John Ronald Reuel Tolkien, tout au long de sa vie, nous a imaginé, écrit et livré l’une des plus fabuleuses œuvres d’imagination qui ait jamais vu le jour. L’œuvre de Tolkien n’est pas seulement un travail d’imagination mais également une saga complète avec ses héros, ses exploits et ses légendes. C’est toute une mythologie que Tolkien a inventé et rénové.
Nous allons essayer ici de décrire les motivations et les textes qui ont pu amener Tolkien à entreprendre le travail d’une vie.
La première de ces raisons vient de sa tristesse de voir qu’aucun ancien récit de son pays n’avait survécu après les invasions, émigrations et autres brassages de population dans les temps modernes. L’histoire avait fait son œuvre, il ne restait que très peu de ces récits qui parlent des jours d’antant. Face à ce constat, Tolkien avait cette réflexion :
J’eus l’idée de construire un corps de légendes plus ou moins reliées, allant des vastes cosmologies jusqu’aux contes de fées romantiques et que je pourrais dédier simplement : à l’Angleterre, à mon pays. Cela devait pouvoir posséder le ton et la qualité que je voulais, une sorte de fraîcheur et de clarté, respirer ‘notre air’ . cette insaisissable et pure beauté que certains nomment celte, ‘quelque chose de ‘haut’. Je développerais certains récits parmi les plus importants, et pour beaucoup je ne ferais que les esquisser, leur donner leur place dans l’ensemble. Leurs cycles seraient reliés à un ensemble plein de majesté tout en laissant place à d’autres esprits, d’autres talents, qui viendraient apporter la couleur, la musique et le drame.[1]
Indubitablement, Tolkien voulait écrire ces légendes qui n’existaient plus, réintroduire une tradition d’une Angleterre appauvrie… Pour arriver à cela, ses propres lectures et son métier l’ont conduit à s’inspirer de quelques-uns des récits mythologiques qui l’ont le plus marqué. Il en dira :
Ces récits mythologiques sont pleins de cette culture primitive et souterraine que, dans l’ensemble, la littérature européenne n’a cessé de réduire et d’éliminer depuis des siècles, plus ou moins complètement selon les peuples concernés. » … « J’aimerai qu’il nous en reste plus – de ce qui était de cet ordre et qui appartenait aux anglais.[2]
Les récits mythologiques dont Tolkien parle, ce sont principalement ceux qui décrivent ces anciens peuples que l’on dénomme « scandinaves ». Ce sont ces textes qui vous seront présentés ici même.
D’autres raisons ont poussé Tolkien. C.S. Lewis, l’un de ses amis, nous livre l’une d’entre elles : « Tollers, il y a trop peu de ce que nous aimons vraiment dans les légendes. Je crains que nous ne soyons obligés d’en écrire nous-mêmes ».
Ils convinrent alors que Lewis essaierait « les voyages dans l’espace » et Tolkien « les voyages dans le temps »[3]. Tolkien y arrivera avec le succès que l’on sait.Enfin, on peut également dire que Tolkien a été motivé par le désir, le besoin de trouver un cadre à ses langages imaginaires. En effet, personne n’ignore que Tolkien fut professeur de philologie à Oxford. Tout au long de sa vie, et dès son enfance, cette discipline le fascina et inventa nombre de langues issues de son esprit fertile. Pour lui, la poésie d’une langue n’est pas dans les vers mais dans les mots eux-mêmes. La grammaire, la syntaxe, la sonorité d’une langue sont pour lui une vraie Musique.
Ces pages ne se veulent pas (dans un premier temps) une mise en rapport des textes que nous aborderons avec ceux de Tolkien. Dresser des comparaisons peut être dangereux et peut aboutir à faire dire à Tolkien ce qu’il n’a jamais voulu. Par exemple, comme il le disait, comparer l’Anneau des Nibelungen et celui qu’il décrit dans le Seigneur des Anneaux n’a pas de justification. Tout au plus, « les deux anneaux sont ronds, la ressemblance s’arrête là. »[4] En effet, si quelques textes l’ont manifestement influencé, il n’en reste pas moins que son monde est complétement original et innovant.
Ce que je voulais surtout vous montrer, ce sont ces formidables mythologies qui ont tant plu à Tolkien, en pensant que vous pourriez vous aussi aimer ces textes. Je vous laisse faire les rapprochements avec le Légendaire de Tolkien, je présenterai simplement les textes dans leur environnement historique.
Table des matières
Mythologie Nordique
La Mythologie Nordique est une des plus riches en événements qui peuvent être reliés à l’oeuvre de Tolkien et au Seigneur des Anneaux. Plusieurs textes ont influencé et inspiré Tolkien, ce qui ressurgit pour qui sait le voir. Parmi eux, nous trouvons trois textes principaux.
La Saga Völsunga
La Saga Völsunga (ou Saga des Völsungs) est la version en prose des légendes islandaises des Nains, des Nibelungs et de Sigurd, petit-fils de Völsung. Originaire d’Islande, La Saga Völsunga fut écrite au cours du XIIIème siècle par un auteur anonyme dont une grande partie est basée sur des travaux rédigés quelques siècles auparavant.
Cette saga qui raconte l’histoire des civilisations Nibelung et Völsung est la plus célèbre légende scandinave relative aux anneaux. Ce conte épique a survécu à la civilisation Viking en raison de son exceptionnelle qualité littéraire. Au siècle dernier, William Morris disait de ce conte épique : « C’est la grande histoire des Nordiques ; notre race devrait la regarder au même titre que la légende de Troie pour les Grecs. »
Le destin des dynasties Völsung et Nibelung était lié à celui d’un anneau magique appelé Andvarinaut, qui en des temps anciens avait appartenu à Andvari le Nain. Cet anneau a été un Draupnir Terrestre, dirons-nous. Son nom signifie Destin d’Andvari, parce qu’il « tissa » à son propriétaire une fortune en or, richesse qui suscita son pouvoir et renom. Le récit d’Andvarinaut est devenu l’archétype de la légende de l’Anneau, qui traite avant tout de la vie et de la mort de Sigurd le tueur du dragon, le plus fameux des héros scandinaves.
Après cette courte introduction, je vous invite à découvrir l’histoire de manière plus détaillée
Le Kalevala
Le Kalevala fut composé par Elias Lönnrot à partir de chants recueillis vers 1830 auprès de paysans finnois et qui remontent au Moyen Âge. Cette épopée nationale finlandaise fut publiée il y a plus de cent cinquante ans et fait maintenant partie de la grande famille des épopées qui n’existerait pas sans les épopées de l’Antiquité. Réciproquement le Kalevala a agi sur la forme et la structure des épopées qui ont paru plus tard. Le Kalevala est célébré tout au long de l’année par des manifestations organisées en Finlande et dans le monde.
C’est au début de 1911 que Tolkien découvre le Kalevala finnois (ou Pays des héros), recueil de poèmes qui contient l’essentiel de la mythologie finlandaise. Son amour pour lui est immédiat, il y découvre et loue « ce peuple étranger et ces nouveaux dieux, race de héros scandaleux, sans hypocrisie et sans intellectualité. » … « plus j’en lis, plus je m’y sens chez moi et m’en réjouis. »5. La découverte de ce texte l’amène à apprendre le finnois et en vient à lire le texte dans sa langue originale, « ce fut comme de découvrir une cave pleine de bouteilles d’un vin extraordinaire et d’un goût jusqu’alors inconnu. J’en devins passablement ivre. »6 C’est d’ailleurs sous l’influence de cette lecture que Tolkien créera un de ses langages imaginaires : le Quenya est né.
Maintenant que vous connaissez ces quelques généralités, je vous propose son résumé.
- Le Kalevala, un extrait de l’Encyclopédie Universalis.
Les Eddas
A paraître prochainement
Mythologie anglo-saxonne
Beowulf
Beowulf est un sommet de la poésie anglo-saxonne. D’un auteur inconnu, en langue anglo-saxonne, ce poème raconte une très ancienne légende des races germaniques. L’aventure originale de Beowulf fut écrite aux environs du XIème siècle. Cette légende prit forme chez les Angles, alors qu’ils se trouvaient encore en Allemagne du Nord, vers le VIème siècle et décrit les aventures d’un grand guerrier scandinave. Elle ne concerne pourtant ni les Angles, ni les Saxons, mais les Danois dans leurs rapports avec les Goths, quand ils résidaient encore en Suède méridionale.
Beowulf est le plus ancien texte de la littérature épique Britannique et seul un exemplaire a traversé le temps. Il fut d’ailleurs partiellement endommagé par l’incendie qui toucha la bibliothèque de Sir Robert Bruce Cotton en 1731. Ce manuscrit rescapé est maintenant conservé au British Museum de Londres.
Contrairement aux mythes celtiques qui décrivent des combats contre des géants aquatiques, Beowulf (et les histoires germaniques plus généralement) parle de héros affrontant des monstres plutôt que des adversaires aux pouvoirs magiques. Ceci s’oppose aux concours de « coupage de têtes » qui virent s’affronter le grand héros et champion de l’Ulster Cuchulainn et Uath, ou encore Gauvain et le Chevalier Vert (que Tolkien réédité en une édition critique7) ; en effet, dans ces traditions, les monstreux adversaires avaient le pouvoir de revenir à la vie après avoir eu la tête tranchée.
Signalons que Tolkien apporta une contribution majeure à la compréhension de ce texte en donnant une conférence, publié dans Beowulf, The Monster and the Critics8.
Crist de Cynewulf
Autre texte primordial pour Tolkien, Crist de Cynewulf, un ensemble de poèmes religieux anglo-saxons en vieil anglais, dont deux vers le frappèrent :
Eala Earendel engla beorhtast
Ofer middangeard monnum sended.
(Salut Eearendel, plus radieux des anges
envoyé parmi les hommes sur la terre du milieu.)
Earendel est traduit dans le dictionnaire anglo-saxon comme ” lumière brillante, rayon “. En voyant Earendel dans ce poème, il fut saisi d’une étrange émotion :
« Je sentis une curieuse excitation, comme si quelque chose en moi avait frémi, s’était à demi éveillé d’un long sommeil. Il y avait quelque chose de lointain, d’étrange et de très beau derrière ces mots, si je pouvais m’en emparer, et très loin au-delà du vieil anglais. »9
L’un des personnages majeurs de Tolkien allait naître de cette lecture : Eärendil.
La Quête du Graal
D’aucuns disent que le périple de Frodon et Sam en Mordor pour la destruction de l’Anneau s’assimile à une quête. Pour Frodon, c’est peut-être un peu la Quête du Graal ?
Peut-être Même si les références ne sont pas toujours évidentes, vous pouvez toujours vous faire votre opinion en lisant l’extrait suivant.
- La Quête du Graal (extrait de l’Encyclopédie Universalis).
Le Cycle Arthurien
Gandalf, figure paternaliste, guide et mentor n’est pas sans nous rappeler un autre magicien bien connu : Merlin l’Enchanteur.
- Le Cycle Arthurien (extrait de l’Encyclopédie Universalis).
Bibliographie
Ouvrages de ou relatifs à Tolkien
- Tolkien, JR.R., Beowulf, The Monsters and the Critics, London, HarperCollins Publishers, 1997.
- Carpenter, Humphrey, J.R.R. Tolkien – Une biographie, Paris, Christian Bourgois éditeur, 1980, traduit par P. Alien.
- Day, David, L’Anneau de Tolkien, Paris, Christian Bourgeois éditeur, 1994, traduit par J. Georgel
- Shippey, T. Alan, The Road to Middle-Earth, London, Grafton, 1992 (ouvrage non traduit à ce jour)
Ouvrages de référence
- Le poème Anglo-Saxon de Beowulf, traduction de Daniel RENAUD, aux éditions L’Âge d’Homme.
- Le Kalevala – Epopée des Finnois (2 volumes) par Elias Lönnrot. Traduction de Gabriel Rebourcet Gallimard, collection L’aube des peuples.
- L’Edda. Récits de mythologie nordique par Snorri STULURSON, traduction de Dillmann François-Xavier, L’aube des peuples, Paris, Gallimard, 1991.
- L’Edda Poétique, Textes présentés et traduits par Régis Boyer, Fayard, Paris, 1992
Autres ouvrages utilisés/conseillés
- Dumezil, Georges , Loki, Flammarion, 1986
- Guelpa, Patrick , Dieux & Mythes nordiques, Septentrion – Presses Universitaires, 1998
- Mabire Jean , Légendes de la Mythologie nordique, L’Ancre de Marine, 1978
- Page, R.I., Mythes nordiques, traduit de l’anglais par Christian CLER, Editions du Seuil, 1993.
- Cotterelle, Arthur , “Encyclopédie de la Mythologie“, éditions Celiv. ISBN 2-86535-286-2.
- L’Encyclopedia Universalis
Sur internet
- The Adventures of Beowulf : Ce site administré par David Breeden présente l’adaptation la version anglaise, dans son intégralité, de Beowulf. Le plus de ce site est l’association d’illustrations originales de Randy Grochoske au texte (une illustration par chapitre).
- Electronic Beowulf : Ce site propose de découvrir le “sauvetage” du seul texte ancien retrancant l’histoire de Beowulf. Touché par un incendie en 1731, la totalité est en cours de numérisation pour offrir par la suite la Version Electronique de Beowulf.