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Tom Shippey est l'auteur du livre "JRR Tolkien, author of the he Century".
Il intervient dans les commentaires du film de P. Jackson, disponibles sur a version longue du DVD de la Communauté de l'Anneau, pour apporter quelques commentaires sur le "Mal" dans le Seigneur des Anneaux.
Pour ceux qui n'ont pas ce DVD, voici un large extrait de son commentaire dans le premier supplément:
Les Spectres ou "Ringwraiths" réinventent l'image du Mal. Comme Tolkien est philologue, son choix n'est pas anodin. "Wraith", ou spectre, s'apparente à d'autres mots, comme "Wrath", la colère, "Wreath", qui est une volute, "Writhe", qui veut dire se tordre dans des convulsions. Tous ceci suggère l'idée qu'un spectre se définit par sa forme et non par sa consistance.
[Son intervention est coupée par un commentaire de Patrick Curry, l'auteur de "Defending Middle-Earth Tolkien Myth and Modernity", qui ajoute : On sent la vacuité, le vide qui habite les Cavaliers Noirs. Ils n'ont pas de vie propre; ils dépendent totalement de Sauron et de l'Anneau Unique. Tolkien a une vision du Mal intéressante: c'est une vacuité morale, une absence de vie indépendante]
Tom Shippey poursuit alors:
C'est une idée très moderne. Les gens de la génération de Tolkien avaient des difficultés à identifier le Mal, sauf s'ils devaient le subir. Le plus étonnant, c'est que les agents du Mal étaient des gens normaux. et Tolkien savait, lui qui s'était battu, que son propre camp commettait des atrocités. Au XXème siècle, le mal est devenu très impersonnel, comme si personne ne voulait le faire. En fin de compte, ça a été le siècle des plus grandes atrocités commises par des bureaucrates. Ce sont eux, les Cavaliers Noirs. Ils sont fait pour happer le Mal. Ils ont perdu toute notion de morale, ils font ça comme un simple travail. on commence avec de bonnes intentions et ça déraille. C'est une image pertinente du Mal mais c'est très inquiétant. Ca signifie "ça pourrait être moi". et même, si les circonstances s'y prêtent, "ce sera moi". Quand j'entends que ces romans rejettent le monde réel, je ne suis pas d'accord. Ils abordent un sujet que beaucoup aimeraient éviter.
L'Anneau reste une enigme, ce qui est très bien pour l'histoire. Au tout début, Gandalf demande à Frodon de lui donner [sic] l'Anneau, et Frodon a l'impression qu'il pèse une tonne. comme si Frodon ou l'Anneau lui-même rechignaient à ce geste. Qui hésite? Frodon ou l'Anneau? Si c'est Frodon, c'est un peu freudien : il ne veut pas le rendre, alors son inconscient rend l'Anneau très lourd. Là, la source du mal est interne. Mais ça peut être l'Anneau qui se fait lourd. Dans ce cas, il représente une puissance extérieure qui peut vous transformer à votre insu. Si la source du Mal est extérieure et que tout le monde est digne de confiance, alors où est le problème? N'importe qui peut prendre l'Anneau. Mais ce n'est pas le cas, on le voit sans cesse [cf, la "tentation" de Gandalf et son refus: "Je n'ose le prendre"] . On ne eput croire personne, car chacun porte en son coeur la possibilité de devenir un "Cavalier Noir". L'Anneau a deux aspects. C'est une puissance extérieure à laquelle il faut résister et c'est aussi un amplificateur qui met l'accent sur nos problèmes et nos faiblesses. L'Anneau crée une dépendance, c'est certain. L'état qu'il provoque en a toutes les complexités. Plus personne n'est fiable. Les gens deviennet dépendants à l'attrait du Pouvoir, c'est très clair. Au départ, ils veulent ce pouvoir pour faire le bien, mais ensuite ils s'y accrochent et les bonnes intentions s'évanouissent.
Qu'en dites-vous?
Silmo
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pour ce qui est du poid de l'anneau, il faudrait y revenir, mais je pense que le livre est assez explicite là dessus pour qu'il n'y ait pas à tergiverser.
par contre j'aime beaucoup l'idée du mal "vide", sans substance. Tolkien avait-il ça à l'esprit réellement ?? En tous cas, c'est une excellente remarque (déjà vue ici ou là, mais content d'en entendre parler encore).
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Je trouve le point de vue de Shippey plutôt (très) pessimiste voire déprimant.
Je ne crois pas que l'on puisse dire que "chacun porte en son coeur la possibilité de devenir un 'Cavalier Noir'". Il existe d'ailleurs plusieurs exemples contradictoires à ce point de vue.
Sam tout d'abord. Certes, celui-ci a fait montre d'un courage hors-norme en rejetant l'Anneau mais il a su trouver par amour la force de lutter contre l'influence maléfique de l'Unique.
Aragorn qui n'a jamais eu, a priori, l'intention d'utiliser l'Anneau pour combattre Sauron alors qu'il lui aurait été facile d'en dépouiller Frodon à Bree. De même, Merry & Sam n'ont pas non plus eu cette intention. Il est vrai que les Hobbits restent des Hobbits et que l'on ne peut pas forcément les comparer aux hommes ; leur insouciance naturelle les rendant plutôt inoffensif et guère soumis à la tentation.
Si nous revenons aux hommes, nous pourrions parler alors de Faramir qui tenait Frodon prisonnier et qui lui-aussi aurait pu s'emparer de l'Anneau.
Aragorn & Faramir sont bien des hommes, eux. Evidemment, on pourra arguer du fait qu'ils sont d'authentiques Nuumenoréens et qu'ils sont dotés d'une noblesse d'âme qui les élève au-dessus du commun des mortels.
On peut d'ailleurs se poser la question de savoir s'il est réellement possible pour les hommes de lutter contre l'Unique. En quelque sorte, les pouvoirs en jeu ne sont pas identiques et comparables. Lorsque Sauron tente d'assurer son emprise sur les races de la Terre du Milieu, il met en oeuvre une force et une volonté quasi-divine. Sa qualité de Maia en fait un être à part contre lequel il est quasiment impossible de rivaliser. Est-ce réaliste de dire qu'un homme peut contrer la volonté d'un Maia ?
Cédric.
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Cedric> "Est-ce réaliste de dire qu'un homme peut contrer la volonté d'un Maia ?"
Un humain luttant contre Sauron, a priori non (ou bien il faut s'appeler Isildur) mais lutter contre soi-même et connaître ses propres limites ou faiblesses, c'est je crois quelque chose que n'exclue pas le discours de Shippey, et c'est en cela qu'il n'est pas aussi pessimsite que tu le crains.
Aucun hobbit ne tiendrait tête à Sauron en face à face, c'est sûr, tout comme la quasi totalité des humains (Aragorn, héritier d'Isildur serait peut-être la seule exception, alors que Denethor, lui, se berce d''illusions en étant déjà pris au piège); même d'autres maiar ne sont pas à l'abri (cf Saruman en face à face via le Palantir).
Il n'y a qu'un moyen de résister à Sauron et son l'Anneau, c'est de ne jamais l'utiliser, s'abstenir au mieux de le toucher ou de l'approcher. C'est ce que fait Gandalf ("Je n'ose le prendre"); ce que fait aussi Faramir, plus sage et moins impétueux que son frère; c'est la victoire que remporte Galadriel; c'est enfin ce que fait le Conseil d'Elrond qui aboutit à la conclusion que personne d'autre que le détenteur actuel de l'Anneau ne peut le porter à sa place.
(NB: Pour Galadriel, il s'agit vraiment d'un combat contre elle-même, plus encore que contre Sauron: elle doit racheter les fautes de sa famille).
Le cas d'Aragorn est plus complexe peut-être car l'Anneau fait partie de "l'apanage" de sa maison, bien qu'il s'en défende. En effet, tandis que Frodon dira plus tard à Faramir à propos de l'Anneau "Il ne m'appartient pas. Il n'appartient à aucun mortel, grand ou petit; encore que, si quelqu'un pouvait le revendiquer, ce serait Aragorn fils d'Arathorn", Aragorn déclare lui, au Conseil d'Elrond: "Il n'appartient à aucun de nous [...]; mais il a été ordonné que vous le conserviez quelque temps."
A Bree, le Rodeur est encore loin de revendiquer ce lourd héritage en totalité et sa mission est avant tout de sauver les Hobbits des Cavaliers Noirs pour les mener jusqu'à Rivendell.
Ensuite, il reste en quelque sorte indécis pendant longtemps. Pas sur l'utilisation qu'il pourrait faire de l'Anneau (il semble y avoir renoncé très tôt) mais sur les dangers que celui-ci peut représenter pour des caractères moins trempés. Son hésitation est mentionnée au moins 10 fois entre les chapitres "Le miroir de Galadriel" et "Adieu à la Lorien", dans lequel on lit: "Ils débattirent longuement de la conduite à suivre et de la meilleure façon d'accomplir leur dessein concernant l'Anneau, mais ils ne parvinrent à aucune décision. Il était évident que la majorité d'entre eux désiraient se rendre d'abord à Minas Tirith et échapper au moins un moment à la terreur de l'Ennemi. Ils auraient volontiers suivi un guide sur le Fleuve et jusqu'à l'ombre de Mordor; mais Frodon ne dit rien, et Aragorn avait encore l'esprit indécis.".
Au moment de la dissolution de la Communauté, Aragorn est sans doute partagé entre les avantages et les inconvénients d'aller d'abord à Minas Tirith avec Frodon (avantage: se mettre un moment à l'abri / inconvénient: se fourrer dans les griffes de Denethor qui ne laissera pas repartir l'Anneau facilement).
Au sujet de Sam, tu as raison de dire que les Hobbits sont très différents des autres humains. Ils sont d'une trempe et d'une tournure d'esprit très particulières. Par exemple (dans le passage de l'Escalier de Cirith Ungol), Tolkien dit: "Tandis que Sam se tenait là, bien que l'Anneau ne fût pas sur lui mais pendît au bout d'une chaîne à son cou, il se sentait dilaté, comme revêtu d'une énorme ombre déformée de lui-même, vaste et sinistre menace suspendue sur les murs de Mordor. Il sentait qu'il n'avait dorénavant qu'une alternative : s'abstenir d'avoir rccours à l'Anneau, dût-il le tourmenter, ou l'assumer et défier le Pouvoir qui se tenait dans son sombre repaire par-delà la vallée des ombres. Déjà l'Anneau le tentait, corrodant sa volonté et sa raison. De folles fantaisies s'élevèrent dans son esprit : il voyait Samsagace le Fort, Héros de l'Epoque, franchissant avec une épée flamboyante le pays sombre, et des armées s'assemblant à son appel tandis qu'il marchait pour aller renverser Barad-dûr. Et puis, tous les nuages s'éloignaient, le soleil blanc brillait et, à son commandement, la vallée de Gorgoroth devenait un jardin de fleurs et d'arbres, portant fruit. Il n'avait qu'à enfiler l'Anneau, le revendiquer pour sien, et tout cela pouvait se réaliser. En cette heure d'épreuve, ce fut l'amour de son maître qui contribua le plus à maintenir sa fermeté; mais aussi, au plus profond de lui-même, vivait toujours intact son simple bon sens de hobbit : il savait au fond de son coeur qu'il n'était pas de taille à porter pareil fardeau, même si de telles visions n'étaient pas un leurre destiné à le tromper. Le seul petit jardin d'un jardinier libre répondait à son besoin et à son dû, et non pas un jardin enflé aux dimensions d'un royaume; il devait se servir de ses propres mains et non commander à celles des autres."
Il y a donc l'Amour de Sam pour Frodon, bien sûr, mais aussi une grande lucidité sur sa juste place en TdM. Il sait parfaitement qu'il ne joue pas dans la même catégorie qu'un Sauron. voila ce que je voulais dire par *lutter contre soi-même et connaître ses propres limites ou faiblesses*. Et, vu sous cet angle, le propos de Shippey n'est pas si déprimant que ça.... Le danger n'existe que pour ceux qui succombent, même brièvement, à la tentation de l'Anneau. Bilbon, et même Frodon au bout du compte, sont malheureusement deux de ses victimes, comme quoi, Shippey a raison de dire que nul n'est à l'abri, même les esprits a priori les plus innocents (à leur décharge, ils sont tous deux trop longtemps soumis au contact direct de l'Anneau pour avoir la force de résister).
Silmo
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Comme je suis en train de balayer la section présente, je me permets de remonter de vieux fils. Celui-ci était très intéressant. Merci Silmo, non seulement pour le sujet, mais pour la finesse des commentaires :)
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