men now live in conditions that are less than human. Consider the concentration of our great cities, the slums, the lack of space, of air, time, the gloomy streets and sallow lights that confuse night and day. Think of our dehumanized factories, our unsatisfied senses...our estrangement from nature. Life in such an environment has no meaning. Consider our public transportation, in which man is less important than a parcel; our hospitals, in which he is only a number. Yet we call this progress...
(…)
From another point of view, however, the machine is deeply symptomatic: it represents the ideal toward which technique strives. The machine is solely, exclusively, technique; it is pure technique, one might say. For wherever a technical factor exists, it results, almost inevitably, in mechanization: technique transforms everything it touches into a machine.
Les avertissements d'Ellul sont sans ambiguïté [là] :
"Il y a une erreur à éviter, ce serait de croire que la technique serait un objet, et que, par rapport à elle l'homme serait le sujet " (ST p. 100). Parmi les idées reçues qu'il pourfend dans son Exégèse des Nouveaux Lieux Communs, il y a celle qui consiste à croire que "la machine est un objet neutre dont l'homme est le maître" [ENLC p.223]. C'est là pour lui, il ne cessera de le dire dans chacun de ses livres, "une formule de signification nulle, parfaitement absurde" [Le Bluff Technologique, p.383].
"Il est absolument superficiel de dire: il y a d'un côté l'homme, chevalier sans peur et sans reproche, indépendant, autonome et souverain, de l'autre la machine, objet, aussi objet qu'un bâton... C'est un homme vivant dans cette société (construite en fonction de la machine) et modifié lui-même par la machine qui utilise la machine. Mais comment pourrait-il prétendre la maîtriser et l'obliger à suivre ses propres voies, alors qu'avant même d'avoir pris conscience du problème, il est déjà transformé, adapté à la machine, et structuré par elle? Si la machine reste un outil entre les mains de l'homme, c'est d'un homme conditionné par cet outil qu'il s'agit " » [ENLC p. 226]
Ainsi, pour Ellul comme pour Tolkien :
Technique et Machine, même si elles les produisent, ne sont pas identifiables aux machines ;
Ces deux systèmes ont en commun leur terrible efficacité
Tous deux poussent l’homme à « combattre le mal par le mal »,
Plutôt que de les libérer, elles rendent les hommes dépendants (Tolkien parle d’« esclavage », Ellul d’«homme conditionné »)
Au point que, finalement, elles les déhumanisent (les écrivains annoncent la « mécanisation » du monde et des esprits).
Ainsi, le constat est affligeant : « Ce n’est pas une avancée vers la sagesse ! » (Tolkien) / « Pourtant, nous appelons cela le progrès… » (Ellul)
Des décennies après ces annonces, Jacques Ellul confiait au journal "Le Monde", en 1981: « Je décris un monde sans issue, avec la conviction que Dieu accompagne l'homme dans toute son histoire. »
On croirait lire là la pensée, toute chrétienne, de Tolkien…
Sosryko
PS : Suite (j'espère...) in B) L'origine maléfique de la Machine.
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Un grand merci, Sosryko, pour ce post et les liens extrêmement intéressants. Ylem – qui guettera la suite promise ;-)
Note : je persiste cependant dans ma conviction qu’il est indispensable pour une compréhension la plus profonde possible, de distinguer « sens de l’Histoire » (direction et signification) de « l’Histoire » elle-même.
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Encore une fois... Bravo!
C.
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B) L’origine maléfique de la Machine
B.1) Le Mauvais Incarné, le Mal Désincarné
Le Nouveau Testament donne une description lucide et terrible du monde dans lequel l’homme évolue :
Or nous, nous n’avons pas reçu l’esprit du Monde, mais l’Esprit qui vient de Dieu, afin de savoir ce que Dieu nous a donné par grâce.
car tout ce qui est dans le monde, la convoitise de la chair, la convoitise des yeux et l’orgueil de la vie, ne vient pas du Père, mais vient du Monde.
1 Co 2:12, 1 Jn 2:16
Sans vouloir vous assommer de références, on comprend bien à la lecture des deux versets ci-dessus que le « Monde » n’est pas la Terre physique (le monde) mais qu’il est tout ce qui se tient éloigné de Dieu. Il est donc en opposition avec le Royaume de Dieu (cf. partie C), et, pour notre propos, à associer avec la notion d’Histoire.
C’est de ce monde dont parle Tolkien lorsqu’il le décrit comme « an evil world », « a Fallen world ». En réalité, Tolkien donne même parfois l’impression de croire à son mythe d’un monde matériel physiquement corrompu par une des incarnation du Mal que fut Morgoth. (« Eä has in it, subcreatively introduced, evil, rebellions, discordant elements of its own nature already when the Let it Be was spoken. » [L212]) ; Tolkien n’est pas très éloigné d’une lecture possible de Romains 8, aidé en cela par d’autre avertissement bibliques concernant la nature du Monde :
Nous savons que nous sommes de Dieu, et que le monde entier est au pouvoir du Malin. / gît sous l’empire du Mauvais. (TOB)
Vous, petits enfants, vous êtes de Dieu, et vous avez vaincu les faux prophètes, car celui qui est en vous est plus grand que celui qui est dans le monde.
[…] vous marchiez autrefois selon le cours de ce monde, selon le prince de la puissance de l’air, cet esprit qui agit maintenant dans les fils de la rébellion. / cet Esprit qui poursuit son oeuvre en ceux qui résistent (JER)
1 Jn 5:19, 1 Jn 4:4, Eph 2:2
« Le prince de la puissance de l’air » ou bien « Le prince de ce monde » [Jn 12:31, 14:30, 16:11], voilà l’ennemi invisible qui veut exercer son pouvoir sur les volontés et les cœurs des hommes. Et à ennemi invisible correspond un combat invisible, spirituel :
Car nous n‘avons pas à lutter contre la chair et le sang, mais contre les principautés, contre les pouvoirs, contre les dominateurs des ténèbres d’ici-bas, contre les esprits du mal dans les lieux célestes. »
Eph 6:12
Ces citations nombreuses pour comprendre les affirmations terribles de Tolkien (Laurent avait déjà relevée la première, plus haut) :
Actually I am a Christian, and indeed a Roman Catholic, so that I do not expect 'history' to be anything but a 'long defeat' – though it contains (and in a legend may contain more clearly and movingly) some samples or glimpses of final victory.
L195, 1956
ou bien :
This is a fallen world. The dislocation of sex-instinct is one of the chief symptoms of the Fall. The world has been 'going to the bad' all down the ages. The various social forms shift, and each new mode has its special dangers: but the 'hard spirit of concupiscence' has walked down every street, and sat leering in every house, since Adam fell.
L43, 1941
ou encore :
the whole human race (as each individual) is free not to rise again but to go to perdition and carry out the Fall to its bitter bottom (as each individual can singulariter).
L96, 1945
Ces « esprits du mal » et ce « Monde » qui rejettent Dieu, Tolkien ne les a pas inventés lorsqu’il les dénonce dans ses lettres (« the world or the evil spirit » [L96, 1945]) : ce sont des notions bibliques et on peut dire que, pour Tolkien, la Machine est la manifestation planétaire de ces puissances spirituelles qui influencent le monde, et donc l’Histoire.
En effet, cette Machine, force agissant dans notre monde, est, on l’a vu, liée à la guerre (qui touche le corps) et à la torture (qui touche les esprits). Or, le légendaire de Tolkien fait apparaître les machines (« machines », « engines ») dans un contexte purement guerrier : c’est là que les « forges » apparaissent, pour fabriquer des « armes de mort et de tourment », pour imposer une « Domination » sur les corps et les esprits ; et l’instigateur de cette course aux machines fut le Mal Incarné, Morgoth, « l’Ennemi », « Le Seigneur de la magie et des machines » (!) :
The Enemy in successive forms is always 'naturally' concerned with sheer Domination, and so the Lord of magic and machines; but the problem : that this frightful evil can and does arise from an apparently good root, the desire to benefit the world and others — speedily and according to the benefactor's own plans — is a recurrent motive.
L131, 1951
Then Fingon the valiant, son of Fingolfin, resolved to heal the feud that divided the Noldor, before their Enemy should be ready for war; for the earth trembled in the Northlands with the thunder of the forges of Morgoth underground.
Silm, p.109/QS.13
Thus Beleriand in the south had a semblance of peace again for a few brief years; but the forges of Angband were full of labour.
Silm, p.160/QS.18
For they came to the seat of Morgoth in his nethermost hall that was upheld by horror, lit by fire, and filled with weapons of death and torment.
Silm, p.180/QS.19
Plus tard, Sauron, s’il n’en a pas été l’instigateur, fut le facteur déclencheur de la Seconde Chute des Hommes en faisant naître en l’homme ce « désir de pouvoir sans limite » et cette soif d’imposer « la seule domniation de sa volonté »:
Great was the anger of Ar-Pharazôn at these tidings, and as he pondered long in secret, his heart was filled with the desire of power unbounded and the sole dominion of his will […] Therefore he began in that time to smithy great hoard of weapons
Silm, p.270/Akallabêth
Et Sauron aurait eut la victoire s’il avait pu entraîner, par l’influence de l’Anneau, Elrond ou Galadriel dans une escalade de puissance et de technologique militaire :
In any case Elrond or Galadriel would have proceeded in the policy now adopted by Sauron: they would have built up an empire with great and absolutely subservient generals and armies and engines of war, until they could challenge Sauron and destroy him by force.
L246, 1963
Là apparaît un point essentiel pour Tolkien et la foi chrétienne : le libre arbitre, la liberté de choisir entre le Bien et le Mal avant qu’il ne soit trop tard, avant de s’être trop avancé sur « le chemin spacieux qui mène à la perdition » [Mt 7:13].
« Garde ton coeur plus que toute autre chose, Car de lui viennent les sources de la vie » disent les Proverbes [Pr 4:23], et Tolkien est conscient du combat invisible, du danger insidieux, au départ souvent anodin, qui se trouve en l’homme.
Ainsi, après la défaite de Sauron devant l’armée d’Elendil et de Gilgalad, « his spirit flees into the shadows », mais le mal incarné n’était pas le mal le plus à craindre ; dans l’Histoire comme dans le mythe, le danger réside dans le cœur de l’Homme, car c’est là que « le mal se met à travailler » (« But the evil begins to work » [L131, 1951]).
Quel est le but du Mal ? la destruction, destruction du monde (cf. Ainulindalë), destruction des hommes, mieux, la corruption des hommes, cette corruption qui les éloigne les uns des autres et de Dieu, qui les pousse à se détruire entre eux, les distrayant de leur véritable ennemi et les emporte dans les ténèbres :
Great was the triumph of Morgoth, and his design was accomplished in a manner after his own heart; for Men took the lives of Men, and betrayed the Eldar, and fear and hatred were aroused among those that should have been united against him.
Silm, p.195/QS.20
Encore une fois une description biblique et malheureusement récurrente dans l’Histoire :
père contre fils et fils contre père, mère contre fille et fille contre mère, belle-mère contre belle-fille et belle-fille contre belle-mère.
Le frère livrera son frère à la mort, et le père son enfant, les enfants se soulèveront contre leurs parents et les feront mourir.
Et ce sera pour beaucoup une occasion de chute, ils se trahiront, se haïront les uns les autres.
ne faisons pas comme Caïn, qui était du Malin et qui égorgea son frère. Et pourquoi l’égorgea-t-il? Parce que ses œuvres étaient mauvaises, et que celles de son frère étaient justes.
Lc 12:53, Mt 10:21, Mt 24:10, 1 Jn 3:12
Le légendaire montre que l’illusion tentatrice de Domination peut être évitée, non seulement par l’individu mais par toute une nation ; seulement il faut qu’elle recherche « la paix » en priorité :
For the Dúnedain became mighty in crafts, so that if they had had the mind they could easily have surpassed the evil kings of Middle-earth in the making of war and the forging of weapons; but they were become men of peace.
Silm, p.262/Akallabêth
Spirituellement parlant, c’est rechercher le Règne/Royaume de Dieu avant d’imposer son propre Règne/Pouvoir :
Car le royaume de Dieu, c’est non pas le manger ni le boire, mais la justice, la paix et la joie, par le Saint-Esprit.
Ro 14:17
Mais où peut donc aller le Monde alors qu’il est manifeste que son Histoire n’a rien à envier aux mythes de Tolkien qui décrivent des amoncellement d’armes, et une si grande soif de puissance dans les cœurs corrompus des hommes ? alors que les « hommes de paix » sont en nombre inférieur devant ceux qui veulent embraser les forêt et abreuver la terre du sang des frères ? Où peut aller ce jeu du « pouvoir contre le pouvoir », des « Hommes prenant le vie (d’autres) Hommes » ?
Tolkien est surpris lui-même, et le monde entier avec lui, par la réponse : l’ampleur de la Chute ne semble pas avoir de limite dans la déchéance et l’horreur :
The news today about 'Atomic bombs' is so horrifying one is stunned. The utter folly of these lunatic physicists to consent to do such work for war-purposes: calmly plotting the destruction of the world! Such explosives in men's hands, while their moral and intellectual status is declining, is about as useful as giving out firearms to all inmates of a gaol and then saying that you hope 'this will ensure peace'. […] Well we're in God's hands. But He does not look kindly on Babel-builders.
L102, 1945
L’Histoire est bien une « longue défaite » ; l’Ennemi est le Mal (le Péché avec ses effets [L153, 1954 ]) qui ronge le cœur des hommes ; des hommes pour qui, plus le Temps avance, plus l’Histoire se déroule, et plus « leur condition morale et intellectuelle décline ». Heureusement le croyant n’est pas seul dans ce Monde : il a l’assurance que quoiqu’il arrive il est « dans les mains de Dieu ».
Sosryko
PS : à suivre : B.2) Dieu demeure souverain ; à venir : C) Salut de l'Homme : une définition forte du salut et de l'histoire
PPS : merci Ylem, merci Laurent :-))
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Whaa ! Quel plaisir ! ! ! Bravo et merci :)
NB : C'est du pinaillage, et l'on pourra en rediscuter à l'occasion (car il ne s'agit pas de rompre le fil de ton passionnant exposé) ; tu parles en A) de "course au pouvoir de Morgoth" : je crois qu'il sera plus à propos de comparer nos propres courses au pouvoir à celles de Sauron, Saruman ... elles ont en commun de tout sacrifier pour obtenir le pouvoir pour lui-même, et le fait d'en disposer, parfois même pour de "justes" motivations - ah ah ah ne développons pas ici :). Pour Morgoth, j'ai le sentiment que ces courses au pouvoir et "machinisations", qu'il entretient à dessein chez ses serviteurs, ne sont pas sa véritable fin, mais les moyens les plus terrible pour parvenir à celle, ultime, de la négation d'Eru et de Son dessein pour Ses Enfants. Comme le dit Tolkien, Morgoth est un nihiliste. Le Mal Absolu ?
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Va falloir que je relise tout cela à tête reposée pour tout comprendre ;-), mais pour le moment, j'en reste sans voix, ou si peu...
Vinch'
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B.2) Dieu demeure Souverain
Donc l’Histoire, du moment que Dieu n’intervient pas, ne peut pas aller vers une fin bonne, au contraire, l’homme, abandonné à lui-même, ne peut conduire l’humanité et le monde que de déchéance en déchéance.
Heureusement, Dieu en tant que « the one wholly free Will and Agent » et « the Authority that ordained the Rules » [L156, 1954] est libre d’intervenir dans sa Création selon « one of those strange exceptions to all rules and ordinances which seem to crop up in the history of the Universe, and show the Finger of God » [L156, 1954].
Tolkien revient sur cette notion d’autorité autorisant son interventionnisme dans une autre lettre :
But the One retains all ultimate authority, and (or so it seems as viewed in serial time) reserves the right to intrude the finger of God into the story: that is to produce realities which could not be deduced even from a complete knowledge of the previous past, but which being real become part of the effective past for all subsequent time (a possible definition of a 'miracle'). »
L181, 1956
La pensée est typiquement chrétienne puisque la Bible présente Dieu comme le Seigneur « des temps et des moments » ([1Th 5 :1]) ; c’est Lui qui les « fixe de sa propre autorité » ([Ac 1 :7]). Alors, entre chaque intervention divine « du doigt de Dieu » ([Ex 8:19 ; Lc 11:20] =) dans la toile du Temps (pour juger ou pour sauver), se déploient des temps particuliers, des « âges » dirait Tolkien, où Dieu laisse aux nations qui écrivent l’Histoire toutes libertés parmi lesquelles celle de s’approcher de lui ; ce sont les temps de l’ignorance ([Ac 17:30]), de la promesse ([Ac 7:17]), du désert ([Ac 7:23]), de l’exil ([Dn 9:2]), les temps des nations ([Lc 21 :4]) …
Mais l’intervention finale, qui éradiquera le Mal qui ronge la Terre et le cœur des hommes avide de pouvoir, n’aura lieu que lorsque l’Histoire de ce mal sera achevée :
« The real theme for me is about something much more permanent and difficult: Death and Immortality: the mystery of the love of the world in the hearts of a race 'doomed' to leave and seemingly lose it; the anguish in the hearts of a race 'doomed' not to leave it, until its whole evil-aroused story is complete. »
L186, 1956
Comment comprendre l’Histoire désormais, puisque tant que Dieu n’intervient pas, elle ne peut aller vers aucun « chemin élevé » mais ne peut que se précipiter vers un « fond amer » ?
Comment comprendre le rôle de nos souffrances personnelles dans l’Histoire ?
À la première question, Tolkien tient une réponse (cf. plus loin et la partie C), à la seconde, en bon lecteur du livre de Job, il demeure silencieux devant la souveraineté de Dieu :
If we ask why God included us in his Design, we can really say no more than because He Did.
L310, 1969
Et la bonne part pour l’homme embarqué dans l’Histoire en marche, quelque sombre et terrible qu’elle puisse être, consiste à placer sa confiance en Dieu :
[…] mercy does sometimes occur in this life.
L192, 1956
We are in God's hands. Our lot has fallen on evil days: but that cannot be by mere ill chance. Take care of yourself in all due ways (aequam serva mentem, comprime linguam) ...
L61, 1944
Cette dernière citation latine (« garde un esprit calme, et retiens ta langue ») rappelle l’attitude pleine d’espérance du psalmiste ou du prophète :
Oui, c’est vers Dieu que mon âme (se tourne) en silence; De lui vient mon salut.
Il est bon d’attendre en silence le salut de l’Éternel.
Ps 62:2 ; Lm 3:26
Tolkien était extrêmement attaché à cette attitude de confiance à l’égard de Dieu, cette certitude qu’il est Bon et que « tout concourt au bien de ce qui aiment Dieu, de ceux qui sont appelés selon son dessein » [Ro 8:28] ; bien mieux : il ne me semble pas exagéré d’y voir un des fondements, si ce n’est le fondement,de sa foi :
trust in Eru the Lord everlasting, that he is good, and that his works shall all end in good.
HX, p.245
En attendant ce « bien » à venir, à la « fin des Temps », les hommes doivent faire face à la Machine et au Péché. Or, vis-à-vis du Péché, Tolkien a un discours radical ; nul homme ne peut résister au « pouvoir du Mal » :
But one must face the fact: the power of Evil in the world is not finally resistible by incarnate creatures, however 'good' ; and the Writer of the Story is not one of us.
L191, 1956
Ce discours n’est pas éloigné de celui de Paul dans l’épître aux Romains :
[…] par un seul homme le péché est entré dans le monde, et par le péché la mort, et qu’ainsi la mort a passé sur tous les hommes, parce que tous ont péché […]
Car il n’y a pas de distinction: tous ont péché et sont privés de la gloire de Dieu; et ils sont gratuitement justifiés par sa grâce, par le moyen de la rédemption qui est dans le Christ-Jésus.
Ro 5:12 ; Ro 3:23-24
Dans les deux cas, la « rédemption », cette « résistance » au Mal qui vient au secours des « créatures incarnées » « privées de la Gloire de Dieu » pour les remplir d’espérance est du seul fait de Dieu, l’ « Écrivain de l’Histoire », « Celui qui a été manifesté en chair » ([1Tm 3:16]), en Jésus-Christ, Dieu fait homme, Dieu qui vient dans l’Histoire, dans le « Drame » des hommes.
Au point que ces deux discours sont identifiés par Tolkien lui-même lorsqu’il écrit le commentaire de l’Athrabeth Finrod ah Andreth :
Finrod, however, sees now that, as things were, no created thing or being in Arda, or in all Eä, was powerful enough to counteract or heal Evil: that is to subdue Melkor (in his present person, reduced though that was) and the Evil that he had dissipated and sent out from himself into the very structure of the world.
Only Eru himself could do this. Therefore, since it was unthinkable that Eru would abandon the world to the ultimate triumph and domination of Melkor (which could mean its ruin and reduction to chaos), Eru Himself must at some time come to oppose Melkor. But Eru could not enter wholly into the world and its history, which is, however great, only a finite Drama. He must as Author always remain 'outside' the Drama, even though that Drama depends on His design and His will for its beginning and continuance, in every detail and moment. Finrod therefore thinks that He will, when He comes, have to be both 'outside' and inside; and so he glimpses the possibility of complexity or of distinctions in the nature of Eru, which nonetheless leaves Him 'The One'. […] that is to an imaginative guess or vision that Eru would come incarnated in human form.
HX, p.334-335
Ce texte nous permet d’aller plus loin dans la théologie, orthodoxe encore une fois, de Tolkien : le « Drame » qui se joue n’a, en fin de compte, qu’un seul « Auteur » et l’Histoire des Hommes « dépend de Son dessein et de Sa volonté quant à son commencement et à son déroulement, en chacun de ses détails et de ses moments ».
Les lettres de Tolkien confirme que cette affirmation du légendaire est partie intégrante de la foi de Tolkien : au-delà du simple groupe des croyants, le monde entier est « dans les mains de Dieu » ; c’est là le véritable sens de l’expression utilisée dans les lettre 102 et 61 ci-dessus.
Oui, le croyant doit être assuré que Dieu, souverain, guide sa vie, quand bien même le chemin terrestre qu’il lui demande d’emprunter n’est pas un chemin de tout repos :
But there is still some hope that things may be better for us, even on the temporal plane, in the mercy of God.
L64, 1944
My dear old Geoffrey, […]I have thought much of things since – most of them incommunicable thoughts until God brings us together again if it be only for a space.
L5, 1916
Your grandmother […] for she was a gifted lady of great beauty and wit, greatly stricken by God with grief and suffering
L44, 1941
Et oui, Dieu veille également sur les nations entières, les bénissant ou les maudissant. Ainsi Dieu peut éprouver la nation allemande qu’il abandonne à « un homme inspiré par un démon dévastateur et fou » :
People in this land seem not even yet to realize that in the Germans we have enemies whose virtues (and they are virtues) of obedience and patriotism are greater than ours in the mass. Whose brave men are just about as brave as ours. Whose industry is about 10 times greater. And who are – under the curse of God – now led by a man inspired by a mad, whirlwind, devil: a typhoon, a passion: that makes the poor old Kaiser look like an old woman knitting.
L45, 1941
L’écrivain et prophète biblique présente également Dieu comme l’Auteur de l’Histoire, au sens de celui qui conduit toutes choses, les tolère, les laisse faire, ou, au contraire, les fait cesser lorsqu’elles sont parvenu à « leur comble » ([Gn15:16, Ez 21:29, 35:5, 1Th 2:16]).
Dieu est celui qui peut bénir les peuples ([2S 6:12]), « déposséder les nations » ([Jo 23:9]) ou « les laisser en repos » ([Jg 2:23]) ; « car le règne est à l’Éternel, Il domine sur les nations » ([Ps 22:28]), lui qui « juge les peuples avec droiture » ([Ps 96:10]), « renverse le conseil des nations » ([Ps 33:10]), mais qui veut « laisser toutes les nations suivre leurs propres voies » ([Ac 14:16]).
Rien n’échappe à Dieu, le « Roi des nations » ([Ap 15:3]), pas même ce qui se passe dans l’invisible ; il sait que le Diable, le « séducteur des nations » ([Ap 20:3.8]), a jeté sur elles son dévolu.
Pourtant, il le laisse œuvrer.
Et nous, avec le texte biblique et avec Tolkien, de ne pouvoir que constater le problème du Mal :
That Sauron was not himself destroyed in the anger of the One is not my fault: the problem of evil, and its apparent toleration, is a permanent one for all who concern themselves with our world.
L211, 1958
Ce qui est certain, c’est que Dieu est bon (« he is good »), à la fois Juge et maître des Temps et des circonstances (cf. « in every detail and moment » [HX, p.334-335/ Athrabeth] ), aussi, s’« Il a fait que toutes les nations humaines, issues d’un seul (homme) habitent sur toute la face de la terre, il a [également] déterminé les temps fixés pour eux et les bornes de leur demeure » ([Ac 17:26])
Et parmi les « temps fixés », se trouve annoncé la chute de tous les tyrants, image de la « vistoire finale » sur le Péché et la Mort. Car le Mal est destiné à disparaître, par nature. Tolkien croit cela et le traduit dans son légandaire par des incarnations du Mal qui provoquent leur propre perte.
Ainsi, Morgoth est son propre ennemi :
Thus too, as oft was seen, the evil of Melkor was turned against him; for the swords of the Gnomes did him more hurt than anything under the gods upon this Earth.
HX, p.188
But he [= Morgoth] that sows lies in the end shall not lack of a harvest, and soon he may rest from toil indeed, while others reap and sow in his stead.
HX, p.95/AAm§95
Et il en est de même pour Sauron :
And in his thought which deceived him, for the liar shall lie unto himself, he believed that over the Children he might hold absolute sway and be unto them sole lord and master, as he could not be to spirits of his own kind, however subservient to himself.
HX, p.379
[Sauron] probably deluded himself with the notion that the Valar (including Melkor) having failed, Eru had simply abandoned Eä, or at any rate Arda, and would not concern himself with it any more.
HX, p.397
[l’ennemi] est très sagace, et il pèse toute chose avec précision dans la balance de sa malice. Mais la seule mesure qu’il connaisse est le désir, le désir du pouvoir, et c’est ainsi qu’il juge tous les cœurs. Dans le sien n’entrera jamais la pensée que quiconque puisse refuser ce pouvoir, qu’ayant l’Anneau, nous puissions chercher à le détruire. Si c’est notre but, nous déjouerons ses calculs.
SdA, p.298
Ainsi, le Mauvais contient la cause même de sa perte ; le diable travaille contre lui-même, incapable d’imaginer les motivations de Dieu, puisque incapable d’aimer ou de faire don de soi :
Mais chacun est tenté, parce que sa propre convoitise l’attire et le séduit. (BJ : « le leurre »)
Le SEIGNEUR s’est fait connaître, il a rendu la sentence, il prend le méchant à son propre piège.
Jc 1:14 ; Ps 9:16b (9:17b)
Vérité biblique qui permettait à Tolkien de dire à son fils :
All we do know, and that to a large extent by direct experience, is that evil labours with vast power and perpetual success – in vain: preparing always only the soil for unexpected good to sprout in.
L64, 1944
Voilà un des fondements de l’espérance du chrétien : le « vaste pouvoir » du Mal, s’il nous impressionne par ses « succés incessants » est « vain » ! Alors que « les œuvres [de Dieu] conduiront au Bien », ce « Bien inespéré qui germera » d’un « sol » actuellement meutri par « le Mal qui œuvre ».
Alors, il sera dit au croyant « le Seigneur, ton Dieu, a changé pour toi la malédiction en bénédiction, parce que l’Éternel, ton Dieu, t’aimait. » [Dt 23:5 (23-6)]
Sosryko
...pffiouu… ;-))
PS : rah, ces vacances! la majorité est à se dorer au soleil, et ceux qui restent non seulement ne sont pas foule mais sont "sans voix" ;-))
...j'ferais peut-être bien d'y aller, moi, lézarder au soleil ;-)
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@ Yyr : je ne parlais pas vraiment de la "course au pouvoir de Morgoth"; et si je traçais le parallèle entre "notre monde contemporain" ressemblant au "monde de Morgoth" c'est parce que la Machine est apparue dans le légendaire de Tolkien au temps de Morgoth et sous son initiative.
Bien entendu Sauron, dans sa recherche de pouvoir a pu faire mieux que son maître (ce serait une autre débat); mais ce qui est sûr c'est que depuis Morgoth, notre monde est allé de "raffinements" en "raffinements" quant à l'utilisation de la Machine, au point que Morgoth ou sauron seraient bien dépassés :-(
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Effectivement :-(((
Au moins tes différentes interventions, très impressionnantes, me donnent-elles une explication parfaitement limpide de « l’ambiguïté » de la vision de Tolkien dont je parlais plus haut. Thanks a lot ! Allons-donc méditer tout ça, sous ce qu'il reste de soleil ;-)
Ylem
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je ne parlais pas vraiment de la "course au pouvoir de Morgoth"; et si je traçais le parallèle entre "notre monde contemporain" ressemblant au "monde de Morgoth" c'est parce que la Machine est apparu dans le légendaire de Tolkien au temps de Morgoth et sous son initiative. Bien entendu Sauron, dans sa recherche de pouvoir a pu faire mieux que son maître (ce serait une autre débat); mais ce qui est sûr c'est que depuis Morgoth, notre monde est allé de "raffinements" en "raffinements" quant à l'utilisation de la Machine, au point que Morgoth ou sauron seraient bien dépassés :-(
Oups :) Au temps pour moi : j'ai lu que la _course au pouvoir_ dans notre monde ressemblait à celle de Morgoth, alors que tu as bien écrit que, dans sa course au pouvoir, notre _monde_ ressemblait à celui de Morgoth. Désolé, et tout à fait d'accord ;)
Heu ... mais au fait :) je suis tout de même dubitatif quand tu dis que Morgoth ou Sauron seraient aujourd'hui bien dépassés : Les orcs, oui, sans aucun doute. Sauron, peut-être, ou alors il réussirait très vite à faire encore pire, à l'aide de ces nouveaux "moyens" ... Quant à Morgoth, pourquoi en parler au conditionnel ? Il est ce "mal dans le coeur de l'homme" (ou plus exactement celui qui le sème) plus à craindre que Sauron lui-même, comme tu le dis justement. Et j'ai plutôt l'impression que c'est lui qui nous dépasse, riant sous cape en tirant les fils de ses marionnettes (ayant rompu celui, de liberté, qui les relie à Dieu), ayant magnifiquement réussi à remplacer dans le coeur de bien des hommes Dieu par le Néant, la Confiance par la peur, et l'Amour des autres par la sécurité et les intérêts nationaux.
Cf. la citation que tu donnes de l'Akallabêth ; je ne peux m'empêcher de dire à la lumière des événements actuels : Où sont les Dúnedain aujourd'hui ? ...
Yyr
PS : Qui te suit à 100% dans ce B) et qui est bien en peine de formuler beaucoup de critiques :) :) :) tellement on s'y retrouve ;)
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Merci Yyr :-))
sinon, tu as entièrement raison, j'y suis allé un peu loin en sous-estimant ainsi Melkor/Morgoth...emporté que j'ai été par l'assurance de la vanité de ses oeuvres ;-)
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la suite ;-), mais pas encore la fin; au programme : une présentation de quelques notions chrétiennes dans un dialogue avec les Lettres et les écrits de Tolkien, même si le légendaire est peu utilisé aujourd'hui.
C) Salut de l'homme, Salut d'Arda
C.1) une définition forte du Salut et de l'histoire
Si on adopte enfin la définition 'forte' du salut, la définition religieuse, celle que le Petit Robert (avec Semprini ;-)) donne comme étant un état de " Félicité éternelle ", je suis obligé de prendre une position intermédiaire entre celle de Laurent et celle de Ylem : oui, le Salut est hors de l'Histoire et pourtant, oui, il appartient à l'Histoire, car le Salut est dans le Temps et hors du Temps.
C'est qu'il faut souligner, pour notre réflexion, une notion capitale, omniprésente de la vie chrétienne qui est celle de " tension ", celle du " déjà / pas encore " du Salut et des notions qui s'y attachent, le recouvrent ou le complètent : la Vie éternelle, le Royaume de Dieu et le Monde.
Ainsi, le chrétien est un être qui vit dans le Monde ("Comme tu m'as envoyé dans le monde, moi aussi je les ai envoyés dans le monde. " [Jn 17:18]), parce qu'il doit témoigner, être une "lettre vivante", mais il doit également se tenir hors du Monde, parce qu'il doit préserver son âme, se sanctifier, "n'étant pas/plus de ce monde" (" Ils ne sont pas du monde, comme moi, je ne suis pas du monde. " [Jn 17:16])
Le Royaume de Dieu (/Royaume des Cieux) est également présenté avec des caractéristiques ambivalentes : à la fois présent dans l'Histoire (il " s'est approché de [n]ous " [Lc 10:9.11], il " est parvenu jusqu'à [n]ous " [Lc 11:20]) mais aussi dans l'attente d'être manifesté :
Car, je vous le dis, je ne la mangerai plus, jusqu'à ce qu'elle soit accomplie dans le royaume de Dieu. [...]
Car, je vous le dis, je ne boirai plus désormais du fruit de la vigne, jusqu'à ce que le royaume de Dieu soit venu.
Lc 22:16.18
Ce Royaume de Dieu (ou Règne de Dieu, le mot grec permet les deux lectures) ne s'intègre dans notre Temps, dans notre Histoire (cette Histoire précédant la manifestation de Dieu) que dans le seul cœur des hommes " nés d'en haut/de nouveau " (" En vérité, en vérité, je te le dis : si un homme ne naît de nouveau il ne peut voir le royaume de Dieu. " [Jn 3 :3] ; " Car voyez, le royaume de Dieu est au-dedans de vous. " [Luc 17:21b])
Comment en serait-il autrement puisque l'Histoire est identifiée par Tolkien avec la Domination des Hommes (" the Dominion of Men (or simple History) " = [L191, 1956]) et que, sous sa plume, 'Dominion' s'oppose à 'Realm' (Règne/Royaume) ?
Le premier en effet, très tôt dans l'histoire mythique des hommes selon Tolkien, est lié à l'exercice de la tyrannie :
Ar-Pharazôn [...] was filled with the desire of power unbounded and the sole dominion of his will
Silm, p.270/Akallabêth
alors que le second est lié, chez Tolkien, au Royaume Béni, " the Blessed Realm ", ce royaume où s'exerce l'autorité sage et légitime de Manwë ; hors le Royaume par excellence du légendaire de Tolkien est devenu mythique au sein même du mythe ! En effet, il est désormais inaccessible suite à la rébellion d'hommes dominateurs qui l'ont contraint à disparaître du monde physique :
the Blessed Realm removed for ever from the circles of the physical world. Thereafter one could sail right round the world and never find it.
L156, 1954
Ainsi, l'homme de bien ([L156]) dans les mythes de Tolkien est semblable au chrétien qui peut dire :
Car nous n'avons pas ici de cité permanente, mais nous cherchons celle qui est à venir.
Hé 13:14
En adoptant un définition identique à celle du bonheur selon Jules Renard, nous pourrions dire que " Le Royaume de Dieu, c'est de le chercher " (cf. [Mt 6:33] " Cherchez premièrement son royaume et sa justice, et tout cela vous sera donné par-dessus "), sachant qu'à celui qui aura persévéré, il lui sera donné d'y entrer :
Il y a là une preuve du juste jugement de Dieu, afin que vous soyez rendus dignes du royaume de Dieu, pour lequel vous souffrez.
2Thess 1:5
Le Royaume de Dieu est donc intimement lié au Salut qui, lui aussi, est à la fois donné et à venir ; en effet, d'une part le Salut est donné dans l'Histoire du Monde avec la venue de Jésus :
Jésus lui dit: 'Aujourd'hui le salut est venu pour cette maison, parce que celui-ci est aussi un fils d'Abraham'.
Lc 19:9
et, par la suite, Paul annoncera que quiconque se tourne vers Jésus reçoit immédiatement le salut :
Nous vous en supplions au nom de Christ : Soyez réconciliés avec Dieu ! Celui qui n'a pas connu le péché, il l'a fait (devenir) péché pour nous, afin que nous devenions en lui justice de Dieu.
Car il dit: Au temps favorable je t'ai exaucé, Au jour du salut je t'ai secouru. Voici maintenant le temps vraiment favorable, voici maintenant le jour du salut.
2Co 5:20-21 ; 2Co 6:2
Mais d'autre part, il n'en reste pas moins vrai qu'il faut combattre spirituellement pour conserver ce salut reçu lors de la conversion pour qu'il devienne effectif après la mort, dans l'éternité :
Vous serez haïs de tous à cause de mon nom; mais celui qui persévérera jusqu'à la fin sera sauvé.
D'autant que vous savez en quel temps nous sommes : c'est l'heure de vous réveiller enfin du sommeil, car maintenant le salut est plus près de nous que lorsque nous avons cru.
Mt 10:22 ; Ro 13:11
Dans d'autres textes, apparaît la notion complémentaire du Salut qui est la Vie éternelle. Là encore, puisque " Dieu nous a donné la Vie éternelle " ([1Jn 5:11]), les croyants la possèdent par la foi :
Cela, je vous l'ai écrit, afin que vous sachiez que vous avez la vie éternelle, vous qui croyez au nom du Fils de Dieu.
1 Jean 5:13
Toutefois, d'autres passages nous rappellent qu'elle ne deviendra complètement manifeste et définitive que dans " le siècle à venir " ([Lc 18:30]), et qu'il faut, pour en " hériter " ([Mc 10:17 et //]), demeurer fidèle pour être trouvé dans un état de cœur digne de la recevoir :
Maintenez-vous dans l'amour de Dieu, en attendant la miséricorde de notre Seigneur Jésus-Christ pour la vie éternelle.
Jude 1:21
Ainsi, le Dieu éternel, le " roi des siècles " ([1Ti 1:17; Ps 145:13]) en créant l'homme à son image, a mis dans son cœur la " pensée de l'éternité " ([Ec 3:11]). Par l'incarnation, il s'est abaissé jusqu'à nous dans le temps, pour nous amener à partager avec lui " la Vie, pour l'éternité " ([Ps 133:3]). La prière du croyant est donc qu'il le conduise ainsi sur " le chemin d'éternité " ([Ps 139:24]) et le reçoive par sa grâce dans son " royaume éternel " ([2Pi 1:11]).
Dans notre présentation est apparue la personne essentielle, lien entre le Ciel et la Terre, entre Dieu et l'Histoire des hommes, Jésus, sans qui la foi chrétienne n'a pas de sens.
Car c'est en Jésus Christ que nous avons, maintenant, dans ce monde, dans cette Histoire, dans ce Temps, " l'assurance d'un libre accès " ([Hé 10:19]) au salut, à la Vie éternelle, dans le Royaume de Dieu :
Car le salaire du péché, c'est la mort; mais le don gratuit de Dieu, c'est la vie éternelle en Jésus Christ, notre Seigneur.
Il n'y a donc, maintenant, plus aucune condamnation pour ceux qui sont en Jésus Christ.
avec lui, il nous a ressuscités et fait asseoir dans les lieux célestes, en Jésus Christ.
Ro 6:23 ; Ro 8:1 ; Eph 2:6
Tolkien est conscient de ce grand " mystère " : l'irruption de " l'Incarnation de Dieu " ([L181, 1956]) dans l'Histoire pour guérir, sauver et remplir d'espérance.
On pourra certes relever que Tolkien fait beaucoup moins souvent référence au Fils qu'au Père ; Dieu, le Créateur, bénéficiant de pas moins de 35 mentions dans l'Index des Letters et Jésus-Christ seulement de 13. Mais il ne faut pas s'arrêter à de tels comptes : les lettres de Tolkien ne forment pas une somme théologique, et surtout, certains passages consacrés à Jésus manifestent suffisamment toute l'importance que Tolkien attachait à la rédemption de la Croix :
[...] the love of the Father and the Son (who are infinite and equal) [...]
L89, 1944
It takes a fantastic will to unbelief to suppose that Jesus never really 'happened', and more to suppose that he did not say the things recorded of him - so incapable of being 'invented' by anyone in the world at that time : such as 'before Abraham came to be Iam' (John viii). 'He that hath seen me hath seen the Father' (John ix); or the promulgation of the Blessed Sacrament in John v: 'He that eateth my flesh and drinketh my blood hath eternal life'.
L250, p.338, 1963
Now I pray for you all, unceasingly, that the Healer (the Hælend as the Saviour was usually called in Old English) shall heal my defects [...]
L250, 1963
Jésus est donc la source du Salut pour le chrétien ; mais le salut d'hier - tout comme le salut de mon prochain, ne sera jamais mon salut aujourd'hui (" aujourd'hui est le jour du salut ", " maintenant [...] pour ceux qui sont en Jésus-Christ ") et ne pourra être assurance du Salut à venir que sous réserve que je veille sur mon cœur, que je garde la foi (" J'ai combattu le bon combat, j'ai achevé la course, j'ai gardé la foi. " [Pr 4:23]; [2 Tm 4:7])
Tolkien, fidèle catholique qui marchait dans " l'espérance de la gloire " ([Ro 5:2]), de cette " gloire à venir " ([Ro 8:18]), avait compris sa part de responsabilité qui lui incombait pour garder cette espérance.
Il suffit, pour s'en convaincre, de lire les encouragements qu'il prodigue à ses fils, Christopher et Michael, tout en les avertissant sans équivoque à " demeurer ferme /tenir bon dans le Seigneur " ([1Thess 3:8]) :
Remember your guardian angel. [...] But of course do not grow weary of facing God, in your free right and strength [...]. If you cannot achieve inward peace, and it is given to few to do so (least of all to me) in tribulation, do not forget that the aspiration for it is not a vanity, but a concrete act. I am sorry to talk like this, and so haltingly. But I can do no more for you dearest. ...
L54, 1944
But the act of will of faith is not a single moment of final decision : it is a permanent indefinitely repeated act > state which must go on - so we pray for 'final perseverance'. The temptation to 'unbelief (which really means rejection of Our Lord and His claims) is always there within us.
L250, 1963
And you were so special a gift to me, in a time of sorrow and mental suffering, and your love, opening at once almost as soon as you were born, foretold to me, as it were in spoken words, that I am consoled ever by the certainty that there is no end to this. Probable under God that we shall meet again, 'in hale and in unity', before very long, dearest, and certain that we have some special bond to last beyond this life - subject of course always to the mystery of free will, by which either of us could throw away 'salvation'. In which case God would arrange matters differently! ...
L64, 1944
Ainsi, à la "victoire finale" ([L195]) de Dieu doit correspondre "la persévérance finale" ([L250]) de l'homme pour que la fin de l'Histoire soit synonyme de Vie éternelle.
En attendant cette Fin, les chrétiens, disciples de Christ, savent que " les jours sont mauvais " ([Eph 5:16]), mais, loin d'y voir une raison pour se retirer dans une quelconque attente passive qui consisterait à laisser l'Histoire avancer inexorablement, il y trouvent l'occasion de " mettre à profit le temps présent " ([Eph 5:16]), se disant : " tant que nous disposons de temps, travaillons pour le bien de tous " ([Ga 6:10]).
Plutôt que de se lamenter, l'évangile demande aux croyants de se tenir éveillés, dans une attente confiante, et de participer, en étant des disciples dans le Monde, à l'achèvement de l'Histoire : " Attendez et hâtez l'avènement du jour de Dieu. " encourage Pierre [2 Pi 3:12]. Et si, dans une contradiction avec ce qui précède qui n'en est pas une, Paul avertit que les temps sont " courts " ([1Co 7 :29]), et qu'il faut donc " Rachete[r] le temps " ([Col 4 :5]), c'est que " l'esprit du monde " ([1Co 2 :12]) est à l'œuvre " afin de nous réduire en servitude " ([Ga 2:4]) ; il faut donc rester " sobres [et] Veille[r]! [car L'] adversaire, le diable, rôde comme un lion rugissant, cherchant qui dévorer. "
Tolkien, à plusieurs reprises, a désigné les périodes qu'il a vécu, qui l'ont précédé et qui l'attendaient comme des " âges sombres " " dans un monde maléfique " (" in an evil world " [L64, 1944]) :
We were born in a dark age out of due time (for us).
L52, 1943
As in the former dark age
L79, 1944
we should enter a dark age
L181, 1956
Et si je n'ai pas trouvé, dans les écrit de Tolkien, une référence explicite à ce désir de voir se réaliser la fin de l'Histoire, véritable cri d'espérance des premiers chrétiens (" Marana tha " [1Co 16:22] = " Viens ! Seigneur " [Ap 22:21]), en maintes occasions apparaît dans ses lettres sa vie de prière, preuve qu'il avait conscience du besoin de se tenir " éveillé " pour " faire face au mal ", que ce mal soit " historique " :
And though we need all our natural human courage and guts (the vast sum of human courage and endurance is stupendous, isn't it?) and all our religious faith to face the evil that may befall us (as it befalls others, if God wills) still we may pray and hope. I do.
L64, 1944
Ou que ce mal soit " existentiel " ( Cf. " Veillez et priez afin de ne pas tomber au pouvoir de la tentation " [Mc 14:38]) :
we pray for 'final perseverance'. The temptation to 'unbelief' (which really means rejection of Our Lord and His claims) is always there within us.
L250, 1963
Toutefois, rien ne serait plus faux que de penser que la foi de Tolkien était une foi triste, minée par les troubles du monde et de l'histoire ; Tolkien se souvenait de l'invitation de Paul aux Éphésiens : " entretenez-vous par des psaumes, des hymnes et des cantiques spirituels; chantez et célébrez le Seigneur de tout votre cœur " [Eph 5:19] et, appliquant cette règle de vie spirituelle, il pouvait transmettre ce conseil, en temps de guerre, à l'adresse de son fils :
If you don't do so already, make a habit of the 'praises'. I use them much (in Latin): the Gloria Patri, the Gloria in Excelsis, the Laudate Dominum; the Laudate Pueri Dominum (of which I am specially fond), one of the Sunday psalms; and the Magnificat; also the Litany of Loretto (with the prayer Sub tuum praesidium). If you have these by heart you never need for words of joy.
L54, 1944
Sosryko
PS : C2) le Règne des Hommes - C3) la Victoire Finale
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C.2) Le Règne des Hommes.
Dans son légendaire, Tolkien présente l’histoire du Seigneur des Anneaux comme « le ‘mythe’ qui devient Histoire ou Domination des Hommes » tout en annonçant que sa fin n’inaugurait pas un monde de « félicité éternelle » mais annonçait simplement le notre avec son retour de « l’Ombre », image d’un Mal toujours plus pervers et d’apparence vertueuse jusqu’à la « grande Fin » :
But they were still living on the borders of myth – or rather this story exhibits 'myth' passing into History or the Dominion of Men; for of course the Shadow will arise again in a sense (as is clearly foretold by Gandalf), but never again (unless it be before the great End) will an evil daemon be incarnate as a physical enemy; he will direct Men and all the complications of half-evils, and defective-goods, and the twilights of doubt as to sides, such situations as he most loves (you can see them already arising in the War of the Ring, which is by no means so clear cut an issue as some critics have averred): those will be and are our more difficult fate.
L156, 1954
La suite du passage de cette lettre est également intéressante car elle permet de comprendre comment les mythes développés dans le monde légendaire de Tolkien peuvent servir pour illustrer sa foi et son regard sur notre monde (et inversement) :
But if you imagine people in such a mythical state, in which Evil is largely incarnate, and in which physical resistance to it is a major act of loyalty to God, I think you would have the 'good people' in just such a state: concentrated on the negative: the resistance to the false, while 'truth' remained more historical and philosophical than religious.
L156, 1954
On pourrait pourtant douter que Tolkien connotait négativement cette période qui ouvre l’Histoire et qu’il appelle la « Domination des Hommes ». Mais comment en serait-il autrement puisque dès le Second Âge a lieu la « Seconde Chute » des Hommes, chute dans laquelle il distingue trois stades :
There are three phases in their fall from grace. First acquiescence, obedience that is free and willing, though without complete understanding. Then for long they obey unwillingly, murmuring more and more openly. Finally they rebel – and a rift appears between the King's men and rebels, and the small minority of persecuted Faithful.
L131, 1951
Intéressant est le commentaire de Tolkien sur le second stade :
In the second stage, the days of Pride and Glory and grudging of the Ban, they begin to seek wealth rather than bliss. The desire to escape death produced a cult of the dead, and they lavished wealth and an on tombs and memorials. They now made settlements on the west-shores, but these became rather strongholds and 'factories' of lords seeking wealth, and the Númenóreans became tax-gatherers carrying off over the sea evermore and more goods in their great ships. The Númenóreans began the forging of arms and engines.
L131, 1951
L’éloignement des hommes de Dieu les a conduit à remplir le vide de leur âme par l’accumulation de richesses, une fuite en avant dans le matérialisme ; et ce n’est pas un hasard si ce besoin d’amasser toujours plus aboutit à envisager la guerre, soit pour défendre ses richesses (discours justificatif) soit pour prendre par la force les richesses du voisin (conséquence inévitable de l’accumulation de richesses et de puissance). On retrouve ce « mécanisme » dans le texte même du Silmarillion :
But for all this Death did not depart from the land, rather it came sooner and more often, and in many dreadful guises. For whereas aforetime men had grown slowly old, and had laid them down in the end to sleep, when they were weary at last of the world, now madness and sickness assailed them; and yet they were afraid to die and go out into the dark, the realm of the lord that they had taken; and they cursed themselves in their agony. And men took weapons in those days and slew one another for little cause; for they were become quick to anger, and Sauron, or those whom he had bound to himself, went about the land setting man against man, so that the people murmured against the King and the lords, or against any that had aught that they had not; and the men of power took cruel revenge.
Nonetheless for long it seemed to the Númenóreans that they prospered, and if they were not increased in happiness, yet they grew more strong, and their rich men ever richer. For with the aid and counsel of Sauron they multiplied then: possessions, and they devised engines, and they built ever greater ships. And they sailed now with power and armoury to Middle-earth, and they came no longer as bringers of gifts, nor even as rulers, but as fierce men of war.
Silm, p.274/Akallabêth
Cette critique du matérialisme, conséquence du rejet de Dieu pour se laisser diriger par le « matérialisme scientifique » ([L96]), non seulement pousse « l’homme contre l’homme », faisant du « conseil de Sauron » un triomphe digne du « triomphe de Morgoth » (Cf. B1, [Mt 10:21]), mais rappelle également la critique des prophètes à l’encontre de Babylone :
parce que toutes les nations ont bu du vin de la fureur de son inconduite; que les rois de la terre se sont livrés à l’inconduite avec [Babylone], et que les marchands de la terre se sont enrichis par la puissance de son luxe.
Alors un ange puissant prit une pierre semblable à une grande meule, et il la jeta à la mer, en disant: Ainsi sera précipitée avec violence Babylone, la grande ville, et on ne la trouvera plus. (…) Car tes marchands étaient les grands de la terre, toutes les nations ont été séduites par tes sortilèges
Ap 18:3, 18:21.23b
On retrouve Babylone, « la grande ville », l’orgueilleuse Babel, symbole du Monde qui s’oppose à Dieu. Une symbolique qui n’avait pas échappée ni à Ellul (« Babylone est non seulement signe de toutes les villes, mais aussi du monde. » dans Sans feu ni lieu, p.121), ni à Tolkien qui était attaché à cette image :
Well we're in God's hands. But He does not look kindly on Babel-builders.
L102, 1945
Au point qu’on peut se demander s’il n’avait pas alors à l’esprit, lui qui écrivait que Dieu pouvait « maudire » une nation ([L45]), la parole de Jérémie :
Babylone était dans la main de l’Éternel une coupe d’or, Qui enivrait toute la terre; Les nations ont bu de son vin: C’est pourquoi les nations ont déraisonné.
Jr 51:7
En ces temps troublés où les « Big Folk » ([L77]) et la mentalité de la Machine ont « asservi » les nations et envahi la terre pour la transformer en une vaste et unique ville, Babel, pour des raisons officielles (liberté et démocratie) qui ne le dupent pas, Tolkien, plutôt que de se laisser séduire par les illusions d’un discours progressiste, aurait tendance à se souvenir des mots de l’Ecclésiaste :
Ce qui a été, c’est ce qui sera, et ce qui s’est fait, c’est ce qui se fera, il n’y a rien de nouveau sous le soleil.
Ec 1:9
A small knowledge of history depresses one with the sense of the everlasting mass and weight of human iniquity: old, old, dreary, endless repetitive unchanging incurable wickedness. All towns, all villages, all habitations of men — sinks! And at the same time one knows that there is always good: much more hidden, much less clearly discerned, seldom breaking out into recognizable, visible, beauties of word or deed or face – not even when in fact sanctity, far greater than the visible advertised wickedness, is really there. But I fear that in the individual lives of all but a few, the balance is debit – we do so little that is positive good, even if we negatively avoid what is actively evil. It must be terrible to be a priest! ...
L69, 1944
Si cette Histoire, ce Règne des Hommes sont tellement sombres, pourquoi durent-ils si longtemps ?
C’est que l’Histoire a un but, orientée qu’elle est vers « la victoire finale ».
Sosryko
And examining my conscience I had to confess that – as one who has worked alone in a corner and only had the criticism of a few like-minded friends – I was moved greatly by the desire to hear from a fresh mind whether my labour had any wider value, or was just a fruitless private hobby. ;-)
L123, 05.02.1950
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Bravo et merci à toi Sosryko pour cet extraordinaire travail ! J'attend avec impatience le dernier chapitre pour imprimer tout cela et le relire avec toute l'attention qu'un tel document mérite :)
Amicalement
Arwen
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Pour ma part ( en tant qu' athée ), le texte ( Silm, p274/Akallabêth )est moins une critique du materialisme que d' une de ses habituelles perversions: un classique " capitalisme sauvage ", et de la soif de pouvoir qui le sous-tend !
Tolkien, dans sa lettre ( Letters, #96, Harper & Collins, 1981 ), laissant, par ailleurs, transparaître le peu d' intérêt qu' il accorde à la " chose politique ", en mêlant, dans sa définition du " materialisme ", "..mechanism, " scientific " materialism, Socialism in either of its factions now at war ... ( sic ! )...!!!
En effet, voir dans le nazisme un quelconque " socialisme " démontre une certaine confusion politique...Le National-Socialisme n' ayant qu' un très lointain rapport avec quelque socialisme que ce fut ! :)
L' époque, et l' intitulé du parti d' Adolf, y étant, peut-être, pour quelque chose...Le dernier paragraphe de sa lettre étant, à ce propos, dramatiquement révélateur de la manière dont Tolkien appréhendait les événements :
I have just heard the news......Russians 60 miles from Berlin. It does look as if something decisive might happen soon. The appalling destruction and misery of this war mount hourly: destruction of that should be ( indeed is ) the common wealth of Europe, and the world, if mankind were not so besotted, wealth the loss of which will affect us all, victors or not. Yet people gloat to hear of the endless lines, 40 miles long, of miserable refugees, women and children pouring West, dying on the way. There seem no bowels of mercy or compassion, no imagination left in this dark diabolic hour. By which I do not mean that it may not all, in the present situation, mainly ( not solely ) created by Germany, be necessary and inevitable But why gloat ! We are supposed to have reached a stage of civilization in which it might still be necessary to execute a criminal, but not to gloat, or to hang his wife and child by him, while the orc-crod hooted The destruction of Germany, be it 100 times merited, is one of the most appalling world- catastrophes. Well, well - you and I can do nothing about it. And that shd, be a measure of the amount of guilt that can justly be assumed to attach to any member of a country who is not a member of its actual Government. Well the first War of the Machines seems to be drawing to its final inconclusive chapter - leaving, alas, everyone the poorer, many bereaved or maimed and millions dead, and only one thing triumphant: the Machines. As the servants of the Machines are becoming a privileged class, the Machines are going to be enormously more powerful. What ' s their next move ?
...All the love of your own father.
Un beau condensé de la pensée du vieux prof...Isn' t ?!
TB
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…Absolument d'accord avec toi, TB (= voilà un beau condensé de la pensée du prof) puisqu'il s'agit du tout premier texte que je cite en A1), donc (beaucoup) plus haut que [Silm, p.274], pour introduire la notion de "Machine" ! ! :-))
Que Tolkien ait eu une idée floue de la "chose politique", c'est évident, vu qu'il ne se sentait absolument aucune communion avec l’esprit de son siècle dont il liste en [L96] les quelques aspects que tu as relevés « ..mechanism, " scientific " materialism, Socialism in either of its factions now at war ... »
Pourquoi une telle confusion ?
Et puis surtout, de quelle confusion parle-t-on ?
Va-t-on lui reprocher de ne pas vouloir « choisir entre Hitler et Staline » ?
Assurément il n’aurait pas répondu à cette question d’Ardisson ! ! ;-)
Il ne s’agit pas là d’une confusion politique car il ne s’agit pas d’une déclaration politique…il s’agit d’une position religieuse : si on reprend la phrase de la Lettre 96 qui se termine par cette énumération, ce que j’ai appelé « l’esprit de son siècle », il l’appelle « le monde ou l’esprit maléfique » (« world or the evil spirit »), ce monde qui demande la soumission « du cœur et de la volonté » des « Saints »…on est loin donc d’une déclaration politique, mais bien dans une projection dans le futur, un futur eschatologique …mais comme je reviendrai sur ce passage, et qu’il est tard, j’en reste là pour l’instant ;-))
Quant à la « confusion politique », si, à tout prix, on veut y revenir…elle est parfaitement volontaire !
National-socialisme et Communisme pour Tolkien étaient des ennemis de la foi ! de plus on sait bien que le communisme était considéré par l’église catholique comme un ennemi plus dangereux que le nazisme puisque communisme signifiait athéisme…
mais...il est vraiment trop tard :-(
je devrai revenir sur ce point une autre fois, promis!
Sosryko
PS : un Tolkien qui, à l'époque de cette dernière lettre citée (30/01/45), vient juste d'avoir 53 ans, il est professeur depuis 20 ans (1924) et le sera encore pendant 14 ans...soyons généreux, ne le taxons pas d'être déjà, en 1945, un "vieux prof" ;-)
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C.3) La victoire finale
Il me semble que Tolkien croit à une fin de l'Histoire, ce qui se rapproche d'une philosophie de l'Histoire, laquelle ne croit en un progrès que dans la mesure où l'on se rapproche du salut.
Oui, Tolkien croit en une fin de l’histoire, doublement même : il croit en une fin de l’histoire qui « le rapproche du salut », mais également en un but de l’histoire, autrement dit en une histoire du Salut, conduite par Dieu « notre Sauveur, qui veut que tous les hommes soient sauvés et parviennent à la connaissance de la vérité. » [1 Tm 2:3-4]
L’Histoire, dans cette conception du salut, devient le lieu et la durée où la patience de Dieu s’exerce, le lieu où le temps s’écoule, entre l’expulsion d’un Paradis suite à la Chute, et le jour de la manifestation du Créateur (« One God Creator » = [HX,p.330]), à la fois Juge (« One Judge » = [L86, p.97]) et Sauveur (« Saviour » [L250, p.340]).
Dans cette espace et cette durée, « nous qui sommes tous ‘dans le même bateau’ devons nous abstenir de prendre la place du Juge » écrit Tolkien ([L181, p.234]) ; comprenons qu’il n’est pas de notre capacité de « damner » notre prochain, de condamner le comportement de l’autre face à la tentation et donc de juger de son Salut. Seul Dieu en a le droit.
À nouveau une pensée toute biblique puisque Paul demande la même humilité aux chrétiens de l’église de Corinthe :
C’est pourquoi ne jugez de rien avant le temps, avant la venue du Seigneur, qui mettra en lumière ce qui est caché dans les ténèbres, et qui manifestera les desseins des cœurs. Alors la louange de chacun viendra de la part de Dieu.
1Co 4:5
Si « l’avènement du jour de Dieu » ([2P 3:12]), qui verra l’établissement « de nouveaux cieux et une nouvelle terre où la justice habitera » (v.13), peut sembler tarder, c’est que Dieu « use de patience envers [les hommes] » (v.9), Dieu pour qui « un jour est comme mille ans et mille ans sont comme un jour » (v.8), Dieu dont la « patience » est source de « salut » (v.15), car « il ne veut pas qu’aucun périsse, mais (il veut) que tous arrivent à la repentance. » (v.9)
Mais que personne ne doute, si Jean associe connaissance de Dieu et Vie éternelle ([Jn 17:3]), le prophète Osée, lui, associe cette même connaissance à la venue de Dieu car c’est elle qui fera entrer le croyant dans l’éternité ; et cette « venue est aussi certaine que celle de l’aurore. Il viendra pour nous comme une ondée, Comme la pluie du printemps qui arrose la terre. » ([Os 6:3]). Cette certitude d’une vie éternelle après « la grande Fin » ([L156]), nous la retrouvons chez Tolkien :
There is a place called 'heaven' where the good here unfinished is completed; and where the stories unwritten, and the hopes unfulfilled, are continued.
L45, 1941
Laurent écrivait qu’il avait « du mal à concevoir la "victoire finale" selon Tolkien comme un fait historique. » C’est que, selon lui, cette « victoire finale » est hors du Temps, hors de la « temporalité qu'impliquait la Chute par le biais de la mort. »
Mais deux choses :
(a) premièrement, pour Tolkien, l’Histoire ne commence pas avec la Chute puisqu’il adopte une lecture semi-historique du Jardin d’Eden :
But partly as a development of my own thought on my lines and work (technical and literary), partly in contact with C.S.L., and in various ways not least the firm guiding hand of Alma Mater Ecclesia, I do not now feel either ashamed or dubious on the Eden 'myth'. It has not, of course, historicity of the same kind as the NT, which are virtually contemporary documents, while Genesis is separated by we do not know how many sad exiled generations from the Fall, but certainly there was an Eden on this very unhappy earth. We all long for it, and we are constantly glimpsing it: our whole nature at its best and least corrupted, its gentlest and most humane, is still soaked with the sense of 'exile'. […] As far as we can go back the nobler pan of the human mind is filled with the thoughts of sibb, peace and goodwill, and with the thought of its loss.
L96, 1945
(b) De plus, à la suite de ce passage, Tolkien adopte une lecture tout aussi semi-historique du « millenium » :
Still I think there will be a 'millenium', the prophesied thousand-year rule of the Saints, i.e. those who have for all their imperfections never finally bowed heart and will to the world or the evil spirit (in modern but not universal terms: mechanism, 'scientific' materialism. Socialism in either of its factions now at war).
L96, 1945
Ces lectures littérales, chez Tolkien, de l’Eden comme du millenium, sont tout à fait cohérentes avec cette affirmation de foi :
His words are always to be understood litterally.
L250, 1963
De ce fait, nous ne devrions pas avoir de « mal à concevoir la "victoire finale" selon Tolkien comme un fait historique. »
Une « victoire finale » marque à la fois l’achèvement de l’histoire de ce monde et le début du « monde à venir » ([Mc 10:30, Ep 1:21, He 2:5, …]), car Tolkien est assuré que le Paradis perdu n’est que « l’ombre des choses à venir » ([Col 2:17]) pour celui qui marche sur le « chemin de la repentance » :
We shall never recover [Eden], for that is not the way of repentance, which works spirally and not in a closed circle; we may recover something like it, but on a higher plane. (…) Of course, I suppose that, subject to the permission of God, the whole human race (as each individual) is free not to rise again but to go to perdition and carry out the Fall to its bitter bottom (as each individual can singulariter). And at certain periods, the present is notably one, that seems not only a likely event but imminent.
L96, 1945
Ce « chemin de la repentance » dont parle Tolkien repose finalement sur un choix de l’homme comme de l’humanité pour s’élever ou s’abaisser et trouve son prolongement dans les remarques de Lamorte ou de Cullman à propos de la vision biblique du Temps :
L’expression symbolique du temps biblique est une conception linéaire ascendante, car la ligne qui part de la création a son but situé... en Dieu
A. Lamorte, Le Problème du Temps dans le Prophétisme biblique, Beatenberg, 1960, p. 108, et passim
[Ce but] imprime à l’ensemble de l’histoire, qui se réalise tout au long de cette ligne, un mouvement d’élévation vers lui.
O. Cullmann, Christ et le Temps, Delachaux, 1947
Pour filer l’image de Tolkien, Le Temps de l’Histoire, qu’elle soit individuelle, collective, nationale ou mondiale n’est pas un « cercle » mais une « spirale ». Un Temps toutefois qui n’a pas la même valeur pour chacun, une spirale qui n’a pas le même sens pour tout le monde. Une certitude : que cette spirale soit ascendante (la spirale de la « repentance » qui conduit à un « plan plus élevé ») ou bien descendante (la spirale de la « Chute » qui « conduit à la perdition »), cette spirale, tel l’escalier d’une ziggourat spirituelle, conduit l’humanité vers sa fin (la rencontre avec le Dieu Créateur [L153, L310]), et le croyant vers son but (la rencontre avec son Sauveur [L250,1963])
Mais revenons au caractère « historique » de la « victoire finale ».
Ayant déjà constaté au cours de cette étude combien le légendaire de Tolkien contenait une image de sa pensée de l’histoire et du salut, tournons nous alors vers l’expression de cette victoire finale dans le monde de la Terre du Milieu, victoire qui se cristallise autour du « Salut » d’Arda, matérialisation physique du Salut des Hommes.
Arda, voilà une entité du légendaire qui mériterait à elle seule une étude entière.
Contentons nous, ici de rappeler que le « Royaume de la Terre » (« realm », c’est la signification d’Arda [HX, p.358] + [Silm, p.26/Valaquenta]), alors que la Vision l’annonçait pour être créé sans tâche (Arda Unmarred), est apparu souillé et blessé « dès le commencement » ([1Jn 3:8]), par la dissonance introduite par Melkor dans la Grande Musique. Le monde physique, le lieu de l’Histoire, a donc toujours été Arda Marred, Arda la Meurtrie, Arda la Salie. La victoire finale consiste donc, dans le légendaire, dans l’accomplissement de l’œuvre initialement bonne d’Eru, soit la guérison des blessures que Melkor a infligées au « Royaume » qui deviendra Arda la Guérie, Arda Envinyanta. Mais quant à son statut dans temporel (dans un autre âge de notre Temps physique ou bien hors du Temps ?), Tolkien lui-même refusait de prendre position comme, par exemple en ce passage :
Men will also 'fade', if it proves to be the plan that things shall still go on, when they have completed their function. But even the Elves had the notion that this would not be so: that the end of Men would somehow be bound up with the end of history, or as they called it 'Arda Marred' (Arda Sahta), and the achievement of 'Arda Healed' (Arda Envinyanta). (They do not seem to have been clear or precise - how should they be! - whether Arda Envinyanta was a permanent state of achievement, which could therefore only be enjoyed 'outside Time', as it were: surveying the Tale as an englobed whole; or a state of unmarred bliss within Time and in a 'place' that was in some sense a lineal and historical descent of our world or 'Arda Marred'. They seem often to have meant both. […])
HX, p.405/MythsT.VII, voir également HX, p.251-252
S’il reste vague sur la situation d’Arda Envinyanta (= Arda Healed # Arda Unmarred [HX, p.251]) une remarque dans ses lettres pourrait faire pencher vers la seconde hypothèse : en [/, 1963], Tolkien écrit que Frodo est parti pour « Arda Unmarred » pour guérir de blessures qui ne peuvent être guéries « sur terre, ou dans le Temps » :
'Alas! there are some wounds that cannot be wholly cured', said Gandalf (III 268) – not in Middle-earth. Frodo was sent or allowed to pass over Sea to heal him – if that could be done, before he died. He would have eventually to 'pass away': no mortal could, or can, abide for ever on earth, or within Time. So he went both to a purgatory and to a reward, for a while: a period of reflection and peace and a gaining of a truer understanding of his position in littleness and in greatness, spent still in Time amid the natural beauty of 'Arda Unmarred', the Earth unspoiled by evil.
Bilbo went too. […] it is difficult to imagine a hobbit, even one who had been through Frodo's experiences, being really happy even in an earthly paradise without a companion of his own kind, and Bilbo was the person that Frodo most loved.
L246, 1963
Mais il me semble plus juste de penser qu’il ne faut pas trancher : de même que le Tabernacle puis le Temple étaient les représentations physiques (dans ce monde et dans ce temps) d’un plan céleste (hors du monde et hors du temps) montrées par Dieu à Moïse puis à David, de même que la Jérusalem ‘Céleste’ est destinée à prendre corps dans « un nouveau ciel et une nouvelle terre », de même il ne me semble pas illusoire de penser qu’Arda la Guérie est à la fois hors du Temps (l’Arda de la Vision, Arda Unmarred) et destinée à prendre corps en étant façonnée par les « hommes bons » (« 'good Men' – families and their chiefs who rejecting the service of Evil » = [L131]).
L’application de ces légendes quant au but que Tolkien attribuait à l’Histoire est donc qu’à la « Fin des temps », notre monde (Arda Marred) « sera libéré de la servitude de la corruption » (Arda Healed ; [Ro 8:21]) à partir du ‘souvenir’ de l’Eden perdu (Arda Unmarred). Nous en aurons confirmation plus loin.
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"And now....the conclusion :-))
Par contre, une chose sûre à mon sens : pour Tolkien, Arda Healed n’est pas ‘figée’, de même que le salut n’est pas statique. Tolkien, je pense, tenait à cette notion de « progrès ». Progression (vers le haut ou vers le bas) de l’histoire qui nous conduit à Dieu, mais aussi progrès dans la Vie éternelle, envisagée non pas comme un état de béatitude sans horizon, mais comme un mouvement de l’âme, « transformée en la même image [que celle de Dieu], de gloire en gloire » [2Co 3:18]. Un premier indice se trouve dans le fait que si Arda Guérie (« Arda Healed (or Remade) » [HX, p.251]) ou « New Arda » [HX, p.251.252] est une Terre exempte de la corruption originelle introduite dans la création par Melkor tout comme Arda Unmarred, elle est également « plus grande » qu’Arda Unmarred ; l’Arda à venir est « plus grande » que l’Arda telle qu’elle avait été conçue initialement ([HX, 351]).
De plus, c’est certainement ce rejet d’une félicité toute statique qui montre Tolkien se refusant à imaginer (ou à proposer) « un monde secondaire » où la Vision serait entièrement achevée ; et cette ouverture qui découle d’une telle pensée de « l’achèvement » envisagé comme participation active et progrès se traduit dans les textes légendaires par l’ignorance totale des Valar quant à « la fin du Monde » ou concernant le « monde à venir » après la fin dernière de Melkor :
But even as Ulmo spoke, and while the Ainur were yet gazing upon this vision, it was taken away and hidden from their sight; and it seemed to them that in that moment they perceived a new thing, Darkness, which they had not known before except in thought. But they had become enamoured of the beauty of the vision and engrossed in the unfolding of the World which came there to being, and their minds were filled with it; for the history was incomplete and the circles of time not full-wrought when the vision was taken away. And some have said that the vision ceased ere the fulfilment of the Dominion of Men and the fading of the Firstborn; wherefore, though the Music is over all, the Valar have not seen as with sight the Later Ages or the ending of the World.
Silm, p.19-20/Ainulindalë
D’où les Valar d’encourager les hommes de Númenor quant à l’avenir d’Arda en leur disant :
Hope (…) that in the end even the least of your desires shall have fruit. The love of Arda was set in your hearts by Ilúvatar, and he does not plant to no purpose. Nonetheless, many ages of Men unborn may pass ere that purpose is made known; and to you it will be revealed and not to the Valar.
Silm, p.265/Akallabêth
Enfin, Tolkien relevant si souvent l’aspect Créateur d’Eru, je trouve cohérent de penser que la Vision ne sera jamais achevée, parce que les Enfants d’Eru, à l’image d’Eru, ne pourront jamais se passer de créer.
Donc oui, Semprini a raison de dire que les chrétiens espèrent une « félicité éternelle [qui] règnera pour les élus », mais l’expression (non biblique) a toujours laissé entendre un état de contemplation passive qui me semble bien éloignée de la conception du Salut selon Tolkien ; lequel est un salut « organique » : un Salut des Hommes qui passe par le Salut de la Terre, un Salut de la Terre qui passe par le Salut des Hommes.La foi millénariste de Tolkien pourrait, une fois encore, enrichir ses écrits et inversement. Pour cela, il ne me paraît pas inutile de revenir sur la notion du « millenium ».
Donnons-en premièrement une présentation.
Au sens strict, les termes de « millenium » et de « millénarisme » désignent, dans la tradition chrétienne, la croyance selon laquelle le Christ reviendra sur terre pour y régner glorieusement pendant mille ans avec les justes ressuscités. À ce millénaire devront succéder la résurrection et le jugement universels, puis la fin de ce monde et l’établissement du règne de Dieu. Cette croyance s’appuie sur un passage de l’Apocalyspe interprété littéralement :
Puis je vis descendre du ciel un ange qui tenait la clef de l’abîme et une grande chaîne à la main.
Il saisit le dragon, le serpent ancien, qui est le diable et Satan, et il le lia pour mille ans.
Il le jeta dans l’abîme, qu’il ferma et scella au-dessus de lui, afin qu’il ne séduise plus les nations, jusqu’à ce que mille ans soient accomplis. Après cela, il faut qu’il soit délié pour un peu de temps.
Je vis des trônes. A ceux qui s’y assirent fut donné le pouvoir de juger. Et (je vis) les âmes de ceux qui étaient morts sous la hache à cause du témoignage de Jésus et de la parole de Dieu, et de ceux qui ne s’étaient pas prosternés devant la bête ni devant son image et qui n’avaient pas reçu la marque sur le front ni sur la main. Ils revinrent à la vie, et ils régnèrent avec Christ, pendant mille ans.
Les autres morts ne revinrent pas à la vie jusqu’à ce que mille anssoient accomplis. C’est la première résurrection.
Heureux et saints ceux qui ont part à la première résurrection ! La seconde mort n’a pas de pouvoir sur eux, mais ils seront sacrificateurs de Dieu et du Christ, et ils règneront avec lui pendant les mille ans.
Ap 20:1-6
Plusieurs commentateurs pensent que la seconde Épître de Pierre, reprenant un verset des Psaumes ([Ps 90:4] « Car mille ans sont, à tes yeux, Comme le jour d’hier, quand il passe, Et comme une veille de la nuit ») voulait corriger certaines constructions fondées sur une interprétation littérale du texte de Jean :
Mais il est un point que vous ne devez pas oublier, bien-aimés: c’est que, devant le Seigneur, un jour est comme mille ans et mille ans sont comme un jour
2P 3:8
Mais le thème des milles ans véritables aura un rayonnement immense. Il est présent dans une apocalypse juive (possiblement retouchée par un copiste chrétien) :
En ce jour-là vient du Ciel l’Oint, le Roi, avec tous les Saints ; il brûle la terre et y passe mille ans. Comme les pécheurs y ont dominé, il créera un nouveau ciel et une nouvelle terre. Il n’y aura en eux ni Diable ni mort. Il règnera avec les saints ; ils montent et descendent ; ils sont avec les anges en tout temps, ils sont avec l’Oint pendant mille ans.
Apocalypse d’Élie, III, 97-99, in Écrits Intertestamentaires, La Pléiade
Justin dans le chapitre 80 de son Dialogue avec Tryphon rappelle que :
pour moi, et les chrétiens d’orthodoxie intégrale, tant qu’ils sont, nous savons qu’une résurrection de la chair arrivera pendant mille ans dans Jérusalem rebâtie, décorée et agrandie, comme les prophètes Ézéchiel, Isaïe et les autres l’affirment.
Dial. 80:4
Irénée reprend cet enseignement :
[…] puis ce sera le septième jour, jour du repos […] ce septième jour est le septième millénaire, celui du royaume des justes, dans lequel ils s’exerceront à l’incorruptibilité, après qu’aura été renouvelée la création pour ceux qui auront été gardés dans ce but. C’est ce que confesse l’apôtre Paul, lorsqu’il dit que ‘‘la création sera libérée de l’esclavage de la corruption pour avoir part à la liberté glorieuse des enfants de Dieu’’ [[Ro 8:19-21]]. […] C’est [Dieu le Père] qui a modelé l’homme et promis aux pères l’héritage de la terre ; c’est lui qui le donnera lors de la résurrection des justes et réalisera ses promesses dans le royaume de son Fils ; c’est lui enfin qui accordera, selon sa paternité, ces biens que l’œil n’a pas vus, que l’oreille n’a pas entendu et qui ne sont pas montés au cœur de l’homme. Il n’y a en effet […]qu’un seul genre humain, en lequel s’accomplissent les mystères de Dieu. Ces mystères, ‘‘les anges aspirent à les contempler’’, mais ils ne peuvent scruter la Sagesse de Dieu […] Car Dieu a voulu que sa Progéniture, le Verbe premier-né, descende vers la créature, c’est-à-dire vers l’ouvrage modelé, et soit saisie par elle, et que la créature à son tour saisisse le Verbe et monte vers lui, dépassant ainsi les anges et devenant à l’image et à la ressemblance de Dieu.
Contre les Hérésies V, 36, 3
Ainsi, « au temps du royaume », le centre spirituel de cette « terre renouvelée » est donc « la Jérusalem […] rebâtie sur le modèle de la Jérusalem d’en haut » écrit Irénée en [ Adv. Haer. V, 35, 2] ; et, auparavant, d’interpréter un passage d’Ésaïe comme la description de la vie sur Terre lors du « gouvernement des Saints » (« rule of the Saints », [L96]) :
Réjouissez-vous plutôt Et soyez à toujours dans l’allégresse, A cause de ce que je crée; Car je crée Jérusalem pour l’allégresse Et son peuple pour la joie.
Je ferai de Jérusalem mon allégresse Et de mon peuple ma joie; On n’y entendra plus Le bruit des pleurs et le bruit des cris.
Il n’y aura plus là De nourrisson vivant quelques jours seulement, Ni de vieillard qui n’accomplisse pas ses jours; Car le plus jeune mourra à cent ans, Et le pécheur âgé de cent ans sera (considéré comme) maudit.
Ils bâtiront des maisons Et les habiteront; Ils planteront des vergers Et en mangeront le fruit.
Ils ne bâtiront pas des maisons Pour qu’un autre (les) habite, Ils ne planteront pas Pour la nourriture d’un autre; Car les jours de mon peuple seront comme les jours des arbres, Et mes élus jouiront de l’oeuvre de leurs mains.
Es 65:18-22
À ce texte on peut ajouter, pour notre propos, celui qu’on lit en :
Au milieu de la place de la ville [Jérusalem] et sur les deux bords du fleuve, se trouve l’arbre de vie, qui produit douze récoltes et donne son fruit chaque mois. Les feuilles de l’arbre servent à la guérison des nations.
Ap 22:2
Il se pourrait qu’un écrit du légendaire de Tolkien soit un écho de ces textes ; en effet, bien que le texte Of the beginning of time and its reckoning en [HX, p.50] repose sur des jeux numérique complexes, une remarque a attiré mon attention après avoir rassemblé les passage présentés ci-dessus :
Now measured by the flowering of the Trees there were twelve hours in each Day of the Valar, and one thousand of such days the Valar took to be a year in their realm.
Nous avons donc les parallèles suivant :L’Arbre de vie = les (deux) arbres (de Valinor)
Les Douze récoltes par an = douze floraison par jour des Valar
Les Mille ans du millenium = les milles jours d’une année dans le royaume des Valar.
Si on se souvient que « devant le Seigneur », dans le royaume divin, « un jour est comme mille ans et mille ans sont comme un jour », les parallèles n’en ressortent qu’avec plus de force ! On pourra objecter que les Deux Arbres de Valinor sont au commencement d’Arda, alors que l’Arbre de l’Apocalypse appartient au monde à venir. Mais premièrement cet arbre n’est autre que « l’arbre de vie » du jardin d’Eden. De plus, les Deux Arbres de Valinor ne peuvent que nous faire penser aux deux arbres au centre du jardin d’Eden, l’arbre de vie et l’arbre de la connaissance du bien et du mal. Enfin et surtout, un second passage du légendaire doit être rappelé ; il s’agit d’un passage de l’Akallabêth : alors que Nimloth, l’Arbre Blanc de Númenor (issu de celeborn, issu de Galathion, image de Telperion, le plus âgé des Deux Arbres de Valinor !) est sur le point de périr par la main du roi Ar-Pharazôn manipulé par Sauron, Isildur vole un de ses fruit pour sauvegarder sa semence. Ayant dû affronter de nuit toute des gardes qui lui infligèrent de sévères blessures, dont il souffrit pendant tout l’hiver :
Then the fruit was planted in secret, and it was blessed by Amandil; and a shoot arose from it and sprouted in the spring. But when its first leaf opened then Isildur, who had lain long and come near to death, arose and was troubled no more by his wounds.
Silm, p.273/Akallabêth
Ainsi, le jeune plant image de Telperion, l’Arbre Blanc de Valinor possède, de par ses feuilles, le même pouvoir de guérison que son homologue, l’Arbre de vie de l’Eden et du monde à venir.Il me semble donc évident que la thématique des arbres et de l’Arbre Blanc, chez Tolkien, relève non seulement de son amour pour la nature et les arbres en particulier mais également marque l’influence de la foi de Tolkien dans le façonnement de son légendaire.
Cette constatation, toutefois, n’est pas nécessaire pour qu’on se rende compte que, réciproquement, l’œuvre de Tolkien nous permet à nouveau de mieux cerner sa foi. En effet, dans les références bibliques et extra-bibliques que nous avons présentées, est apparue une « création renouvelée », une « création affranchie de la servitude de la corruption » [Ro 8:21], centrée en une « Jérusalem rebâtie (…) et agrandie », où les jours des hommes sont « comme les jours des arbres », où la servitude, l’esclavage des corps comme de la pensée sont bannis, où les élus participent à la création par « l’œuvre de leurs mains », une création enfin où « l’arbre de vie » procure, par ses feuilles, « la guérison des nations », ces nations qui avaient été « séduites » par Satan, « le serpent ancien », celui qui était là depuis le commencement.La pensée et la foi de Tolkien affleurent alors dans son légendaire en autant d’échos possibles à cette tradition chrétienne : (a) Tout d’abord, dans le monde mythique d’Eä, les Valar n’ont pu avoir une « Vision » complète du « Dessein d’Eru » tout comme « des anges [qui] ne peuvent scruter la Sagesse de Dieu » (Irénée).
(b) Dans ce Dessein, la Nouvelle Arda (« New Arda » [HX, p.251.252]), nous l’avons vu, est une Terre exempte de la corruption originelle introduite dans la création par Melkor et « plus grande » qu’Arda Unmarred, Arda telle qu’elle avait été conçue initialement ([HX, 351]).
(c) Ensuite, cette guérison d’Arda passera nécessairement par la fin de l’emprise de la Machine ; une Machine dont l’origine se trouve en Melkor, le tueur des Deux Arbres de Valinor ; or :
Now one of the objects of the Trees (as later of the Jewels) was the healing of the hurts of Melkor » [HX, p.377].
« Maybe, there is healing in the light of Laurelin and hope in the blossom of Telperion […]
HX, p.261
Ainsi, que ce soit au tout début du mythe, au cours de l’histoire, ou à sa fin, la « guérison des blessures (infligées par) Melkor » est liée aux arbres (par leur action directe, par l’action de leurs images, la lignée des Arbres Blancs, ou bien par celle des Silmarils qui contiennent leur lumière)
(d) Enfin, cette guérison d’Arda est aussi liée à l’action, à « l’œuvre des mains » des hommes :
This then, I propound, was the errand of Men, not the followers, but the heirs and fulfillers of all: to heal the Marring of Arda, already foreshadowed before their devising; and to do more, as agents of the magnificence of Eru: to enlarge the Music and surpass the Vision of the World!
HX, p.319
Il est avéré que le légendaire de Tolkien s’est « teinté » toujours plus de sa foi au cours de son élaboration sans fin ; et nous avons une confirmation de l’importance de la guérison d’Arda par l’action des hommes dans ce dernier texte :
They [les elfes] still believe that Eru's healing of all the griefs of Arda will come now by or through Men ; but the Elves' part in the healing or redemption will be chiefly in the restoration of the love of Arda, to which their memory of the Past and understanding of what might have been will contribute. Arda they say will be destroyed by wicked Men (or the wickedness in Men ); but healed through the goodness in Men. The wickedness, the domineering lovelessness, the Elves will offset. By the holiness of good men – their direct attachment to Eru, before and above all Eru's works – the Elves may be delivered from the last of their griefs: sadness; the sadness that must come even from the unselfish love of anything less than Eru.
HX, p.343
Ce texte nous servira de conclusion, puisque, sous le couvert du légendaire, il synthétise presque la pensée de Tolkien quant au sens de l’Histoire des Hommes et de la Terre. Prisonnier d’un mal qui les ronge (« the wickedness in Men »), les Hommes ne peuvent que détruire la Terre qui leur a été donnée; mais « toutes les peines » et « la tristesse » engendré par le péché trouveront leur fin lorsque Dieu annoncera la Fin des Temps, période au cours de laquelle les « hommes bons », ces hommes qui lui auront été fidèlement « attachés », par leur « sainteté » « guériront » la Terre au cours du millenium. Alors viendra la Fin de l’Histoire, et, « dans le monde à venir », ces « hommes bons » « verront face à face » le Dieu de leur Salut et « connaîtront comme ils ont été connus » ([1Co 13:12]). Un monde à venir éternel où :
the good here unfinished is completed ; and where the stories unwritten, and the hopes unfulfilled, are continued.
L45, 1941
Sosryko
:-))
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PS : rah, ces vacances! la majorité est à se dorer au soleil, et ceux qui restent non seulement ne sont pas foule mais sont "sans voix" ;-))
J'ai retrouvé ma voix mais je pars ce soir en vacances ;-)
Je prends avec moi l'ensemble de ta prose et je m'en vais me pencher la dessus sous mon soleil de Bretagne.
Vinch' admiratif
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S’il reste vague sur la situation d’Arda Envinyanta (= Arda Healed # Arda Unmarred [HX, p.251]) une remarque dans ses lettres pourrait faire pencher vers la seconde hypothèse : en [/, 1963], Tolkien écrit que Frodo est parti pour « Arda Unmarred » pour guérir de blessures qui ne peuvent être guéries « sur terre, ou dans le Temps »
Je ne pense pas que ce passage donne une indication d'Arda Envinyanta ; l'« Arda Unmarred » pour laquelle Frodo est parti me semble désigner Arda Alahasta (celle de la Vision, pure, sans l'intervention de Melkor), et constitue une image pour désigner Valinor, le Royaume Béni qui s'est protégé de la plupart des ombres de Morgoth, et qui garde le souvenir imparfait de ce qu'aurait été Arda sans Melkor.
Sinon, ça me paraît bien tout cela :) :) :) Bravo !
Yyr
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erratum : Bravo ! ! ! ! ! ! !
Yyr :)
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Quel boulot phénoménal. :) Bravo et merci Sosryko! :)
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… Si je dois avouer avoir secrètement espéré t’attirer sur ce fuseau, Sosryko, j’étais loin d’imaginer une réponse de cette ampleur ! J’imprime tout ça et je m’en vais entamer une lecture attentive, mais il semble déjà bien difficile de pouvoir y ajouter grand chose, et encore plus de te contester… Qui peut bien rivaliser avec toi sur ce terrain ? Pas moi assurément ;-)
A Semprini : si tu en avais l’envie, ça m’intéresserait quand même que tu puisses expliciter ta phrase « l’humanisme moderne (…) se défie de la tentation du bien » (cf. fin du second post de ce fuseau) ;-)
Ylem – qui ne lâche pas facilement une idée !
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Tout comme Ylem, je ne vois pas ce qu'on peut faire hormis s'émerveiller... Que pourrais-je, par exemple, te répondre sur la question de l'historicité de la "victoire finale"? Je comprend maintenant que j'avais mal compris lu(ou de manière trop orientée peut-être).
Enfin, la seule chose qui importe est le plaisir de te relire ainsi sur "ton terrain". J'ai bien peu de temps pour passer sur le forum, mais aujourd'hui cela valait le coup. Come Ylem, j'imprime tout cela. Encore Bravo!
Laurent (applaudissant tout seul devant son ordinateur, sous les yeux interrogateurs de son chat qui le prend soudain pour un fou :-))
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Re Sosryko:
Ce " doublon " de citation ne peut que m' inciter à relire, avant de laborieuses interventions, l' intégralité des fils...Par ailleurs, le qualificatif de " vieux " ne doit être pris, vu mon âge, que comme formule affectueuse, voire, un compliment ! :))
Pour ce qui est de la " confusion ", il s' agissait moins de lui reprocher quoi que ce soit ( et surtout pas de ne pas choisir ( !?! ) entre Hitler et Staline ! ) que de souligner son manque d' intérêt pour les " subtilités idéologiques ": la phrase ..Socialism in EITHER OF ITS FACTIONS now at war.." étant particulièrement éclairante, et ce quelque fut sa " position " de départ !
Que, pour un esprit religieux, nazisme et communisme soient mis sur un même plan ( " diabolique " ! ) en tant que porteurs d' un athéisme coupable et dangereux, n' autorise en rien à les confondre dans une imprécision incorrecte...! Le fait que Tolkien se place comme chrétien ne change pas grand chose à l' affaire !
Il serait risible que j' amalgame catholicisme, orthodoxie, et protestantisme, au prétexte que ce sont des religions " chrétiennes "...Fusse dans le cadre d' une " pure " analyse marxiste ! :))
En fait, la formule qu' emploie Tolkien est en parfaite adéquation avec son époque...Aussi surprenant que ça puisse sembler à qui s' intéresse, aujourd' hui, à l' histoire des idéologies politiques, la dimension révolutionnaire du nazisme, à ses origines, l' avait placé dans le mouvement " socialisant " ( comme son cousin le fascisme, d' ailleurs ! ) par nombres d' observateurs superficiels !
Mais la politique n' étant, en rien, le sujet de prédilection de Toto, j' arrêterais là cette superfétatoire digression ! :D
TB
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m' inciter à relire, avant de laborieuses interventions, l' intégralité des fils...
Je m'en voudrais, sincèrement, de t'obliger à de laborieuses interventions...
Rque et digression (tant qu'on y est ;-)) : je comprends bien que certaines lectures ou mises en évidence de l'aspect de l’œuvre ou de la personne du "vieux prof" (en l’occurrence le caractère chrétien) manquent d'intérêt voire peuvent exaspérer certains membres (Silmo, toi,...)
Mais
(1) je ne cherche pas à tout ramener à la foi chrétienne de l'auteur (même si je pense que c'est un point capital, point sur lequel je me suis concentré en ce fuseau)
et (2) une activité plus importante du forum [il me semble qu'on y revient] permettrait une pluralité des lectures,
3) pluralité qui serait bienvenue et "salutaire" ;-)
...rien à voir avec ton post, TB, mais voilà quelques précisions et remarques qui me semblaient bon d'exprimer
Il serait risible que j'amalgame catholicisme, orthodoxie, et protestantisme, au prétexte que ce sont des religions " chrétiennes "...Fusse dans le cadre d' une " pure " analyse marxiste ! :))
figure-toi que je trouverait cela beaucoup moins risible que cet amalgame qui égalise tous les "socialismes" : oui ce sont des religions chrétiennes et pour les trois, le fondement, le coeur de la foi sont les mêmes, puisque toutes trois se retrouvent et prennent sens autour de la personne de Christ et du message évangélique; alors que national-socialisme et communisme ne se retrouvent pas dans leurs idéologies.
En fait, la formule qu' emploie Tolkien est en parfaite adéquation avec son époque...[...]la dimension révolutionnaire du nazisme, à ses origines, l' avait placé dans le mouvement " socialisant " ( comme son cousin le fascisme, d' ailleurs ! ) par nombres d' observateurs superficiels !
Oui, effectivement, sauf qu'en ce qui concerne Franco, la position de Tolkien était bien plus ambiguë que le jugement radical qu'il portait à l'encontre d'Hitler ou de Staline :-((.
Mais ces considération sur le jugement politique de Tolkien et de son époque, loin du légendaire, gagneraient à être développées plutôt sur un autre fuseau (dans la section "Tolkien et la littérature" puisque nos sources sont liées à ses Lettres) car nous nous éloignerions sinon du sujet du présent fuseau qui porte sur le "sens" (signification, horizon, but) que donnait Tolkien à l'histoire et la conception qu'il se faisait de son rapport au "salut".
En espérant, malgré tout, que tu trouveras quelque intérêt à la lecture des fils,
à bientôt :-)
Sosryko
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Oulala, l'heure tardive ne pardonne rien pour autant, surtout pas d'oublier l'essentiel :
Merci à tous, amis, heureux, très heureux que ce "feuilleton des vacances" vous ait plu :-))
Bonnes vacances Vinchmor (j'espère que tu auras un doux soleil pour te dorer!), bonnnes (re)lectures à toi, à Ylem et à Laurent (quel regret de ne pas t'avoir ici plus souvent ;-)), et, Semprini, c'est toujours une joie de savoir que tu es là :-))
S.
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Re Sosryko:
Je doute que ton oecuménisme soit partagé par une majorité de croyants des dites religions...Fussent-elles " du Livre " ! :)
Et je tiens à préciser que je ne suis, en aucune manière, " exaspéré par une quelconque lecture de l' oeuvre, privilégiée par tel ou tel des intervenants....En fait, cet eclectisme des regards serait, plutôt, la raison de ma présence en ces lieux !
Et donc, c' est avec une amicale sincérité que j' utilise la formule consacrée...Au plaisir de te lire ( le plus souvent possible ! ) :)
TB
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Bravo Sosryko ! Comme tu as l'air d'avoir besoin de preuves de lecture (je me demande pourquoi, qui n'aurait pas envie de te lire ?), je te signale que cela fait un moment que je t'observe ;-) Mais comme je n'ai pas le niveau pour te suivre sur ces hauteurs, je me contenterai de te féliciter ;-).
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ça m’intéresserait quand même que tu puisses expliciter ta phrase « l’humanisme moderne (…) se défie de la tentation du bien ».
Ce fuseau n'est pas le lieu d'une telle discussion, mais je voulais simplement dire que le seul humanisme possible aujourd'hui (et celui dont se sont réclamés un Camus, un Grossmann, ou un Lévinas) pour autant que l'on continue d'user de ce mot par trop employé, ce que j'ai la faiblesse de faire, est celui d'une croyance mesurée en l'homme, méfiante même. On ne peut plus croire aujourd'hui, il me semble, que l'homme puisse faire le Bien, notamment après les crimes commis par les totalitarismes au nom d'un soit-disant Bien, d'un soit-disant royaume bienheureux sur Terre. On ne peut plus, je crois, mener de combat au nom d'un Bien absolu, surtout lorsque les moyens utilisés au présent délégitiment le but à atteindre. Le seul humanisme possible aujourd'hui devrait donc se défier de la tentation du Bien, même s'il faut quand même croire à un Bien relatif. Fin du hors sujet. :)
Semprini, c'est toujours une joie de savoir que tu es là.
Pareil. :)
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le seul humanisme possible aujourd'hui (et celui dont se sont réclamés un Camus, un Grossmann, ou un Lévinas) pour autant que l'on continue d'user de ce mot par trop employé, ce que j'ai la faiblesse de faire, est celui d'une croyance mesurée en l'homme, méfiante même. On ne peut plus croire aujourd'hui, il me semble, que l'homme puisse faire le Bien, notamment après les crimes commis par les totalitarismes au nom d'un soit-disant Bien, d'un soit-disant royaume bienheureux sur Terre. On ne peut plus, je crois, mener de combat au nom d'un Bien absolu, surtout lorsque les moyens utilisés au présent déligitiment le but à atteindre. Le seul humanisme possible aujourd'hui devrait donc se défier de la tentation du Bien, même s'il faut quand même croire à un Bien relatif. Fin du hors sujet. :)
Arrn ... non, juste encore un peu ; je ne peux m'empêcher finalement :) :) :) Semprini, ce que tu dis là est magnifique ; le corollaire - pour le croyant - est que le Bien, inatteignable par l'homme, ne peut donc être atteint que par Dieu, c-à-d le laisser agir à travers nous. C'est toute la différence, pour refaire le lien avec le sujet, entre ce qui est "du Monde" même "bien intentionné", et ce qui est "de l'Esprit"
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Il serait risible que j' amalgame catholicisme, orthodoxie, et protestantisme, au prétexte que ce sont des religions " chrétiennes "...Fusse dans le cadre d' une " pure " analyse marxiste ! :))
figure-toi que je trouverait cela beaucoup moins risible que cet amalgame qui égalise tous les "socialismes" : oui ce sont des religions chrétiennes et pour les trois, le fondement, le coeur de la foi sont les mêmes, puisque toutes trois se retrouvent et prennent sens autour de la personne de Christ et du message évangélique; alors que national-socialisme et communisme ne se retrouvent pas dans leurs idéologies.
Je dirais même plus ! :) Sans oublier l'anglicanisme, les religions chrétiennes sont des branches d'une seule et même religion, et leurs différences sont certes importantes, mais il s'agit de différences dans l'interprétation (d'une petite partie) d'une même Révélation (et des mêmes textes) ; il y a unité dans la foi (pour l'essentiel de celle-ci, la majorité ... j'ai du mal à donner le mot juste ...), et il y a possibilité de prières communes. Ainsi mercredi 5 mars de cette année, toutes les églises chrétiennes se sont unies dans la prière et le jeûne pour la paix, après que toutes ces mêmes églises aient unanimement condamné la guerre anglo-américaine, parfois dans des communiqués communs. J'ai d'autres exemples en tête mais bon ... imaginons-nous les tenants d'idéologies politiques bras-dessus bras-dessous, Corée du Nd - USA, Nazisme - Stalinisme ... ?
Je doute que ton œcuménisme soit partagé par une majorité de croyants des dites religions...Fussent-elles " du Livre " ! :)
Attention à ce que tu entends par œcuménisme :) La prière pour la paix du 5 mars est oeuvre d'œcuménisme par exemple ; la phrase de Sosryko, non ;) tout chrétien la défendra, sans avoir l'impression de faire acte d'œcuménisme.
Jérôme
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... notamment après les crimes commis par les totalitarismes au nom d' un soit-disant Bien../..On ne peut plus, je crois, mener de combat au nom d' un Bien absolu, surtout lorsque les moyens utilisés au présent déligitiment le but à atteindre.
Pourquoi redescendre si loin dans le passé ? Une récente " croisade des Forces du Bien " contre un " diabolique Axe du Mal " me parait exemplifier parfaitement ton assertion...! :)
Re Yyr:
Je ne suis pas chrétien...Ceci t' expliquera, sans aucun doute, cela ! :)
( Fin de l' aparté ) ;
TB
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Merci de m’avoir répondu, Semprini. Dans la mesure où Tolkien envisage son travail comme l’histoire de l’avènement du « règne des hommes », il me semble bien être (aussi) une réflexion sur ceux-ci, sur la place de l’Homme au sein de l’Histoire et sur sa capacité ou non d’évoluer. Dans ce sens, la question de l’humanisme (« position philosophique qui met l’homme et les valeurs humaines au-dessus des autres valeurs » = définition du Petit Larousse) ne me paraît pas être un « hors sujet », plutôt une extension…
Enfin. Elle pourrait aussi faire l’objet d’un autre fuseau… C’est selon ;-)
Quant au fond, je n’ai pas vraiment le temps/la tête pour m’y pencher dans l’immédiat… Pour plus tard, peut-être. Ylem.
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Mon cher Sosryko, après une longue interruption de ma fréquentation du forum causée par bien des problèmes, puis lectures et relectures de tous ces messages, je me suis vu si heureux de retrouver un peu de temps que je n’ai pas résisté à faire quelques suggestions sur un ou deux points de ton travail qui touchent au cœur d’un questionnement personnel (dans lequel la vision de Tolkien joue un grand rôle). A part ponctuellement, il ne s’agit pas de critiques. Et cela ne garde qu’un rapport secondaire avec « le sens de l’histoire », mais pourrait, je crois, intéresser quelques personnes. J’espère donc que Cédric ne m’en voudra pas trop pour ce long post un peu décalé… :-)
1. Esquisse pour une étude sur « le Monde, chez Tolkien et dans l'Évangile de Jean »
Le terme de « monde » est pour le moins ambiguë, comme tu le soulignes. Mais tu parles de la bible en général, or il me semble que c’est en particulier dans l’évangile de Jean que l’on trouve cette notion récurrente du « Monde » non « Terre physique », « mais tout ce qui se tient éloigné de Dieu ». Tu précise que c’est ce monde-là dont parle Tolkien lorsqu’il écrit « fallen world » ou « evil world ». Il y va pourtant de la Terre physique dans cette Arda blessée, amputée ici d’une forêt, là-bas d’une plaine herbeuse devenue étendue de cendre après Dagor Bragollach…
Jean utilise effectivement le mot « monde » (la majuscule n’est pas présente dans toutes les éditions de la bible) dans trois sens - selon la Bible de Jérusalem : « tantôt la terre et l’univers, tantôt le genre humain, tantôt enfin les hommes qui refusent Dieu et l’œuvre du Christ » -, mais c’est de loin le troisième sens qui me semble le plus employé. [D’ailleurs d’un point de vue personnel, l’expression choisie en Jn 17:16 est pour moi très gênante, car le drame de cette vie terrestre selon moi se situe dans le paradoxe que souligne Rimbaud - le fait que « nous ne sommes pas au monde ». Malgré la différence « au monde » / « du monde », je ne peux pas suivre Jean sur ce point : mon âme doit être dans le monde, elle ne peux vouloir le beurre et l’argent du beurre : apprécier la création divine, la Terre, en y soustrayant son âme est impossible et dans tous les cas m’apparaîtrait comme néfaste si on nous en donnais la possibilité.]
Le christianisme de Tolkien n’est pas de celui d’un refus du monde. (Je suis sûr que tu penses « mais Jean non plus ne refuse pas le monde tel que tu l’entends »)
Notre monde ne doit pas être pensé, considéré comme le “fallen world” ou “evil world” dont Tolkien parle dans les lettres que tu cites, car cela renvoie à un aspect du monde (celui que Jean souligne) mais pas le monde dans son entier, qui est une création de Dieu, tout comme l’homme - dont il écrit dans Mythopoiea : « Though now long estranged, / man is not wholly lost nor wholly changed / Dis-graced he may be, yet is not dethroned ».
C’est le « nor wholly changed » qui laisse penser que le monde dont la chute accompagne celle de l’homme (qui en est souvent la cause mais pas toujours ; n’oublions pas la chute antérieure de Morgoth/Satan qui imprègne la Terre indépendamment des actions des hommes) ne doit pas être considéré comme la place du Mal. Le lieu, le monde sensible, ne doit pas être réduit à Satan (et c’est, j’imagine, ce que tu veux dire lorsque tu dissocies la notion de Terre physique de celle du « Monde » que tu ne définies que par l’éloignement de Dieu – soit dit en passant, il n’y a pas que le simple concept de l’éloignement de Dieu dans ce terme, j’en suis sûr, sans quoi comment en serait-on arrivé à l’utiliser de cette manière ?
Il y a forcément un peu de la Terre physique dans ce « Monde » : par exemple, c’est de celui-ci, qui naît de la Chute d’Adam puis du meurtre de Caïn que parlent les Mystères médiévaux anglais sur le thème d’Abel et Caïn, et par lequel ils expliquent la nécessité de travailler le sol pour subsister). La fréquence du terme « monde » dans le sens négatif chez Jean ne doit cependant pas faire oublier que le texte johannique insiste particulièrement sur un aspect diamétralement opposé de ce monde sensible : l’incarnation.
Lorsqu’il écrit « Et le verbe s’est fait chair » (Jn 1:14), il inclut le monde matériel dans le sacré. C’est dans cette espèce d’oxymore théologique que nous devons, je crois chercher l’origine du statut très complexe d’Arda dans l’œuvre de Tolkien et de la relation non moins complexe qu’entretiennent avec elle ses habitants. Tous les textes de HoME X, certes, mais aussi le SdA ou les lettres sont imprégnés de cet amour frustré de l’homme au monde (ils sont innombrables pourquoi les citer ? Les chants nostalgiques des Elfes comme des Ents, l’adieu de Haldir à la Lorien qu’il aime, l’attachement plus générale des Noldor à la Terre du mileu,en dépit du fait qu’elle soit « l’anneau de Morgoth », etc…). On ne doit pas oublier la corruption de ce monde (Arda Marred). Cependant, même souillée, Arda garde une noblesse qui doit toujours être prise en compte, quelques soit son amenuisement (l’expression que tu soulignes, « until its whole aroused-evil story is complete »).
Je pense cependant que Jean est peut-être l’évangéliste le plus influant sur notre auteur (n’oublions pas qu’il en porte le nom et s’imprègne de la dualité lumière/ténèbres – si caractéristique de cet évangile - dans toute son oeuvre, mais aussi de la tension du monde sensible entre l’influence du prince de ce monde, Satan et celle de l’Incarnation surtout dans HoME X).
N’oublions pas ce passage que tu cites : “the love of Arda was set in your hearts by Iluvatar” (Silm, p265./Akallabêth ) et auquel de nombreux autres font écho. Qu’Arda soit « Marred » ou « Unmarred » n’y change rien, ils l’aimeront même dans sa déchéance.
2. Le Royaume de Dieu, aujourd'hui ?
>> Paul : « les temps sont courts » (Co 7:29). Ne s’agit-il pas plutôt de la courte attente promises aux premiers chrétiens ? On sait que ceux-ci pensaient le royaume de Dieu très proche. Les synoptiques le soulignent tous :
Du figuier apprenez cette parabole. Dès que sa ramure devient flexible et que ses feuilles poussent, vous comprenez que l’été est proche. Ainsi vous, lorsque que vous verrez tous cela, comprenez qu’Il est proche, aux portes. En vérité je vous le dis, cette génération ne passera pas que tout cela ne soit arrivé.
Mat 24:32-34 ; également Mc 13:29-30 et Luc 21:30-32
J’ai déjà lu que cela correspondait à un sentiment répandu à l’époque de l’imminence du Jugement. Ainsi, le cri d’espérances des premiers chrétiens me semble plus un sentiment dans la proximité de cette fin qu’un appel – comment, d’ailleurs, Tolkien aurait-il pu être dans la même disposition qu’eux alors que deux mille ans d’attente se sont déjà écoulés ?
En relisant bien tes superbes messages, Sosryko, j’ai bien peu de choses à redire, car je ne peux absolument pas rivaliser avec toi sur ce sujet. Mais, quitte à faire des suggestions, je me suis demandé en te relisant si on ne pouvait pas te reprocher de ne pas mettre en valeur la diversité des conceptions historiques du royaume de Dieu suivant les évangiles (mais peut-être est-ce volontaire de ta part): si je ne me trompe pas le double sens du "royaume de Dieu" chez Matthieu est beaucoup moins évident chez Luc qui insiste sur une réalisation future du royaume de Dieu sans souligner la réalité présente de ce royaume (que souligne Mat XII, 28 et sur laquelle se fondent les théories d’ « eschatologie réalisée » de C.H. Dodd). Pour Luc, par exemple, il n’est pas véritablement question d’un royaume de Dieu qui commencerait avec la venue du Christ. Là ou il est question du Royaume de Dieu « présent » chez les autres évangélistes, Luc évite (à mon avis volontairement) cette idée et évoquera davantage de la présence de l’Esprit saint. Je cite le Que sais-je ? d’Oscar Cullmann sur le NT :
Jean le Baptiste, sa mère et son père sont remplis de l’Esprit sain (I,15, 41, 67) ainsi que le vieillard Siméon (II 25-27) […]. C’est donc l’Esprit qu’il faut demander dans la prière : « Si vous qui êtes mauvais, vous savez donner à vos enfants, combien plus le Père céleste donnera-t-il l’Esprit sain (Matthieu dit à cet endroit : « de bonnes choses », Matthieu VII,11) à ceux qui le lui demande » (XI, 13), et nous trouvons pour la demande de l’oraison dominicale « que ton règne (ou « que ton royaume ») vienne », [il y a ] une variante attestée par quelques témoins : « Que vienne sur nous ton esprit saint et qu’il nous purifie » (Luc11:2).
Que sais-je ? Le Nouveau Testament, p. 39.
3. Statut de la magie chez Tolkien
Un détail maintenant, qui n’est pas une critique de ton travail Sosryko mais vise à compléter un point que tu évoquais et qui fut débattu à plusieurs reprises sur ce forum. L’expression « the lord of magic and machine » que tu utilises renvoyant à Morgoth (cf la lettre 131 à Milton Waldman que tu cites) ne doit pas faire oublier que le terme, même s’il l’utilise avec parcimonie, et même à reculons, n’est pas nécessairement connoté aussi négativement même si le terme est fréquent : « and the Elves came their nearest to falling to 'magic' and machinery » (même lettre).
Un peu plus loin il écrit : « But also they enhanced the natural powers of a possessor – thus approaching 'magic', a motive easily corruptible into evil, a lust for domination ».
Le fait que Tolkien précise « a motive easily corruptible into evil » ne montre-t-il pas que c’est moins la nature de la magie qui est mauvaise que son utilisation par une race elle-même corruptible ?
C’est en fait dans la lettre 155 à Naomi Mitchison qu’il s’explique de manière explicite sur les différents sens du terme ‘magic’ et sa complexe relation à la notion de « machinery ». Je citerai cette lettre entièrement pour dissiper les nombreuses questions sur ce sujet, car cette explication, définitive, peut être très utile pour les intervenants de ce forum dans bien d’autres posts :
I am afraid I have been far too casual about 'magic' and especially the use of the word; though Galadriel and others show by the criticism of the 'mortal' use of the word, that the thought about it is not altogether casual. But it is a v. large question, and difficult; and a story which, as you so rightly say, is largely about motives (choice, temptations etc.) and the intentions for using whatever is found in the world, could hardly be burdened with a pseudo-philosophic disquisition! I do not intend to involve myself in any debate whether 'magic' in any sense is real or really possible in the world. But I suppose that, for the purposes of the tale, some would say that there is a latent distinction such as once was called the distinction between magia and goeteia. Galadriel speaks of the 'deceits of the Enemy'. Well enough, but magia could be, was, held good (per se), and goeteia bad. Neither is, in this tale, good or bad (per se), but only by motive or purpose or use. Both sides use both, but with different motives. The supremely bad motive is (for this tale, since it is specially about it) domination of other 'free' wills. The Enemy's operations are by no means all goetic deceits, but 'magic' that produces real effects in the physical world. But his magia he uses to bulldoze both people and things, and his goeteia to terrify and subjugate. Their magia the Elves and Gandalf use (sparingly): a magia, producing real results (like fire in a wet faggot) for specific beneficent purposes. Their goetic effects are entirely artistic and not intended to deceive: they never deceive Elves (but may deceive or bewilder unaware Men) since the difference is to them as clear as the difference to us between fiction, painting, and sculpture, and 'life'.
Both sides live mainly by 'ordinary' means. The Enemy, or those who have become like him, go in for 'machinery' – with destructive and evil effects — because 'magicians', who have become chiefly concerned to use magia for their own power, would do so (do do so). The basic motive for magia – quite apart from any philosophic consideration of how it would work – is immediacy: speed, reduction of labour, and reduction also to a minimum (or vanishing point) of the gap between the idea or desire and the result or effect. But the magia may not be easy to come by, and at any rate if you have command of abundant slave-labour or machinery (often only the same thing concealed), it may be as quick or quick enough to push mountains over, wreck forests, or build pyramids by such means. Of course another factor then comes in, a moral or pathological one: the tyrants lose sight of objects, become cruel, and like smashing, hurting, and defiling as such. It would no doubt be possible to defend poor Lotho's introduction of more efficient mills; but not of Sharkey and Sandyman's use of them.
Anyway, a difference in the use of 'magic' in this story is that it is not to be come by by 'lore' or spells; but is in an inherent power not possessed or attainable by Men as such. Aragorn's 'healing' might be regarded as 'magical', or at least a blend of magic with pharmacy and 'hypnotic' processes. But it is (in theory) reported by hobbits who have very little notions of philosophy and science; while A. is not a pure 'Man', but at long remove one of the 'children of Luthien'.
Je propose une traduction approximative pour ceux qui ont quelques problèmes avec la lecture de l’anglais :
J’ai peur d’avoir été beaucoup trop imprécis à propos de la « magie et particulièrement dans l’usage du mot ; bien que Galadriel et d’autres soulignent par la critique de l’usage du terme qu’en font les mortels, combien celui-ci n’est fortuit. Mais il s’agit d’une question très large et très difficile et d’une histoire qui, comme vous le dites très justement, est largement concernée par les motifs (choix, tentations, etc…) ; et les intentions quant à l’usage de tout ce qui ce trouve dans le monde ne peuvent qu’être à peine portées dans une dissertation pseudo philosophique ! Je n’essayerais pas de m’engager dans un quelconque débat à propos du fait que la « magie » dans un sens ou dans un autre puisse être réel ou vraiment possible en ce monde. Mais je suppose que, pour les intérêts du conte, quelques-uns diraient qu’il existe une distinction semblable à celle qui fut jadis appelée la distinction entre « magia » et « goeteia ». Galadriel évoque « les tromperies de l’Ennemi ». Ce n’est déjà pas mal, mais « magia » peut, fut, et porte le sens positif (en soi) et Goieteia le sens néfaste. Aucun n’est dans ce conte, positif ou néfaste (en soi), mais seulement vis-à-vis d’un motif ou d’une intention ou d’un usage. Chaque clan utilise les deux, mais pour des motifs distincts. Le motif nuisible est (pour ce conte, dans la mesure où il concerne cela en particulier) la domination des autres libre- arbitres. Les opérations de l’Ennemi ne sont en aucun cas des tromperies ‘goetiques’, mais une « magie » qui produit des effets réels sur le monde physique. Mais la « magia », il l’utilise pour écraser les gens et les choses, et la goeteia pour terrifier et subjuger. La « magia »que les Elfes et Gandalf utilisent (parcimonieusement) est une « magia » produisant des résultats réels (comme un feu prenant dans un fagot humide) dans des intentions bénéfiques. Leur effets, ‘goetiques’ sont entièrement artistiques et ne cherchent pas à tromper :ils n’ont jamais trompé les Elfes (mais ont pu tromper ou ensorceler les humains) dans la mesure ou la différence est pour eux claire comme l’est pour nous celle entre la fiction, la peinture, la sculpture et la « vie ».
Chaque clan vit principalement de moyens ordinaires. L’Ennemi,ou ceux qui sont devenus comme lui, s’adonnent à la « machinerie » - avec ces effets mauvais – car les ‘magiciens’ qui se sont concentrés en premier lieu sur leur propre pouvoir, feraient de même (et font de même). Le motif de base pour la magia – clairement distinct de considération philosophique sur sa manière de fonctionner – est l’immédiateté : la vitesse, réduction de travail, et réduction aussi à un minimum (ou au point d’extinction) du gouffre entre l’idée ou le désir et le résultat ou l’effet. Mais la « magia » peut ne pas être simple à atteindre, et en tous cas si vous avez une commande d’abondant travail d’esclavage ou de machinerie (souvent juste la même chose conciliée), elle peut être aussi rapide ou suffisamment rapide pour déplacer des montagnes, déraciner des forêts, ou bâtir des pyramide par ces moyens. Bien sûr, un autre facteur rentre alors en compte, dans un sens moral ou pathologique : les tyrans perdent de vue les objectifs, deviennent cruels, et comme fracasse, blesse, souille sans autre finalité.
Il serait, pour sûr, possible de défendre l’introduction de moulins plus efficaces par le pauvre Lotho ; mais pas l’usage qu’en font Sharkey ou Sandyman.
Surtout, une différence dans l’usage du terme « magie » dans cette histoire réside dans le fait que cela ne parvient pas d’une « tradition » ou d’un sort mais est un pouvoir inhérent que ne possèdent pas les hommes et qui leur est inaccessible en temps que tel. La guérison [de Faramir] par Aragorn peut sembler « magique », ou du moins un alliage de magie, de pharmacie et de procédé d’hypnose. Mais c’est (en théorie) rapporté parles Hobbits qui n’ont guère de notions de philosophie et de science ; tandis qu’A. n’est pas purement un homme, mais, à un lointain degré, l’un des enfants de Luthien.
Cirdan
PS : La lettre 156, que tu cites souvent, est aussi une des innombrables preuves montrant le non manichéisme de l’œuvre : « But if you imagine people in such a mythical state, in which Evil is largely incarnate, and in which physical resistance to it is a major act of loyalty to God, I think you would have the 'good people' in just such a state: concentrated on the negative: the resistance to the false, while 'truth' remained more historical and philosophical than religious. » Le mal ne peut chez Tolkien être considéré comme une idée manichéenne mais comme un concept ,d’abord concret (Morgoth/Satan) puis en perpétuelle dissolution à mesure que l’on s’écarte du temps mythique pour entre dans notre temps (celui du doute, de l'Âge de Plastique et de l'homme fragile) ou il n’est pas moins présent mais bien plus difficile à discerner et toujours plus étendu et omniprésent dans le monde,y compris en nous-même. Soyons vigilants ! :-)
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rque liminaire : une réponse au post de Laurent, sans rapport direct avec le fuseau proprement dit ou le Légendaire...lecteur, tu es prévenu, mais averti également que si les remarques de Laurent t'on intéressé, ce qui suit devrait également retenir ton attention...j'espère !
Très honorable et estimé Círdan :-))
1. « le Monde, chez Tolkien et dans l'Évangile de Jean »
[...] Mais tu parles de la bible en général, or il me semble que c’est en particulier dans l’évangile de Jean que l’on trouve cette notion récurrente du « Monde » non « Terre physique », « mais tout ce qui se tient éloigné de Dieu ».
Justement, non ;-)
Ce « Monde » dont je parle est le kosmos des textes du Nouveau Testament ; d’autres termes sont traduits par « monde », mais celui-ci est le terme utilisé par les auteurs du NT pour évoquer entre autre :
* le monde, l’univers
* le cercle de la terre, la terre
* les habitants de la terre, les hommes, la race humaine
* la multitude sans Dieu, la masse des hommes séparés de Dieu, ceux qui sont hostiles à Christ
Il se trouve que, contrairement à l’usage qu’en font les synoptiques (Matthieu (9) ; Marc (3) ; Luc (3)) ou l’épître aux Hébreux (5), c’est effectivement et ultra-majoritairement cette dernière acception (« la multitude sans Dieu, la masse des hommes séparés de Dieu, ceux qui sont hostiles à Christ ») qui prévaut dans l’évangile de Jean parmi les 79 occurrences des quelques 182 utilisations dans le NT du mot kosmos (je le sais, j’ai compté !).
On pourrait dire, plus globalement, qui prévaut dans le corpus johannique : cf. les 21 occurrences de 1 Jean, l’occurrence de 2 Jean ; mais ce n’est pas le cas des 3 mentions du « monde » en Apocalypse qu’il faut comprendre comme « l’univers, la création »).
Mais Jean n’est pas le seul à donner ce sens au « Monde » ! !
C’est aussi le cas chez Paul (Romains (9), 1 Corinthiens (21), 2 Corinthiens (3), Galates (2), Éphésiens (3), Philippiens (1), Colossiens (3), 1 Timothée (3)), chez Jacques (5) et chez Pierre (1 Pierre (2), 2 Pierre (5))
Pour tous ces auteurs (mais donc essentiellement Jean et Paul), le « monde-kosmos » est le milieu où le mal est entré par la chute et où désormais règne la mort « étendue sur tous les hommes » [Ro 5.12]. Tous les pécheurs marchent « selon le train de ce monde » [Eph 2.2] qui est tout entier « sous la puissance du malin » [1Jn 5.19]. Satan est en effet, comme tu l’as relevé dans Jean, appelé « le Prince de ce monde » [Jn 12.31; 14.30; 16.11]. Il n’est pas surprenant que « la sagesse du monde » considère l’Evangile comme une « folie » et réciproquement [1Co 1.20-21] car « l’esprit du monde » est tout autre que l’Esprit de Dieu [2.12]. Le monde va plus loin: il « hait » ouvertement le Christ et ses disciples, tandis qu’il « aime et écoute ceux qui lui ressemblent » [Jn 7.7; 15.18-19; 17.14; 1Jn 3.13; 4.5]. Le monde s’est fermé pour ne pas recevoir le Christ, Parole et lumière de Dieu [Jn 1.5, 10; 3.19]. Pourtant, Jésus est venu pour éclairer et « sauver le monde» [12.46-47] tandis que le St-Esprit cherche à « le convaincre » de péché [16.8]; mais, à cause de l’endurcissement des impies, a lieu « le jugement du monde » avec son chef [v. 8-11; 12.31]. Jésus déclare que le monde ne peut recevoir l’Esprit de vérité, et que lui-même ne l’inclut pas dans sa prière sacerdotale [14.17; 17.9]. N’acceptant pas de Sauveur, le monde est donc tout entier reconnu coupable devant Dieu [Ro 3.19].
Et l’attitude du croyant à l’égard d’un tel « monde » est régie par sa relation avec Dieu qui le conduit d’une part à se sanctifier (d’où « séparation » du Monde), d’autre part à témoigner et d’annoncer la Bonne Nouvelle (d’où le « mission », « l’envoi » dans le Monde).
a) La séparation.
Comme Jésus, les croyants ne sont pas de ce monde [Jn 8.23; 17.16]. Ils doivent se garder des « souillures du monde » [Jc 1.27; 2P 2.20], de « la corruption qui existe dans le monde » [2P 1.4]. Il faut alors fuir tout ce qui est dans le monde et qui ne vient pas du Père: « la convoitise de la chair, celle des yeux et l’orgueil de la vie »; ainsi il devient impossible « d’aimer le monde qui passe », car une révolte à l’égard de Dieu [1Jn 2.15-17; Jc 4.4 ; 1Co 7.31]. Les croyants doivent veiller sur leurs voies et prendre garde de ne pas être condamnés avec le monde [1Co 11.32]. Pour être trouvé fidèle, il faut fonder sa foi « sur Christ » et non pas « sur les principes élémentaires de ce monde » [Col 2.8, 20 ; Ga 4.3]. Il arrivent donc que de tels chrétiens apparaissent tellement différents du monde qu’ils en subissent sa haine, et passent par des tribulations; mais ils peuvent prendre courage, car « Christ a vaincu le monde » [Jn 15.19; 16.33] et celui qui est « en nous est plus grand que celui qui est dans le monde » [1Jn 4.4]. Quiconque est né de Dieu, « triomphe du monde » par la foi [5.4-5]…Mais cela implique que le monde soit crucifié pour nous et nous pour lui! [Ga 6.14]
b) La mission.
Pourtant, il serait entièrement faux de penser que les auteurs chrétiens s’enfermaient dans une attitude négative et pessimiste. Le Christ, ayant prié Dieu de ne pas les ôter du monde mais de les préserver du mal, les envoie dans le monde comme il y a été envoyé lui-même [Jn 17.15, 18]. Jésus crucifié et rejeté par le monde, se donne encore pour lui. Il prie pour l’unité des vrais croyants, « afin que le monde croie » [v. 21]. Le champ où sont envoyés les serviteurs, « c’est le monde » [Mt 13.38]. Et si les ténèbres sont épaisses, ils doivent « briller comme des flambeaux dans le monde », portant la Parole de vie [Ph 2.15]. Et cette parole est « la parole de la réconciliation », celle qui annonce que « Dieu était en Christ, réconciliant le monde avec lui-même en n’imputant point aux hommes leurs offenses » [2Co 5:19]. Si donc les serviteurs témoignent de leur foi, ils seront semblables à Noé, qui annonça un message de repentance à une « monde d’impies » [2P 2.5] et dont la foi rejetée « condamna le monde » [Heb 11.7]. Il avait en effet prêché la justice et averti ses contemporains [2P 2.5] il avait placé sous leurs yeux l’arche du salut, y admettant même des animaux et la laissant ouverte jusqu’au dernier moment [Ge 7.10] En contraste avec une telle foi, ses voisins ne périrent pas à cause de l’eau du déluge, mais par leur incrédulité. Si donc les témoins demeurent fidèles, ils seront de ceux qui « jugeront le monde » [1Co 6.2].
Conséquences :
1) la notion du « Monde » non « Terre physique » n’est pas unique à l’évangile de Jean, loin de là !
2) cette notion n’a rien à voir avec les beautés de la création
3) il ne faut donc pas chercher dans le seul évangile de Jean une théologie du « monde-Terre physique » pour éclairer le concept d’Arda chez Tolkien
4) oui, certainement, Tolkien avait une grande affection pour l’évangile de Jean puisqu’il disait à Lewis que Saint Jean était son saint patron (Birzer, Sanctifying Myth, p.51), mais il était avant tout un fin connaisseur de la Bible, non seulement cela, mais étant croyant et persuadé d’y trouver la pensée de Dieu dans tous les livres, sa lecture spirituelle était une lecture « canonique », c’est-à-dire une lecture « globale » et non exégétique (la manière dont il percevait l’attitude des « carnassiers » à l’égard de son œuvre suffit pour conclure ce qu’il pensait d’une attitude identique à l’égard du texte biblique). Voilà pourquoi je « parle de la bible en général » et voilà pourquoi je ne vois pas d’intérêt pour une étude de la foi de Tolkien et de son Légendaire de présenter les différentes théologies des évangélistes concernant le Royaume (sujet très intéressants au demeurant, à supposer qu’on ne cherche pas des différences là où il n’y en a pas…cf. plus loin…)
Tu précises que c’est ce monde-là dont parle Tolkien lorsqu’il écrit « fallen world » ou « evil world ». Il y va pourtant de la Terre physique dans cette Arda blessée, amputée ici d’une forêt, là-bas d’une plaine herbeuse devenue étendue de cendre après Dagor Bragollach …
Bien entendu, tu as raison.
Mais c’est qu’il y a recouvrement de deux notions bibliques dans la notion unique du « fallen/evil world » chez Tolkien.
Le « Monde » (kosmos) des apôtres n’est pas Arda Blessée.
Arda Blessée, c’est la Création (ktisis) telle que la décrit magnifiquement Paul, cette « création [qui] attend avec un ardent désir la révélation des fils de Dieu » [Ro 8 :19], cette création qui porte en elle « l’espérance [du jour où] elle aussi sera affranchie de la servitude de la corruption, pour avoir part à la liberté de la gloire des enfants de Dieu » [Ro 8.21] ; mais « cette création dont nous savons qu’elle soupire, toute entière, jusqu’à ce jour, et souffre les douleurs de l’enfantement. » [Ro 8.22]
Ainsi, « fallen world » serait plutôt la Création-Arda Blessée, tandis que « evil world » renvoit directement au « Monde » comme l’ensemble des hommes qui rejettent Dieu.
Jean utilise effectivement le mot « monde » (la majuscule n’est pas présente dans toutes les éditions de la bible)
Il n’y a pas de « majuscule » pour particulariser les noms propres ou certaines notions dans le texte original (soit les manuscrits sont écrit en majuscules [les premiers], soit ils sont en minuscules [plus tardifs] ; on parle d’écriture onciale ou cursive).
Le christianisme de Tolkien n’est pas de celui d’un refus du monde. (Je suis sûr que tu penses « mais Jean non plus ne refuse pas le monde tel que tu l’entends »)
Tu vois, je n’ai même pas besoin de répondre ;-)
Le lieu, le monde sensible, ne doit pas être réduit à Satan (et c’est, j’imagine, ce que tu veux dire lorsque tu dissocies la notion de Terre physique de celle du « Monde » que tu ne définies que par l’éloignement de Dieu – soit dit en passant, il n’y a pas que le simple concept de l’éloignement de Dieu dans ce terme, j’en suis sûr, sans quoi comment en serait-on arrivé à l’utiliser de cette manière ?
Par le même processus qui a conduit Jésus à parler du « châtiment de la Géhenne », ce lieu spirituel dont « le feu » peut faire périr « l’âme et le corps » [Mt 10.28 ; 18.8 ; 23.33]…alors que la Géhenne tire son nom de l’expression hébreu ge-hinnom, « vallée de Hinnom », un endroit, tout proche de Jérusalem, où on avait brûlé des enfants en l’honneur de Molok et qui depuis, servait de dépotoir (on y brûlait des immondices) ; c’est donc par analogie qu’il finit par désigner un lieu de destruction et de châtiment.
D’une manière encore plus proche de notre cas, l’évangéliste Matthieu préfère parler du « Royaume des Cieux » que du « Royaume de Dieu » ; Dieu réside dans les « Cieux », lesquels sont symboliquement en hauteur et tirent donc naturellement leur nom des cieux visibles. L’habitation de Dieu devient synonyme de Dieu. Pour autant, il n’y a aucun rapport entre Dieu et le ciel où volent les oiseaux !
Les hommes qui s’opposent à Dieu sont dans le monde, un monde qui a été créé initialement pour eux selon le texte biblique et dont le sol a été maudit suite à la chute. Ainsi, le monde sert à désigner les hommes qui l’habitent et devient le « Monde ». Dans les trois cas, le visible sert à désigner une réalité spirituelle invisible.
Je pense cependant que Jean est peut-être l’évangéliste le plus influant sur notre auteur
Je le pense aussi, si tu te limites aux évangélistes. Mais il ne faudrait surtout pas oublier le reste du corpus johannique et surtout (surtout !) Paul si tu parles de l’influence du Nouveau Testament sur Tolkien (le seul couple de Monde-Création étant suffisant pour s’en convaincre).
N’oublions pas ce passage que tu cites : “the love of Arda was set in your hearts by Iluvatar” (Silm, p265./Akallabêth ) et auquel de nombreux autres font écho. Qu’Arda soit « Marred » ou « Unmarred » n’y change rien, ils l’aimeront même dans sa déchéance.
Mais Jean non plus ne l’oublie pas, cet amour du Monde, puisqu’il y a là son message central !
Car Dieu a tant aimé le monde (kosmos) qu’il a donné son Fils unique, afin que quiconque croit en lui ne périsse point, mais qu’il ait la vie éternelle.
Jean 3:16
Dieu, en effet, n’a pas envoyé son Fils dans le monde (kosmos) pour qu’il juge le monde (kosmos), mais pour que le monde (kosmos) soit sauvé par lui.
Jean 3:17
Sosryko
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2. Le Royaume de Dieu, aujourd'hui ?
>> Paul : « les temps sont courts » (Co 7:29). Ne s’agit-il pas plutôt de la courte attente promises aux premiers chrétiens ?
Rque : [1 Co 7:29]
C’est effectivement selon ton interprétation qu’on lit souvent ce texte de Paul (« le temps est court »), en s’aidant pour cela, en particulier, de Marc 13:20.
Le seul problème, c’est que si on replace ce verset dans son contexte on se rend compte que ce n’est pas du tout le propos de Paul !
Il ne dit pas en effet que le fin des temps est imminente (bien que ce soit toujours vrai pour le Peuple de Dieu qui vit dans l’espérance de sa venue imminente) mais plutôt que le futur, tel qu’il s’annonce depuis la venue de Christ et du Saint-Esprit a été « rapproché », au point qu’il est désormais comme à portée de vue. Et cette conscience de ce qui attend le croyant change radicalement la manière dont il vit le présent ! en tout cas, il lui est désormais impossible de le vivre avec des valeurs qu’il avait avant de connaître sa destination (la vie éternelle) et son but (Dieu). « Le temps est court » signifie donc que le chrétien doit avant tout se « préparer à la rencontre de son Dieu » [Amos 4.12] plutôt que de consacrer toute son activité au monde ; certes il est évident qu’il doit « user du monde », c’est nécessaire, mais attention au risque de se laisser absorber par lui [1 Co 7:31]
J’ai déjà lu que cela correspondait à un sentiment répandu à l’époque de l’imminence du Jugement. Ainsi, le cri d’espérances des premiers chrétiens me semble plus un sentiment dans la proximité de cette fin qu’un appel
Tu en reparleras aux disciples qui allaient distraire les lions dans les arènes sous Domitien, à l’époque de la rédaction de l’Apocalypse, ce livre où coule le sang des martyrs et des prophètes [Ap 17.6 ; 18.24] et qui se termine par cet appel touchant « Viens ! Seigneur ! »
– comment, d’ailleurs, Tolkien aurait-il pu être dans la même disposition qu’eux alors que deux mille ans d’attente se sont déjà écouler ?
Tout simplement parce que pour Dieu « mille ans sont comme un jour et un jour comme mille ans » ;-)
Parce que tout simplement deux traditions distinctes présentent Jésus qui avertit que « Pour ce qui est du jour et de l’heure, personne ne les connaît, ni les anges des cieux, ni le Fils, mais le Père seul » [Mt 24.36 = Mc 13.32 ; voir aussi Mt 24.50 = Lc 12.46] et que Paul comme Pierre préviennent que « Le jour du Seigneur viendra comme un voleur. » [1 Th 5.2 ; 2 P 3.10].
Mais je ne vais pas redire ce que j’ai déjà écrit. Je suis déjà hors des limites et te répondant ici …
Sosryko
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si je ne me trompe pas le double sens du "royaume de Dieu" chez Matthieu est beaucoup moins évident chez Luc qui insiste sur une réalisation future du royaume de Dieu sans souligner la réalité présente de ce royaume (que souligne Mat XII, 28 et sur laquelle se fondent les théories d’ « eschatologie réalisée » de C.H. Dodd ). Pour Luc, par exemple, il n’est pas véritablement question d’un royaume de Dieu qui commencerait avec la venue du Christ. Là ou il est question du Royaume de Dieu « présent » chez les autres évangélistes, Luc évite (à mon avis volontairement) cette idée et évoquera davantage de la présence de l’Esprit saint. Je cite le Que sais-je ? d’Oscar Cullmann sur le NT
Je répète : me trouvant déjà bien assez long, je n’ai pas vu l’intérêt de développer une théologie du Royaume dans cet article consacré à Tolkien. La littérature qui traite de Tolkien ne représentant certainement pas un centième de tout ce qui a été écrit et ne cesse de paraître sur le sujet du Royaume !
Mais puisqu’on en parle… ;-)
(Pour les réclamations et autres plaintes, cf. Laurent qui savait très bien, après avoir lu le fuseau Frodon et Oronduin qu’il me tentait par ses suggestions en forme de simples remarques au-delà de mes forces… ;-))
J’aime bien Oscar Cullmann , mais il est inutile d’aller chercher des variantes comme celle-là dont on est sûr qu’elles sont tardives, le texte le plus assuré de Luc suffira amplement :-)
Certes Matthieu 12.28 est essentiel pour la théologie du Royaume de Dieu « déjà là »… mais pourquoi vouloir opposer Matthieu et Luc puisqu’en l’occurrence ils disent la même chose ! Ainsi :
Si (c’est) par l’Esprit (le doigt) de Dieu (que) j’expulse les démons, alors le Royaume de Dieu est venu jusqu’à vous »
Mt 12.28 = Luc 11.20
Bien mieux, alors que Matthieu parle de « l’Esprit de Dieu », Luc parle du « doigt de Dieu », preuve qu’il a eu sous les yeux et conservé (malgré ce qu’on veut lui faire dire) une parole qui s’oppose à une eschatologie qui ne serait que futuriste (avec le sous-entendu qu’il aurait remplacé toute mention du Royaume actuel et présent par la présence de l’Esprit).
De plus, un autre verset essentiel se trouve non pas en Matthieu mais en Luc :
Interrogé par les Pharisiens pour savoir quand viendrait le royaume de Dieu, il leur répondit : Le royaume de Dieu ne vient pas de telle sorte qu’on puisse l’observer.
On ne dira pas: Voyez, il est ici, ou: Il est là. Car voyez, le royaume de Dieu est au-dedans de vous.
Luc 17:20-21
Voilà une parole dont même Bultmann (c’est dire !) affirmait qu’elle remontait à une parole « authentique » de Jésus. Nous sommes-là à un des points essentiels de la prédication de Jésus. Dit autrement ces verset affirment que le Règne (plutôt que Royaume) de Dieu s’est approché, il est venu, il est là, « entre vos mains » ou « à votre portée » comme traduisait récemment Jean-Marc Babut ce « au-dedans / milieu de vous » dont l’interprétation est multiple mais qui n’autorise pas d’interprétation futuriste.
Ainsi et toujours à propos de ce passage de Luc, l’impressionnant François Bovon commente :
Le Royaume de Dieu n’est donc pas qu’une catégorie apocalyptique (cf. Ac 28,31). Lui et sa venue doivent être distingué du Fils de l’homme et de sa venue eschatologique dont il va être question aux v.22-37. Les deux réalités sont certes associées, mais une tension existe entre elle, entre l’envoi du Fils de l’homme et sa parousie ultime, entre la présence discrète du Royaume dès maintenant et sa manifestation puissante à la fin des temps. Lc 17,21 affirme la présence, pour mieux permettre aux versets suivant d’articuler l’avenir.
Luc 15,1-19,27, IIIc, p.151
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Pour terminer, voilà ce qu’écrit Christian Grappe dans un ouvrage récent intitulé Le Royaume de Dieu, avant, avec et après Jésus (Labor et Fides, MdB42, je te donne la référence puisque tu sembles intéressé par le sujet) :
On notera d’abord l’importance de la dimension du « déjà », […], dans la mesure où proclamer que le Royaume de Dieu s’est approché (Mc 1,15 // Mt 4,17 ; Mt 10,7 ; Lc 10, 9.11), qu’il est survenu (Mt 12,28 // Lc 11,20), qu’il fait l’objet d’assaut (Mt 11,2 // Lc 16,16), c’est affirmer tout à la fois qu’il est là (dimension spatiale) et qu’il est présent (dimension temporelle) (ainsi Lc 17,20-21).
On pourrait encore mentionner ici les passages dans lesquesl guérisons et exorcismes apparaissent comme des signes de l’irruption du Royaume ici et maintenant (Lc 8,1-2 ; 9, 2.11 ; 10,9).
Cet aspect du « déjà » est suggéré aussi par des paraboles qui indiquent soit que le Royaume des Cieux peut être trouvé ici et maintenant (trésor et perles cachés : Mt 13,44 et Mt 13, 45-46) soit qu’il peut être retiré dès à présent aux uns pour être confié aux autres (Mt 21,43), soit encore que ceux qui se sont repentis y devancent ceux qui se croyaient justes (Mt 21, 28-32). Un logion tel Lc 12,32 laisse aussi entendre que le Royaume est donné dès à présent par le Père, tandis que la similitude de Mt 13,52 exprime à sa manière que le Royaume vient déjà imprégner de sa nouveauté l’enseignement de ceux qui en sont les disciples.
Cela dit, et l’on ne s’en étonnera pas, l’horizon du « pas encore » demeure également présent, notamment dans des logia dont l’horizon s’avère souvent, par delà l’attente du Royaume (Lc 23,51) qui peut revêtir un aspect très concret et proche (Lc 19,11), résolument eschatologique, que l’horizon soit celui de la fin (Lc 21,31), du jugement dernier (Mt 13,41), d’un accès futur dans le Royaume (Mt 7,21), d’une vision (plénière) dudit Royaume (Mc 9,1 et //), du festin eschatologique (Mc 14,25 et // ; Mt 8,11-12 // Lc 13,28-29 ; Mt 25,1-13 ; Lc 14,15 ; 22,16), de la glorification ou de l’exaltation des justes (Mt 13,43 ; 20,21 ; Lc 22,29-30).
Enfin, assez souvent, est perceptible une tension entre « déjà » et « pas encore ». Ainsi dans les paraboles de de croissance qui placent le regard entre semailles et moisson (Mc 4,26-29 ; Mt 13, 24-30 // ÉvTh 57), ou entre graine et plante épanouie (Mc 4,30-32 et //). Ainsi dans d’autres paraboles qui introduisent une tension entre lancer des filets dans la mer et tri de ces filets sur le rivage (Mt 13, 47-50), embauche des journaliers pour travailler dans la vigne et rétribution de ces ouvriers en fin de journée (Mt 20, 1-16). Ainsi aussi en Lc 18,29 où sont mis en contraste renoncement présent en raison même du Royaume de Dieu et récompense à venir. Ainsi encore en Mt 16,19, où il est suggéré que l’accès au Royaume des Cieux se joue dans le présent communautaire, et en Mt 24,14, où le surgissement même de la fin paraît lié à la proclamation de la bonne nouvelle du Royaume à l’échelle du monde . ainsi enfin en Mt 25,34, où le Royaume promis en héritage est dit préparé depuis le commencement du monde !
On ne s’étonnera pas, dans ces conditions, que, dans un certain nombre de cas, on puisse hésiter entre une compréhension présente ou eschatologique, « déjà » et « pas encore » s’appelant sans doute l’un l’autre comme dans la demande du Notre Père : « Que ton Règne (ou que ton Royaume) vienne » (Mt 6,10 // Lc11,2). Mais n’en est-il pas déjà de même pour la célèbre formule « Le Royaume (ou le Règne) de Dieu s’est approché » (Mc 1,15 // Mt 4,17 ; Mt 10,7 ; Lc 10, 9.11) qui laisse entendre tout à la fois que le Royaume est déjà en marche, que les trois coups ont retenti et qu’il s’apprête à envahir toute la scène.
Christian Grappe, Le Royaume de Dieu, avant, avec et après Jésus, pp.182-183
3. Statut de la magie chez Tolkien
Le fait que Tolkien précise « a motive easily corruptible into evil » ne montre-t-il pas que c’est moins la nature de la magie qui est mauvaise que son utilisation par une race elle-même corruptible ?
Certainement.
Même si lui-même associe rapidement ensuite le terme « Magie » et « Machine » dans une connotation uniquement négative ; car ces deux termes sont liés au pouvoir, or la corruption ou l’égarement sont attachés à toutes forme de pouvoir, quelque soit l’intention initiale.
Ainsi, la magie de Galadriel lui sert à maintenir enchantée la forêt de la Lorien ; le charme est merveilleux ; pourtant cet art est un égarement, car il ne produit que mélancolie et « tristesse du monde » chez les Elfes qui savent que leur place n’est plus en Terre-du-Milieu.
Merci pour ta traduction, beaucoup de travail que cela :-)) !
Sosryko
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rque liminaire : une réponse au post de Laurent, sans rapport direct avec le fuseau proprement dit ou le Légendaire...lecteur, tu es prévenu, mais averti également que si les remarques de Laurent t'on intéressées, ce qui suit devrait également retenir ton attention...j'espère!
Pour l'intérêt et l'attention, aucun souci :) mais - cf. ci-après - j'y trouve néanmoins un lien direct avec le Conte d'Arda. Voici ma contribution, qui viendra peut-être en modeste complément de Sosryko, pour ce qui est du "Monde" et d'Arda (en donnant un aperçu du pendant elfique de ses considérations que je rejoins entièrement (j'ai le beau rôle) :)). Même pour le Royaume, il y aurait à dire en Arda, mais je n'en ai pas les moyens aujourd'hui ... :)
C’est le « nor wholly changed » qui laisse penser que le monde dont la chute accompagne celle de l’homme ([...]) ne doit pas être considéré comme la place du Mal.
Et pourtant si. Le Monde est bien la demeure du Mal (pas seulement du Mal, mais entre autre ; et le Mal n'existe que dans le Monde ; au-delà, en Dieu, il n'est pas) ; ce n'est pas réduire le Monde à Satan que de le constater, et d'user de métonymie* pour désigner le Mal en parlant du Monde (si l'on garde bien conscience du procédé). Ainsi comme le rappelle Sosryko, de l'usage du titre de "Prince de ce Monde" pour Satan. Ainsi aussi de la distinction faite entre les "fils du Monde" et les "fils de la Lumière" ; les derniers qui appartiennent (déjà ?) au Royaume des Cieux et vivent tout autant dans le Monde et l'aiment (mais là le mot Monde commence à désigner aussi la Création ...).
En Arda, le Monde est bien la demeure de Melkor, jusqu'à la Fin, jusqu'à la Guérison, disséminé comme tu l'as d'ailleurs, Laurent, magnifiquement dit dans ton PS. Le Monde est bien la demeure du Mal, puisque celui-ci est la Blessure d'Arda ; le Mal c'est le Hastaina de Arda Hastaina, le Morgoth disséminé et corrompant tout. En Arda, nous pouvons tout autant manier la métonymie qui vise à désigner le Mal par sa demeure : le Monde. En revanche (et cf. plus bas) Arda ne sera pas le terme elfique le plus approprié pour cela, cette Arda que tu aimes tant ;)
[...] mon âme doit être dans le monde, elle ne peux vouloir le beurre et l’argent du beurre : apprécier la création divine, la Terre, en y soustrayant son âme est impossible et dans tous les cas m’apparaîtrait comme néfaste si on nous en donnais la possibilité.
Sosryko y répond évidemment par l'ensemble de son post, mais pas spécifiquement (si j'ai bien lu). Si le "Monde" dont Satan est le Prince désigne par métonymie* le péché (<-> tout ce qui tient éloigné de Dieu, parce que le Monde est le lieu du péché, soustraire son âme au "Monde" - dans ce sens-là du Monde - ne signifie pas la soustraire à la Création, mais à la partie corrompue, au péché. Aux "fils de la Lumière" qui ne sont pas "du Monde", il est d'ailleurs demandé PAR DESSUS TOUT de vivre dans le Monde, de l'aimer comme Dieu nous aime. C'est la vertu de l'Amour de Charité, dont saint Paul dit que si elle manque, tout (même la foi !!!) est vain ! En écrivant cela, je me rends compte que j'ajoute autmatiquement au "Monde" le sens de "la Création" ;) Car pour aimer véritablement (la Vérité, le Bien ne vient que de Dieu) le Monde (les beautés de la Création et leur prochain), les fils de la Lumière doivent se séparer du Monde (ce qui n'est pas de Dieu), comme l'a si bien dit Sosryko. Le paradoxe n'est que dialectique, si j'ose m'exprimer ainsi.
Je ne m'étendrai pas sur la translation en Arda qui me paraît (égoïstement ;)) évidente, afin de consacrer mon peu de temps disponible plus bas
Mais elle fait entre autre l'objet de notre travail avec Sosryko sur l'Estel à venir bientôt ;)
Il y va pourtant de la Terre physique dans cette Arda blessée [...]
Bien entendu, tu as raison.
Mais c’est qu’il y a recouvrement de deux notions bibliques dans la notion unique du « fallen/evil world » chez Tolkien.
Le « Monde » (kosmos) des apôtres n’est pas Arda Blessée.
Arda Blessée, c’est la Création (ktisis) telle que la décrit magnifiquement Paul, cette « création [qui] attend avec un ardent désir la révélation des fils de Dieu » [Ro 8 :19], cette création qui porte en elle « l’espérance [du jour où] elle aussi sera affranchie de la servitude de la corruption, pour avoir part à la liberté de la gloire des enfants de Dieu » [Ro 8.21] ; mais « cette création dont nous savons qu’elle soupire, toute entière, jusqu’à ce jour, et souffre les douleurs de l’enfantement. » [Ro 8.22]
Ainsi, « fallen world » serait plutôt la Création-Arda Blessée, tandis que « evil world » renvoit directement au « Monde » comme l’ensemble des hommes qui rejettent Dieu.
Je rejoins tout à fait Sosryko ; je ne peux même pas pinailler sur une virgule :) Mais je vais en profiter pour poursuivre cette reflexion sur la dialectique propre au Conte d'Arda.
Nous aurons peut-être un terme elfique plus approprié pour désigner "le Monde" :). Le Monde fait en quenya l'objet de deux traductions. Elles sont à première vue interchangeables, mais à la lumière de cette magnifique discussion (les lambendili "amoureux des langues" vont vous devoir une nouvelle fière chandelle, Círdan et Sosryko :)), les Eldar distinguaient le concept de la Terre, le Système Solaire, le Royaume de Manwë, ce que nous avons il me semble ici désigné par "la Création" (ktisis), Arda, du concept de la Terre, signifiant 'Demeure', qui se prête me semble-t-il parfaitement au français "Monde" (kosmos), Ambar.
Arda est Royaume, confié à Manwë (< racine elf. √GAR qui désigne ce qui est contrôlé, géré, me semble-t-il : un domaine, une région ...). Elle existait avant le "Monde" dont on a parlé, au moins conceptuellement, puisque les traditions elfiques parlent d'Arda Alahasta. Et même s'il est des expressions chez les Elfes comme "tant que durera Arda", qui désigne assurément Arda Hastaina, il faut voir les références à Arda Envinyanta, éternelle, belle et renouvelée, qui existe(ra) lorsque le "Monde" dont on a parlé est(sera) vaincu et achevé.
Ambar est Demeure (< racine elf. √MBAR qui désigne ce qui est habité). Il est habité par les hommes, par la nature ... et logiquement par le Mal ;) Il convient parfaitement à l'usage qui est fait du français "Monde", car il désigne me semble-t-il :
(1)
* le monde, l’univers
* le cercle de la terre, la terre
* les habitants de la terre
et désignerait sans grand risque, m'est avis, dans une certaine dialectique religieuse :
(2)
* la multitude sans Eru, la masse des Enfants séparés d'Eru, ceux qui sont hostiles à Son dessein
Ainsi l'expression Ambar-metta pour désigner la Fin du Monde, Monde (1) ... et (2) ... car après la Fin du Monde il n'y aura plus qu'Arda Envinyanta. En fait Ambar se confond avec Arda en Arda Hastaina.
Les Eldar auraient ainsi parlé de l'amour d'Arda, en entendant Laurent (et suspecté une ascendance elfique ;)), et sans doute d'Ambar pour désigner tout ce qui tient éloigné d'Eru en écoutant (avec émerveillement ... et 'lifting up their hearts' ;)) notre ami Sosryko.
Jérôme,
très heureux ;)
... mais qui doit maintenant récupérer deux heures de travail :)
— je ne puis manquer de te remercier Sosryko, car tu en a profité pour me faire entrevoir (dans la partie du Royaume) des choses maintenant évidentes que j'avais mal comprises ou oubliées ...
___________________________________
* j'entends bien sûr plus que le seul procédé littéraire, quand je parle de métonymie ... métonymie spirituelle ?
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Ach ... cette proposition a été faite avec enthousiasme et à partir de ma mémoire et de quelques notes seulement. Après avoir pris le temps de réexaminer tout cela, autant l'attribution faite à Arda me paraît toujours intéresante, autant celle faite à Ambar me paraît moins évidente ; elle convient dans l'usage du mot Ambar-metta, mais plus difficilement dans les autres occurrences du corpus ...
A mettre entre parenthèses pour l'instant, donc ... :|
Jérôme
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Voilà… après relectures et réflexions multiples, j’avoue gentiment ne me sentir aucune compétence pour apporter quoi que ce soit d’utile ou d’intéressant à ce qui a été dit.
Il ne me reste qu’à laisser …
mes remerciements, pour explorer des terrains difficiles, inhabituels, hermétiques parfois, voire « coupeurs de cheveux en quatre » ;-) mais bien enrichissants
une prière : surtout que ça continue ! Même si quelques fois la réflexion prend une direction disons… imprévue… par rapport au thème de départ
un modeste sentiment personnel : pour Tolkien, mais aussi pour tous ceux qui se sentent quelques fois écœurés par le monde dans lequel ils vivent, en dissonance avec lui, il est bien difficile à résoudre ce paradoxe entre l’amour de la Vie, l’admiration pour les beautés de la Création, et la révolte ou la profonde tristesse devant le fonctionnement absurde ou destructeur de la société des hommes et de leur Histoire.
Ylem.
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En guise de petite information connexe sur l'expression Ambar-metta:
Dans VT/44 pp. 31-38, nous avons diverses tentatives de Tolkien pour traduire en quenya le "Gloria in Excelsis Deo", sous lequelles apparaissent des fragments qui aboutissent (à quelques mots près) à la phrase prononcée par Aragorn (et earello ... tenn' ambar-metta). Bien que ces fragments n'appartiennent pas formellement au Gloria, l'écho biblique est évident; ainsi dans une première version ter yénion yéni "through years of years" renvoit de toute évidence au latin in saecula saeculorum ("pour les siècles des siècles").
L'association de cette phrase (attribuée à Elendil et reprise par Aragorn lors de son couronnement dans le SdA) à un contexte religieux est plutôt ... intéressante ;-)
Didier.
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effectivement, Didier, très intéressante remarque ;-)
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Déviant un peu plus du sujet initial, mais en réponse au texte de la lettre que nous a gentiment traduit Laurent, voici un autre texte, tiré de Faërie cette fois, qui montre combien Tolkien voulait prendre ses distances avec le mot « Magie » qu’il connotait négativement, lorsqu’il l’utilisait seul (et non plus dans la perspective dualiste Magia / Goeteia) :
Peut-être la Faërie pourrait-elle être traduite par Magie (...)
Il nous faudrait un mot pour cet art elfique (…) On a sous la main « magie » et je l’ai employé plus haut, mais je n’aurais pas dû le faire : Magie devrait être réservé aux opérations du Magicien. L’art est le procédé humain qui produit en passant […] la Créance Secondaire. Les elfes peuvent aussi utiliser un art du même ordre […] je l’appellerai, faute d’un mot moins discutable, l’Enchantement L’Enchantement produit un Monde Secondaire dans lequel peuvent pénétrer tant l’auteur que le spectateur, pour la satisfaction de leurs sens durant qu’ils se trouvent à l’intérieur ; mais, dans sa pureté, il est artistique pour tout ce qui est du désir comme du dessein. La Magie produit ou prétend produire un changement dans le Monde Primaire. Peu importe par qui elle est censée être appliquée, fée ou mortel, elle demeure distincte des deux autres ; ce n’est pas un art, mais une technique ; son désir est le pouvoir en ce monde, la domination des choses et des volontés.
Faërie, Du Conte de Fées, Pocket, p.141, p.183
Sosryko
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Ce lien (bientôt 6 ans (!) après le message précédent : les Grands Elfes ne sont donc pas tous repartis outre-mer, pour reprendre la métaphore filée par Sosryko :)) vers La Machine ou la nécessité de raser le monde réel, qui offre une suite logique (et magistrale) au thème de ce fuseau (et à quelques unes de ses digressions).
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Un autre lien avec La question du libre arbitre :).
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