COMPTE-RENDU

Rayner Unwin, George Allen & Unwin – A Remembrancer, Ludlow [Shropshire], privately printed for the Author by Merlin Unwin Books, 1999, CHAP. iv et v : ” PublishingTolkien [I & II] “, p. 71-135 (290 p.).

Rayner Stephens Unwin, né le 23 décembre 1925 et décédé le 23 novembre 2000, n’en était pas à sa première publication quand ses mémoires ont paru. Éditeur de carrière et membre d’une fa­mille dédiée à cet art (il est le fils de Stanley, le cousin de Philipp et père de Merlin), on compte à son actif nombre de titres écrits par d’autres, titres qu’il a su mettre au catalogue de la maison d’édition George Allen & Unwin (devenue Unwin Hyman en 1985 avant d’être rachetée par Harper­Collins Publishers en 1990). Mais il est aussi, on le sait moins, l’auteur de quelques ouvrages. Ainsi a-t-il publié en même temps que Le Seigneur des Anneaux, en 1954, The Rural Muse. Studies in the Peasant Poetry of England, consacré au dernier livre de John Clare (1835). La publication de ses mémoires professionnelles (éditées à titre privé par la jeune maison de son fils (Merlin Unwin Books), spécialisée dans la pêche), est une contribu­tion de premier ordre pour la connaissance de l’histoire de l’édition du Hobbit et du Seigneur des Anneaux notamment. Cet ouvrage complète également les Letters et la biographie de Tolkien dus à Humphrey Carpenter. Certes, on connaît déjà nombre d’éléments factuels inclus ici par les notices de la bibliographie descriptive de Wayne G. Hammond et Dou­glas A. Anderson. Et, si nous connaissons bien des détails internes des développements de l’intrigue du Seigneur des Anneaux grâce à Home VI-IX (voir la recension par Douglas A. Andersonsupra), et si nous attendons encore l’histoire des évolutions dans la rédaction du Hobbit, l’histoire externe de la publication des textes définitifs est quasi définitivement documentée.

Déjà, Rayner Unwin avait publié, ici ou là, quelques-uns de ses souvenirs à propos de Tolkien. Il avait déjà publié The making of the Lord of the Rings. Il était également inter­venu à propos du Hobbit lors de la conférence du centenaire notamment (Mythlore, no 80). Il a aussi déjà exposé la ges­tation du Seigneur des Anneaux lors du troisième colloque de la société Unquendor, et celle des premiers volumes de Home dans Tolkien’s legendarium (voir le compte rendu dans notre première Feuille, p. 133, 146) – ce dernier article étant la ” suite ” des deux chapitres ici présentés. Mais ces textes étaient assez limités et n’ont rien de comparable avec l’ampleur des mémoires aujourd’hui publiées. (Nous sui­vrons ces souvenirs en renvoyant aux parallèles dans Tolkien, une biographie d’Humphrey Carpenter que nous citons dans la réédition 2002.)

Deux chapitres, centraux, sont consacrés à Tolkien. Le premier d’entre eux (CHAP. iv) s’amorce avec l’histoire de l’édition du Hobbit et s’achève avec celle de la publication duSeigneur des Anneaux. Comme l’on sait (voir Tolkien, une biographie, p. 166 sqq.), Rayner Unwin a donné son avis sur le tapuscrit en 1936 (avis reproduit ici p. 74). C’est par l’intermédiaire d’Elaine Griffiths que Susan Dagnall a édité, avec Charles Furth, le texte, après avoir demandé à Tolkien d’en achever le tapuscrit. Les échanges pour mettre au point l’édition en 1937 engendrèrent 26 lettres de la part de Tolkien (11 sont publiées dans les Letters, nos 9-15 et 17-20) qui en reçut 31 (encore inédites). La plupart concernait les cartes et les illustrations. Durant la composition, Tolkien avait revu son texte, et les frais de corrections d’auteurs fu­rent supérieurs aux 10 % légaux, Tolkien se proposa de payer la différence. Après la publication du premier tirage de 1500 copies, le 21 septembre 1937 (mais d’abord prévue pour juin), il cherchait encore à améliorer le texte. Ainsi Christopher Tolkien, malade début 1938, eut-il pour mission de trouver des erreurs. Susan Dagnall et Charles Furth furent très pa­tients devant le perfectionnisme dont faisait montre Tolkien dans la réalisation de l’ouvrage. Il fut affecté de voir que les corrections n’avaient pas été prises en compte lors de la pre­mière réédition, réalisée dans l’urgence avant Noël 1937. Il n’avait en revanche guère d’exigence concernant l’exploitation du livre : George Allen & Unwin avait les mains libres en la matière.

Ce que rapporte ensuite Rayner Unwin est déjà large­ment connu (voir Tolkien, une biographie, p. 169 sqq.). Stanley Unwin eut tôt fait de demander une suite au Hobbit, Tolkien lui présentant alors nombre de projets, liés pour la plupart à la Terre du Milieu (voir la note rédigée par Stanley Unwin, p. 81). The Lost Road fut bien jugé par Susan Dagnall, Rayner Unwin lut ce qui deviendrait The Adventu­res of Tom BombadilFarmer Giles of Ham et Roverandom. Charles Furth examina Mr. Bliss qui ne fut pas édité à cette époque pour des raisons techniques. Ed. Crankshaw eut la charge de se pencher, sans prévention, sur The Geste of Beren and Lúthien, ce que Rayner Unwin considère comme la pire des erreurs puisque ce lecteur jugea comme faibles les textes aujourd’hui publiés dans Home III. La véritable suite au Hobbit commença fin 1937, et Rayner Unwin lut le pre­mier chapitre (aujourd’hui publié en Home VI, 19-28) dès février 1938. Trois chapitres furent soumis en mars, sept en août, douze fin 1938 : trois cents pages rédigées en un an. Tolkien pensait qu’il en fallait encore deux cents pour en finir… Déjà l’histoire avait une allure plus adulte, mais Stanley Unwin pensera jusqu’après la guerre que la suite se­rait du même acabit que le Hobbit. En 1939, l’équipe éditoriale autour de Stanley Unwin se disloque : Ch. Furth part à la guerre, S. Dagnall convole. L’édition est toujours retardée, l’histoire s’allongeant, le papier manquant ensuite…

En 1947, Rayner Unwin rend compte du premier livre du Seigneur des Anneaux (le texte de ce rapport est édité ici p. 91-92), puis en septembre il prend connaissance du deuxième livre. En 1949, Le Seigneur des Anneaux est achevé. Rayner Unwin quitte Oxford diplômé. Les problèmes d’édition entre Allen & Unwin d’une part et Tolkien d’autre part interviennent en 1950 (voir Tolkien, une biographie, p. 189 sqq.). Tolkien rencontre Milton Waldman, des éditions Collins, et lui montre le Silmarillion. Les légendes des deux premiers âges étant le véritable arrière-fond du Seigneur des Anneaux, l’idée d’une édition du Silmarillion préalable à celle du Seigneur des Anneaux émerge après que M. Waldman a lu Le Seigneur des Anneaux. Rayner Unwin publie des extraits d’une lettre à M. Waldman concernant la question de l’engagement auprès de George Allen & Unwin – lettre où Tolkien fait part de ses insatisfactions au-delà des (bonnes) relations humaines avec la famille Unwin (p. 93-94). Rayner Unwin expliqua à son père qu’ayant lu une bonne part du Seigneur des Anneaux, il n’a pas éprouvé la nécessité de connaître le Silmarillion pour le comprendre. Il suggérait donc d’accepter de publier Le Seigneur des An­neaux et de remettre la publication du Silmarillion. Tolkien ayant connaissance de cet avis (sans que Rayner Unwin ne sache avant longtemps que le mot lui fut tranmis) lance un ultimatum : les deux livres ou rien. On connaît la suite. Rayner Unwin affirme que ni son père ni lui ne réalisaient en refusant qu’un autre éditeur était sur les rangs, il ajoute même qu’ils ne le comprirent que bien après le décès de Tolkien. Autrement dit, le refus de William Collins et la re­prise de contact par Rayner Unwin semblaient moins dra­matiques pour l’éditeur qu’elle ne l’était pour Tolkien qui, avec humilité, accepta de s’en tenir au Seigneur des Anneaux dans sa première lettre adressée à Rayner Unwin en tant qu’éditeur (p. 96-97, voir la lettre du 22 juin 1952 dans lesLetters, no 133). Le jeune éditeur vint en personne, à Oxford, chercher le tapuscrit en septembre (voir Tolkien, une bio­graphie, p. 195 sqq.). Le détail des problèmes de la division de l’ouvrage et de l’arrangement financier est fourni ici (p. 98). Le contrat est signé en novembre 1952. Comme pour le Hobbit, allait se reposer la question des cartes, de la couver­ture et des illustrations (l’inscription de l’Anneau en rouge, les pages du livre de Mazarbul, la porte de la Moria) ! C. S. Lewis allait rédiger quelques mots pour la quatrième de cou­verture, rapprochant Tolkien de l’Arioste, ce qui déplaisait à l’intéressé et allait être l’occasion de quelques grincements dans la critique (dont rend compte Rayner Unwin p. 101-102). Le dernier volume qui devait contenir les Appendices posait problème de ce fait même. Déjà Rayner Unwin avait reçu – ce fut un cas unique dans sa carrière – des lettres de lecteurs réclamant qu’on mît fin au supplice : ils voulaient lire le dernier volume ! Tolkien allait boucler les Appendices en mai et partait durant l’été 1955 pour le Gondor, c’est-à-dire dans la ville de s. François – Assises (p. 103).

Le second chapitre (dans le livre, le CHAP. v) expose les distractions successives qui empêchèrent Tolkien d’en termi­ner avec plusieurs projets avant longtemps. La question des droits est la véritable clef de ce chapitre : droits cinématogra­phiques, musicaux, et éditoriaux.

Le monde du cinéma, par trois fois pour la seule pé­riode 1957 et 1962 avant les aboutissement récents, approcha Unwin et Tolkien qui pour l’adaptation du Seigneur des An­neaux qui pour celle du Hobbit (p. 107-109, 127-130). D’un point de vue musical, c’est par l’intermédiaire de Joy Hill, secrétaire de Rayner Unwin, qu’aboutit, en 1967, le projet de Donald Swann : The Road Goes Ever On (p. 122-123).

Du point de vue des droits littéraires proprement dits, plusieurs questions sont abordées. La première distraction concerna les problèmes de traductions : Tolkien rédigea uneNomenclature pour les traducteurs (p. 106). Ensuite, Rayner Unwin revient sur les distractions dues aux rééditions du Hobbit et du Seigneur des Anneaux tant au Royaume-Uni qu’aux États-Unis. La question de l’édition de poche du Hob­bit fit aussi grand bruit, notamment lorsque Puffin l’édita en modifiant l’orthographe de certains termes, se cachant der­rière l’autorité de l’Oxford English Dictionary, Tolkien leur répondit alors qu’il en était auteur (p. 111) ! En 1965, plus importante encore fut l’affaire de l’édition pirate du Seigneur des Anneaux par Ace Books et des éditions autorisées pu­bliées par Ballantine (p. 117-121).

Ces distractions retardèrent la publication des princi­paux travaux de Tolkien. Car, en 1959, Tolkien avait signé les contrats de Sir Gawain, d’On Fairy Stories et du Silmarillion(attendu pour fin 1960). Les travaux universitaires sur An­crene Wisse retardèrent eux aussi l’achèvement de son ouvre d’imagination. Étant alors occupé par les droits cinémato­graphiques et l’édition Puffin du Hobbit, il propose un autre volume : The Adventures of Tom Bombadil. Rayner Unwin le poussa à l’étoffer. Tolkien appréciait les illustrations de Pau­line Baynes à l’exception de la position du dragon (p. 114). Rayner Unwin lui demandant une nouvelle publication : et ce fut Tree and Leaf. Il est revenu à Christopher Tolkien d’honorer les contrats signés puisque Sir GawainMr. Bliss et le Silmarillion virent le jour grâce à lui. Rayner Unwin précise enfin que Tolkien fut souvent empêché en raison d’un état de fait qui, plus le temps passa, occupa son temps – un état de fait totalement extérieur à la vie de l’esprit : la mala­die, tant les siennes que celles d’Edith (p. 114-116, 130).

Rayner Unwin rapporte, à travers ses deux chapitres, les évolutions de ses relations avec Tolkien, de ses premières visites d’étudiant, à l’amitié avec un homme d’une génération son aîné (cf. son adresse au ” Prof. Tolkien “, p. 88, 134), mais relate également quelles furent leurs correspondances, leurs rencontres (depuis 1943 mais surtout depuis 1954), leurs rapports téléphoniques (p. 116).

 

Michaël Devaux.
© La Compagnie de la Comté, novembre 2003.