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Sauf erreur, nous n'avons pas encore ouvert de fuseau consacré à la traduction de ce bel ouvrage (bien qu'il soit question de l'ouvrage en lui-même par ici).
Je relisais Les paroles de Húrin et Morgoth et me penchai cette fois-ci sur la traduction de certains passages (en vue de citations dans un travail à venir « bientôt » c-à-d. qu'on a le temps, et qu'on aura peut-être eu vent des Ents-femmes avant, d'autant qu'Edrahil et d'autres ont maintenant abandonné, de guerre lasse semble-t-il, leur amical harcèlement à son égard :)).
Un premier passage m'amène :
Then Morgoth laughed, and he said: 'Death you may yet crave of me as a boon.' The he took Húrin to the Haudh-en-Nirnaeth, and it was then new-built and the reak of death was upon it; and Morgoth set Húrin upon its top and bade him look west towards Hithlum, and think of his wife and his son and other kin. 'For they dwell now in my realm,' said Morgoth, 'and they are at my mercy.'
'You have none,' answered Húrin. 'But you will not come at Turgon through them; for they do not know his secrets.'
Et Morgoth de rire, et il dit : « Peut-être me supplieras-tu un jour de t'accorder la mort comme un bienfait ! » Alors il emmena Húrin au Haudh-en-Nirnaeth qui venait d'être érigé, et la puanteur de la mort y flottait ; et Morgoth enchaîna Húrin au sommet et lui enjoignit de regarder vers l'Ouest, en direction du Hithlum, et de penser à sa femme et à son fils et à ses autres parents. « Car ils vivent à présent sous ma loi, dit Morgoth, et ils sont à ma merci. »
« Tu n'as pas d'autorité sur eux, répondit Húrin. Et tu n'atteindras pas Turgon à travers eux, car ils ne savent rien de ses secrets. »
The Children of Húrin, p. 63
Les Enfants de Húrin, p. 58-59
La première partie de la réponse de Húrin a été modifiée. Je comprends bien que la merci française est très archaïque, sortie d'expressions maintenant figées (comme dans la parole de Morgoth justement), et qu'« avoir (de la) merci » (dans celle de Húrin) n'en fait pas partie. Pourtant, cette évidence est moins stricte dans un contexte littéraire et vieilli (bien qu'on ne soit certes pas dans les parties du Conte d'Arda les plus archaïques ...), mais surtout, « avoir (de la) merci » n'avait pas besoin ici d'apparaître en clair, seulement d'être suggérée, et la fin de la phrase précédente facilitait cette suggestion en venant juste de renforcer la valeur spéciale de merci en tant que pitié. Je n'aurais donc pas trouvé drôle de lire : « Tu n'en as pas [ou point ou aucune] ».
Bien sûr, je me dis, comme souvent dans ces cas-là, que l'habitude et le goût que j'ai pris à lire Tolkien en anglais et à lire ou à penser souvent aux acceptions anciennes des mots français qui lui correspondent, risque de fausser mon jugement en ce que l'on peut ou non se permettre en matière de traduction. Mais je n'arrive pas à me convaincre (y est sans doute pour quelque chose le fait que cette négation de toute pitié chez Morgoth me paraisse quelque chose de très important : l'enjeu de cet affrontement n'est pas d'abord psychologique et stratégique, mais spirituel, ainsi que le montre, entre autre, le passage ci-dessous).
Je ne sais pas ce que vous en pensez ? ...
Le deuxième passage, donc, à quelques lignes de là :
'This last then I will say to you, thrall Morgoth,' said Húrin, 'and it comes not from the lore of the Eldar, but is put into my heart in this hour. You are not the Lord of Men, and shall not be, though all Arda and Menel fall in your dominion. Beyond the Circles of the World you shall not pursue those who refuse you.'
« Ceci encore je te dirai, esclave Morgoth, dit Húrin, et cela ne provient pas du savoir des Eldar, mais est né en mon cœur en cet instant même. Tu n'es pas le Seigneur des Hommes, et ne le seras point quand bien même tout Arda et tout Menel tomberaient en ton pouvoir. Au-delà des Cercles du Monde, tu ne poursuivras pas ceux qui te renient. »
The Children of Húrin, p. 65
Les Enfants de Húrin, p. 60
Renier traduirait volontiers renounce ou abjure, à la rigueur deny. Ici refuse clairement n'a pas d'autre sens que rejeter, refuser. Et la nuance est importante : autant l'on renie (communément) une foi, des amis ... et Dieu — cf. Eru dans le Conte d'Adanel : « Ye have abjured me » (Home X, 347) — autant l'on rejette un mal, un ennemi ... et Satan — cf. Melkor ici rejeté. L'on attend donc tout naturellement : « tu ne poursuivras pas ceux qui te rejettent ».
Certes, Húrin vient justement, dans ses paroles précédentes (p. 64, vf p. 60), de se faire l'écho exact du Conte d'Adanel, qui dit précisément que les Hommes ont pris Melkor pour Seigneur, et l'on pourrait prétendre en conséquence qu'ils sont donc à même de le renier. Ce serait (théologiquement) discutable car en dépit de la démarche des Hommes (qui constitue pour le coup un reniement d'Eru), Melkor n'est jamais lui devenu ce Seigneur des Hommes : « Ye have abjured me [dit la Voix (d'Eru)] but ye remain mine » (Home X, 347). Dans son assertion, Húrin, inflexible, refuse effectivement de considérer même le passé vécu avec Morgoth comme étant de l'ordre d'une alliance qui serait maintenant reniée : le Morgoth, pour lui, a toujours été et restera toujours l'objet soit d'une soumission soit d'un refus, d'un rejet, jamais celui d'une autre allégeance possible.
Jérôme
PS : Au passage, l'on notera que le chapitre des Paroles de Húrin et Morgoth, est certes court mais combien important, lorsqu'il est mis en parallèle avec le Conte d'Adanel, lequel ne peut donc pas être considéré comme relevant d'une tradition isolée au sein du Conte d'Arda, ainsi qu'on a pu le penser parfois, de mémoire en tout cas :). Les deux textes répondent chacun l'un pour l'autre. Cela bien sûr n'en fait pas une réalité historique de la Terre du Milieu pour autant, mais confirme l'importance de ce mythe au sein du Légendaire, et sa place centrale chez les Amis-des-Elfes.
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Sur le premier point soulevé par Yyr.
Voila un fichu casse-tête qui est lié, semble-t-il aux auxiliaires être et avoir employés avec le mot "mercy" et qui m'ont l'air d'être dans des sens différents entre les deux langues, selon qu'on passe à la forme positive ou négative et surtout selon le sens "avoir de la merci" et "avoir à sa merci".
Or, je ne trouve pas de forme attestée en français pour "avoir de la merci".
To be at the mercy of > être à la merci de.
To have mercy on > avoir pitié, être miséricordieux, être clément.
En français l'auxiliaire avoir ne s'emploie, je crois, que dans l'expression "avoir à sa merci" dans le sens "avoir sous sa dépendance, sous son autorité".
C'est le sens qui a été retenu par le traducteur de l'ouvrage publié.
En suivant la proposition suggérée par Yyr (si je te comprends bien), il faudrait changer d'auxiliaire.
To have no mercy > être sans pitié, être impitoyable, être sans merci.
C'est différent de "ne pas avoir à sa merci"
Ainsi, quand Hurin répond "You have none", si la traduction changeait d'auxiliaire et si elle réintroduisait le mot Mercy, on aurait "Tu es sans merci" dans le sens de "Tu n'as aucune pitié".
On reste dans un registre choisi mais le sens est différent de celui retenu par le traducteur.
Je ne sais d'ailleurs pas si ça suffit à provoquer le sentiment que Morgoth est non seulement impitoyable mais également qu'il ne connait pas la pitié.
Toutefois, est-ce bien ce que Hurin est en train de dire à morgoth??
Ne lui répond-il pas bravement que, tant que ses parents ne sont pas dans ses geôles, ils ne sont pas définitivement "à sa merci".
Dans ce cas, la traduction retenue pour la publication se conçoit.
NB: tout comme celle du mot "but" traduit par "et".
[...] ils sont à ma merci.
- Ils ne le sont pas [seront jamais], répondit Hurin. Et tu n'atteindras pas Turgon à travers eux...
Mais alors, pourquoi Tolkien n'a-t-il pas simplement écrit "They are not"? Pourquoi "You have none"??
Ca n'est pas clair et c'est peut-être ce qui me fait comprendre "you have none" dans le sens "tu ne connais pas la merci".
... et je ne suis pas certain de me faire comprendre :-((
Sur la seconde question, tout à fait d'accord avec Yyr au sujet du verbe "rejeter".
Silmo
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Comme l'appétit vient en mangeant, les idées simples viennent en dormant... donc, après une nuit de sommeil....
Et si "none" se traduisait tout bêtement par "personne" ou "aucun" ?!?
None = aucun membre de ma famille!
c'est-à-dire: "You have none" traduit par "Tu n'as personne / tu ne les as pas / tu n'en as aucun"
comprendre : "Je les tiens à ma merci. -Tu ne tiens personne répondit Húrin"
On serait alors assez proche du sens que le traducteur des "Enfants de Húrin" a privilégié et plus fidèle aux termes employés (have et none).
« Car ils vivent à présent sous ma loi, dit Morgoth, et ils sont à ma merci. »
« Tu n'en as aucun, répondit Húrin. Et tu n'atteindras pas Turgon à travers eux, car ils ne savent rien de ses secrets. »
Silmo
PS: hier, j'ai oublié de mettre un PS. Les bonnes habitudes se perdent
PPS: combien de fois suis-je agacé quand dans les films et séries TV américaines, l'expression "Mercy Hospital" (ex: dans Dr House, le NY Mercy) est traduite par "l'hopital Mercy" au lieu d' "Hopital de la Pitié" (comme la Salpetrière à Paris)
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Lu ici :
Le "merci" de cette expression n'a rien à voir avec un remerciement. Il s'agirait plutôt d'une tentative d'apitoiement. En effet, au XVIe siècle, "la merci" désignait une récompense. L'origine latine du mot ("mercedem") signifia tout d'abord "salaire" puis "prix". Celui qui "tenait à sa merci" était donc celui qui fixait les prix, les conditions. On "demandait alors la merci de quelqu'un" pour tenter de l'apitoyer afin qu'il nous épargne la mort ou une situation inconfortable. Aujourd'hui le sens est plus figuré et signifie qu'une personne en "tient une autre à sa merci", quand c'est elle qui décide du sort de la seconde.
Encyclopédie de l'internaute, "être à la merci de quelqu'un"
Lorsqu'on est à la merci de quelqu'un, on est donc bien sous son autorité; c'est une autorité matérielle, un pouvoir imposé. Morgoth exprime le fait qu'il est maître du sort de ses prisonniers, car ils sont en sont royaume, et qu'il prétend donc être maître de vie et de mort sur eux. La réponse de Húrin va dans le sens du légendaire, Morgoth peut dire ce qu'il veut, ce pouvoir là de destinée est seul celui d'Eru. C'est pas la première fois que Morgoth tente de s'approprier le "Destin" au sens général du légendaire, mais comme d'hab' c'est une illusion. Comme le rappelle Eru dans le Valaquenta, Morgoth ne fait que participer à la création et ne peut sortir du rôle qui lui est accordé. Bon, ça reste mon interprétation du problème hein :)
Pour ce qui est de la traduction, elle me semble assez juste par rapport à cette interprétation là en tout cas. "Tu n'as aucune autorité", ou encore "Tu n'as aucun pouvoir sur leur destin", etc.
J'serais curieux d'avoir vos réactions là-dessus...
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Petit complément...
La merci (au féminin, donc rien à voir effectivement avec le remerciement) a deux significations:
1°) la grâce (à comparer avec la grâce présidentielle). C'est une disposition qui vise à abréger ou atténuer une souffrance, à apporter du réconfort. Le synonyme est la miséricorde.
C'est le sens le plus ancien qui remonte au moins jusqu'au 9ème siècle à partir du mot "mercit".
NB : D'après le TLF, l'origine latine du mot mercedem ne concerne que le mot masculin "le merci" dans le sens de "remerciement"
Dans la tradition catholique, les actes de miséricorde sont ceux qui atténuent les souffrances (donner à manger à ceux qui ont faim, à boire à ceux qui ont soif, vêtir ceux qui n'ont pas de vêtements, héberger les pèlerins, soigner les malades, visiter les prisonniers, donner sépulture aux défunts). Par extension, on a appellé Miséricorde le poignard qui sert à donner le "coup de grâce" aux chevaliers et soldats agonisants sur les champ de bataille. On a aussi appelé cette arme "La Merci de Dieu".
2°) l'état de dépendance envers quelqu'un de qui on peut obtenir grâce.
On trouve alors le mot accompagné de "à" comme dans "à la merci de" ou "corvéable à merci".
Par extension, "avoir à sa merci" qualifie un état de servitude, d'exploitation. On est au service de quelqu'un et à sa discrétion.
Silmo
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Bonjour,
Hurin joue sur le double sens du mot anglais "mercy". Lorsqu'il répond "you have none", le sens de "mercy" visé ici est celui de pitié ou de miséricorde (have mercy = aie pitié). Hurin signifie donc à Morgoth que celui-ci est incapable de montrer la moindre miséricorde ou pitié.
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Une traduction possible serait donc :
- they are at my mercy : leur sort dépend de ma miséricorde.
- You have none : Tu n'en as point.
C'est assez laid, mais cela reflète me semble-t-il l'intention ou l'esprit du texte anglais.
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Oui mais c'est justement la source de l'interrogation; si tel est le cas, la réponse de Húrin sonne un peu de manière étrange dans le contexte. C'est éventuellement une manière de dire "A d'autres, on sait tous bien que tu n'en as pas (de la pitié)" mais je comprends que la formulation soulève des questions.
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Ca n'est pas clair et c'est peut-être ce qui me fait comprendre "you have none" dans le sens "tu ne connais pas la merci"
C'est éventuellement une manière de dire "A d'autres, on sait tous bien que tu n'en as pas (de la pitié)"
Bé c'est exactement ce que j'entendais au départ ... :)
En fait, chers Silmo et Ben (et, si je puis me permettre ce jeu facile, grand merci note pour cet échange :)), je ne voyais nulle ambiguïté, dans la signification originale de ce passage, et n'en vois à vrai dire toujours pas. Le sens que donne Semprini me semblait et me semble toujours évident (Semprini est de retour ! Semprini est de retour ! :) Míruvórë pour toute la salle !! :) Ça fait (vraiment) plaisir de te croiser à nouveau :)). C'est la traduction qui m'amenait, à savoir si l'archaïsme de cette merci française, qui correspond tout-à-fait à la mercy anglaise de ce texte (et pour cause, puisque celle-ci fut à son origine tirée telle quelle du vieux français), imposait de modifier le sens de la traduction, comme cela a été fait dans l'édition française.
J'aurais personnellement préféré :
- they are at my mercy : ils sont à ma merci.
- You have none : Tu n'en as point.
Le sire Moraldandil suivait mon impression, lorsque je la lui partageais récemment, mais avec plus d'hésitation, et c'est lui pour tout dire qui se demanda finalement si nos accointances avec les sens vieillis et parfois même passés d'usage de notre langue ne nous desservaient pas dans notre appréciation. Mais nous n'avions pas pensé à la solution de Semprini :
- they are at my mercy : leur sort dépend de ma miséricorde.
- You have none : Tu n'en as point.
En ce cas, il n'est plus d'archaïsme qui puisse choquer, bien que la formulation soit moins esthétique, c'est vrai, mais certainement pas au point d'être laide ! :)
Dans ces deux cas, le sens et l'esprit de l'original sont respectés. En traduisant :
- they are at my mercy : ils sont à ma merci.
- You have none : Tu n'as pas d'autorité sur eux.
Delphine Martin a préféré éviter je pense tout achoppement dans un texte qui n'est pas à l'origine des plus vieillis dans sa forme (au contraire de bien d'autres). Notons, en lien avec la contribution de Ben, à laquelle je m'accorde volontiers — il est bien question, entre autre, d'une usurpation d'autorité par Melkor dans ce chapitre (mais le lien que tu proposes avec l'étymologie de merci est indirect, si l'on s'accorde sur le sens anglais rappelé par Semprini, sens anglais fondé au moment de son emprunt par le sens alors contemporain de la merci française qui signifiait exactement « grâce, miséricorde, pitié ») —, notons donc que la traduction officielle, à défaut de respecter le sens, a donc bien respecté l'esprit.
Mais je persiste à trouver cela un peu dommage ; car l'on perd en précision doublement : d'une part il ne s'agit pas de n'importe quelle autorité spirituelle, il s'agit ici de celle qui fonde la pitié ; d'autre part l'autorité est discutable à cet endroit précisément parce que militairement et politiquement Morgoth vient bel et bien de l'acquérir (et donc, cher Silmo, Húrin ne saurait à ce moment prétendre que Morgoth ne tient personne en son pouvoir ; à ce moment-là, quasi le plus désastreux de toute l'histoire du Beleriand, seuls Círdan, Finrod, Turgon, et le Doriath peuvent encore prétendre échapper au pouvoir de Morgoth, mais pas le Hithlum, donné immédiatement par le Seigneur Ténébreux à ses serviteurs). Certes, on pourra me répondre que cela permet justement de discriminer de quelle autorité l'on parle, mais, indéniablement, c'est une moindre précision. Et pour une fois que Tolkien employait un (si beau) mot issu du français, quel dommage de ne pas le relayer autant qu'en v.o. ! :)
Yyr
Note : Le saviez-vous, déclara Yyr sur un mode Shroeder-Beethoven (Les Peanuts), l'expression grand merci est responsable du passage du mot du féminin au masculin, ainsi que le Dictionnaire Historique de la Langue Française nous l'expose, avec d'autres choses pour notre intérêt, puisque les sens de cette merci sont ceux qui ont été empruntés et sont demeurés en anglais :
[...] Dès les premières attestations, merci signifie «grâce, miséricorde, pitié» : il en reste une trace dans les locutions demander merci (v. 1176), crier merci «demander grâce» (XIIè s.), qui ne sont plus clairement comprises. [...] Les autres emplois anciens du nom ont laissé des traces dans les locutions : sans merci (1180-1190) réalise l'idée de pitié, la locution adverbiale Dieu merci (1080) exprime celle de grâce, et l'on dit encore à la merci de (1538) au sens d'«à la discrétion de» [...] L'usage de merci comme interjection, utilisée pour remercier [...] est attesté depuis 1135 dans l'expression grand merci (elle-même empruntée par l'anglais gramercy). À l'origine, cet emploi procède de la valeur de «grâce» également réalisée dans plusieurs autres langues du groupe indoeuropéen (italien grazie, espagnol gracias, anglais thanks, russe spacibo, de spassatj «sauver» et bog «Dieu» : «que Dieu te sauve». Le mot, longtemps féminin (1165), est devenu masculin (1539) à la suite d'une interprétation incorrecte du genre dans la locution figée gand merci où grand, ancien adjectif des deux genres (cf. grand rue,...), n'a pas pris la marque du féminin. [...]
Ajouterai-je, parmi les usages n'ayant pas laissé de trace dans le français actuel (mais on la retrouve en anglais), l'expression avoir merci a bien existé, ainsi qu'en atteste l'expression Qui merci prie, merci doit avoir (Larousse, dictionnaire du moyen français) — merci doit avoir devant signifier : « doit lui-même montrer de la / être capable de miséricorde ». Cf. Semprini ;)
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chers tous,
merci de cette discussion et de ces remarques, auxquelles je souscris ! je renvoie au passage d'une interview récente où daniel lauzon rappelle la différence entre ce travail d'exégèse (au sens positif) et la position du traducteur, qui doit trouver des compromis, pour que le livre paraisse... un jour.
je reprendrai tout cela à tête reposée, mais ne doutez pas que la traductrice prenne ces remarques en _très bonne_ part, comme signe de l'intérêt porté à sa traduction ;-)
amicalement
v
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J'ajouterai que ce point sur la traduction a tout de même réuni sur un même fuseau en moins de quelques jours, maîtres Yyr, Silmo, Semprini, Beni-le-beau et Vincent... Rien de moins :o)
I.
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Pour ma part, je trouverais dommage de trop expliciter en traduisant mercy par miséricorde : l'acception ancienne de merci me paraît tout a fait convenable dans un tel texte !
Je proposerais donc la traduction suivante :
- they are at my mercy : ils sont à ma merci.
- You have none : Ta merci ? Tu n'en as point.
En effet, il me semble que le français se prête moins que l'anglais à la forme employée ici par l'auteur, ou plutôt l'écrivain : cette précision reste légère et la réponse devient plus naturelle, il me semble.
Après, les goûts et les couleurs... ;)
Aglarond
PS : de tels débats sur de tels mots et toute la signification profondément enfouie derrière n'est-elle pas le charme de toute traduction, et particulièrement de celle de Tolkien ? :)
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Je comprends ton point de vue, Aglarond. Toutefois, il ne s'agit pas d'"expliciter", mais plus simplement de traduire, c'est-à-dire de trouver un équivalent français véhiculant le même sens, et si possible la même musique, que le texte anglais. Pour un anglais d'hier ou d'aujourd'hui, le mot "mercy" signifiera immédiatement pitié ou miséricorde. Pour un français d'aujourd'hui, le mot "merci" signifiera tout autre chose. Il faut donc trouver au mot "mercy" un autre équivalent que "merci", car il serait dommage de ne pas en restituer le sens.
Yyr, merci pour ton accueil. Une vie familiale et professionnelle de plus en plus envahissante m'empêche maintenant de participer, mais j'essaie de vous lire de temps en temps. :)
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Certes, nous sommes d'accord. Mais justement, la traduction doit rendre compte du registre de langue utilisé par l'auteur. Et comme nous le savons tous, Tolkien utilise le plus souvent un style, comment dire... légèrement archaïsant ? ;) Il utilise en tout cas un vocabulaire d'une très grande richesse, et des termes et tournures souvent anciens. Il me semble donc bienvenu qu'une traduction utilise des termes un peu vieillis (ou du moins une acception vieillie), d'autant qu'ici la détermination du substantif féminin "merci" lève l'ambiguïté sur le sens. Ne serait-il pas dommage de nous priver de toute la richesse de notre langue quand elle rend bien la richesse du style de l'écrivain ?
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Après recherche approfondie, je nuance ma position...
Le Littré nous dit :
3° Par une extension de sens qui est aussi dans grâce (comparez faire grâce, demander grâce), sentiment par lequel on fait aux autres la faveur de les épargner. Un homme sans merci. Dans cette circonstance, n'attendez aucune merci.
Être, se mettre à la merci de quelqu'un, être, se mettre à sa discrétion, c'est-à-dire dans une situation telle qu'il fera grâce, qu'il donnera merci, s'il veut. [...]
SYNONYME :
MERCI, MISÉRICORDE. Dans miséricorde il y a l'idée de misère ; c'est la misère qui touche notre cœur. Merci ne renferme aucune idée de ce genre ; il signifie proprement faveur, et indique la faveur que nous faisons en épargnant. C'est pour cela qu'on dit figurément être à la merci des flots, et non à la miséricorde des flots.
Littré
Et le Cambridge Dictionary Online nous donne :
mercy (KINDNESS) kindness and forgiveness shown towards someone whom you have authority over:
She appealed to the judge to have mercy on her husband.
The prisoners pleaded for mercy.
The gunmen showed no mercy, killing innocent men and women.
Cambridge Advanced Learner's Dictionary
Le Littré indique bien la différence entre la merci (au sens ancien du terme) et la miséricorde. En clair, merci semble convenir pour traduire they are at my mercy, mais on ne peut plus vraiment dire tu n'as pas de merci si on veut traduire l'idée du sentiment de misère déclenchant cette faveur.
Par contre, dans le Cambridge, on retrouve l'idée d'autorité choisie par la traductrice, et je comprends mieux son choix à présent.
Finalement, même si on perd la fluidité de l'original permise par le double sens de mercy, j'en viens à penser que c'est bien Delphine Martin qui colle au plus près au sens des mots. Je dirais que la réponse que je proposais plus haut est bien plus fluide, mais que l'emploi de merci dans la réponse de Húrin est discutable (on perd l'idée de misère), alors que par sa traduction de "at my mercy", Semprini introduit un peu vite cette dernière idée.
Je ne sais pas si je me fais bien comprendre... :s
Aglarond
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Je m'incruste...
Pour résumer ce que disent les uns et les autres...
En fait, l'expression "être à la merci", traduction littérale ou presque de "they are at my merci" est suffisamment courante en français pour ne pas choquer.
Le problème vient bien de la réponse de Hùrin : "you have none". Veut il dire par là qu'il est "sans merci", expression relativement courante en français, quoiqu'un peu littéraire ? Si Hùrin voulait nier l'autorité de Morgoth sur les siens, ne devrait-il pas nier l'expression entière "at my mercy" plutôt que le mot seul "mercy", ce qu'il semble faire ? En lisant le texte en anglais, il me semblait que Tolkien jouait bien sur un double sens du mot "mercy", l'autorité et la miséricorde. "Ne pas avoir de merci" sonne bizarrement en français, mais pas "être sans merci".
They are at my mercy : ils sont à ma merci
You have none : Tu es sans merci
La répétition de merci deux fois en fin de phrase est moche, j'en conviens, mais sachant que la phrase continue... cela donnerait :
« Car ils vivent à présent sous ma loi, dit Morgoth, et ils sont à ma merci. »
« Tu es sans merci, » répondit Húrin. Et tu n'atteindras pas Turgon à travers eux, car ils ne savent rien de ses secrets. »
Réemployer l'idée de merci semble du coup donner un peu plus de répondant, presque de l'insolence, à Hùrin.
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Il faudrait rendre à César... C'est Tina Jolas qui a traduit You have none par "Tu n'as pas autorité sur eux" dans Contes et légendes inachevés. La seule intervention de Delphine Martin, ici, a été d'ajouter un "d'".
Par contre, D. MArtin a remplacé le "fixa" d'origine par "enchaîna" en remplacement de "set". Or, il se trouve que le premier sens de "to set", d'après le Merriam-Webster en ligne, est tout simplement... "(faire) asseoir";)
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"[...] enchaina Húrin au" est effectivement curieux pour traduire "[..] set Húrin upon". Je présume que ce choix participe au parallèle entre Húrin et Prométhée.
En tout cas, merci! (hi, hi) de ce complément fort utile sur Tina Jolas.
Ca me convaincrait presque définitivement que "tu n'as pas autorité" n'était pas le meilleur choix :-)
Silmo
PS: et bienvenue pour ton premier post, Leofil.
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Merci, Silmo.
En disant cela je savais que je donnais des verges pour la faire battre, et pourtant... j'aime beaucoup les traductions de Tina Jolas, avec leur style simili-archaïsant. C'est en partie ce style qui m'a fait aimer le Tuor et le Turin (et je soupçonne que pour beaucoup d'Anglo-Saxons, le high style de Tolkien a le même aspect "boursouflé"). Alors, à côté, les erreurs de détail, c'est accessoire, je trouve;).
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