Il est dit des Ainur qu’ils étaient issus de la pensée d’Eru et que chacun ne comprenait que la partie de l’esprit d’Eru d’où il ou elle provenait. Seul Melkor avait reçu une “part de tous les dons de ses frères”. Si l’on assume qu’Eru avait conçu les Ainur de toutes les parties de son esprit, ce dont on ne peut être certain car il se pourrait que, de certaines parties de son esprit, aucun Ainu n’émergea, Melkor était donc seul à avoir été conçu de toutes ces parties lui-même, pour être une version réduite d’Ilúvatar. Ceci pourrait expliquer pourquoi, au lieu de rester avec ses frères qu’il n’avait nul besoin de comprendre car les comprenant déjà, il vagabondait souvent dans le Vide. En effet, tout comme son Progéniteur, il était impatient d’amener à l’Existence des êtres provenant de lui-même. N’eût-il point chuté, il aurait naturellement été le Vice-Régent d’Eru. “À son origine, le plus puissant de tous les Ainur à entrer dans le Monde était Melkor.”

La coévalité (identité d’âge) de Manwë et de Melkor est également mentionnée, ce qui implique que tous les Ainur ne naquirent pas en même temps, mais seulement quelques-uns à la fois. Les mentions de “jeune soeur de”, “jeune frère de” renforcent cette notion. Les plus âgés deviendraient naturellement les Valar, car ils auront naturellement eu plus de temps pour progresser dans la compréhension de leurs frères, et par conséquent acquis une connaissance et une noblesse plus grande, et leurs cadets seront les Maiar et les autres esprits moindres.

Les plus seniors et les plus nobles des Valar sont les Neuf Aratar. Melkor fut retiré de leur ordre et Manwë, son coéval non déchu, fut installé à sa place pour devenir le lieutenant (au sens propre ‘de tenant lieu de’ et non au sens militaire) d’Eru sur Arda. Il est intéressant de noter que Yavanna a un rang plus élevé parmi les Aratar que son époux Aulë. Cela pourrait peut-être venir du fait que, contrairement à lui qui ‘chuta’ en créant les Nains, elle ne ‘chuta’ pas mais rechercha plutôt la permission d’Eru pour créer les Ents, ce qui amena comme bénéfice secondaire la création des Aigles par Manwë.

Les mentions d’‘époux’ et d’ ‘épouse’ nous montrent qu’il est connu que les Valar et les Maiar se marient[1]. Cela signifie que, leurs talents et leurs compétences se complétant, ils préfèrent leur compagnie mutuelle à celle d’aucun autre. Les couples que nous connaissons sont ainsi : Manwë et Varda, Yavanna et Aulë, Námo et Vairë, Irmo et Estë, Tulkas et Nessa, Oromë et Vána, Ilmarë et Eönwë, Ossë et Uinen, voire même Sauron et Thuringwethil. Nous pourrions aussi ajouter à cette liste Iarwain et Baie d’Or. Il existe probablement un vaste nombre de couples parmi eux dont on ne connait rien. Ulmo ne se marie pas, peut-être car sa tâche est centrale. Nienna non plus, mais Olórin lui rend fréquemment visite, et Tilion semble être un amoureux transi d’Arien.

Dans le Silmarillion publié, sauf exception, l’amour qui unit deux Ainur est pur et asexué, même s’ils sont gendrés. On sait que tel n’était pas le cas dans le Livre des Contes Perdus et dans les versions précédentes du Silmarillion. Il y était en effet dit que Fionwë (plus tard Ëonwë) était le fils de Manwë et de Varda, qu’Erinti était sa soeur (qui devint Ilmarë dans Le Silmarillion), qu’Oromë était le fils d’Aulë et de Yavanna Palúrien, Nielíqui la fille d’Oromë et de Vána (qui apparait aussi dans le poème Nieninque dans Un Vice Secret), que Tulkas a un fils nommé Telimektar (qui réapparait plus tard dans la constellation Telumehtar/Orion et qui est aussi le nom d’un roi de Gondor) et même que Kosomot (plus tard Gothmog seigneur des Balrogs) était le fils de Melko et d’une certaine Ulbandi.

Cependant les Ainur peuvent, s’ils le souhaitent, avoir des enfants de leur forme physique ou fana. Ainsi Melian épouse Elwë (Thingol) et a de lui Lúthien qui est ainsi de divin lignage. Plus profanes seront les descendantes d’Ungoliant dans le val de Nan Dungortheb dont Arachne est un exemple. Il se peut que Melkor lui-même entretienne des pensées semblables vis-à-vis de Lúthien, qui semble venir s’offrir à lui de son plein gré dans sa forteresse de Thangorodrim. Les Elfes féminins étant au contrôle de leur fertilité, c’est une possibilité que Melkor peut parfaitement entretenir.

Les Maiar sont appelés le peuple, ou les gens, des Valar. Bien que de moindre nature, ils furent conçus par Eru après ces derniers et leur sont apparentés. Certains semblent même apparentés à plusieurs Valar, peut-être car issus de plusieurs parties de l’esprit d’Eru. Il est dit d’Olórin que c’est un Maia d’Irmo Lórien, mais aussi de Manwë (dans Contes Inachevés) : peut-être est-il parent des deux. Melian sert à la fois Vána et Estë et est apparentée à Yavanna. Artano (Sauron) était un Maia d’Aulë ainsi que Curumo (Saroumane), ce qui explique pourquoi il fut si facile à ce dernier de ‘chuter’ et d’être séduit par Sauron. Tilion est un Maia d’Oromë, et peut-être aussi Estë. Arien soigne les fleurs de Vána, mais c’est une Maia du feu, comme son nom l’indique. Elle est peut-être apparentée à Melkor[2], ce qui expliquerait pourquoi il la craignit tant plus tard, tant la puissance d’Arien avait crû alors que la sienne avait décru. Il est aussi possible qu’avant sa chute Ungoliant ait été une Maia de Varda elle-même, assoiffée de Lumière et éructant de la Non-Lumière, mais peut-être également de Vairë, la Tisseuse, épouse de Mandos. Quant aux Valaraukar (les Balrogs), on n’en connait que peu sur eux, mais ils étaient appelés “fléaux de feu”. Ils étaient donc probablement des Maiar de Melkor lui-même et, en tant que tels, très vulnérables à ses séductions, peut-être que Arien aurait pu en devenir si elle s’était laissée tenter. Il existe d’autres Maiar qui choisissent de servir leur maître sous diverses apparences physiques, comme chauve-souris, loup ou dragon, et peut-être également cheval, comme c’est le cas de Nahar et chien, avec Huan. L’acte de procréation avec leur propre corps leur permet de se soustraire à la règle d’Eru qui statue que leur progéniture ne pourrait avoir une vie indépendante de la leur. Cela explique comment les dragons et les ouargues, dont la première génération sont des Maiar, ont des descendants doués d’une vie autonome.

Revenons à la notion de parenté, mentionnée déjà à plusieurs reprises et qui émerge de l’emploi de termes tels que ‘frère de’, ‘soeur de’. De prime abord, elle semblerait n’avoir aucun sens puisque, étant tous issus de l’esprit d’Eru, les Ainur sont frères et soeurs les uns des autres. Pourquoi donc Tolkien emploie-t-il à de multiples reprises de telles expressions ? Qu’est-ce qui ferait qu’un Ainu (X) soit plus parent d’un autre (Y) que d’un troisième (Z) ?

Revenons au texte de l’Ainulindalë, qui sauf exceptions, est notre source principale. On peut y noter des détails intéressants : les premiers Ainur à être créés sont tous très différends les uns des autres en pouvoirs, fonctions et compétences, mais ceux des Ainur qui suivirent (les Valar ‘juniors’ et, a fortiori, les Maiar) sont bien moins différenciés et certains ont en don une partie de la compréhension de beaucoup d’autres.

Il est dit dans l’Ainulindalë :
Et il s’adressa à eux, leur proposant des thèmes de musique ; Et il chantaient devant lui et il était content. Mais pendant longtemps, chacun chantait seul ou ensemble en petit nombre, tandis que le reste écoutait ; car chacun ne comprenait que la partie de l’esprit d’Ilúvatar d’où il était issu, et dans la compréhension de leur frères ils ne crûrent[3] que lentement. Cependant, à mesure qu’ils écoutaient toujours plus, ils crûrent en unisson et en harmonie…” “… Alors les thèmes d’Ilúvatar seront joués correctement et advenir à l’existence au moment de leur expression.”

Lorsque l’on connait les résultats de la Grande Musique, de ses apparentes discordes (Lettre 212, brouillon non envoyé à Rhona Beare), des thèmes qui furent proposés, ainsi que ce qui en émergea (Eä, Arda, les Elfes et les Hommes, entre autres), il n’y a qu’un pas pour envisager que les thèmes originels qu’Eru proposa aux premiers Ainur (ceux qui devinrent les Aratar et les Valar seniors), et qu’il leur demanda de jouer devant lui, n’étaient autres que les thèmes de leurs propres frères, sœurs et gens (les Valar juniors et les Maiar), mais ils ne pouvaient encore le savoir à ce moment-là. Ils voyaient de nouveaux Ainur émerger, semblables à eux de mystérieuses manières, et leur présence contribuait à l’unisson et à l’harmonie. Nulle discorde n’existait encore à ce moment-là, car Melkor était, soit trop jeune pour y songer, soit en vagabondage dans le Vide en quête de la Flamme Impérissable, et donc non en position de se faire entendre. De fait, puisque tous les thèmes qu’Eru proposa semblent avoir mené par la suite à une création, on ne saurait en exclure les thèmes initiaux. Tout ce qu’il fit en créant les premiers Ainur fut simplement de préparer les instruments qui vont créer le Monde pour lui, et ceci inclue les autres Valar et les Maiar.

Notes explicatives sur le Tableau Synthétique des Ainur Répertoriés

Les Aratar sont placés sur le cercle extérieur, les autres Valar immédiatement en dessous, et les Maiar sont positionnés sous leurs maîtres dans le cercle intérieur. S’ils sont tenus pour être vassaux de plusieurs Valar, comme Olórin, Tilion et Melian, ils sont soit placés entre leurs maîtres. Ainsi Olórin est placé entre Manwë et Irmo, soit entre deux lignes les connectant à leurs maîtres (Tilion, Melian).
L’ordre dans lequel les Maiar sont placés dans le cercle intérieur n’est guère important, surtout lorsque certains Valar tels que Aulë, Yavanna et Oromë sont connus pour être servis par de nombreux Maiar. On peut cependant noter qu’Ossë et Uinen, Ilmarë et Eönwë, Alatar et Artano (Sauron), sont placés plus vers l’extérieur, juste en dessous de la ligne des Aratar. Certains sont de pouvoir inconnu (Salmar[4], Pallando), mais Ungoliant a dû initialement être très puissante pour que Melkor la considère quasiment comme une égale.
Comme je les perçois comme représentant, entre autres, les quatre éléments, Manwë et Aulë, Ulmo et Melkor sont placés en face l’un de l’autre, à plus forte raison car Ulmo est l’agent actif de résistance contre Melkor. Nienna est placée à côté d’Ulmo (larmes et eau), et Yavanna est placée entre ce dernier et son époux Aulë, car l’eau et la terre sont nécessaires à la croissance des plantes. Tulkas est placé à côté d’Oromë à cause de leur proche relation, (le Guerrier et le Chasseur). Melkor est entouré de Varda qu’il convoita autrefois et qu’il craint le plus à présent, et de Tulkas qu’il haït le plus.
Un arbre généalogique n’étant pas de mise pour des familles non corporelles, mon intention initiale était de dresser un arbre relationnel – mais les interconnexions entre Valar et Maiar rendirent cela impossible. J’aurais pu également y ajouter Iarwain Ben-Adar, (Bombadil) mais choisis de ne pas l’inclure, car je n’aurais pas su à qui le relier, (Irmo, Estë, Yavanna, Oromë, tous?) Finalement un cercle, figure parfaite s’il en est, s’avéra convenir au mieux pour ce faire. Puisse-t-il révéler dans sa simplicité des aperçus de l’esprit d’Eru d’où ils procèdent tous.

 

© 2015 Denis Bridoux

Notes

1. Notez comment le verbe anglais ‘to espouse’, français ‘épouser’ peut se dire d’une personne comme d’une idée. C’est ici parfaitement approprié, les Ainur étant de par leur essence même, des idées, des concepts, des principes personnalisés.
2. Les quatre Ainur principaux sont (entre autres qualités) des esprits élémentaires : Manwë est un esprit de l’Air, Ulmo de l’Eau, Aulë de la Terre, et Melkor du Feu. Ce dernier est confirmé par The Lay of Leithian RecommencedLe Nouveau Lai de Leithian I. 109-112 : “Ere the stone / was hewn to build the world, alone / he walked in darkness, fierce and dire / burned, as he wielded it, by fire.” “Avant que fut taillée la pierre / du monde, il allait solitaire / seul et sombre l’enténébré / par ses propres flammes brûlé”. Ce sont les Quatre Éléments alchimiques : Solide, Liquide, Gazeux et Feu/plasma. Cependant, lorsque entrant en Éä Melkor en perdit le droit en s’appropriant le pouvoir de l’Entropie (Voir les principes de la thermodynamique), ses pouvoirs furent assumés par Aulë. En Éä, ceux qui représentaient les quatre éléments devinrent les Trois Principes. Les trois Silmarils aboutissent dans les airs, les eaux, et la terre/le feu. Les trois anneaux sont d’air pour Vilya, d’eau pour Nenya et de feu pour Narya. Ils sont ainsi dédiés aux trois principaux Valar restants.
3. Le verbe anglais ‘to increase’ veut dire à la fois ‘croître’ et ‘accroître / augmenter’.
4. Salmar apparait plusieurs fois dans Le Livre des Contes Perdus, mais une seule fois dans Le Silmarillion. Originellement, il avait plus d’importance qu’Ossë et Uinen.