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hiswe-category/pdoc.gifLinguistique - Des enclitiques en sindarin ?

Des enclitiques en sindarin ?

Article issu de Hiswelókë, Troisième Feuillet, pp. 69-73.
© 1999-2000 Didier Willis.

Dans la version anglaise de mon article à propos de l'inscription en tengwar sur les Portes de Durin ¹, publié dans Tyalië Tyelelliéva n°10, j'indiquais que je ne comprenais pas pourquoi le mot tîw (« lettres ») était écrit thiw dans Celebrimbor o Eregion teithant i thiw hin, « Celebrimbor de Houssaye grava ces signes ». Je me serais alors attendu à ce qu'il soit écrit thîw avec un accent circonflexe. En sindarin, la mutation de la consonne initiale après l'article défini pluriel in est un phénomène normal, parfaitement attesté : par exemple ² Periannath « Hobbits » mais i·Pheriain « les Hobbits ». Sur ce modèle, nous devrions donc théoriquement avoir, en toute logique :

    in tîw > i·thîw « les signes, les lettres »

     De la même manière que nous avons aussi :

    Narn i·Chîn Húrin « Le Lai des Enfants de Húrin » ³

     La mutation initiale s'explique donc très bien. En revanche, il est étrange que le mot soit écrit sans accent diacritique sur l'inscription. En sindarin, le circonflexe indique que la voyelle longue est allongée plus que de coutume, dans un mot monosyllabique accentué 4. Dans les mots de plusieurs syllabes et les mots composés, les voyelles longues gardent leur quantité habituelle même lorsqu'elles portent l'accent. Si nous reprenons l'exemple donné dans l'appendice E du Seigneur des Anneaux :

    dûn « ouest » [d|u:n] : la voyelle est prolongée dans un mot monosyllabique

    dúnadan « homme de l'ouest » [d|u.nadan] : la voyelle garde sa quantité dans un mot composé 

    En utilisant conventionnellement la marque de mi-longueur (.) de l'Alphabet Phonétique International pour les voyelles longues, et la marque de longueur (:) pour les voyelles prolongées.

     Il nous faut trouver une explication à la disparition de l'accent dans i thiw hin « ces signes ». Cette écriture signifie que la voyelle est devenue courte. Si nous traduisons cela en phonétique :

    enclit-sindar.gif

     L'article n'y est clairement pour rien, puisque nous avons l'exemple de i·chîn où la voyelle conserve sa quantité. D'ailleurs, la lettre n° 347 de Tolkien atteste la forme thîw - avec une faute de typographie, l'article précedant le mot étant rendu par un signe de ponctuation 5.
     Par conséquent, je soupçonne fortement que le démonstratif pluriel hin (« ces ») puisse être ce que l'on appelle un enclitique en linguistique. Les enclitiques (du grec egklinomai, je m'appuie sur) sont des particules qui font corps avec le mot précédent et influencent son accentuation, et potentiellement sa prononciation - tout particulièrement la quantité des voyelles, qui nous occupe ici. Ainsi, en grec ancien le determinant indefini tis est une telle particule :

    enclit-grec.gif  « un homme » vs. « un certain homme »

     En grec, les enclitiques altèrent uniquement l'accentuation des mots. Mais il n'est pas illogique de supposer qu'en sindarin, ils jouent plutôt sur la quantité de la dernière voyelle. Nous aurions alors les dérivations suivantes :

    in + tîw > i *thîw « les lettres »
    in + hîn > i chîn « les enfants »

     mais :

    in + tîw + hin > i thiw hin « ces lettres »
    in + hîn + hin > i *chin hin « ces enfants »

     Bien évidemment, ce ne sont là que des suppositions. Le démonstratif hin n'est pas attesté ailleurs dans notre corpus, mais il se rattache probablement au quenya sina 6. Comme lui, il se comporte en adjectif épithète et se place après le nom. En outre, on observe fréquemment une lénition (mutation de la consonne initiale du second mot) de l'adjectif au sein du groupe nominal :

    Eryn Vorn « Les Bois noirs » pour Eryn Morn
    Pinnath Gelin
    « Les Crêtes Vertes », de Pinnath + Celin

     Sur cette base, nous pouvons supposer que le démonstratif est en fait *sen, pluriel *sin 7.

     En grec ancien les enclitiques ne portent pas eux-même d'accent, du moins quand ils sont monosyllabiques (sans entrer dans les détails, les enclitiques de deux syllabes, e.g. l'accusatif tina, peuvent parfois porter l'accent). Si l'on admet à ce stade que l'adjectif démonstratif est bien une particule enclitique, en existe-t'il d'autres en sindarin ? A ma connaissance, un seul enclitique est attesté dans le texte linguistique Quendi and Eldar 8 :

    As a pronoun, usually enclitic, the form pen, mutated ben survived [pronominal 'one, somebody, anybody'].

     Si nous construisons une phrase comme lathron ben ned eryn « j'entends quelqu'un dans les bois », il conviendrait donc de la découper ainsi : [lathron-ben] [ned] [eryn]. Le pronom indéfini pen (muté en ben en position de complément d'objet direct) se rattache au mot qui le précède, ici un verbe conjugué.

     Un peu plus haut dans cet essai 9, J.R.R. Tolkien nous fait aussi cadeau d'un proclitique, c'est-à-dire une particule qui s'appuie sur le mot suivant (du grec proklinomai, je me penche en avant) :

*ho as a proclitic .... possibly contributed to the Sindarin preposition o .... which is used in either 'direction', from or to the point of view of the speaker.

     Ceci signifie que dans l'expression Celebrimbor o Eregion, il faut découper [Celebrimbor] [o-Eregion], la préposition o étant considérée comme faisant corps avec le mot qui la suit. Comme aucun exemple n'est donné, ces éléments ne nous avancent pas beaucoup. Nous ne savons toujours pas quelle conséquence ces enclitiques ou proclitiques peuvent avoir sur l'accentuation et la quantité des voyelles. Cela nous prouve néanmoins que J.R.R. Tolkien connaissait ces concepts, et qu'il les a appliqués, d'une manière ou d'une autre, à la langue sindarine. A ce jour, l'exemple de la Porte de la Moria est le seul de son genre, c'est un peu mince pour en déduire une règle générale.
     Enfin nous avons le cas très étrange de l'adjectif possessif nín 10 :

    ered e·mbar nín « les montagnes de mon pays »

     Dans la mesure où il est écrit avec un signe aigu, nous devons en déduire que sa voyelle longue n'est pas accentuée. Il ferait donc un très bon candidat pour un enclitique. Cependant, c'est là un cas unique dans notre corpus, et peut-être bien une erreur de J.R.R. Tolkien - ou de Christopher Tolkien quand il a recopié le manuscrit 11. Les autres adjectifs possessifs que nous connaissons ont tous un circonflexe, et portent donc tous l'accent : dîn et în dans la lettre d'Aragorn à Sam 12. Il faudrait alors restaurer la graphie *nîn, et ne pas compter ce mot au nombre des enclitiques...


     En conclusion, nous avons porté notre attention dans cet article sur un tout petit point de détail, un accent circonflexe manquant contre toute attente dans une inscription elfique. Insignifiant, diront probablement certains, mais comme nous venons de le voir, il peut y avoir derrière cette absence une théorie remarquable... ou une simple erreur. Tout ceci, en effet, reste très spéculatif. Le processus qui a mené à l'inscription définitive des Portes de Furin est loin d'être simple. Selon toute évidence, il n'y eut pas moins de six croquis intermédiaires 13, passant chronologiquement par i·ndíw thin (avec nd rayé et remplacé par th dans la transcription latine), i·ndiw thin (avec la même correction), i thiw hin puis i thin (sic), pour revenir à la version finale i thiw hin. Comme de coutume, il est difficile de savoir ce que l'auteur avait exactement en tête.

lfleurg.gif

1. Cf. Hiswelókë, Premier Feuillet, pp. 5-11. En réalité cette interrogation m"était déjà attribuée dans le bulletin de la Faculté des Etudes Elfiques, Féerik n°5 (fanzine), 1990, sans doute sous l'impulsion de son éditeur Edouard Kloczko.

2. The Lords of the Rings, App. F et Ch. VI:IV respectivement.

3. L'écriture Narn i Hîn Húrin est une « simplification » regrettable de Christopher Tolkien, qui a voulu éviter que le lecteur anglais ne prononce /tch/, alors qu'il s'agit d'une fricative en sindarin, à l'origine pronononcée /x/ comme le ach-laut allemand (« bach »). Dans les textes originaux de J.R.R. Tolkien, il est bien écrit i·Chîn. Nous avons aussi l'appelation iChúrinien, qui nous permet de déduire que la forme non mutée de chîn est hîn (singulier hên), ce que nous confirme The War of the Jewels, p. 403. Pour plus d'information sur les mutations initiales des consonnes en « noldorin »(état précurseur du sindarin), se reporter à The Lost Road, p. 322. Les mutations du sindarin seront évoquées dans Hiswelókë, Quatrième Feuillet.

4. Nous représenterons l'accentuation par un trait surélevé (|). La terminologie française n'est pas très claire, et confond la notion d'accent de prononciation (anglais stress) et l'accent en tant que marque diacritique (ici le circonflexe et l'accent aigu). Il faut bien différencier les deux concepts, pour comprendre que les mots elfiques sont accentués sur la pénultième ou l'antépénultième syllabe, selon leur quantité :

    n|ifredil (perce-neige), n|arbeleth (automne),
    ith|ildin (matière reflétant la lumière de la lune)

L'accent de prononciation de la langue sindarin a un caractère musical : c'est un accent de hauteur, la syllabe étant prononcée un tou plus haut (« élévation de la voix sur un ton », Petit Robert, 1973), à la différence du français qui possède un accent d'intensité (la voix devient plus forte, « augmentation d'intensité de la voix sur un son dans la parole », Ibid.). En simplifiant grossièrement, ce dernier tombe sur la syllabe finale : tableau. Quant aux signes diacritiques, ils indiquent en sindarin la longueur (ou quantité) de la voyelle : ú est un u long, et û est encore plus allongé. Ils n'ont donc rien en commun avec l'utilisation qui en est faite en français, où ils dénotent des voyelles d'aperture différente (« écartement des organes au point d'articulation d'un phonème pendant la tenue », Ibid.) - comparer le é fermé et le ê ouvert.

5. The Letters of J.R.R. Tolkien, Allen & Unwin, 1981, lettre n°347, p. 427.

6. Se référer aux paroles de Cirion, vanda sina « ce serment », Unfinished Tales, Unwin Hyman, 1982, p. 305 et p. 317.

7. Cette supposition a été émise par David Salo sur la liste de diffusion ELFLING lorsque j'ai soumis cet article, et je m'y rattache entièrement.

8. The War of the Jewels, Haper Collins Publishers, 1995, p. 376.

9. Ibid., p. 370.

10. Unfinished Tales, op. cit., p. 40 et p. 54, note 19.

11. J.R.R. Tolkien a peut-être utilisé un macron pour indiquer la voyelle longue, comme il le faisait souvent. Pour peu que son tracé soit légèrement incliné, il est aisé de le confondre avec un accent aigu.

12. Sauron Defeated, Harper Collins Publishers, 1993, pp. 129-131.

13J.R.R. Tolkien, Artist & Illustrator de Wayne G. Hammond et Christina Scull, Harper Collins Publishers, 1995, p. 158 ; The Treason of Isengard, Unwin Hyman, 1989, p. 182. Une analyse très détaillée de ces phases est présentée par Lisa Star dans Tyalië Tyelelliéva n°13 (fanzine), 1998, « Analysis of Doors of Moria Tengwar », pp. 29-40.


Date de création : 21/12/2007 @ 17:58
Dernière modification : 21/12/2007 @ 18:02
Catégorie : Linguistique
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