Il parait maintenant acquis que Gimli, dans La Communauté de l’Anneau, tentera de détruire l’Anneau Unique au Conseil d’Elrond. Au vu des extraits de script révélés il y a deux semaines, la scène devrait se dérouler comme suit. Elrond dira que l’Anneau est indestructible et Gimli se lèvera soudain, à la fois flamboyant et ridicule. Il s’avancera vers l’Anneau posé sur une table, tonnant que tout Anneau de Puissance soit-il, il ne saurait résister à une hache de nain, et brisera son arme dessus à la grande joie des enfants. Un gros plan sur le visage hébété de Gimli, couvert de prothèses faciales, devrait compléter cette scène d’introduction. L’interprétation toujours outrancière de John Rhys-Davies (Sallah dans la série des Indiana Jones) aidant, il semble que Gimli soit destiné à devenir le comique de la Compagnie, que Legolas sauvera d’une chute dans la Moria en le rattrapant par la barbe (une scène des 24 minutes de film présentées à Cannes). D’autres extraits du script confirment cette impression (« On ne fait pas de lancer de nain ! », dit notamment Gimli à l’adresse de ses compagnons alors qu’ils s’apprêtent à sauter par dessus une crevasse dans la Moria).
Pauvre Gimli ! Né en l’année 2879 du troisième âge, fils de Gloin, un des douze compagnons de Thorin Oakenshield dans son voyage vers Erebor, Gimli ne saurait donc pas, à l’âge de 139 ans, qu’un Anneau de Puissance, et qui plus est le Maître Anneau, ne se détruit pas à coups de hache ?
On voit bien le problème qui se posait à Peter Jackson dans sa transposition d’un personnage comme Gimli à l’écran. Gimli, dans le Seigneur des Anneaux, est une sorte d’archétype, nain bourru au grand cour qui pleure ouvertement lorsque la Compagnie quitte la Lórien. Il manque peut-être de cette épaisseur psychologique propre à atténuer les effets néfastes d’une adaptation cinématographique. On retrouve ici un des arguments favoris des détracteurs du Seigneur des Anneaux. Les personnages secondaires n’y auraient qu’une psychologie sommaire, et Tolkien ne posséderait pas le talent d’un Balzac ou d’un Tolstoi, capables de tracer au fusain les portraits de leurs personnages secondaires en quelques lignes. En réalité, il serait plus juste de dire que la psychologie individuelle n’était pas ce qui intéressait au premier chef Tolkien, plus occupé à entrelacer les aspects mythologiques et romanesques de son ouvre avec le génie que l’on sait. Et c’est peut-être paradoxalement cette parcimonie dans la description des personnages qui, en laissant à l’imagination du lecteur le soin de combler ces manques, a contribué de par son alliance avec la profusion des détails dans la description des lieux, à ce sentiment de réalité de la Terre du Milieu que Tolkien appelle Créance Secondaire dans Du Conte de Fées. Depuis les membres des Inklings jusqu’aux lecteurs d’aujourd’hui, chacun a invoqué dans son vaste imaginaire son propre Gimli.
On ne saurait se réfugier dans l’illusion que le cinéma répond aux mêmes règles narratives que la littérature. Le cinéma se nourrit de personnages secondaires aux traits appuyés et l’imagination du spectateur, éblouie par le déferlement d’images, n’a guère le temps au cours d’un film de combler les vides laissés à dessein par un auteur de romans. Mais entre un personnage de cirque et un personnage de film, il doit y avoir un juste milieu. Et si les ivrognes des films de John Ford sont bien réjouissants, si les deux paysans de La Forteresse Caché de Kurosawa (outrageusement copié par Lucas dans Star Wars) font rire, c’est avec une certaine nostalgie que l’on voit arriver ce nouveau Gimli avec ses multiples haches, ses visions d’anneaux fendus et sa trop longue barbe. L’élément comique dans un film épique est-il si nécessaire qu’il faille lui sacrifier un personnage ?
Semprini,
le 06/09/2001.
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