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Je viens de lire les deux dernières (et bel et bien dernières dirait-on Tant pis) interventions d'Isabelle Smadja et je pense qu'elle soulève des questions intéressantes même si elle n'y apporte pas forcément les meilleures réponses (sans parler de sa tendance à se perdre dans des détails ou des interprétations quelque peu capillitractées).
Dans son explication de la dangerosité de Tolkien, elle évoque entre autres les liens de ce dernier avec les jeux de rôles et les jeux vidéos. C'est pourquoi je rebondis dessus en ouvrant ce fuseau. On a vite fait d'identifier sinon le "mal", au moins une grande nocivité dans certains domaines, comme les jeux vidéos, les JdR, la SF/Fantasy, la BD, le hard-rock et que sais-je encore, cela varie selon les époques et les modes. Mais on notera que peu se sont intéressés aux raisons qui poussent un individu, ou un grand nombre d'individus à se lancer dans une telle activité, et pour quelles raisons ils fuient la réalité. Il est vrai que poser ces questions reviendrait à remettre en cause certains aspects de notre société et qu'il est donc nettement plus confortable de trouver un bouc émissaire. Je ne poserai pas ces questions qui seraient hors sujet ici, mais celle-ci: comment Tolkien s'est retrouvé être un de ces boucs émissaires?
C'est un vaste sujet, et je l'aborderai en commençant par ouvrir quelques pistes, qui ne sont évidemment que le reflet de mes opinions et en aucune façon des réponses définitives. Si je lance ce débat, c'est parce que je pense qu'il est important de prendre conscience de la façon dont Tolkien est actuellement (souvent mal) interprété, dans quel contexte il se retrouve associé, afin de trouver les explications de sa soit-disant dangerosité et désamorcer un peu cette surenchère de critiques et la méfiance qui existent toujours à son égard.
Quitte à avoir quelques réactions de la part de certains rôlistes, je dirais qu'en s'inspirant de Tolkien et le mélangeant allégrement à d'autres influences, le réinterprétant en termes de jeu, le JdR a largement contribué à n'en garder que le côté spectaculaire. Et le film de Jackson me semble d'ailleurs être tout à fait dans le prolongement de ce phénomène. Le JdR a vidé Tolkien d'une grande part de sa substance pour ne garder que le décor, les costumes et les monstres. Le JdR a pris une telle ampleur qu'il en est devenu LA référence en matière de Fantasy, Tolkien étant alors relégué au statut de précurseur et servant effectivement de caution littéraire. Le problème, c'est qu'à force d'invoquer cette glorieuse inspiration, il y a eu une confusion entre la source d'inspiration et ce qu'elle a inspiré aux yeux du grand public. Et les "dangers" attribués au JdR le sont également aux uvres relevant de la Fantasy, dont bien évidemment leur précurseur.
Une remarque au passage sur le fait que le JdR a inspiré certains jeux vidéos. Les progrès de l'informatique ont été tels qu'il a été possible de mettre sur écran une grande partie de ce qui fait l'attrait du JdR. Mais dire que les jeux vidéos doivent tout aux JdR ou sont leurs descendants, cela me paraît très réducteur, vu la grande diversité des jeux vidéos. Comment peut-on dire que Tolkien a influencé les jeux vidéos, alors qu'il a inspiré certains JdR, lesquels ont inspiré certains jeux vidéos En voilà un raccourci osé! Mais qui apparemment fonctionne.
Une précision: je ne pense pas que les JdR, ni les jeux vidéos soient spécifiquement des activités dangereuses. Je pense que TOUTE activité présente des dangers si elle est pratiquée avec excès, et je ne vois pas de différence très grande entre un joueur excessif de JdR et un joueur excessif de poker: le problème vient de l'individu, pas de l'activité pratiquée, qui n'est jamais que le révélateur d'un problème, un facteur aggravant souvent, mais non pas la cause. La confusion entre réalité et imaginaire, qui résulte justement d'un excès, peut arriver par bien des voies dont la Fantasy, les jeux de rôles ou vidéos sont loin d'avoir le monopole.
Mais le problème est que la Fantasy touchant l'imaginaire de façon plus immédiatement visible qu'un autre domaine, on en conclut hâtivement l'équation imaginaire=Fantasy. La confusion est vite faite: quelqu'un qui fuit la réalité se réfugie forcément dans l'imaginaire (donc la Fantasy), donc ce qui touche à l'imaginaire (donc la Fantasy) est dangereux. Encore un raccourci dans lequel Tolkien se retrouve impliqué.
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"Dangerous !" cried Gandalf "And so am I, very dangerous: more dangerous than anything you will ever meet, unless you are brought alive before the seat of the Dark Lord. And Aragorn is dangerous, and Legolas is dangerous. You are beset with dangers, Gimli son of Gloin; for you are dangerous yourself, in your own fashion" (B2C5, The White Rider)
Désolée, pas pu m'en empêcher, mais cela cadrait avec ce que tu disais. Et je sais qu'il manque un accent sur Gloin, ne me hachez pas menue ;-), j'ai oublié la manip'.
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Héhé... Godwin, pas si troll que ça...
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Tolkien, dangereux ? Non. Sauf si on en fait un gourou. Mais celà vaudrait pour n'importe qui...
Je vais reprendre un thème que j'avais déjà survolé dans le fuseau "Smadja" : Tolkien = dangereux = "escapism"
Il est un fait certain que la lecture des livres de Tolkien vous entraîne dans un autre monde, dans uns époque "légendaire". Mais celà me met plusieurs choses à l'esprit.
1. Est-ce que ce qui se passe dans cet "autre monde" ne nous renvoie pas à des problèmes actuels, sinon éternels ? la compassion, le fait de ne pas faire "n'importe quoi" en temps de guerre, la problématique de la mort et de l'immortalité, les dangers du pouvoir, peuvent être aussi bien traités dans un roman ou un film d' "escapism" que dans un pensum contemporain.
2. Escapism = Fantasy : Alors là, je dis NON. Si la fantasy est de par sa forme une littérature d'évasion, la littérature ( et le cinéma, d'ailleurs ) d'évasion ne se limite pas à la Fantasy. A mon avis, tout livre ( ou tout film ) qui nous fait vivre des aventures dans un monde ou à une époque qui n'est pas la nôtre EST one oeuvre d'Evasion. Il y a autant d' "Escapism" dans une biographie de Napoléon par Max Gallo que dans le cycle de l'Assassin Royal. le fait que d'un côté les personnages aient vraiment existé et de l'autre pas ne fait que mettre un vernis "culturel" sur le premier cycle. Car, au fond, il s'agit pour le lecteur de vivre une aventure passionnante mettant en scène des gens peu communs dans une époque (réelle ou fictive ) troublée. Je crois qu'il serait bon une fois pour toute d'enlever ce vernis "cultureux" de la littérature et d'accepter qu'un puisse lire un livre pour son plaisir, rien que pour son plaisir, et non pour se cultiver ou réfléchir aux problèmes de la société contemporaine. On ne lit pas "Autant en emporte le vent" pour se documenter sur la guerre de Sécession....
3. Epoques troublées : il me semble que c'est là l'essentiel de la majorité, sinon de la totalité des oeuvres d'évasion ( au sens large, comme décrit plus haut ). Et c'est là que, je crois, on peut se poser des questions : qu'est-ce qui attire nos contemporains dans ces histoires qui se passent souvent dans des moments de l'Histoire ( ou de l'histoire ) qui sont, et je n'exagère pas, atroces. mettons les choses au point : je crois qu'aucun d'entre nous n'aurait aimé être un habitant de Minas Tirith fuyant les Orcs dans la vallée de Lossarnach, ni un Grognard pendant la campagne de Russie, ni une femme attendant des nouvelles de son époux disparu à Shiloh, ni un gosse voyant ses parents enlevés pas des pirates ( pour men tenir aux oeuvres citées plus haut ). Mais peut-être aimons nous lire ces livres parce que, quelque part, elles portent les qualités et les défauts humains à leur paroxysme, parce que c'est dans les difficultés les plus grandes que se révèlent les personnalités d'exception, et que, c'est peut-être celà que beaucoup recherchent : rencontrer des gens qui vont jusqu'au bout d'eux-mêmes, dans le bien ou dans le mal.
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Tiens, Godwin, contente de te revoir sur le forum :-)
Puisque tout ceci part de la théorie de Mme Smadja, rappelons ce qu'elle a affirmé : il semble qu'en gros, pour elle, une oeuvre choisie comme tu dis pour servir de bouc émissaire devait nécessairement porter quelque chose en germe qui se prêtait à une telle interprétation. La suite n'est cependant pas très claire, on comprend mal si pour elle cela signifie que l'auteur doit y avoir délibérément introduit un contenu, ou qu'à une époque et en un lieu donné, le contenu d'un livre peut être a priori interprété comme potentiellement dangereux. Evidemment l'idée est plutôt contestable, puisqu'elle sous-entend que la responsabilité est toujours du côté du livre ou de celui qui l'a écrit, et qu'elle a l'air de considérer le contresens comme impossible.
Pour ma part, je crois que l'erreur principale qui conduit à considérer Tolkien comme un danger public est le contresens sur la nature de cette oeuvre : la fantasy est perçue comme un genre sous-littéraire, donc d'accès nécessairement enfantin, et pour lequel il n'existe qu'un seul niveau de lecture ; en général on ne fait pas l'honneur aux auteurs de considérer qu'ils auraient pu, en écrivant leur texte, avoir autre chose en tête que des idées très communes à faire passer en toute lourdeur. Je schématise un peu, mais la réalité est assez proche de cela. D'où l'incompréhension générale de ceux qui considèrent qu'il n'y a rien de plus chez Tolkien que des histoires de gentils, de méchants avec une bonne grosse morale à la fin ; c'est ce genre de trame qu'on va rechercher, et c'est en partant du principe qu'on finira bien par la trouver quelque part qu'on se trompe du tout au tout sur l'ensemble. Je crois qu'il y a bel et bien des "méchants" dans Tolkien ; ce qui manque, ce sont des personnages parfaitement purs à leur opposer. Le véritable combat entre le bien et le mal, il s'est déroulé au début des temps, avant l'éveil des Elfes. Bien que ceci n'apparaisse pas dans le SdA, on peut constater tout de même que l'intrigue n'a rien d'un armageddon. Il s'agit du combat d'un monde proche de celui que nous connaissons finalement, contre un mal absolu qui l'envahit. C'est pourquoi chercher un parallèle avec notre monde en mélangeant allègrement les Elfes, les Hommes et les Orcs est peut-être tentant, mais c'est à mon avis une erreur, erreur, qui plus est, qu'on peut éviter assez facilement, pour peu qu'on prenne la peine de s'interroger une seconde sur le texte. Or, cette peine, on ne la prend guère. Il devient dès lors très facile de trouver au SdA un contenu douteux.
A présent, doit-on affirmer que c'est parce que l'erreur est très accessible que l'oeuvre est dangereuse ? En fait, cela paraît stupide mais c'est un point de vue qu'on peut défendre. On pourrait par exemple penser que si les lecteurs vont assez souvent s'arrêter au premier degré, ils vont pour la plupart d'entre eux être imprégnés des seules résonnances de l'oeuvre qui pourraient faire songer à du rascisme, et l'oeuvre se retrouvera ainsi à faire des dégâts que son auteur n'avait pas prévus, parce que ceux qui l'auront abordée de manière superficielle y verront (à tort ou non, ce n'est pas le problème) une justification à leurs pulsions rascistes, xénophobes ou allez savoir quoi d'autre... Franchement, je ne trouve pas cela très convaincant. Tout d'abord, parce que je n'ai pas l'impression que le SdA soit un livre si facile d'accès qu'on tend à le prétendre de la fantasy en général, et j'aurais plutôt tendance à penser que ceux qui seront capables d'arriver au bout seront également capables de réfléchir un minimum sur son contenu. Ensuite, simplement parce que quand bien même les lecteurs de Tolkien seraient si primaires que cela, le premier niveau de lecture qu'ils retiendraient serait celui du combat entre les hommes et les orcs ; étant donné qu'il n'y a pas d'orcs dans notre monde, l'analogie est assez difficile. Enfin bref, prétendre que le SdA est une lecture dangereuse parce qu'il est possible de mal l'interpréter est à mon avis peu cohérent. Seulement, dans la mesure où il fait office de livre culte, adopter un ton polémique à son sujet au lieu de rejoindre les rangs des "adorateurs" (je mets entre guillemets parce que Mme Smadja nous a déjà suffisemment traités de fanatiques comme ça) est certainement beaucoup plus profitables aux médias et aux critiques désireux de se faire remarquer. La recette est vieille comme la presse (qu'on lise l'analyse de Balzac dans les "Illusions perdues" pour s'en convaincre...).
Je ne pense pas non plus que la littérature d'évasion soit dangereuse par elle-même. Il y a un si grand nombre d'activités qui constituent une fuite du réel, à une échelle ou une autre. La soupape est nécessaire. Notre mémoire elle-même est agencée de manière à nous permettre de nous évader dans ce qu'il y a eu d'agréable dans notre vie ; à moins d'un traumatisme considérable, elle nous fait plus facilement revivre les épisodes agréables que ceux qui ont été plus difficiles. Le rêve a exactement la même fonction. En d'autres termes, la fuite du réel est intégrée à notre constitution cérébrale. Elle n'est pas néfaste, bien au contraire, quoiqu'on ait souvent tendance à penser que "garder les pieds sur terre" est l'attitude la plus raisonnable et la moins dangereuse. Idée reçue sans grand fondement, à mon avis. Il y a une marge entre l'absence absolue d'imagination et la schizophrénie, et la littérature d'évasion se situe précisément dans cette marge, de même sans doute que les jeux vidéos et les jeux de rôles (mais je ne veux pas me risquer à donner mon avis sur ce que je ne connais pas).
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Franchement...ceux qui osent affirmer que les jeux (vidéos, de rôle, etc..) sont dangereux... ils ne le sont à mon avis que si on a soi même un p'tit problème dans sa p'tite tête ;). Les interprétations hâtives et douteuses, y'en a qui feraient mieux de se les garder !
Anordil
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