Je n’avais pas encore dix ans que la région où j’avais passé mon enfance était honteusement détruite, à une époque où les automobiles étaient encore des objets rares (je n’en avais jamais vu) et où les hommes construisaient encore des chemins de fer de banlieue.
Cette phrase, extraite de l’avant-propos à la deuxième édition du Seigneur des Anneaux (1966) témoigne d’une certaine façon l’opposition entre le nature et l’industrie, dont le jeune J.R.R. Tolkien a pu être le témoin, durant les années de son enfance.
Installé depuis 1896 avec sa mère et son frère dans un cottage rural de Sarehole, dans la périphérie de Birmingham, une ville en constante progression, il a pu constater le recul de la campagne face à l’extension urbaine et industrielle.
Birmingham était, en 1900, « l’atelier du Monde » et ses besoins en terre étaient énormes pour installer ses usines, loger ses habitants, toujours plus nombreux, et faire circuler les marchandises avec de nouvelles routes et de nouvelles voies de chemin de fer.
Face à ce grignotage à grande échelle, les parcelles champêtres de Sarehole, le vieux moulin ou la tourbière de Moseley ne faisaient guère le poids.
Le cottage de Sarehole et le chemin de Gracewell vers 1905 d’où ont été prises les célèbres photos du moulin (il se trouvait à droite, en contrebas du chemin).
La tourbière de Moseley se trouvait à gauche, dans un vallon derrière le cottage.
En 1900, Mabel Tolkien est contrainte de déménager avec ses enfants. Ils quittent le cottage de Sarehole pour un appartement à Moseley, dans la banlieue de Birmingham. Sous les fenêtres de l’appartement passaient les bruyants trawmays et au loin se dressaient les cheminées des usines des quartiers industriels de Sparkbrook au nord-est, et Selly Oak à l’ouest.
Les cheminées de Selly Oak, en 1920. Moseley se trouvait à gauche de la photo (vers l’est)… sous les fumées.
L’installation dans les faubourgs de Birmingham en 1900 était pour le jeune Tolkien (il avait 8 ans) le prélude à une série de déménagements dans différents quartiers de la grand ville, avec en arrière plan la vie pressée et industrieuse et la pollution aux particules de charbon, qui marquaient une rupture brutale avec la vie à la campagne, près de la nature.
Cette rupture et ce passage « de la nature à l’industrie » marquèrent profondément le jeune garçon. Sa défiance vis-à-vis de la société industrielle moderne, un des symboles de la recherche du pouvoir, et son amour de la nature, des arbres et des choses simples d’une vie rurale idéalisée, se retrouvent à plusieurs reprises dans son œuvre romanesque et dans ses correspondances.
En témoigne ce court extrait du Prologue du Seigneur des Anneaux, dans lequel il prête à ses personnages ses propres sentiments.
Les Hobbits (…) ne comprennent pas et n’ont jamais compris ni aimé les machines plus compliquées qu’un soufflet de forge, un moulin à eau ou un métier à tisser rudimentaire, bien qu’ils aient su manier les outils avec habileté.