Tolkien n’était pas en faveur de l’insertion de références ouvertement religieuses dans ses œuvres. Cependant, quand j’ai lu pour la première fois Le Seigneur des Anneaux (il y a maintenant bien trop d’années pour que je prenne la peine de les compter), j’ai été frappée de voir que la figure la plus clairement divine dans toute l’œuvre était féminine – Elbereth Gilthoniel, aussi connue sous le nom de Varda Elentari, la faiseuse d’étoiles.

J’ai pensé à l’époque qu’il y avait des parallèles évidents entre Varda et la Grande Déesse des mythologies païennes, telles qu’Inanna, Isis, Nuit et Héra. Etant donné l’amour de Tolkien pour les mythologies païennes c’est tout à fait possible, mais on a pu aussi souvent suggérer qu’en tant que catholique, il était encore plus influencé par la personne de la Sainte Vierge Marie.

C’est possible mais il y a pourtant certaines difficultés avec cette identification. Marie n’est pas une déesse, elle n’a pas de pouvoir propre, autre que celui d’intercéder auprès de Dieu. Cependant, Varda est l’être ayant le plus grand pouvoir de création après l’Unique. Faiseuse d’étoiles, qui peut faire mieux ? Alors qui est Varda ? Existe-t-il une autre figure, ayant des origines préchrétiennes, mais compatible avec le christianisme, qui pourrait nous donner une idée de qui est ce personnage ?

Hé bien oui, ce personnage existe ! Dès l’époque de Platon, les philosophes grecs avaient développé le concept de la Cause Première et dans la philosophie hellénistique certains principes de la création étaient considérés comme émanant de celle-ci.  Un de ces principes était Sophia, la Sagesse, le principe divin qui ordonnait et structurait l’univers. Sophia fut finalement absorbée par le christianisme et jusqu’à un certain point identifiée avec le Saint Esprit. La première référence à la Trinité faite par Saint Justin martyre au deuxième siècle, décrit le Saint Esprit comme la Cause Première, le Logos et Sophia (parfois le Logos et Sophia sont vus comme interchangeables)

Encore plus tôt, Sophia était devenue partie intégrante du judaïsme hellénistique. Dans le fameux « Livre de la Sagesse », une œuvre écrite environ un siècle avant J-C, Sophia est décrite comme « brillante et qui ne flétrit pas » (sag 6-12), « l’ouvrière de toutes choses » (sag 7-22) qui « s’étend avec force d’un bout du monde à l’autre et gouverne l’univers pour son bien» (sag 8-1). « Elle est de fait initiée à la science de Dieu et c’est elle qui choisit ses œuvres » (sag 8-4). C’est Sophia qui a joué le premier rôle dans la création. La Sagesse, nous dit-on, « est un reflet de la lumière éternelle, un miroir sans tache de l’activité de Dieu, une image de sa bonté » (sag 7-26) ce qui nous rappelle la lumière d’Ilúvatar qui se reflète  encore sur le visage de Varda. En fait Sophia, tout comme Varda, est continuellement associée à la lumière. « Elle est plus belle que le soleil, elle surpasse toutes les constellations, comparée à la lumière, elle l’emporte car celle-ci fait place à la nuit, mais contre la Sagesse le mal ne prévaut pas » (sag 7 29-30). Ceci évoque le pouvoir de Varda sur les ténèbres et la manière dont Melkor la craint plus que tout autre Vala.  Il semble souvent que le simple fait de faire appel à Varda fait reculer les ténèbres et triompher la lumière – rappelons nous la scène dans « Les choix de maître Samsagace » dans Le Seigneur des Anneaux, lorsque la fiole de Galadriel irradie brutalement de lumière lorsque le nom de Varda est invoqué.

Dans le « livre de la Sagesse » la demeure de la Sagesse est « dans les cieux » et elle est constamment associée aux étoiles aussi bien dans leur compréhension païenne que judéo-chrétienne. Dans un cantique grec à Isis-Sophia, la déesse dit « j’ai séparé la terre des cieux, j’ai tracé leur chemin aux étoiles, j’ai assigné leur route au soleil et à la lune ». Dans d’autres textes grecs, nous rencontrons « Sophia, la super-sage, la génitrice » qui «  a crée les grands luminaires et toutes les étoiles et les a placés dans les cieux pour qu’ils éclairent le monde ». Sainte Hildegarde de Bingen, la mystique du XII° siècle, décrit les étoiles comme « les innombrables paroles de la Sagesse ». Dans un passage remarquable, elle décrit Sophia dans un vocabulaire que Tolkien aurait fort bien pu utiliser pour Varda.

« Elle est la Sagesse divine. Elle veille sur tout être et toute chose sur la terre et dans les cieux. A  cause de l’immense splendeur qui luit en Elle, Elle  est si brillante et rayonnante qu’on ne peut contempler sa face ou même ses vêtements. Elle est plus majestueuse et terrifiante que l’éclair et plus douce que la lumière du soleil. Ainsi dans sa puissance et sa mansuétude, Elle est incompréhensible  pour les mortels, à cause de l’éclat redoutable de sa divine face et de la clarté qui émane d’Elle comme l’ornement de sa beauté. Elle est tel le soleil dont nul ne peut contempler la face éblouissante ou le glorieux vêtement de rayons. Car elle est pour tous et en tout et d’une beauté si pure et si mystérieuse que personne ne peut appréhender la douceur qu’elle porte aux hommes, et quelle insondable sollicitude elle leur consacre. »

Les similitudes entre Varda et Sophia semblent très frappantes. J’ignore jusqu’à quel point Tolkien était familier avec la tradition de la Sagesse, mais il serait intéressant de vérifier s’il en avait connaissance et s’il subit son influence.

 

Rose Thomas,
article paru dans Amon Hen, numéro 245 (voir l’article original).