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Un petit pinaillage sur la traduction des Aventures de Tom Bombadil, et plus spécifiquement sur un choix dans sa préface, traduite par Céline Leroy dans le recueil Faërie et autres textes paru en 2003.
On nous y informe que le magnifique poème de la Cloche marine porte une inscription l'identifiant comme un rêve de Frodon. Sa forme est archaïque : l'original a Frodos Dreme, traduit par Li reve de Frodo.
La forme d'origine n'est pas du vieil anglais, qui aurait été Fródan dréam, mais du moyen anglais, forme plus tardive de la langue, clairement reconnaissable comme une forme antérieure de la langue actuelle (alors que le vieil anglais fait presque langue étrangère, quoique apparentée) car beaucoup plus proche tant grammaticalement qu'orthographiquement.
La traductrice a visiblement cherché à le rendre par de l'ancien ou du moyen français, comme le montre la forme de l'article. Pour comprendre, il faut savoir que l'ancien français comportait une petite déclinaison à deux cas, un cas sujet pour l'apostrophe et le sujet avec ses attributs, un cas régime pour tout le reste. L'article au masculin singulier avait la forme li au cas sujet, le au cas régime. La déclinaison a progressivement disparu dans le passage au moyen français (XIVe-XVIe). Les formes modernes proviennent généralement du cas régime.
Malheureusement, cet essai d'ancien français pose problème, parce que le mot "rêve" n'y existait pas. C'est en effet un terme récent ; l'ancien français se servait normalement pour exprimer cette idée de songe (alternativement sunge, soinge, soigne, soingne) issu du latin somnium et du verbe songier (devenu bien évidemment notre "songer"). Le verbe resver (alt. rever) d'étymologie peu sûre signifiait alors s'abord "errer, vagabonder", avec un sens spécialisé "se promener déguisé pendant le carnaval", et développait les sens de "divaguer" et de "délirer, dire des choses extravagantes". Il a ensuite évolué peu à peu l'idée d'être plongé dans ses pensées ; le sens moderne s'est développé au XVIIe siècle et il a commencé à évincer "songer" pendant le XVIIIe. Et ce n'est que lorsque s'est fait ce développement qu'est apparu le nom "rêve" tiré du verbe correspondant, qui paraît à l'écrit en 1674 seulement d'après le Trésor de la Langue Française. Il n'est donc pas possible de faire usage de ce mot.
Il est possible d'ajouter un archaïsme de plus. Pour exprimer le complément du nom, l'ancien français avait recours comme aujourd'hui à la préposition de, ainsi qu'à a, qui survit aujourd'hui dans des emplois particuliers (genre "tasse à café") et dans l'usage populaire. Mais dans le cas de noms définis de personnes il existait une troisième façon, qui consistait à juxtaposer directement le nom complément au cas régime ; on pouvait donc dire l'espee Lancelot ou li fiz le roi ; cette tournure a régressé en ancien français puis disparu, il n'en reste des traces que dans quelques expressions figées comme "Hôtel Dieu". Une adaptation en ancien français du masculin faible vieil anglais Fróda peut donner au cas régime Frodon (sur cette adptation il y a déjà eu plusieurs fuseaux dont celui-ci).
Une forme d'ancien français plus authentique pourrait donc être Li songes Frodon. Il faut toutefois reconnaître qu'elle risque de passer pour un pluriel auprès du public... alors on peut songer, justement, à une forme plus tardive où l'emploi des formes casuelles n'est plus correct, ce qui pourrait donner un pseudo moyen-français Li songe de Frodon.
Bon, ce n'est certes pas bien grave :) Mais s'il est une nouvelle édition, qui sait ?
B.
Références :
Bonnard, Henri, Régnier, Claude. Petite grammaire de l'ancien français. Paris : Magnard, 1989. 239 p. ISBN 2-210-42209-4
Greimas, Algirdas Julien. Dictionnaire de l'ancien français : le Moyen Âge. Paris : Larousse, 1992. 630 p. (Trésors du français). ISBN 2-03-340327-0
Greimas, Algirdas Julien, Keane, Teresa Mary. Dictionnaire du moyen français : la Renaissance. Paris : Larousse, 1992. 668 p. (Trésors du français). ISBN 2-03-340322-X
Marchello-Nizia, Christiane. La langue française aux XIVe et XVe siècles. Paris : Nathan, 1997. 478 p. (Fac. linguistique). ISBN 2-09-190880-0
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Juste pour le plaisir de relire la prose de Bertrand et vérifier que réponse et remontée s'affichent correctement sur mon écran
Edit : tout va bien - mais y'avait pas de raison
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