Tiré du Times, Supplément Littéraire, 27 Août 1954, une critique de La Communauté de l’Anneau.
(traduit par Eric Petit)
Tentative héroïque
J. R. R. Tolkien : La Communauté de l’Anneau.
Première partie du Seigneur des Anneaux, Allen and Unwin. 21s.
Dans un livre précédent, Bilbo le Hobbit, le Professeur Tolkien décrivit un monde jeune et brut, où les hommes se traînaient dans des vallées désertiques, alors que dans les terres perdues, Dragons et Nains se disputaient un trésor secret. Dans ce monde vivaient les Hobbits, créatures très similaires aux hommes, mais aux pieds poilus. Elles sont taquines, plutôt philistinnes, créatures dont le credo du chef est « cultiver la nourriture et la manger » ; grands buveurs de bière, fumeurs assidus, aimant donner des fêtes et des discours d’après-dîner (un lecteur vit en eux l’influence de Toad de Toad Hall).
Dans La Communauté de l’Anneau, c’est comme si ces Light Programme type s’étaient introduits dans le domaine des Nibelungs. Le résultat est un système mythologique aussi cohérent, complet et détaillé que ceux construits par les anciens des cités-cultes du Levant. L’auteur a entrepris une tâche à laquelle Homère, Hésiode et Ovide ont travaillé, et dans ce long livre, le premier volume d’une trilogie, leurs différents styles sont reflétés par différents modes.
Les Hobbits cultivent, s’amusent et vivent durant de nombreuses années ; mais ils ne sont pas immortels, et ils se marient, ont une descendance. Le héros de cette heureuse communauté de vieux écoliers est M. Bilbon Baggins, qui a un jour capturé le trésor d’un dragon ; il conserve un anneau magique comme trophée de cette dangereuse aventure. Mais la Comté, la paisible patrie des Hobbits, est située dans un vieux monde tombé en ruines ; la terre environnante est peuplée de vestiges de royaumes disparus, et sur des chemins presque oubliés, de mystérieux vagabonds rapportent les rumeurs d’actes déplaisants dans le sud. M. Baggins apprit que l’Anneau était plus qu’un trophée. Si le grand magicien peut en prendre possession, il règnera sur le monde par sa force démoniaque ; mais sa magie n’est d’aucune aide pour le bon, car s’il le porte, cela blesse son corps et son esprit. Alors M. Baggins prend sa retraite dans les bois avec les elfes, confiant l’anneau à son neveu et héritier Frodon Baggins. Frodon décide de détruire l’anneau ; bien qu’il ne puisse être fondu que dans le feu qui l’a forgé, et ce feu brûle dans les profondeurs de la citadelle du démon. Il se met en route avec son dangereux fardeau, rejoint par divers braves et talentueux Magiciens, Nains, Elfes et Humains, et à la fin du volume est sur le point d’entrer, seul, dans la capitale du danger et de la perversité. Le devoir l’a obligé à affronter sa tâche et, d’un jeune cupide et boiteux hobbit, il est devenu un noble paladin.
Seul un considérable talent de narration peut surmonter la difficulté d’un tel changement dans les limites d’un seul livre. Il était facile d’échouer, mais le Professeur Tolkien y réussit. Le récit facétieux des banquets de la Comté mène à de merveilleuses descriptions de Rivendell et de la Lothlórien, puis des forêts luxuriantes des elfes ; plus loin, le compte rendu sinistre du massacre de Balin, fils de Fundin, le prince des Nains qui tenta de reconquérir le royaume souterrain de la Moria aux sinistres Orques fait délibérément écho au désespoir certain des Sagas. Cette copieuse invention d’arrières plans et l’émotion d’une aventure à frissons promène le lecteur avec certitude d’une humeur à une autre.
Pour le moment, l’histoire manque d’équilibre. Tous les Hobbits, Nains, Elfes et Humains bien-pensants peuvent s’unir face à Sauron, Seigneur du Mal ; mais leur seul code est le code du courage du guerrier, et l’auteur n’explique jamais ce qu’ils considèrent comme le Bien. Sans le Graal et l’amour romantique, même le monde de Malory semblerait vide. Peut-être, qu’après tout, est-ce le sujet d’une subtile allégorie. Contre la Russie, le monde occidental peut collaborer, mais si le Rideau de Fer faisait disparaître les dirigeants de la Yougoslavie, l’Espagne et l’Angleterre auraient du mal à s’accorder sur la prochaine étape.
Soit c’est ce qu’il veut dire, soit il ne veut rien dire du tout. La Communauté de l’Anneau est un livre à lire pour une solide prose et une rare imagination.
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