Mark Eddy Smith,Tolkien’s Ordinary Virtues. Exploring the Spiritual Themes of The Lord of the Rings, Downers Grove (Illinois), InterVarsity Press, 2002, 144 p.
Mark Eddy Smith est écrivain et graphiste à l’InterVarsity Press qui se trouve être, de manière assez naturelle, la maison d’édition qui le publie. Tolkien’s Ordinary Virtuesentend, comme le précise le sous-titre, explorer les thèmes spirituels présents dans Le Seigneur des Anneaux. L’ouvrage se présente sous la forme de trente chapitres d’une moyenne de trois pages chacun. Quelques-uns s’achèvent par une citation biblique et sur des remarques concernant l’actualité de notre pratique ordinaire de la vertu, montrant ainsi les enseignements de la féérie de Tolkien. Il arrive aussi que l’A. réfléchisse sur sa propre expérience de la vertu (de l’humilité, p. 76, du courage, p. 124). Ce n’est pas là l’essentiel. Deux points retiendront particulièrement l’attention.
D’abord, la notion de vertu (ordinaire) est sans doute trop large pour atteindre ici au concept. Nulle part n’en est donnée ou rappelée de définition – même si la bibliographie renvoie à The Four Cardinal Virtues de J. Pieper (1966), également cité p. 127. C’est d’ailleurs, hormis C. S. Lewis, le seul auteur à être convoqué lors des analyses. Les vertus ordinaires atteignent ici le nombre de trente. À côté des trois vertus cardinales (la foi, l’espérance, la charité), nous rencontrons, en guise de vertus ordinaires : la simplicité, la générosité ou l’amitié par exemple. L’ouvrage traite aussi, explicitement, de deux vertus extraordinaires : la résurrection (p. 70) et la providence (qui ” (…) n’est pas à proprement parler une vertu. Je l’inclus parce que je la crois être l’une des vertus de Dieu “, p. 79). L’on est tenté de comprendre ce qui est appelé ici vertus ordinaires les bonnes dispositions d’âme, les bons caractères.
Ensuite, le sous-titre induit qu’il soit traité thématiquement de ces vertus à travers Le Seigneur des Anneaux. En fait, l’ouvrage poursuit deux buts simultanément. L’A. identifie des vertus ordinaires au fur et à mesure du Seigneur des Anneaux. Chaque partie de l’ouvrage, qui en compte six, entend dépeindre un livre du Seigneur des Anneaux. Analyse thématique et suivi de la progression des livres coïncident assez heureusement, très clairement en tous cas pour La Communauté de l’Anneau. La simplicité des Hobbits permet de suivre le Prologue, la générosité la réception de Bilbo, l’amitié le départ des Hobbits de la Comté vers Bree, l’hospitalité les figures du P. Maggot et de Tom Bombadil. Puis, c’est le conseil d’Elrond qui permet de souligner l’idée (la vertu ?) de perspective (considération du passé pour déterminer un plan) et la communauté (dont la constitution est le résultat de la délibération précédente). Suivent l’émerveillement dans la Lórien, où nous rencontrons également la tentation de Galadriel.
La tentation justement, apprend-on, est une vertu dans la mesure où elle est une bonne épreuve, quelle qu’en soit l’issue. Même en cas d’échec, le mal peut entrer au service de la vertu (cf. CHAP. xvi). L’échec peut en effet apparaître comme remarquable non pas en lui-même mais dans la mesure où ceux qui ont failli peuvent s’en relever. Si l’on ne peut effacer les fautes, la réparation est possible. Ainsi en va-t-il de Boromir qui paye de sa vie sa trahison. Nous touchons là une des idées centrales de l’ouvrage. La tentation, l’échec ou la faute (failure) et la réparation forment un ensemble que l’A. rapporte à l’idée d’espoir. La plus grande des tentations consiste en l’abandon lorsque nos projets ne se réalisent pas, alors qu’il s’agit de persévérer (même si la persévérance pour la persévérance est dénoncée avec la figure de Gollum qui finit par mourir en voulant posséder à tout prix son précieux, p. 123). Bref, gardons espoir. Ce dernier doit être conçu comme un choix : ” L’espoir n’est pas un sentiment, c’est un choix. Et même en plein désespoir nous pouvons toujours choisir de continuer. Il n’y a pas de plus grand espoir que cela ” (p. 97). Cela nous rapproche de la joie (paradisiaque) comme secret des chrétiens (comme il est rappelé avec Chesterton au CHAP. xxv). L’A. s’appuie dans son analyse de l’espoir comme choix sur l’attitude de ressaisissement de Frodo proche du but en Mordor. Ces thèmes, ainsi que celui de la confiance (notamment, CHAP. xvii-xviii, l’efficacité de la confiance placée en Sméagol qui change ipso facto la voix de Gollum, mais Gollum/Sméagol est toujours un personnage ambivalent même quand il veut être digne de confiance, et l'” on ne peut servir deux maîtres à la fois “, Mt 624), sont les principaux à être exhumés des Deux Tours et du Retour du Roi.
Soulignons encore l’attention portée à la générosité et à Théoden. Le CHAP. ii se concentre sur la signification de la fête d’anniversaire de Bilbo. L’A. remarque que, jamais dans l’histoire de l’Anneau, il n’avait été cédé volontairement – au contraire, rappelons-le, l’Anneau lui-même est une volonté. Comment lutter contre sa volonté de puissance ? La fête où Bilbo, généreusement, offre des cadeaux à tous en est l’instrument puisqu’il atténue ainsi la difficulté de donner l’Anneau à Frodo. Ce précédent est important puisqu’il rompt l’histoire de l’Anneau et prépare en un sens son annihilation. La figure de Théoden est, elle, approchée par touches, présentée à plusieurs reprises. L’A. souligne notamment que l’humilité consiste à savoir qui l’on est et partant comment l’on peut être appelé. Pour le dire autrement, au-delà de l’identité, le vrai nom est le critère de l’humilité. Ainsi en va-t-il de Théoden abusé par les mensonges de Gríma et qui pourra redorer son blason lorsque Gandalf lui rappelle quel il est : un roi.
Pour conclure, disons que Tolkien’s Ordinary Virtues se lit rapidement et les difficultés théologiques y sont absentes – on s’en réjouira ou le déplorera, c’est selon. Du point de vue tolkienien, l’ouvrage se concentre sur Le Seigneur des Anneaux, avec simplement des renvois plus que sporadiques au Silmarillion.
Michaël Devaux.
© La Compagnie de la Comté, novembre 2003.