Ainsi commence The Return of the King, un dessin animé d’environ 1 heure et 37 minutes réalisé pour la chaîne de télévision ABC en 1979 et diffusé pour la première fois le 11 mai 1980. Contrairement à ce que pourrait faire penser le titre de cette adaptation d’une œuvre de JRR Tolkien pour le petit écran, il ne s’agit pas ici d’une tentative de « suite » du célèbre dessin animé de Ralph Bakshi (The Lord of the Rings, 1978), qui s’achevait brutalement sur des scènes correspondant à peu près à la fin des Deux Tours, le second volume du Seigneur des Anneaux. Il s’agit en fait de la suite de l’adaptation du Hobbit en dessin animé diffusé en novembre 1977 sur la même chaîne de télévision et réalisé par les mêmes auteurs.
Les créateurs de ce dessin animé sont les fameux producteurs américains Arthur Rankin Jr et Jules Bass (Rankin-Bass productions).
Sous leur direction furent réalisés, outre The Hobbit en 1977, d’autres dessins animés marquants : The Last Unicorn, en 1982, les feuilletons Tales of Wizard Oz (1961), leur premier grand succès télévisuel américain, mais aussi The Jackson Five Show (1971), ou the Thundercats (1985) des séries diffusées en France sous les titres Les Jackson Five et Les Cosmocats.
The Return of the King met en valeur l’étroite collaboration entre les producteurs américains et une équipe d’artistes japonais dirigée par le producteur Toru Hara des studios Topcraft (Horus, Prince du soleil en 1968 ; Nausicaa en 1982 et The Last Unicorn avec Rankin et Bass).
Cette collaboration a permis aux personnages de naître à la fois sous le crayon de l’américain Lester Abrams et celui du japonais Tsuguyuki Kubo. Quant aux décors, souvent somptueux, ils sont dus au talent de Minoru Nishida qui travailla également sur les décors des Thundercats.
Toute cette équipe encadrée par Toru Hara a eu l’occasion, à un moment ou à un autre, de collaborer avec d’autres prestigieux studios d’animations japonais, Tôei Animation (Les séries Candy, Captain Flam, Albator, Dragon Ball et Dragon Ball Z…) ou Studios Ghibli (Princesse Mononoke, 1997 ; Le Voyage de Shihiro, 2001 ; Gendo Seki, l’adaptation du roman d’Ursula Le Guin A Wizard of Earthsea, sortie prévue pour fin 2006).
Divers acteurs américains prêtent leurs voix aux personnages. On note la présence parmi eux du cinéaste John Huston (Le Faucon Maltais, 1941 ; African Queen, 1952 ; L’Homme qui voulut être roi, 1975…) qui fait, semble-t-il, la voix solennelle du narrateur.
Le Ménestrel de Rivendell est joué par Glenn Yarbrough, chanteur folk (« folk-singer ») américain peu connu en France qui avait déjà honoré une honnête prestation pour The Hobbit. Il est connu pour être l’auteur des fameux albums Baby the Rain must fall en 1965 et The Bitter and the Sweet en 1968 qui sont des classiques de la musique folk. Pour l’anecdote, Glenn Yarbrough a longtemps œuvré dans l’écurie Folk Era Records qui comptait entre autres les célèbres Kingston Trio, mais aussi… les Brandywine Singers. Le lien avec Tolkien, indirectement, n’est donc pas rompu…
Les textes des nombreuses chansons qu’il interprète dans le dessin animé ont été écrits par Jules Bass lui-même, sur une musique du compositeur Maury Laws (Daydreamer, 1966 ; The Baseball Music Project, 2004), indiquant au passage que le producteur a une admirable connaissance de l’œuvre de Tolkien.
L’ensemble de ce dessin animé, comme nous le verrons, est assez agréable à regarder. Le dessin, la musique et les nombreux chants, qui sont globalement une réussite, participent sans doute à ce côté plaisant de l’univers de Rankin et Bass et ce, malgré une façon très… abrégée d’aborder l’œuvre dont ils se sont inspirés. Nous nous attarderons toutefois sur les représentations particulières du mal, de la violence et de la souffrance dans the Return of the King. Des représentations qui ajoutent une touche inquiétante permanente à ce dessin animé pourtant destiné à un public juvénile.
Enfin nous arrêterons-nous sur plusieurs scènes qui, par leur bizarrerie ou leur incohérence, perturbent durablement l’harmonie de l’ensemble.
Table des matières
Un univers plaisant
Les premières minutes du dessin animé pourraient laisser présager du pire : l’ambiance est plutôt obscure, six squelettes aux cheveux blancs évoluent sur des pégases autour d’un sinistre volcan. Un vieux magicien barbu, vêtu de gris et que le lecteur de Tolkien identifie immédiatement à Gandalf, semble défier ces spectres, probablement les Nazgûl, sur son cheval blanc. Puis ces squelettes cèdent la place à une créature volante solitaire, qu’on devine être le Grand Nazgûl en personne… une voix off annonce solennellement que c’est la guerre, que tout va mal et que le monde va basculer sous l’empire du mal, symbolisé par un œil immense et par un anneau maléfique. Un nouveau personnage, Aragorn, cabre son cheval sous les vivats d’une armée d’hommes. La lutte sans merci est engagée, et une musique martiale rythme le tout à grands coups de cuivres ténébreux.
Les personnages, Gandalf, Aragorn et les guerriers semblent peu sympathiques. C’est la guerre, il y a de la tension, de la violence, on ne rigole pas !
Face à eux, une armée d’orques. Ils sont difformes et affreux, mais le dessin frise ici le ridicule et c’est dommage. Leur apparition à l’écran rappelle que cette réalisation est avant tout un dessin animé pour la jeunesse.
Bref, ça démarre plutôt mal, de nombreux clichés étant concentrés maladroitement dans cette présentation du contexte. L’avantage, est que ce contexte est clairement présenté et que le spectateur sait tout de suite de quoi il est question : la longue lutte entre Sauron, le Seigneur ténébreux, et ses ennemis, les peuples libres dont Aragorn est le chef, est proche du dénouement. Mais l’issue du combat est encore incertaine…
Cependant, dés la deuxième minute du dessin animé, la musique, le ton et l’ambiance changent.
Les personnages de Frodo et Sam surgissent alors dans un agréable décor vallonné et verdoyant. Après l’angoisse des premiers instants, le spectateur partage l’insouciance et le sentiment de sécurité des deux voyageurs. On met toutefois quelques longues secondes avant de comprendre que Frodo et Sam se rendent à Rivendell pour fêter le 129ème anniversaire de Bilbo et que tout ceci se passe donc après la guerre contre Sauron.
La voix du narrateur reste la même, mais cette plaisante apparition de la lumière et de la couleur, l’arrivée de Frodo et Sam, plutôt bien dessinés, et la curiosité du spectateur peuvent ainsi rendre le film tout à fait captivant.
Les dessins surprennent au premier abord. Mais les traits sont moins forcés et les attitudes moins caricaturales que dans le film The Lord of the Rings de Ralph Bakshi. En fin de compte, on s’habitue très vite, dés les premières minutes au style des dessinateurs japonais.
Les paysages du Mordor sont dépouillés, rougeâtres, sombres : l’impression de dénuement, d’âpreté y est permanente. Cela contraste brillamment avec les décors colorés et verdoyants de la Comté et de Minas Tirith avant la bataille. On sent alors les auteurs heureux de dessiner des champs, des arbres et de la verdure après avoir peiné à la réalisation des dessins du pays de l’Ombre. Quoiqu’il en soit, le travail de Minoru Nishida et de son équipe pour ce dessin animé peut se mesurer sans pâlir aux meilleurs œuvres de Ted Nasmith, John Howe ou Alan Lee.
L’anniversaire de Bilbo à Rivendell ne correspond en rien à ce que Tolkien a décrit dans le Seigneur des Anneaux. On pourrait en être irrité, mais curieusement, ce n’est pas le cas. Les différents protagonistes évoluent dans des situations tout à fait crédibles. Le mouvement des personnages dessinés est fluide et les décors sont bien rendu. En fin de compte, on se sent très vite en terrain connu. Un peu comme si ces personnages que nous connaissons tous très bien se retrouvaient dans un contexte neuf mais pour à nouveau conter cette histoire que nous connaissons tous par cœur d’une façon un peu différente ; Comme si on découvrait un manuscrit apocryphe décrivant des scènes inédites de retrouvailles.
Seule discordance – mais de taille – dans ce décors : le narrateur nous apprend que le grand personnage tout maigre qui semble s’être échappé des pages de Guy l’Eclair ou d’un vieil épisode de Star Trek n’est autre que le seigneur elfe Elrond. Sa barbiche mince et pointue et les étoiles qui gravitent autour de sa tête prêtent à rire et gâchent considérablement l’ensemble de la scène.
La discussion entre les Hobbits devant Elrond et Gandalf, témoins attentifs et silencieux de cette conversation, est le prétexte à de nombreuses allusions aux aventures passées de Bilbo, à un rappel sur la nature maléfique de l’Anneau et sur le danger véritable qu’il faisait courir à son possesseur. Tout est dit en quelques phrases claires autour de la table du banquet.
Le pont vers les aventures de Frodo et Sam en Mordor est avancé par la surprise de Bilbo qui, dans un demi-assoupissement, découvre que Frodo n’a plus que 4 doigts à sa main droite.
“Bless my soul ! Frodo, you are missing a finger ! (…) you must explain !”
Le Ménestrel « du Gondor », présenté par Gandalf, raconte alors lui-même en chanson les aventures de Frodo et de Sam. En fin de compte, on réalise très vite que l’histoire qui va être contée sera essentiellement centrée sur ces deux personnages, ce qui explique aussi la légereté de traitement des autres protagonistes.
La présence du ménestrel n’est pas complètement incongrue, puisqu’il est la transposition d’un personnage de Tolkien présent sur le Champ de Cormallen.
«… Now listen to my lay. For I will sing to you of Frodo of the Nine Fingers and the Ring of Doom » disait ce personnage dans le roman. C’est exactement ce que le ménestrel de Rankin et Bass réitère dans cette scène particulièrement intéressante.
La musique (de Jules Bass et Maury Laws) n’est pas désagréable et ses accents folk la rendent particulièrement chaleureuse pour qui apprécie ce style musical.
La voix du chanteur Glenn Yarbrough fait penser à Harry Nilsson ou à Johnny Cash et parfois à Donovan, mais sa puissance et sa maturité apportent un côté chaleureux parfaitement adapté au contexte d’un récit héroïque.
« Frodo of the nine fingers
And the Ring of doom…
…
When Bilbo found that shiny ring
In Gollum’s cave of gloom,
He never thought that it was turning
Into a ring of doom.
The dragon Smaug, the spiders too,
The Goblins, the Elven King,
They came to know the power of
The Hobbit and his Ring.
Frodo of the nine fingers
And the Ring of doom,
It started with the Hobbit
In Gollum’s cave of gloom… »
Derrière le chant du ménestrel défilent les souvenirs de l’aventure de Bilbo. Il s’agit en fait des images du dessin animé «The Hobbit ». Certaines de ces images restent d’ailleurs assez surprenantes : le dragon Smaug est dessiné avec une tête tenant à la fois du dragon asiatique traditionnel et du chien mécontant tandis que le roi des Elfes de la forêt ressemble à un gobelin couronné de feuilles de vignes.
Le chant continue et évoque en quelques mots la quête de Frodo (« Frodo and his galant companion, Samwise, have many brave adventures… ») et celle d’Aragorn. L’alternance de récit en voix off et de couplets chantés amène avec une agréable fluidité l’auditeur des beaux paysages de la Comté jusqu’à la Tour de Cirith Ungol ou Frodo a été capturé par les orques.
En 8 minutes 40, tout est clairement expliqué, sans fioritures, sans digressions : on sait pourquoi Frodo doit se rendre en Mordor et on sait ce qu’il doit y détruire l’Anneau.
Le dessin animé de Rankin et Bass comporte beaucoup de chansons résumant des points complexes de l’histoire. La plupart sont délicieusement adaptées aux situations : Chorales viriles et graves (dirigées par Loïs Winter) pour les scènes de bataille, ballades légères d’inspiration folk (chantées par Yarbrough) pour les scènes heureuses, ou ballades tristes pour les scènes plus difficiles.
En fin de compte, c’est un dessin animé très musical. D’ailleurs, l’ensemble des événements de la Guerre de l’Anneau et de la quête de Frodo qui sont dévoilés fait partie, on le découvre en toute fin de dessin animé, de la chanson du ménestrel. On retrouve alors celui-ci chez Elrond, concluant son lai devant les invités de l’anniversaire de Bilbo.
Au bout d’une dizaine de minutes, après un court passage ou Sam est présenté seul devant la grande porte de Cirith Ungol, Glenn Yarbrough enchaîne sur une nouvelle chanson tandis qu’à l’écran défilent les noms des acteurs qui ont prêté leurs voix au dessin animé. Sur l’écran apparaissent alors en flash-back de délicieux paysages représentant la Comté. La voix chaleureuse et mélancolique du Ménestrel renforce une grande impression de tristesse nostalgique que le spectateur partage avec les héros. Le long voyage de Frodo et Sam à travers l’Eriador est ensuite intelligemment figuré par la promenade des deux Hobbits sur la célèbre et emblématique carte de la Terre du Milieu. On retrouve plus loin des éléments de cette carte : lors de la description du trajet de la flotte corsaire capturée par Aragorn sur l’Anduin ; puis lors de l’expédition de l’armée d’Aragorn (et d’Eomer ?) de l’Ithilien vers le Morannon. Les dessins (décors, armée en marche…) sont alors très réussis et se fondent habillement avec la carte en arrière plan. Enfin, elle clôt le dessin animé en restant le décors du déroulement du générique de fin. Certes, Le récit du Seigneur des Anneaux est ici copieusement épuré d’une foule de personnages et de détails qui font son charme et son succès. Cependant, contre toute attente, l’esprit de l’oeuvre de Tolkien est malgré tout conservé et le spectateur n’a pas le sentiment d’avoir quitté la Terre du Milieu pour des contrées virtuelles sans âme… Il est par ailleurs clairement et honnêtement indiqué, lorsque défilent les crédits, que ce dessin animé est une adaptation basée sur les récits de Tolkien : ” Based on the original versions of The Hobbit and the Lord of the Ring by JRR Tolkien [Le nom de l’écrivain britannique est écrit ici en gros caractères] Adapted for the screen by Romeo Muller “. Précision que d’autres adaptateurs auront plus tard l’indélicatesse de négliger.
Le mal, la peur, la violence et la souffrance
Comme nous l’avons déjà évoqué, les premiers instants du dessin animé dévoilent au spectateur un monde obscur et glauque où la guerre et les maléfices sont omniprésents.
L’interlude apaisant de l’anniversaire de Bilbo chez Elrond sert à réintroduire cet univers violent et tourmenté, mais en le présentant comme un monde révolu, ce qui rassure le spectateur. Ces ténèbres ne sont plus le présent, mais le passé, elles ne sont plus une actualité, mais un récit.
Dans ce contexte, et parce qu’ici ce sont les vainqueurs qui racontent leur histoire, la représentation du mal est sans équivoque. Ainsi, l’adaptation du roman de JRR Tolkien fait délibérément le choix d’un récit parfaitement manichéen.
Sauron, le Seigneur ténébreux, est cité à plusieurs reprises, mais tout comme dans le roman de Tolkien, il n’est pas visible. Symbolisé par un œil rouge globuleux et menaçant qui domine les événements depuis une masse nuageuse sombre difficilement identifiable (fumée ? nuage ?) et sans doute métaphorique, il n’est cependant pas aussi omniprésent et omnipotent que dans l’œuvre de Tolkien.
En effet, les personnages qui sont ses serviteurs ne traduisent pas sa toute-puissance et sa continuelle prépondérance.
Les Nazgûl sont très peu inquiétants, même si ils prennent la forme de spectres travestis en guerriers. Ils se déplacent sur des chevaux ailés en groupe (ils sont six) ou individuellement. Seul le Roi-Sorcier est réellement impressionnant, à condition qu’il ne prenne pas la parole. Mais son lien avec les autres Nazgûl n’est pas clair : est-il réellement l’un des leurs ? est-il le chef ? On ne les voie jamais ensembles et seul la monture ailée pourrait être un point commun.
Cette dissemblance entre les six Nazgûl et le Roi-Sorcier fait que la terreur dont ils auraient pu être les terrifiants ambassadeurs tombe à plat.
Le personnage de la Bouche de Sauron est assez sinistre. Le mal qu’il est censé symboliser est plus palpable que chez ses nombreux collègues. Sans doute cela tient-il au fait qu’il est un des très rares serviteurs humains de Sauron, car l’étroitesse de son lien avec le Seigneur ténébreux n’est pas dévoilée dans le dessin animé. Il n’est ici qu’un héraut maléfique et grimaçant chargé de provoquer l’armée d’Aragorn devant les Portes Noires du Mordor. Tant pis alors pour le message de désespoir qu’il était censé apporter. Du coup, bien que visuellement réussie, son apparition reste superflue.
De même, les guetteurs de la tour de Cirith Ungol forment par leur malice angoissante, des personnages à part entière. La grande fidélité de la scène au récit de JRR Tolkien n’est sans doute pas étrangère à la réussite de l’ambiance menaçante de ce passage. Mais les auteurs s’attardent trop longuement sur cette scène, finissant ainsi par désamorcer l’effet escompté au départ.
Les Orques du dessin animé sont quant à eux plus ridicules qu’effrayants. Ils ont des têtes énormes, des bouches déformées, des yeux exorbités, des crocs menaçants… Mais les artistes ont ici fait le choix de la caricature et ces orques grotesques ressemblent à des bouffons équipés pour une guerre perdue d’avance.
Même chose pour les trolls (s’il s’agit bien de trolls) qui sont représentés avec un nez aussi large et gros que leur visage, et avec une longue barbe grise.
Orques et trolls n’en sont pas moins des guerriers. Ils sont bêtes, brutes et bagarreurs quand ils ne sont pas simplement au combat. Ils peuvent alors être redoutables, comme en témoignent les scènes de combat dans lesquelles les soldats du Gondor apparaissent souvent en difficulté.
Ces personnages décevants au possible rappellent une fois de plus que The Return of the King est un dessin animé destiné à un jeune public. Difficile, donc, d’y dévoiler une image crue et explicite du mal. De même, ils ne font pas peur. Et c’est sans doute un échec de auteurs de cette adaptation. Aucun des représentants du mal, à part peut-être le Roi-Sorcier dans la scène de la chute de la porte de Minas Tirith, n’est véritablement effrayant pour ses adversaires.
L’Anneau, objet maléfique par excellence, laisse également très perplexe.
Cet objet, si important, est évoqué une première fois pendant l’introduction du dessin animé. Puis une seconde fois par Bilbo qui s’étonne, autour du gâteau d’anniversaire, de ne plus entendre parler de lui. On le voit enfin pendant le chant du ménestrel, découvert par Bilbo dans la caverne de Gollum.
Comprenant grâce aux nombreuse explications a posteriori de Frodo et de la voix du narrateur, que l’Anneau du destin est un objet maléfique ardemment désiré par Sauron pour mener à bien sa guerre contre les peuples libres et qu’il doit être détruit dans le cratère du Destin, on s’étonne alors de le retrouver au bout de 11 minutes et 25 secondes de film, égaré sur le sol. C’est ainsi que Sam tombe sur l’objet maléfique et le récupère au nom de Frodo qui a été capturé par les Orques.
On sent à travers le scénario de cette adaptation que l’Anneau est mal maîtrisé par Rankin et Bass. Il ne s’agit en effet plus ici de l’anneau magique de Bilbo, celui qui rend invisible quand on le glisse au doigt. Il s’agit de quelque chose de beaucoup plus puissant et dangereux.
Mais les auteurs ne s’en sortent pas et ils en font un usage assez curieux.
A aucun moment, sauf à la toute fin, les protagonistes (Sam et Frodo) ne glissent l’Anneau à leur doigt. Pourtant, en le serrant simplement dans son poing, Sam est victime d’une sorte de délire divinatoire où il entrevoit la puissance que lui apporterait la possession de l’anneau. Il devient alors pour un instant « Samwise the Storm », capitaine d’une puissante armée qui ferait tomber Sauron et permettrait au Mordor de devenir un immense jardin où les orques se métamorphoseraient en toutes sortes d’animaux pacifiques.
En rencontrant un orque dans le grand escalier de la tour de Cirith Ungol, Sam serre à nouveau l’Anneau dans son poing et provoque cette fois-ci la terreur de cet adversaire. L’épisode est loin d’être limpide et il faut s’accrocher pour le bien comprendre, même s’il fait écho à la scène précédente de la tentation de Sam.
Mais la scène ne s’arrête pas là : Sam poursuit son orque dans les escaliers et nous offre une véritable conversation avec ce personnage qui lui avoue, effrayé, où se trouve Frodo. Puis il se reprend et Sam, à nouveau en brandissant l’anneau, provoque la chute du gobelin du haut des escaliers. Cette scène, destinée une fois de plus et de toute évidence à un public d’enfants, marque par sa maladresse et démystifie totalement les personnages des orques, déjà lourdement handicapés par une allure fort peu effrayante. Elle ne permet pas, en outre, de comprendre où réside la véritable dangerosité et le véritable maléfice de l’Anneau.
Même chose pour une scène plus tardive entre Frodo et Gollum. La maladresse est identique et les interrogations au sujet de l’Anneau ne trouvent pas de réponses claires.
Pourtant, on le sait depuis le début du film, le pouvoir de l’Anneau réside dans quelque chose de beaucoup plus sinistre que cette simple aura guerrière apportée à son utilisateur.
Dans la scène suivante, assez conforme à celle décrite par Tolkien dans son roman, Sam vient délivrer courageusement Frodo tandis que celui-ci subissait le supplice du fouet. Frodo est présenté meurtri dans sa chair comme dans son âme. Lorsque Sam lui dévoile l’Anneau alors que tout espoir semblait perdu, Frodo change brutalement de comportement et traite Sam avec une suspicion malsaine et une grande dureté, allant jusqu’à le prendre pour un de ses tortionnaires.
Vers la fin du dessin animé, debout devant le cratère du Destin, Frodo renonce à sa quête, déclare l’Anneau sien et se décide à le glisser à son doigt devenant subitement invisible, comme autrefois Bilbo devant Gollum. Là aussi, à travers l’excellent dessin du regard de Frodo, le spectateur entrevoit l’espace d’un instant toute la malice et toute la puissance maléfique qui résident dans l’Anneau de Sauron.
Il aura cependant fallu attendre très longtemps pour avoir une ébauche d’explication. Mais dans l’ensemble, le rôle de l’Anneau reste confus, le mal n’est qu’imparfaitement et superficiellement représenté à travers lui et son usage curieux par Sam comme par Frodo démontre que cet aspect du Légendaire tolkienien, la malice de l’Anneau, n’est que sommairement maîtrisé par Rankin et Bass.
Mais si l’aspect décevant, ridicule ou caricatural de la plupart des serviteurs de Sauron atténue considérablement la terreur et aseptise leur violence, celle-ci est malgré tout omniprésente et, continuellement, elle les accompagne dans chacune des scènes où ils apparaissent. Parfois, cette férocité peut aller très loin, comme lorsque Sam traverse la cour de la tour de Cirith Ungol et découvre les cadavres d’une dizaine d’orques qui se sont massacrés mutuellement.
La violence est également constamment présente dans le camp « du bien ». C’est la guerre, tous les personnages, Hommes ou Hobbits, à Minas Tirith ou dans les solitudes de Gorgoroth, sont en équipement de combat. Les visages sont sévères, inquiets, résignés ou déterminés. La violence est pour eux un pénible ordinaire.
Quelques rares personnages ne portent pas d’armures, de casques ou d’armes : Denethor, Gollum. La violence, voire l’inhumanité, est cependant indissociable de ces caractères particuliers et leur instabilité psychologique en font des êtres dangereux.
Gandalf, énigmatique et inquiétant, ne porte pas d’équipement guerrier non plus. Pourtant, sous sa mante grise, le spectateur perçoit une forme de ferme opiniâtreté. Sur son grand cheval blanc, son bâton de sorcier à la main, il est lui aussi, à sa façon, un combattant qui ira jusqu’au bout de sa lutte contre les forces « du mal », quel qu’en soit le prix à payer. Gandalf le Blanc, le puissant et rassurant magicien du livre de JRR Tolkien, n’existe pas dans l’adaptation de Rankin et Bass.
Les scènes de bataille, paroxysme de la violence, sont très nombreuses.
L’épisode de l’assaut au bélier contre les portes de Minas Tirith est à cet égard le passage le plus fort de tout le dessin animé. En plein combat sous les murailles de la Cité, l’énorme bélier Grond, tiré par deux Oliphants aux allures de Mammouths et escorté par des grands trolls barbus et d’orques équipés de fouets, arrive devant la grande porte de Minas Tirith.
Lenteur et de pesanteur, accentuées par une voix off plus solennelle et sinistre que jamais, marquent cette scène véritablement angoissante. Le dessin enfantin et grotesque des orques et des trolls (nez énorme, barbes pendantes) reste comme une sorte d’incongruité comique au cœur de l’horreur et de la tourmente. Mais les personnages ne s’y trompent pas, et lorsque Gandalf sert la main de Pippin au sommet d’une tour de Minas Tirith et lui fait ses adieux, on comprend que quelque chose de terrible va se passer.
Le Roi-Sorcier arrive alors lentement sur place, chevauchant un effrayant destrier volant aux allures de pégase infernal. Le mouvement s’accélère, cadencé par les trois agressives charges du monstrueux bélier contre les portes de la Cité. Après la destruction des grandes portes, une musique martiale rythme la défaite annoncée : les hommes fuient, le Grand Nazgûl tel un diabolique Bellérophon s’avance en chevauchant son ahurissant pégase aux yeux rouges. L’image est terrible. Face à cette vision sortie tout droit des pires cauchemars de l’Humanité se dresse Gandalf…
Outre les ailes de la monture du Nazgûl, la scène suit rigoureusement la narration et les dialogues du livre de JRR Tolkien, et ce jusque dans l’intervention du chant du coq :
“You cannot enter here. Go back to the abyss prepared for you! Go back! Fall into the nothingness that awaits you and your Master. Go!”
“Old fool! Old fool! This is my hour. Do you not know Death when you see it?
Die now and curse in vain!”
C’est assez inédit dans ce dessin animé pour être souligné.
Pourtant, malgré l’angoisse générale de la scène, la terreur mainte fois décrite par JRR Tolkien autour des personnages des Nazgûl n’est pas au rendez-vous. Les hommes de Minas Tirith courent en tous sens devant le Roi-Sorcier, mais Pippin reste impassible aux côtés de Gandalf. On retrouve cette impassibilité face à la terreur au moment du défi d’Eowyn au Roi-Sorcier. Merry se précipite, ignorant la peur, pour prêter main-forte à la belle sous le regard de guerriers badauds parfaitement insensibles à l’aura de frayeur du Nazgûl. Même chose pour Frodo et Sam qui filent de cachette en cachette pour échapper à l’arrivée d’un Nazgûl sur la tour de Cirith Ungol ou pour échapper au regard de Sauron. Mais on a du mal à se laisser convaincre.
Parmi les êtres maléfiques apportant une touche de violence dans le déroulement du dessin animé, Gollum apparaît comme un être à part. Et complètement malfaisant. Il n’y a pas d’ambiguïté possible : c’est une créature maudite, difforme, obsédée par l’Anneau jusqu’à la folie meurtrière. On ne retrouve pas ici la double personnalité Sméagol/Gollum qui rendait le Hobbit déchu si captivant au yeux du lecteur du Seigneur des Anneaux.
Dans The Return of the King, Gollum agit en toute indépendance. L’esprit obsédé par l’attrait de l’Anneau, il est la Violence personnifiée.Ainsi, dans une des dernières scènes, au Sammath Naur, Frodo revendique l’Anneau pour sien malgré les supplications de Sam. Gollum réapparaît alors après avoir été repoussé curieusement par Sam, comme nous le verrons plus loin, et se bat contre Frodo l’invisible. Un chœur de voix grave martèle une question : Pourquoi Frodo a-t-il neuf doigt ? La réponse arrive brutalement, alors que Gollum arrache le doigt porteur de l’Anneau de la main de l’infortuné Frodo.
Celui-ci se tord de douleurs. La scène est d’une violence terrible. Notons toutefois qu’il n’y a pas une seule goutte de sang versé : c’est un dessin animé pour les enfants.
Cependant, la violence de la scène et plus particulièrement la violence de Gollum dans cette scène est assez emblématique de l’Univers très sombre et très glauque qui constitue la majeure partie du décors de l’action de ce dessin animé.
La souffrance du personnage de Frodo, et dans une moindre mesure celle de Sam et de Gollum, est également un reflet très fort de l’omniprésence de la violence.
La souffrance de Frodo est permanente dans The Return of the King. C’est d’ailleurs par la découverte par Bilbo de la mutilation de la main de son jeune cousin, trace physique des souffrances endurées, que le récit démarre.
Puisqu’elles ne sont jamais évoquées, on imagine que Frodo a échappé aux blessures du poignard du Nazgûl et du chélicère de Shelob. En revanche, il n’échappe pas aux supplices infligés par ses tortionnaires orques dans la tour de Cirith Ungol.
Les scènes de torture ne sont jamais explicites, mais on voit à plusieurs reprises les orques sautiller autour du corps inerte et couvert de marques de fouet de l’infortuné Hobbit.
La souffrance devient réellement palpable lorsque Sam retrouve Frodo. Les marques brûlantes des coups de fouet sont clairement visibles. Quelques hématomes parsèment le corps et le visage de Frodo. Celui-ci, complètement épuisé par l’épreuve n’a plus de forces et délire sur un futur voyage à bord d’un bateau elfique en compagnie d’Elrond et Gandalf. La Souffrance est sincèrement partagée par Sam, et la densité de la scène atteint son paroxysme lorsque des larmes montent aux yeux du serviteur de Frodo.
Par la suite, pendant un nouveau délire, Frodo revoie à plusieurs reprises au cours d’un demi-rêve un gros orque donner un violent coup de fouet et tenter de le mordre. Cette scène donne toute la mesure de ce qu’a pu subir le Hobbit et montre à quel point il est marqué, non seulement dans sa chair, mais aussi dans son âme.
Le spectateur constate ailleurs la souffrance des deux personnages, en particulier pendant la difficile et interminable traversée de Gorgoroth. Les obstacles, les chutes le long de talus rocailleux ou dans des chausse-trappes se multiplient, la soif (évoquée notamment par un coup de pied malheureux de Frodo qui renverse la dernière gourde de Sam) et la terreur (présence d’un Nazgûl) taraudent les deux héros. Frodo en vient même à délirer – une fois encore – sur un accomplissement facile et heureux de sa quête, dans un Mordor verdoyant et champêtre, peuplé d’orques amicaux et souriants… image qui, par opposition, accentue la tension continue subie par le Hobbit. La voix triste et l’air mélancolique de Glenn Yarbrough ajoute une touche de désespoir à cette scène du délire de Frodo.
Curieusement, la souffrance due à l’Anneau, élément pourtant moteur dans l’œuvre de Tolkien, n’est pas du tout développée dans le dessin animé de Rankin et Bass. Cette liberté et ce détachement des deux auteurs à l’égard de l’œuvre de Tolkien se retrouvent en permanence dans The Return of the King. A de nombreuses reprises, elle amène le scénario vers des choix assez maladroits, malheureux ou plutôt étranges…
Incohérences, digressions et divagations
De nombreuses scènes échappent en effet complètement à la logique et à l’esprit de l’œuvre dont elles sont inspirées. Elles ont pour malheureuse conséquence d’alourdir considérablement la fluidité du récit du dessin animé et laissent à l’admirateur de Tolkien un goût déplaisant dans la bouche.
La situation de Minas Tirith est par exemple évoquée intelligemment en quelques mots simples, tandis que le dessin passe du jour (la paix) à la nuit (la guerre et le siège de la cité par les Orques). Tout à coup, le résumé perd en souplesse lorsque apparaissent les personnages de Pippin et Merry. On comprend alors qu’à trop résumer, les scénaristes se sont retrouvés avec des éléments incompressibles fortement encombrants. Ainsi ne comprend-t-on pas très bien ce que Pippin fabrique auprès de Denethor, vieil homme rabougri et déjà fou à ce stade du récit, vile et triste caricature du personnage original de Tolkien. Même chose pour Merry, qui se retrouve par les miracles de l’adaptation, messager du Gondor et porteur de la flèche rouge à Theoden.
De même, la confrontation entre Gandalf et Denethor est fort mal présentée. Les personnages, figés (Gandalf, Pippin) ou contrefaits (Denethor) n’apportent guère de profondeur à cette scène qui posait visiblement problème aux auteurs. De cette confrontation retiens-t-on à peine les explications – pourtant instructives – sur le Palantir et ses performances, et tout juste comprend-t-on que la folie de Denethor vient en partie des visions relevées dans cette pierre mystérieuse. Denethor parle ouvertement d’une fin par le feu. Elle a finalement lieu, mais la scène est habilement suggérée. Pas d’immolation en direct : le dessin animé s’adresse à des enfants. Mais pour bien comprendre ce passage du film, ces enfants auraient du lire préalablement le livre de Tolkien…
Plusieurs scènes marquent par leur grande incohérence.
Un premier désordre est lié à la confuse inadéquation temporelle entre les événements qui se déroulent sur les Champs du Pelennor et ceux qui se déroulent au cœur du Sammath Naur. Les hommes de Minas Tirith ont le temps de se battre sous les murs de leur Cité, de rendre hommage à Theoden, de se concerter au sommet, de parcourir les lieues qui séparent Minas Tirith du Morannon et le tout en plusieurs jours, tandis que pendant ce temps, Sam et Frodo pénètrent dans le Sammath Naur et détruisent l’Anneau avec l’aide involontaire de Gollum. La cohérence entre l’espace et le temps est loin d’être respectée et apporte le trouble dans la compréhension du récit.
L’épisode de la mort de Theoden laisse aussi un goût amer : cette adaptation a fait le choix de bouleverser l’ordre du récit de Tolkien. Ici, Pippin et Merry se retrouvent sur le champ de bataille. Non loin, le cheval de Theoden s’emballe sans que l’on comprenne trop pourquoi et son royal cavalier fait une chute mortelle.
Alors qu’au même moment, au Sammath Naur, on découvre que Frodo renonce à sa quête et revendique l’Anneau, le Nazgûl arrive sur le champ de bataille où plus personne en semble combattre. Il défie alors tous les guerriers pétrifiés.
Eowyn apparaît soudain, prête à affronter la créature. Une certaine intensité dramatique se dégage de cette scène. On comprend que cette Eowyn, fort bien dessinée, va protéger le corps de feu son oncle au péril de sa propre vie.
Cependant, si Merry, qui fait partie des spectateurs de la dramatique scène, rappelle brièvement qu’Eowyn est venue sous un déguisement, on ne comprend pas ce qu’elle fait là ni qui elle est vraiment. Elle tue le Nazgûl, fort bien, grâce à l’intervention de Merry, fort bien… mais quel dommage qu’on ne la revoie plus par la suite… quel étrange météore…
Le Nazgûl lui-même apparaît comme un cheveu sur la soupe. On comprend très vite qu’il est le capitaine de l’armée de Sauron, mais on ne voit pas très bien qui il est car le rapport à l’Anneau n’est pas évoqué un seul instant. De même tous les autres Nazgûl représentent des formes squelettiques chevauchant des pégases. Or, si ce grand capitaine chevauche lui aussi un cheval ailé lors de la confrontation avec Gandalf, il reprend vite une monture plus conforme au récit de JRR Tolkien, et il n’a rien d’une forme squelettique : c’est un véritable fantôme dont la couronne repose sur une tête invisible où brillent deux yeux rouges effrayants. Faut-il avoir lu le Seigneur des Anneaux pour bien comprendre le rôle de chacun ? Mais la lecture du roman dévoilera le fait que les Nazgûl sont au nombre de neuf, et non de six (ou de sept en comptant le Roi-Sorcier).
La bataille continue, malgré la mort du Roi-Sorcier. L’arrivée de la Flotte noire apporte un semblant de suspense : Une armée de corsaires vient renforcer les rangs des orques. Le narrateur explique le trajet des navires depuis les bouches de l’Anduin, une carte apparaît à l’écran permettant de suivre le périple des navires… Une bannière se dresse sur le plus haut mât du premier navire : l’étendard d’Aragorn !
En quelques secondes, on tourne subitement la page de la bataille… Elle s’achève si brusquement qu’on en reste littéralement sur sa faim !
Cette brusque coupure correspond au traitement général du personnage d’Aragorn par Rankin et Bass. C’est un personnage plein de promesse, charismatique et courageux, sur lequel repose l’espoir du peuple du Gondor. D’ailleurs, ne joue-t-il pas le rôle titre ? Malheureusement, ici aussi, on reste continuellement sur sa faim. Au bout du compte, les rares fois où il prend la parole, il fait plus penser à un bouillant mercenaire, à un condottiere empressé… Le Strider de Tolkien a cédé la place à un guerrier brutal, intransigeant et autoritaire. Le retour du Roi ? Vraiment ? Tout cela n’est pas très crédible et reste fort décevant.
Un peu plus loin dans le dessin animé, la disparition de l’Anneau dans les flammes du Sammath Naur provoque l’éruption du Mont du destin, mais aussi la chute des Nazgûl, l’effondrement de la porte du Morannon et surtout la chute de Barad Dûr, la citadelle de Sauron. L’œil qui semblait tout vouloir contrôler s’éteint à son tour dans un ouragan de feu.
Mais Sam et Frodo sont perdus au milieu de la tourmente. Leur destin semble scellé.
Arrivent tout à coup les aigles. D’où viennent-ils ? Gandalf seul semble le savoir. Il est vrai que le dessin animé The Hobbit, auquel The Return of the King fait suite, avait donné l’occasion au spectateur de rencontrer une première fois ces aigles.
Mais pour celui qui n’a ni vu l’adaptation du Hobbit en dessin animé ni eu l’occasion de lire le Seigneur des Anneaux, ces aigles surgissent de nulle part, et sans aucun lien logique avec le reste du récit.
Pour une raison que l’on ne comprend pas, les aigles emportent aussi les soldats de l’armée d’Aragorn. Vers quelle destination ? Pour les sauver d’un danger ? Que deviennent les chevaux ? Ces aigles sont-ils assez nombreux pour emporter les milliers de guerriers que compte l’armée du futur roi ? Deux aigles vont tout de même récupérer Sam et Frodo, les sauvant d’une mort atroce dans les laves du volcan en éruption.
A l’occasion d’une proposition d’adaptation cinématographique du Seigneur des Anneaux par M.G. Zimmerman en 1958, Tolkien avait écrit sur l’utilisation abusive des aigles dans le scénario : « The Eagles are a dangerous ‘machine’. I have used them sparingly, and that is the absolute limit of their credibility or usefulness[1]. (Les Aigles sont une ‘machine’ dangereuse. Je les ai employé avec mesure, ce qui est la limite absolue de leur vraisemblance et de leur utilité.) »
Ici, et comme dans toutes les adaptations du roman de JRR Tolkien à ce jour, l’intervention des aigles est invraisemblable et très peu cohérente…
Si les aigles sont présents, d’autres personnages sont simplement passés à la trappe. Le Nain Gimli et l’Elfe Legolas sont les absents les plus remarqués. Il n’est également fait aucune allusion à Saruman ou à Boromir.
Shelob est également absente de cette adaptation. La seule araignée présentée à l’écran est une des protagonistes de l’aventure de Bilbo, pendant le récit du ménestrel. Cependant, l’existence de Shelob dans le contexte interne du dessin animé est malgré tout suggéré à au moins deux reprises, lorsque Sam écarte d’épaisses toiles d’araignées dans les souterrains au pied de la tour de Cirith Ungol.
D’autres personnages font des apparitions fugaces, tel Eomer qu’on distingue deux ou trois éphémères fois aux côtés de Theoden.
L’entrée d’Aragorn à Minas Tirith, sous les vivats de la foule en liesse, dévoile un autre personnage qui semble suffisamment important pour défiler juste derrière son roi et aux côtés d’Eowyn. S’agit-il de Faramir, dont on ne trouve aucune autre trace dans cette adaptation ? ou bien du prince Imrahil ? Il est en tout cas étonnant de voir cet inconnu se faire attribuer tant d’honneur et participer au triomphe d’Aragorn, alors que les Hobbits et Gandalf, chevilles ouvrières de la victoire, sont discrètement relégués en haut d’une tour, assistant de fort loin à l’entrée du roi dans sa Cité.
Galadriel, enfin, est évoquée au moment de l’épisode des guetteurs de Cirith Ungol, au travers de la fameuse fiole qu’elle offrit à Frodo au moment du départ de la Lórien… Le problème est qu’il n’y a aucune allusion à la Lórien dans le dessin animé. Galadriel devient donc une inconnue et le spectateur qui n’a pas lu préalablement le livre est une fois de plus perplexe, ne comprenant pas l’importance de cette fiole et la particularité du pouvoir qu’elle renferme.
Pourtant cette fiole se révèle suffisamment puissante pour provoquer la chute de la porte de la tour des orques et l’effondrement des statues des guetteurs. L’utilisation réussie de cet objet redonne de l’espoir à Sam et Frodo : « there’s still a chance to destroy the ring ! » conclue Sam. Ainsi passe l’ombre de la mystérieuse Galadriel sur le dessin animé. Mais on n’en saura pas plus…
D’autres bizarreries parsèment The Return of the King.
Certains bruitages sont assez malheureux. On peut citer le son étrange de l’épée Dard lorsqu’elle s’illumine en présence des orques – un curieux vrombissement synthétique qui ressemble au bruit de la soucoupe volante que poursuit David Vincent dans The Invaders (les Envahisseurs en VF)… Même chose avec la fiole de Galadriel que nous venons d’évoquer. Au moment de passer la porte de la tour de Cirith Ungol, sa lumière émet des petits tintements qu’on aurait pu attribuer à un écran de contrôle de l’USS Enterprise dans Star Trek.
La voix de casserole du Roi-Sorcier est également une étrangeté qui mérite d’être citée. Ne serait-ce que parcequ’elle démystifie partiellement le personnage et participe à l’atténuation imprévue de la terreur qu’est censé inspirer le spectre. Ainsi comprend-t-on mieux pourquoi chacune de ses interventions attire tant de badauds et de curieux autour de lui (face à Gandalf puis surtout face à Eowyn).
On constate aussi que quelques éléments de l’œuvre de Tolkien n’ont pas été tout à fait compris. Ainsi, lorsque nous retrouvons les héros chez Elrond, et après que le ménestrel eût achevé son récit par un « Frodooo of the Nine Fingers and the ring of Dooom… » final, Gandalf s’avance sur un terrain malheureux et évoque l’avenir du peuple hobbit et sa place parmis les hommes : d’après lui, les Hobbits deviendront de plus en plus grands et finiront par se mêler aux hommes. Soit exactement l’inverse de ce qu’évoque JRR Tolkien dans son roman… cette théorie hasardeuse, même si elle reste marginale par rapport au reste de l’adaptation, laisse une impression désagréable chez l’admirateur de Tolkien.
L’adaptation du personnage de Gollum est aussi un des éléments qui étonnent désagréablement le spectateur, qu’il soit lecteur de l’œuvre de Tolkien ou non.
Gollum, sorte de grand crapaud dément, surgit de nulle part sur les pentes de la Montagne du Destin. On comprend très vite qu’il est là pour récupérer l’Anneau, « Preciousss, preciousss is mine !… », qu’il est complètement schizophrène et qu’il est prêt à tuer, en témoigne le rocher qu’il jette sans préavis contre les deux Hobbits. N’eût été la chanson du ménestrel d’Elrond, en début de film, le spectateur n’aurait pas compris le lien avec l’Anneau et le rôle de cette créature bizarre qui apparaît de façon assez incongrue dans ce milieu aride et désolé des contreforts du volcan. Comment est-elle arrivée jusque là ? Quelle est son histoire ? Nous n’en sauront rien. A moins de lire très vite le livre.
Ce Gollum n’a plus rien du hobbit déchu tel que nous le présente Tolkien dans le Seigneur des Anneaux. Nous avons plutôt affaire à la créature déshumanisée telle qu’elle est décrite dans le récit du Hobbit : une créature petite et visqueuse, aux grands yeux pâles « semblables à de petites lampes vertes », aux grands pieds palmés, avec de longs doigts et six dents.
Le personnage tel qu’il apparaît est donc un transfuge du dessin animé The Hobbit, qui précéda chronologiquement et narrativement The Return of the King et qui était aussi le premier coup d’essai de Rankin et Bass en matière d’adaptation du monde de Tolkien.
La grande violence du personnage, évoquée plus haut, et sa déshumanisation rendent donc toute idée de rédemption impossible. Ceci est accentué par le fait que le lien avec Sam et Frodo, très fort dans l’œuvre de JRR Tolkien, est inexistant dans le dessin animé. Les deux Hobbits ne connaissent Gollum que par le récit des aventures passées de Bilbo.
Ainsi, lorsque Gollum chute de façon assez ridicule dans le cratère de Sammath Naur, le réaction des Hobbits est parfaitement flegmatique et détachée : « Gollum has accomplished our quest…! » se contentent-ils de dire, oubliant au passage que le monstre a tenté de les tuer et que Frodo est désormais mutilé par sa faute.
Nous sommes évidemment, à ce moment de l’adaptation, très loin de toute idée de pardon, de rédemption, de pitié, des thèmes pourtant chers à JRR Tolkien.
Mais toutes les bizarreries, incohérences et digressions par rapport à l’œuvre de JRR Tolkien qui s’accumulent dans cet agréable film d’animation ne sont pas strictement négatives.
Au milieu du pénible et douloureux périple de Frodo et Sam surgit une étonnante scène qui casse le début de monotonie auquel le spectateur commençait à être soumis : sur fond de ballade disco-funk au synthétiseur, rythmé par des bruits de coup de fouet, arrive une compagnie d’orques :
« Where is a whip – Shlaaaak ! There’s a way ! Where is a whip – Shlaaaak !
There’s a way ! We’re gonna fight, we’re gonna fight all day, all day, all day ! Shlaaaak !We’re gonna fight, left-right – Shlaaaak ! Where is a whip, there’s a way ! Left-Right ! »
Frodo et Sam se retrouvent embrigadés de force par un affreux chef orque qui, dans ce contexte entraînant, est plus comique qu’effrayant. Et sur ce rythme que n’auraient renié ni les Village People (pour les voix), ni Kraftwerk (pour la musique), on a du mal à croire Frodo qui se plaint de son épuisement et de sa probable perte de connaissance imminente… Et voilà soudain que la compagnie se retrouve sur une sombre croisée de chemin face à un fort détachement d’hommes. Ceux-ci exigent la priorité sur les orques. Sam pousse alors le chef orque à ne pas se laisser faire. Commence alors le combat qui permet aux deux Hobbits de fuir discrètement au milieu du chaos de Gorgoroth.
Cette scène étonnante et rythmée est un véritable ovni dans ce dessin animé assez sombre. Bien que complètement décalée et discutable sur le plan de la conformité à l’œuvre de JRR Tolkien, elle redonne tout de même un coup de punch au cœur même de ce film, à l’instant même où le spectateur commençait à en éprouver le besoin.
Le récit du ménestrel achevé, l’histoire de Bilbo, Frodo et Samwise touche à sa fin. Le livre rouge est confié à Sam, et Frodo prédit à ses amis des vies heureuses, de beaux mariages et de beaux enfants. Les deux Hobbits vont alors rejoindre dés le lendemain les Havres Gris avec Gandalf et Elrond.
Le film se termine ainsi, sur le départ du navire. On n’assiste pas aux déchirants adieux de rigueur. Tout est sobre et émouvant, même si on saisit mal le sens de ce départ « vers l’Ouest ». Il pleut sur les Havres, curieux port où sont amarrés de grands navires mais où trônent discrètement deux modestes bâtiments. Une dernière chanson mélancolique de Glenn Yarbrough ajoute à la tristesse du moment et une larme glissant sur la joue de Sam conclue la scène. Les trois Hobbits restants font alors demi-tour sur leurs poneys tandis que la narrateur se garde le mot de la fin : « The Return of the King is the end of the beginning of a new age of Men »
En fin de compte, la trame narrative du récit de JRR Tolkien a été très peu respectée. Mais une ambiance assez plaisante se dégage de ce dessin animé, ce qui permet de mieux faire passer les différences flagrantes avec le livre. Malgré ses bizarreries et le manque de cohérence de nombreuses scènes, les dessins dans l’ensemble très réussis et la musique agréablement adaptée à chaque situation forment un ensemble harmonieux qui marque le spectateur. Il n’y pas de grandiloquence, pas d’effets spéciaux démesurés, pas de bande-son fanfare. Juste de la simplicité et du savoir-faire.
Ainsi peut-on se dire, avec le recul, que les événements sombres contés dans ce dessin animé, n’étaient que la version personnelle du Ménestrel de Gondor, et qu’on peut lui pardonner ses digressions par rapport au texte.
Toutefois, l’admirateur de JRR Tolkien et de son célèbre roman n’y retrouvera peut-être pas son compte, à moins d’accepter la chose à la fois comme une curiosité télévisuelle du début des années 80 mais aussi comme un récit essentiellement focalisé sur Frodo et Sam, au détriment de tout le reste. Il est fort probable malgré tout qu’on puisse crier au scandale et à l’hérésie dés les premières minutes du film comme on le fit à tort et à raison pour les autres adaptations du Seigneur des Anneaux. Ainsi, un oeil averti pourra relever de très nombreux défauts concernant les personnages, le respect des thèmes chers à Tolkien, mais aussi plus particulièrement concernant l’ajustement entre les distances et le temps écoulé. Un souci qu’on retrouve dans toutes les adaptations du roman, alors que la fluidité et la maîtrise de ce rapport distance/temps par Tolkien est une des clés de la force de l’œuvre originale.
Enfin, continuellement tiraillé par l’omniprésence d’une sourde violence et par une exigence de modération liée au public juvénile auquel est destiné le dessin animé, les auteurs se sont souvent égarés dans une foule d’incohérence qui nuit à la solidité de l’ensemble. A cela s’ajoute l’éternel défaut commun à toutes les adaptations du Seigneur des Anneaux, qu’elles soient radiophoniques, télévisuelles ou cinématographiques : qui n’a pas lu préalablement le roman de Tolkien ne peut pas tout comprendre…
Jean-Rodolphe Turlin (alias Isengar),
février 2006.