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Compte rendu de Synopsis n°16 (Revues de presse)

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Odeurs de plagiat :
Compte rendu de Synopsis n°16

Article pour Hiswelókë.
© 2001-2002 Didier Willis.

Synopsis, le magazine du scénario, n°16 (revue bimestrielle), novembre-décembre 2001, dossier spécial consacré à Tolkien « à l'occasion de la sortie en salles du Seigneur des anneaux ».

Cédric Fockeu a déjà consacré une « chronique » plus qu'élogieuse à ce numéro de Synopsis, la revue cinématographique affiliée à M6. Qu'elle soit élogieuse, justement, n'est pas injustifié :  le contenu est dans l'ensemble de bonne qualité. Mais l'ami Cédric est bien trop généreux en compliments. Car voilà, c'est là que le bat blesse. Comment croyez-vous que certains médias, à l'annonce d'un film, conçoivent leurs articles ? C'est ce que nous allons regarder, ainsi les procédés journalistiques qui en découlent.

Dans son article « Le Seigneur des Anneaux ou la saga des mythes »; pp.28-32, Stéphanie Tchou Cotta dresse une comparaison point à point des grands motifs mythiques jalonnant l'oeuvre de Tolkien (Eddas, Kalevala, etc.). En découvrant ce long abécédaire, je fus d'abord un peu étonné, dès les premières pages, d'y retrouvrer, pour une formulation que ma mémoire semblait avoir retenue, des points que Cédric Fockeu (webmestre de JRRVF) avait déjà évoqué dans ses articles en ligne. Je n'ai pas poussé la comparaison bien loin, et je ne sais pas jusqu'où elle est justifiée. Mais les bonnes fées font parfois que les bonnes idées se rejoignent, dirons-nous alors... Toujours est-il que mon étonnement alla en s'acroissant quand je découvris au fil de ma lecture deux notes tirant directement parti de mes propres articles pour mon site Hiswelókë et mon fanzine éponyme. Dans « L comme language », Stéphanie Tchou Cotta arrive à citer exactement les mêmes sources pour l'étymologie de noms comme Eärendil et Myrkwood que mon « L'origine de quelques noms utilisés par Tolkien », Hiswelókë, Second Feuillet, pp. 61-62 (ré-impression d'avril 2000), dans des termes très semblabes. Sur un si bref article basé essentiellement sur des références à d'autres ouvrage, il se peut certes que l'auteur ait eu, par coïncidence chanceuse, exactement les mêmes sources que moi, et je n'irai donc pas jusqu'à l'accuser de quelque méfait douteux. Passons encore, donc, je suis bon joueur... Mais il en va clairement moins de même avec son « S comme Sauron » abordant l'originale thématique de l'archétype du « dieur lieur » dumézilien. Cette section suit exactement le même plan et la même argumentation au plus petit détail que mon « Sauron, L'Anneau et le symbolisme du Dieu Lieur », Hiswelókë n°2 toujours, pp. 55-59, soit par reformulation stylistique à peine détournée (ainsi tout le corps de cette section), soit même dans la teneur des conclusions personnelles (ainsi la nuance finale sur la caractère strictement maléfique de Sauron par rapport au Dieu Lieur). Me voilà un rien étonné que l'on puisse arriver ici aux limites de ce qui pourrait sembler, bizarrement, évoquer un plagiat, si j'avais la susceptibilité et la méfiance de croire qu'une telle chose puisse être possible...

Mais soyons donc naïfs, et prenons un morceau choisi :

Synopsis p. 32 (intégralité de « S comme Sauron »)
Hiswelókë n°2, pp. 55-59 (extraits)
Enfin le personnage de Sauron a de nombreuses caractéristiques communes avec ce que George Dumézil a appelé le « dieu lieur ».
Plusieurs indices permettent de rapprocher Sauron de l'archétype du « Dieu Lieur » identifié par Georges Dumézil dans le légendaire indo-européen.
Cette figure divine, partagée par toute les mythologies indo-européennes, a pour fonction le liage des êtres et des choses, au sens propre comme au figuré.
Sous cette dénomination, on désigne un motif mythologique, une fonction divine qui se rattache au principe du « liage », tant au sens propre (liens physiques, tels la corde de pendu d'Odin ou la chaîne d'Ogme) que figurativement (lien spirituel, emprise magique)
Il est décrit, ainsi que Sauron, comme un assaillant sombre, colérique ou violent. On retrouve ce dieu chez les Grecs avec Ouranos, ou chez les Indiens avec Varuna.
Les religions qui puisent leur matière dans le fonds commun indo-européen présentent souvent un tel dieu, puissant magicien aux allures de souverain terrible, sous un aspect assaillant, sombre, ténébreux, violent et colérique : Ouranos chez les Grecs et Varuna en Inde, Odin pour les peuples germaniques, Ogme/Ogmios chez les Celtes..

L'anneau de Sauron est l'attribut typique du dieu Lieur, en ce qu'il est le maillon de la chaîne et le symbole, dans le folklore, des liens du mariage.
Dans Le Seigneur des Anneaux, c'est par des anneaux offerts aux Nazgûls que Sauron les tient sous sa coupe, liés à lui dans le monde des ténèbres.

L'indice le plus net réside dans la magie particulière dont Sauron entoure l'Anneau Unique,
[... poème de l'anneau ...]
Outre le caractère évident de ces lignes, l'anneau - et ses diverses matérialisations : chaînes, cordes, colliers - est l'attribut par excellence du Dieu Lieur. Dans le folklore populaire, il symbolise un assujettissement, une contrainte (alliance du mariage...) ou une servitude.
[...]
Les Nazgûl, les neuf serviteurs de l'Anneau, sont des esprits corrompus par les anneaux maléfiques que leur a offerts Sauron. Tenus par ce lien indéfectible, ils vouent à leur maître une obéissance sans borne, jusqu'à être une prolongation de sa propre volonté.
[...]

Comme Sauron, le dieu Lieur ne participe pas directement à la guerre, qu'il se contente de diriger. On peut citer ce passage de l'Edda de Snorri Sturluson, qui rappelle la position de Sauron dans la bataille finale : « Il est un lieu à Asgardr, un lieu appelé Hlidskialf et dans lequel se trouve un trône : quand Odin y prenait place, il pouvait observer tous les mondes et de même que l'activité de tout un chacun, et il comprenait tout ce qui s'offrait à son regard. » Sauron lui aussi semble être omniscient. Il comprend et devine les faits et gestes de ses adversaires.

Dans les mythologies celtique et germanique, le Dieu Lieur préside aux guerres sans y participer en personne ; il en fait une lutte magique provoquant et utilisant la frayeur de ses adversaires. Sauron dirige ses opérations militaires sans quitter son trône dans la Tour Sombre, et la peur qu'il instille dans le coeur des hommes est son arme la plus efficace.

Le Souverain Terrible voit tout et sait tout (note 10). Sauron connaît les principaux secrets de ses adversaires, et leurs plans lui sont facilement révélés. Son « Oeil » perçant observe leurs moindres mouvements, et la Quête de l'Anneau ne peut être menée à son terme que de justesse, aux extrêmes limites du péril.

(note 10) : Images et Symboles, op. cit., p. 127. A titre d'exemple, on comparera le trône de Sauron dans la Tour Sombre à celui d'Odin à Asgard. Livre VI, chapitre 3 du Seigneur des Anneaux :

From some great window immeasurably high there stabbed northward a flame of red, the flicker of a piercing Eye [...]. [The Eye] was gazing north to where the Captains of the West stood at bay, and thither all its malice was now bent.

L'Edda de Snorri Sturluson, op. cit, p. 39 (Gylfaginning §9) :

Il est à Asgard un lieu appelé Hlidskialf et dans lequel se trouve un trône : quand Odin y prenait place, il pouvait observer tous les mondes, et de même que l'activité de tout un chacun, et il comprenait tout ce qui s'offrait à son regard.

Le nom composé Hliðskjálf est interprété comme « tour d'observation placée au dessus d'une porte » (p. 150).

[...]
Comme le dieu Lieur, il est à l'origine de l'invention de l'écriture magique, comme celle qui est utilisée sur l'anneau unique et qui est révélée par le feu.
Enfin, le Dieu Lieur est très souvent associé à l'invention de l'écriture magique : chez les germains, Odin et les runes, dans la mythologie celtique Ogme et l'ogham. Bien que Sauron n'ait pas inventé les Tengwar dont il se sert dans l'inscription de l'Anneau, la fabrication de ce dernier relève néanmoins d'un acte d'écriture, dans une langue inventée par le forgeron.
[...]
Bien sûr, Sauron est une figure totalement maléfique, ce qui n'est pas le cas du Dieu Lieur. Mais il lui emprunte une image de toute-puissance inquiétante.

[Une telle approche] reste avant tout sujette à controverse : Sauron est entièrement maléfique, alors que le premier aspect de la fonction souveraine est tout au plus terrible...


Je vous laisse juge de la ressemblance... Mais pour la petite histoire, j'ai appelé le rédacteur en chef de la revue, M. Laurent Delmas, afin d'en savoir un peu plus. Il pourrait contester mes dires, bien entendu, puisqu'il s'agissait d'une conversation orale, mais en voici dans les grandes lignes la teneur...

D'abord on m'a sèchement opposé un « Il n'y pas de droit sur internet.». Mais c'est une affirmation fausse, par jurisprudence le droit applicable sur Internet pour un texte est le même que celui du livre, protégé par le Code de la propriété intellectuelle, notamment l'article 335-3. Tout au plus faut-il pouvoir prouver la propriété dudit texte, or il se trouve que je peux faire preuve de l'antériorité de mes articles par rapport à ce volume de la revue Synopsis, ayant déposé numériquement mes fanzines auprès de l'IDDN (organisme internationnal de référencement, agréé par le droit français).

On m'a alors affirmé en retour que « le plagiat n'existe pas en droit ». C'est tout à fait vrai, la loi ne reconnaît que la contrefaçon. Or en matière d'écrits, la loi ne protège pas l'idée, mais « les emprunts concernant la forme sous laquelle sont présentées les idées, à savoir l’expression et la composition. S’agissant de l’expression et de la composition, le juge prend en compte l’importance quantitative de l’emprunt. Cela dit, un emprunt formel, même de faible étendue, peut être jugé illicite, s’il porte sur un élément caractéristique de l’œuvre plagiée. Un élément est dit caractéristique, s’il est marqué par la personnalité de l’auteur et s’il apparaît comme vraiment original. Dans ce cas, il est protégé par la loi. [...] Le juge n’est pas dupe d’un recopiage habile, comportant des variantes non significatives et uniquement destinées à masquer le délit. La loi ne protège donc pas seulement l’expression littérale. La transposition directe (sans aucune transformation de l’original) n’est pas la seule à être interdite. L’emprunt indirect peut lui aussi faire l’objet d’une condamnation. Il faut toujours aussi s’interroger sur le caractère intentionnel de l’emprunt, même s’il relève apparemment de la contrefaçon. En ce sens, le juge tient compte des mouvements de mode, des coïncidences, de l’utilisation de sources communes due à l’assimilation par deux auteurs différents d’une culture commune, d’ouvrages fréquentés par une même génération. » (citation d'un article d'un internaute résumant assez bien l'esprit de la loi). -- Or c'est justement ce que je conteste ici. Passe encore l'entrée « L comme langage », trop brève pour faire l'objet d'une critique, mais dans le cas de « S comme Sauron », les phrases sont calquées sur les miennes par utilisation systématique de synonymes, et la forme même, dans l'ordonnancement des arguments, est identique.

Etranges ressemblances qui pourraient justifier un procès en bonne et due forme, si j'en avais le temps et le loisir. Non pas tant par combat personnel, que par conviction profonde : on ne devrait pas pouvoir piller le net. Tout article est le travail d'un long labeur, et tout auteur mérite reconnaissance. Qu'aurait coûté un petit lien vers l'article d'Hiswelókë, de la part de la rédaction ? Mais laissons là ce Synopsis à son triste sort. Après tout, je devrais être tout à la joie d'avoir découvert une journaliste qui semble avoir exactement les même idées que moi... Cela prouve que mes idées sont bonnes, finalement... Je plaisante... Le code de la propriété intellectuelle et la déontologie ne semblent pas gêner certains journalistes, et c'est bien fâcheux. Combien touche-t'on par signe, quand on publie ce genre d'article ? Question de conscience : Synopsis est une revue à tirage nationnal et ce numéro était vendu 36 FF. N'allez pas donc vous embarrasser à dépenser vos deniers -- quoiqu'il en aille de la légitimité de mon étonnement consterné, il n'y a rien là dedans que vous ne trouverez pas déjà gratuitement sur internet. Alors pourquoi s'embarrasser, hein ?