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Carte d’Oxford en 1910.
A la fin de la première quinzaine d’octobre 1911, après avoir pris congé de la pension familiale des McSherry à Highfield road, Ronald intègra Oxford pour entamer les études de lettres classiques auxquelles il avait pu s’inscrire grâce à la bourse partielle obtenue en décembre 1910.
Plutôt qu’un voyage en train depuis Birmingham, c’était en passager de l’automobile de son ancien professeur de King Edward, Richard W. Reynolds, qu’il fit son entrée dans la ville universitaire.
Son établissement de rattachement était le collège d’Exeter, une institution fondée en 1314 par Walter de Stapeldon. Les bâtiments principaux du collège dataient des XVIIème et XVIIIème siècles et une impressionnante chapelle construite en 1850, sur le modèle de la Sainte Chapelle de Paris, enrichissait le « quadrangle », la grande cour du collège.
Cartes postales représentant le quadrangle du collège Exeter vers 1910-1912
(à gauche, vue sur l’entrée principale et la chapelle depuis l’angle sud-est ; à droite, la vue opposée sur la salle à manger et la façade est)
Le bâtiment de logements étudiants attenant au collège de Ronald s’appelait le « Swiss Cottage » (Cottage suisse). Le jeune homme apprécia sans doute la coïncidence, lui qui avait encore en tête le souvenir récent des paysages de montagnes de ses vacances estivales.
En s’installant dans la chambre 7 du « Swiss Cottage », dont la vue donnait sur Turl Street, la rue du collège, Ronald découvrit sa nouvelle vie : un logement personnel, des domestiques au service des étudiants, du temps pour le rugby, le dessin, la calligraphie, la poésie et l’étude de ses langues inventées, mais aussi des clubs d’étudiants en grand nombre, et de nouveaux professeurs.
Une représentation en relief du collège Exeter, sur une carte postale des années 1910-1915
(le nord est à gauche et le sud à droite, et le “Swiss Cottage” est le bâtiment étroit à gauche de la chapelle)
Au collège Exeter, Ronald suivit un cursus de Lettres classiques, fait de cours, de conférences et de lectures approfondies de textes d’auteurs grecs et latins, en vue de préparer ses premiers examens, les Honour Moderations, prévus pour février 1913. Dans le cadre de l’option sur la philologie comparée, qui l’intéressait bien plus que les classiques, il assista également à des conférences du professeur Joseph Wright sur les langues médiévales d’Europe. Sur les conseils de ce professeur, Ronald s’investit un peu plus dans l’étude de la langue galloise.
Il était ainsi amené à fréquenter avec bonheur la bibliothèque de l’établissement, dont les fenêtres néo-gothiques donnaient sur un agréable jardin arboré.
C’est là qu’il découvrit une grammaire de la langue finnoise, lui permettant d’explorer la langue originale de l’épopée du Kalevala, un récit épique dont il avait découvert la traduction lorsqu’il était élève à l’école King Edward. Son engouement pour ces nouvelles découvertes le détournèrent du droit fil de ses études, mais influencèrent profondément son imagination et le travail personnel sur ses propres créations linguistiques.
C’est en effet avec la découverte du finnois et l’inspiration esthétique que cette langue lui inspira qu’il commença à élaborer ce qui allait rapidement devenir la première des langues elfiques, le qenya.
Plan du collège (dans A History of the County of Oxford, Volume 3 (University of Oxford, 1954).
La bibliothèque (“Library”) se trouve à droite du plan, un peu excentrée mais faisant bien partie des bâtiments du collège.
Toujours aussi sociable, Ronald se lia d’abord avec deux étudiants catholiques, Anthony Shakespeare et B.J. Tolhurst, qui l’aidèrent à s’installer et à prendre ses marques ; puis il s’inscrivit à différents clubs de débats (dont l’influente Stapeldon society), enfin il monta un club littéraire avec une douzaine de ses camarades de première année, dont Colin Cullis qui en devint le premier président. Dans ce club, les Apolausticks, Ronald insuffla l’esprit troublion du TCBS.
Pour autant, le jeune étudiant ne perdit pas contact avec ses amis edwardiens. Il poursuivit une correspondance avec les membres du TCBS, en particulier Trought, Gilson, Wiseman et Smith.
Il les retrouva par ailleurs à Birmingham à partir de la mi-décembre 1911. Il participa à un débat à l’école King Edward et monta également avec eux la pièce Les Rivaux de R.B. Sheridan, donnée peu avant Noël dans le cadre de la Société de comédie musicale et dramatique de l’école.
Cette entreprise artistique collective renforça le lien entre les membres du TCBS, et en particulier entre Ronald et G.B. Smith, qui intégra lui-même Oxford (le collège Corpus Christi) à partir de 1913.
Les Apolausticks en mai 1912. Tolkien est assis au deuxième rang, le deuxième à partir de la droite.
Cette photographie est reprise dans l’ouvrage de John Garth, Tolkien at Exeter College, 2014.
L’année 1912, commencée avec le deuil de Vincent Trought, passa entre études, travaux linguistiques, réunions des Apolausticks, dîners et divertissements. Il y eut aussi des entraînements militaires à l’Officer Training Corp, dont Ronald faisait partie depuis les années d’école à King Edward. Durant cette période, il délaissa la pratique de la foi, mais s’engagea dans un renforcement de sa popularité, s’apprêtant, à partir de 1913, à devenir le président de la Stapledon Society.
Il passa les vacances de Noël 1912, les dernières semaines de ses 20 ans, avec sa famille Incledon à Barnt Green. Sa majorité approchant, le souvenir de l’amour porté toutes ces années à Edith Bratt se raviva.
3 janvier 1913, libéré de la promesse faite à son tuteur de ne plus contacter Edith jusqu’à ses 21 ans, Ronald écrivit une lettre à la jeune femme pour l’assurer de son amour et de son souhait de l’épouser. Mais sans nouvelles régulières de Ronald, elle s’était engagée auprès d’un autre homme.
Sans se démonter, Ronald donna rendez-vous le 8 janvier à Edith à la petite gare de Charlton Kings, à Cheltenham, et sauta dans le premier train à la gare de Barnt Green, convaincu de reconquérir le cœur de son aimée… Ce qu’il fit.
Mais ceci est une autre histoire.
Le quai de la gare de Charlton Kings, à Cheltenham, où Edith et Ronald se retrouvèrent le 8 janvier 1913.
Ce rendez-vous mit fin à 3 ans de séparation et fut le point de départ d’une nouvelle vie pour les deux jeunes gens.
Jean-Rodolphe Turlin,
le 1er juin 2019.
Sources utilisées : Bibliographie